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A quoi ressemblerait une théologie musulmane revivifiée au 21ème siècle ? (3)

Dans ce troisième volet de notre étude, nous allons tenter de voir quelles seraient les notions qu’il nous faut réactiver pour disposer d’une métaphysique qui nous aide efficacement à décrypter notre monde moderne, mais aussi, qui nous permette de « marcher droit » et d’exclure tout fanatisme. Iqbal, nous l’avons déjà dit, a eu selon nous, la bonne intuition en affirmant que la méditation sur le temps était la clef pour réinterpréter plus pertinemment le rapport de l’homme au monde.

Cette réinterprétation doit nous libérer de nos préjugés, et notamment, celui qui consiste à voir le sacré et le mondain, l’éternité et la temporalité, Dieu et l’homme, comme des réalités séparées par nature. Pour lui, il était devenu urgent de réconcilier toutes ces dimensions grâce à ce qu’il a appelé, le « principe du mouvement ».

Cette notion, apparemment simple, cache une profonde compréhension du lien qui unit l’éternité et le temps. Il ne s’agit pas simplement de se mettre en mouvement sans s’attacher à connaître le point d’arrivée. Le « principe du mouvement » est sa traduction du mot « ijtihad », notion connue par beaucoup d’entre nous comme étant « un ensemble d’efforts à faire ». Il va, en quelque sorte, la démocratiser et lui donner une signification plus large et ne pas la laisser à la seule caste des « oulémas ». D’ailleurs, la « démocratisation » du savoir doit être la première des préoccupations pour tous ceux qui aspirent à nourrir l’élévation spirituelle/intellectuelle des sociétés ou communautés qui se prétendent « musulmanes ».  

Iqbal n’a cessé de méditer cette parole du Prophète, « n’insultez pas le Temps car le Temps est Dieu ». C’est à partir de cette parole, qu’il a développé cette intuition profonde que le Temps et l’éternité ne sont que les deux faces d’une même pièce. Nous ressentons tous cet appel d’incarner la Valeur, qui appartient à l’ordre de l’Absolu, nous pressentons tous qu’il y a une communion entre notre temps mondain et l’Absolu, entre l’Homme et Dieu. Gaston Berger a bien résumé cet appel et l’élan qu’il suscite en nous : « Le tragique de la condition humaine, ou plus simplement sa gravité, tient précisément à ce que l’homme sent l’urgence de l’appel sans avoir d’indication absolue sur ce qu’il faut faire, aimer ou penser dans telle circonstance particulière. Je dois faire mon devoir, cela je le sens, j’en suis sûr, et il y a dans le cas concret qui est le mien, des choses à faire et d’autres à ne pas faire. Mais je ne suis jamais tout à fait sûr d’avoir découvert la vraie conduite à tenir. C’est de là que naît le sentiment de responsabilité. C’est ce qui fait, dans tous les domaines, le sérieux du choix : si j’allais mal choisir… En croyant servir, je trahis peut-être… L’homme se tend entre l’appel général qu’il entend et la réponse précise qu’il fournit » (Expérience et transcendance-p.93).

Cet appel d’accomplir le Bien en incarnant la Valeur, nous le retrouvons également, présent dans le Coran : « Vous qui croyez, répondez positivement à Dieu et à Son Envoyé, quand il vous appelle à ce qui vous donne la Vie » (C.8, 24). Donc, L’éternité et le Temps, Dieu et l’homme ou encore l’inspiration et l’action, collaborent pour perpétuer le monde et le rendre meilleur et plus beau. Iqbal, en proposant son « principe du mouvement » cherchait à concilier « le permanent et le changement » : « Le fondement ultime de toute vie, tel que le conçoit l’Islam, est éternel et se révèle dans la variété et le changement. Une société fondée sur une telle conception de la réalité doit concilier, dans sa vie, les catégories de la permanence et du changement. Elle doit posséder des principes éternels pour réglementer sa vie collective ; car l’éternel nous fait prendre pied dans le monde du changement perpétuel. Mais les principes éternels, lorsqu’on les envisage comme devant exclure toutes possibilités du changement qui, selon le Coran, est l’un des plus grands « signes » de Dieu, tendent à immobiliser tout ce qui est essentiellement mobile dans sa nature » (Reconstruire la pensée religieuse de l’Islam. p, 147).

