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Loi antivoile : le Collectif “Une école pour tous-tes” dénonce le « harcèlement » subi par les jeunes filles voilées.

Un mois après la rentrée, le Collectif “Une école pour tous-tes” tenait ce lundi 4 octobre à Paris une conférence de presse pour dénoncer « la logique d’exclusion et de discrimination » qu’a entraînée dans les établissements scolaires l’application de la nouvelle loi proscrivant les « signes religieux ostensibles » à l’école. Il a notamment insisté sur les dérives de la loi, appliquée de façon abusive et illégalement étendue aux mères des élèves ainsi qu’aux étudiantes.

Le Collectif considère que « contrairement à ce que voudrait nous faire croire le ministre de l’Education, la rentrée ne s’est pas bien passée dans les lycées ». Au-delà de la centaine de « cas difficiles » recensés par le ministère, nombre de jeunes filles ne se sont en effet pas réinscrites à la rentrée. Certaines filles ont demandé à bénéficier des cours du CNED, mais d’autres ont tout simplement abandonné leur scolarité, par découragement ou méconnaissance de l’alternative que constitue l’enseignement à distance. Quant à celles qui ont décidé de retirer leur voile dès l’entrée de l’établissement, « nous savons que ce geste n’est pas vécu par elles  », précise Monique Crinon, militante féministe et cofondatrice du collectif.

La traque des filles voilées. Bien que la circulaire d’application de la loi, autorisant les élèves à « porter des signes religieux discrets », n’interdit pas le bandana, nombre d’établissements ont inséré dans leur règlement intérieur une clause proscrivant le port de tout couvre-chef. Dans les autres, les enseignants font parfois régner ce que Monique Crinon appelle un « climat de harcèlement », exigeant qu’un lobe d’oreille ou des cheveux pendouillent sous le bandana ou veillant à ce que la tunique ne soit pas trop longue. Au lycée Saint-Exupéry de Mantes-la-jolie, deux élèves de BTS vêtues d’une tunique pakistanaise ont été refoulées. A Meulin, au lycée Léonard de Vinci, une jeune pakistanaise en sari a été priée de rentrer chez elle pour revenir en jean, tenue visiblement jugée plus républicaine. Laurent Lévy, dont les filles avaient été exclues de l’école l’an dernier, dénonce là un « réflexe de communautarisme majoritaire qui va bien au-delà de la question des signes religieux ».

On atteint çà et là le ridicule. A Rennes, au moment de la rentrée, une enseignante fait remplir par chaque élève une fiche de renseignements personnels. Les lisant tour à tour après les avoir ramassées, elle s’arrête sur l’une d’elles, et s’exclame : « Ah ! Toi tu t’appelles Fatima ! Tu n’as pas le droit au bandana !  ».

« Nous avons des témoignages précis d’enseignants disant : ” ils n’ont qu’à retourner chez eux”, commente Monique Crinon. Mais chez eux, c’est ici. Il y a là une libération de propos s’inscrivant bien dans un plan et un champ raciste. Ce que nous disait une enseignante, c’est que dans les quartiers, dans les familles, il y a des situations de tension, de crainte … la peur de se faire remarquer, de simplement se déplacer dans un espace qui est notre espace à tous et à toutes ».

Des élèves mises en cage. Les élèves récalcitrantes font par ailleurs l’objet de mesures vexatoires. La loi prévoyant une période de dialogue préalable à toute exclusion, les jeunes filles sont isolées dans des salles et privées de tout contact avec leurs camarades. A Mantes-la-jolie, quatre lycéennes ont été remisées dans un ancien débarras, transformées par les baies vitrées de la pièce en objet de curiosité.

Le cas de Cennet, 15 ans, symbolise cette stratégie d’humiliation. N’ayant pas été acceptée avec son bob au lycée Louis Pasteur de Strasbourg, cette jeune Turque, qui portait le foulard depuis la sixième, s’est rasée la tête. « J’ai dit “bonjour”, raconte-t-elle. On m’a répondu : “Tu enlèves cela tout de suite”. J’ai refusé d’enlever mon bonnet. On m’a enfermée dans une salle sans fenêtre. On m’a interdit de sortir en récréation. Ils me traitent comme un monstre. Mais je ne suis pas un monstre  ! ». Désespérée, elle se munit dès le lendemain d’une paire de ciseaux : « J’ai fait n’importe quoi avec mes cheveux. J’ai coupé. J’ai tout rasé avec un rasoir style Gillette haute précision ». Les parents précisent que leur fille a perdu 4 kg depuis la rentrée.

Les garçons Sikhs, auxquels leur religion recommande de porter un turban au nom de la sacralité de la chevelure, ne sont pas en reste. Au lycée Louise Michel de Bobigny, trois d’entre eux en été mis en quarantaine, avant d’être tout simplement renvoyés chez eux, en lieu et place de la période de dialogue prévue par la loi.

Pourtant, lorsqu’il y a négociations, des compromis sont possibles. Devant le refus des élèves du lycée Saint-Exupéry de Mantes La jolie de quitter leur bandana, l’Inspecteur d’Académie a convoqué les parents jeudi dernier. Il a proposé que les jeunes filles gardent leur bandana jusque dans les couloirs et qu’elles l’enlèvent en classe, ce que ces dernières ont accepté. Le lendemain, l’assemblée générale des professeurs a ratifié l’accord « Ce compromis est acceptable pour nous car il évite le sentiment de viol de conscience  » a expliqué Karim Azouz, membre du Collectif des Musulmans de France.

Sihame ou l’histoire d’une lente exclusion. Lors de la conférence de presse, Sihame a accepté de témoigner. Inscrite en terminale ES, elle se présente le jour de la rentrée avec son bandana, veillant à ce qu’il ne dépasse pas les 10 cm autorisés de l’an dernier. Tout se passe bien jusqu’au moment où son professeur de sport refuse de l’accepter en cours. Dans son allocution de rentrée, le proviseur précisera le nouveau règlement : « tout ce qui soutient les cheveux est autorisé, tout ce qui couvre est interdit ». Exit le bandana, seul le bandeau était désormais toléré ! Le lendemain, Sihame ne se représentera pas dans son lycée.

La jeune fille n’a pas voulu revivre l’humiliation endurée l’an dernier. En cours de sport, le professeur – toujours le même – exige qu’elle retire son voile. Sihame obtempère puis éclate en sanglots : « je me suis sentie humiliée, se rappelle-t-elle. Je portais le bandana depuis la seconde, c’était la première fois que les autres élèves voyaient mes cheveux ; eux aussi se sont sentis gênés pour moi ». Devenue dépressive après cet incident, elle s’absente des cours durant un trimestre. Elle échouera au baccalauréat.

Sihame et les élèves de son lycée avaient été auditionnés fin 2003 par la Commission Stasi. A l’entrée du Sénat, un vigile l’avait isolé de ses camarades, pour la faire passer par une porte dérobée. On lui expliqua que le Président du Sénat avait reçu des ordres. «  Pourtant j’avais veillé à rester discrète, s’insurge t-elle, j’avais simplement un bandana et un châle ».

Sihame a été élevée par sa grand-mère. Sa mère vit en Algérie. Son père a toujours été hostile à sa décision de porter le foulard. Trop française en Algérie, pas assez laïque pour ses professeurs, trop « islamiste » pour son père : voilà un cocktail détonnant, apte à transformer en future Ben Ladina celle qui ne demande pourtant qu’une chose : étudier. La loi aurait-elle réussi à résoudre la quadrature du cercle : discriminer des filles au nom de l’égalité des sexes ?

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Depuis son abandon du lycée, Sihame a repris espoir, notamment grâce à sa rencontre de responsables associatifs. Elle envisage désormais de repasser le BAC, en candidate libre. Une collecte a été réalisée pour l’aider à payer les frais de scolarité du CNED.

Entrée interdite aux mères voilées. Alors que la circulaire d’application précise que « la loi ne concerne pas les parents d’élèves », certains se sont vus refuser l’entrée dans les établissements ou interdits d’accompagnement lors des sorties scolaires.

Le 2 septembre au matin, Amira accompagne son fils, qui entre en CE2, à l’école Paul-Langevin de Fontenay-sous-Bois, dans le Val-de-marne. Invoquant la loi, la Directrice lui demande d’ôter son voile, puis, informations prises, présente ses excuses dans l’après-midi à l’intéressée. Elle explique cependant à une parente d’élève – non voilée – de la FCPE que l’Inspecteur d’académie a transmis des directives orales demandant que les mères voilées ne soient pas placées en position éligible dans les Conseils de parents d’élèves, prétextant qu’elles ne pourraient pas siéger au Conseil d’école. Même son de cloche dans un groupe scolaire du Bourget, en Seine-Saint-Denis : la secrétaire du Conseil des parents, affilié à la FCPE, relate des instructions données par l’Inspecteur d’Académie pour que les parentes voilées ne soient pas en tête de liste.