En résumé, comme le rappela Francis Lamand, pour s’opposer à « l’immobilisme de l’Islam et au laxisme de l’Occident », Iqbal proposa « le principe du mouvement continu dans la structure de l’Islam. Au second, implicitement, la resacralisation de la société occidentale ». Dès lors, nous comprenons mieux pourquoi lorsque nous « insultons le Temps » en perpétuant l’immobilisme et donc, la contre-nature, cela revient à « insulter Dieu », base spirituelle de toute vie qui, pour se perpétuer, doit se mouvoir.

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Notre programme est donc clair, il nous faut tout à la fois, réactiver cette compréhension de l’ijtihad, méditer sur la réalité du Temps (comme instrument prospectif) et redonner une interprétation spirituelle du monde.

Nous en sommes loin, très loin. Pendant que les mosquées organisent des concours de adhane (appel à la prière), ce qui est purement pathétique au regard de l’avènement prochain de « l’homme nouveau » (H+) voulu par BigTech et qui n’hésitera pas à s’opposer à « l’homme-unifié » (Hu) en limitant son progrès éthique, ces mêmes mosquées abandonnent de fait, le musulman au péril actuel, qu’il ne voit pas venir. Il y a presque 100 ans, Iqbal avait déjà prédit et alerté sur ce péril, et pourtant, nous y allons benoitement, « Croyez-moi, écrivait-il, l’Europe d’aujourd’hui est le plus grand obstacle qui se dresse sur la voie du progrès éthique » (id.p, 80).

Mais, à côté de cette critique de l’Europe coloniale et prédatrice des années trente, il n’hésita pas à espérer l’unité des hommes autour de valeurs hautement spirituelles ; il nous légua un formidable message d’espérance : « En revanche, le musulman est en possession de ces idées ultimes sur la base d’une révélation qui, s’exprimant à partir des profondeurs les plus secrètes de la vie, intériorise son apparente extériorité. Pour lui, la base spirituelle de la vie constitue une conviction pour laquelle le moins éclairé des hommes parmi nous peut facilement donner sa vie ; et si nous considérons l’idée fondamentale de l’Islam, à savoir qu’il ne peut y avoir de nouvelle révélation qui oblige l’homme, nous devrions être l’un des peuples les plus avancées spirituellement de la terre (…). Souhaitons que le musulman de nos jours sache apprécier sa position, reconstruire sa vie sociale à la lumière des principes ultimes, et dégager des desseins jusqu’ici partiellement révélés de l’Islam cette démocratie spirituelle qui est la fin dernière de l’Islam » (id.p, 180).

Force est de constater que, dans l’avènement de cette « démocratie spirituelle », nous avons échoué. Nous n’avons pas réussi à la faire advenir, ne serait-ce qu’à l’échelle de nos mosquées, que dis-je, à l’échelle même de nos foyers. Nos mosquées françaises sont de véritables petits laboratoires de l’arbitraire, de l’iniquité et de la légitimité de droit divin de nos responsables au service du culte ; de véritables petits Etats arabes. Pire que l’immobilisme qu’a dénoncé Iqbal, nous entrons maintenant dans l’ère du conformisme ; nous avons hargneusement tendance à vouloir nous conformer à la pression de la majorité. Il n’y a qu’à observer la direction que prennent les mosquées françaises depuis plusieurs décennies ; leur déphasage nous inquiète de plus en plus, au point que nous pouvons dire sans craindre de nous tromper, que la force spirituelle sera dans la jama’a (fratrie spirituelle) et non plus dans les mosquées, dès lors qu’elles ne cherchent plus à libérer les consciences.