Par ailleurs, dans plusieurs départements – curieusement ceux où la présence musulmane est la plus importante – des inspecteurs d’académie demandent de ne plus laisser les parents porteurs de “signes religieux” participer aux sorties scolaires, qu’elles soient régulières et/ou occasionnelles. Le maire de Montreuil, Jean-Pierre Brard, a adressé en ce sens cet été un courrier à tous les chefs d’établissement de sa ville. La Directrice de l’école primaire Daniel Renoult de Montreuil a même modifié le règlement intérieur de son établissement, sans concertation préalable des parents d’élèves. On y lit que « la loi du 15 mars 2004 ne s’applique pas aux parents d’élèves sauf lorsqu’ils sont accompagnateurs de sorties scolaires auquel cas ils sont considérés comme des collaborateurs occasionnels de l’Education Nationale ». La Directrice a demandé à chaque parent d’élèves de signer ce règlement, en toute illégalité puisque le Conseil d’école ne l’a toujours pas ratifié.

Face à ces dérives, la FCPE a tenu dans un communiqué du 20 septembre à clarifier sa position. Elle y affirme que le « refus de laisser entrer dans la cour ou dans la classe une maman qui vient chercher son enfant ou parler à l’enseignant, au motif qu’elle porte un foulard » ou que l’ « exclusion de conseils d’école ou d’administration, ou de réunions diverses de mères portant un foulard » constituent « une attitude inadmissible et illégale qu’il faut dénoncer avec la plus grande fermeté ». Concernant la participation aux sorties scolaires, la FCPE indique qu’en raison du flou juridique, « le ministère n’a pas tranché » mais tient à préciser qu’ « aucune consigne écrite ministérielle n’a été donnée, contrairement à ce qu’affirment certains inspecteurs d’académie ou certains Directeurs d’école ».

Les étudiantes à leur tour menacées ? Il est clair que la loi ne s’applique pas aux universités. Pourtant, fait inédit, la Conférence des Présidents d’Université (CPU) vient d’envoyer à ses membres un guide intitulé Laïcité et enseignement supérieur proposant «  en matière de laïcité à l’Université  » des « recommandations … là où un flou juridique existe encore parfois  », écrit Michel Laurent, Premier Vice-Président de la CPU dans son avant-propos. Le document se présente comme une extension de la loi sur les signes religieux du 15 mars 2004 : « au moment où, à la question du respect de la laïcité dans l’enseignement primaire et secondaire, est apportée une réponse dans un texte législatif réglementant le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics, il se trouve que dans les établissements d’enseignement supérieur, le principe de laïcité est de plus en plus fréquemment mis à mal et laisse parfois les Présidents d’université désemparés face à des revendications communautaristes, le plus souvent à caractère religieux, d’un genre nouveau. ». S’il reconnaît que le port de signes ou tenues religieuses ne peut être interdit dans les universités, il considère toutefois que la jurisprudence administrative relative au port du foulard islamique par les élèves dans le secondaire est transposable aux étudiants : « même si les cas d’espèces ne concernaient pas des étudiants de l’enseignement supérieur, mais des élèves du secondaire, il est clair que les solutions dégagées par le Conseil d’Etat peuvent tout à fait s’appliquer » . Ainsi, conformément à un arrêt du Conseil d’Etat du 20 octobre 1999, les enseignants des universités seront désormais en droit « d’exiger des élèves le port de tenues compatibles avec le bon déroulement des cours, notamment en matière de technologie et d’éducation physique, sans qu’il y ait à justifier dans chaque cas particulier, l’existence d’un danger pour l’élève ou les autres usagers de l’établissement ».

Ces “dommages collatéraux” de la loi sont déjà perceptibles dans les établissements supérieurs. Le Collectif “Une école pour tous-tes” précise que récemment un étudiant sikh s’est vu refusé une inscription en IUT, qu’à Paris, une étudiante voilée a été refoulée dans un restaurant universitaire et qu’il a été demandé a une autre, étudiante à la Sorbonne, d’enlever son voile au moment de l’inscription.

CONCLUSION  : « La mobilisation contre la loi est en train de se construire »

Prenant acte de ces nombreux dysfonctionnements, Monique Crinon note que « ce qui se passe depuis la rentrée scolaire … nous conforte dans l’analyse que nous faisions avant même le vote de la loi : nous estimions que cette loi stigmatiserait des élèves et comme par hasard des filles ». Le collectif fait remarquer qu’un nombre croissant de personnes, dont des enseignants, fait part de son écoeurement face au climat instauré par la loi. « La mobilisation contre la loi est en train de se construire » conclut Karim Azouz. Il estime qu’à Lille, Rennes, Montreuil, Meulin, Mantes-La-Jolie, de 100 à 300 personnes ont assisté aux dernières réunions d’information organisées par le Collectif.

Le Collectif “Une école pour tous-tes” appelle à un « Rassemblement contre toutes les exclusions » le Samedi 9 octobre, 15 h place de la Sorbonne.

Site Internet : http://www.ecolepourtoutes-tous.org

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