C’est le signe des temps que d’être amené, aujourd’hui, à construire sa propre mosquée intérieure pour rester libre, le temps que les mosquées retrouvent leur véritable vocation. Dans le dernier volet de notre réflexion, nous expliquerons ce que doit être une métaphysique « qui redonne du sérieux à la vie ».

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7 commentaires

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  1. Là, je flotte comme entre des nuages qui m’envelopperaient de tous côtés, mais je suis pas envore noyé. Qu’est-ce que c’est que cette démocratie spirituelle? Que nous soyons tous ou devrions être tous des saints, plus besoin d’imans, tout le monde a de quoi prendre la parole en public tour à tour, ou mieux et plus démocratique tous ensemble, en même temps, nous prendrions la parole en écoutant d’une oreille impressionnante beaucoup de gens, tous donc qui prendraient la parole et feraient khotba?

    On n’a qu’à faire l’expérience, mais d’ailleurs à quoi ça servirait? En un temps où beaucoup de gens en France qu’on pense un pays libre, font des choses plus par conformisme que pour leur santé tant ils ne sont pas du tout convaincus de certaines choses mais affectent l’achésion à ce qui donc n’est pas un consensus.

    Bonne chance pour votre démocratie spirituelle mais essayez de me la faire entendre d’abord, et si je marche, d’autres marcheront, pour le moment je flottes.

    Croissant de lune.

  2. Salam Hakim, encore désolé pour mes commentaires précédents assez rudes.
    Je pense que vos écris partent d une bonne intention , c est ce qui compte. On peut parfois ne pas être d’accord , ce qui arrivent , mais je vous rejoint sur la nécessité d une rupture avec ce qui s est fait précédamment , sans se couper de la source bien sûr.
    Mais j aime a penser que la bonne théologie ou la bonne lecture du Coran viendra naturelement en s ouvrant un peu plus au monde. Iqbal ne s est il pas inspiré de Bergson ou de niesztche comme vous l avez dit ? Le prophète également a apporté une nouvelle vision du monde …

  3. Bonjour Hakim,

    D’abord, je suis désolé de la longueur de mon commentaire. Ensuite, j’aime débattre. Et j’aime surtout qu’on débatte d’égal à égal : cela postule l’humilité, l’honnêteté et le respect et non d’ego à ego : cela évoque la vanité, l’orgueil et l’imposture.
    Vous n’avez pas à être désolé Hakim. Rassurez-vous, votre texte n’a rien de technique. Vous êtes on ne peut plus clair.

    Votre premier argument :
    Le fait que le Prophète (ç) a été investi par la faculté de condenser la pensée en peu de mots n’est pas la porte ouverte à nos propres incohérences ou à nos propres insuffisances ou à nos propres délires… C’est pourquoi Iqbal (dans le cas où il aurait dit ce que vous avancez) ne comprend pas autrement le hadith sur lequel il base son raisonnement, mais il le comprend faussement (si on suppose que vous avez bien compris le discours d’Iqbal). Faute que vous amplifiez. Ce qui vous fait dire ceci :
    « Cette réinterprétation doit nous libérer de nos préjugés, et notamment, celui qui consiste à voir le sacré et le mondain, l’éternité et la temporalité, Dieu et l’homme, comme des réalités séparées par nature. » (Votre texte). Je vous laisse la responsabilité de vos propos. A moins qu’il n’existe un décalage entre ce que vous comprenez et ce que vous écrivez. Cela arrive. En tout cas, vous semblez oublier la sourate 112 que tout musulman et toute musulmane connaissent ainsi que le verset 11/42 (Aucune chose n’est semblable à lui) et 143/7 (Jamais tu ne me verras, mais regarde la Montagne, si elle reste stable et à sa place, alors tu Me verras ! Alors quand son Seigneur se manifesta pleinement à la Montagne, IL la pulvérisa et Moïse s’effondra foudroyé…). « Allah/Dieu EST sans manière d’être et sans lieu et le temps n’a pas d’emprise sur LUI. » Ce sont là les bases de l’Unicité de Dieu. Et le prophète (ç) énonce : « Allah/Dieu ETAIT (Kana) et rien d’autre n’existait. » (Boukhari). Dire que la séparation de Dieu et l’homme, de l’Eternité et du temps… sont des préjugés relèvent vraiment d’une théologie nouvelle. Et que Dieu nous en préserve.
    Le temps n’est point Dieu, Exalté soit-IL. Tout musulman et toute musulmane qui se respectent savent que Dieu ne se confond jamais avec ce qu’IL crée. Ainsi il n’y a aucune commune mesure entre Dieu et Sa création. Cela ne veut point dire que Dieu, comme le croient certains, a déserté le monde. Tant s’en faut. « Chaque jour Dieu est à l’œuvre » (55/29), et « IL est plus près de nous que notre veine jugulaire. » (50/16).
    Votre deuxième argument :
    S.H. Nasr évoque la pluralité et la diversité à l’intérieur du champ religieux islamique en la conditionnant par la référence à la SOURCE (Coran et Sounna). Son discours est intra-religieux. J’aurais bien aimé que votre Iqbal (ce que vous donnez à lire d’Iqbal) soit au même niveau de pertinence que S.H. Nasr. Et puisque vous citez en renfort ce grand monsieur, je vous invite donc à lire un chapitre magistral « Les méfaits de la philosophie » dans son livre qui s’intitule « La religion et l’ordre de la nature ». Être logique est à la portée de tous ou presque. Mais allez jusqu’au bout de sa logique est l’œuvre d’une minorité. Nasr, en tant que philosophe des sciences, philosophe tout cours et surtout en tant qu’islamologue de renommée internationale a toujours fait preuve de rigueur et de lucidité en soulignant dans le livre sus-indiqué « la haine de l’humanisme de la Renaissance pour l’Islam ». (p.240). « Enlevez la culture, ou pire, pervertissez-la, il ne reste que la barbarie. »
    Votre troisième argument :
    S.B. Diagne, lui est iqbalien. Je l’ai cité justement pour réfuter l’idée qu’Iqbal était uniquement influencé par RUMI comme vous l’avez avancé de façon péremptoire dans un autre commentaire (sous votre Texte N°2). Iqbal, comme vous le savez bien, a même rencontré Bergson. Mais vous avez fini par lui reconnaître d’autres influences.
    Votre cinquième argument :
    Quant aux soufis que vous invoquez au travers de cette phrase bien connue : « l’homme est le fils de son temps (ibn waqtihi) » alors que le hadith qui nous occupe parle de « Addahr ». Celui-ci englobe alwaqt sans s’y réduire. Nous avons affaire à deux concepts qui relèvent d’un même champ lexical mais véhiculent des sens et des nuances différentes. Même l’athée Sartre a dit à sa manière la même chose sans être soufi : « On ne choisit pas son époque. On se choisit dans son époque. » Donc cette affirmation soufie n’a rien à voir avec le hadith qui nous occupe. Il faut être focus. Pour rester dans la thématique du temps comme waqt, vous avez cité même un proverbe qui dit : « le temps est un sabre ; si tu ne le coupes, il te coupera ». On peut ajouter le temps, c’est de l’argent. Ou le temps c’est de l’or. Ce n’est point comme cela que l’on pense. Vous avez pratiquement cité tous les registres de la parole : un hadith dont on a tordu le coup, une parole soufie, un proverbe, un philosophe qui fait la promotion d’Iqbal (Diagne). Je déplore seulement l’usage peu pertinent que vous faites de deux grands penseurs : R. Garaudy et S.H. Nasr.
    En conclusion, le musulman et la musulmane accordent la priorité méthodologique et épistémologique au Coran et la Sounna sans le prisme d’un « isme » quelconque tout en restant ouvert à « l’inconnu et l’inconçu. » « Ô vous qui croyez ! n’anticipez pas sur Allah et son prophète… » (49/1). Et Mohamed (ç) de prolonger : « puisez la sagesse quel que soit le récipient d’où elle sort. » donc qu’on ne me fasse pas dire ce que jene dis pas.
    « Comme lui nous y revenons pour continuer le chemin tracé », la dernière séquence de votre commentaire.
    Je vous souhaite donc bonne chance « pour continuer le chemin tracé » avec votre compagnon Massignon à propos duquel Malek Bennabi a dit : « …au plus odieux des montres à face humaine : le très chrétien, le très « éminent professeur » Massignon ». (Malek Bennabi : Mémoires d’un témoin du siècle. p345). Massignon a mené la vie dure à Malek Bennabi. Il n’a pas cessé de lui mettre les bâtons dans les roues. Il a même saboté son inscription à l’institut supérieur des études orientales.
    Et je ne puis penser à ce hadith : « l’Homme sera ressuscité avec ceux qu’il a aimés. »
    Cordialement et sans rancune. En contexte religieux, c’est la vérité qui importe.

  4. Salam

    Mon ami Djeser … merci pour ce commentaire … juste ça me permet de préciser que ces propos appellent juste à savoir que la mosquée à travers ce que proposent ses responsables est dévitalisée.

    Mais en aucun cas il ne faut couper avec la nécessité de s’y recueillir – le loup n’attaque que la brebis éloignée de son troupeau selon un hadith …construire sa mosquée intérieure sert à patienter et à trouver sa force au milieu de cette réalité difficile.

    Hakim FEDAOUI

  5. C’est le signe des temps que d’être amené, aujourd’hui, à construire sa propre mosquée intérieure pour rester libre, le temps que les mosquées retrouvent leur véritable vocation.

    Hakim, bel métaphore , je suis d accord avec ça, c est ce que je vit depuis plusieurs années .
    Cependant j apprécie encore beaucoup la sérénité de la mosquée , le recueillement qu on y éprouve, face au vacarme du monde. Surtout en dehors de ces affluences.
    D ailleurs , je ne peut me rendre au perche du vendredi a cause du travail, mais c’est mieux comme ça !

  6. Salam,
    @Najib,

    merci pour ce commentaire intéressant,

    Quelques éléments de contexte (désolé pour la technicité) sur la pensée de Sir M. Iqbal :

    S’il ne se reconnait qu’un seul maître (Rumi), il n’a pas nié l’apport d’autres penseurs dans l’élaboration de sa pensée, et notamment, Goethe, Nietzsche, Whitehead, etc. Concernant la pensée de Bergson, s’il a bien retrouvé dans sa notion du temps psychologique (la durée) une partie de sa propre compréhension du Temps, qui préexistait à travers sa lecture de l’œuvre de Rumi, Iqbal a rejeté avec force la conception de l’élan vital développée par Bergson.

    Pour Bergson, le temps doit être ouvert et l’avenir ne doit pas être prédéterminé, c’est pourquoi il ne doit pas y avoir de finalité (autrement dit un aspect téléologie c’est-à-dire un sens, une sagesse, une providence et des fins), une telle affirmation, Iqbal ne pouvait l’accepter car elle contredit la théorie du ‘Amr présente dans le Coran générant le tadbir (providence).

    Sur le hadith profond concernant le Temps, (profond car le Prophète avait la faculté du « Jawam’i al kalim » c’est-à-dire que ses paroles ont de multiples significations selon les aptitudes de chacun), sa réflexion était déjà présente dans la littérature soufie, il l’a juste remis au goût du jour. Dans la spiritualité musulmane des expressions telles que, « al soufi ibn al waqt – le soufi est le fils de son temps ou de son moment », ou encore, « al waqt ka say’fe – le temps ou le moment est comme un sabre » existent dans le corpus soufi pour faire du Temps un axe essentiel pour la reconquête de notre moi réel. Cette conception, Iqbal l’a philosophiquement clarifiée.

    Par cette compréhension du hadith, Iqbal souhaitait redonner une vision dynamique du monde présente dans le Coran. Sur cela, un philosophe français comme R. Garaudy, en parlant des penseurs comme Iqbal, écrivait : « La vision dynamique du monde, dans le Coran, découle de l’incessante action créatrice de Dieu » ou encore, « cette fossilisation de l’Islam est d’autant plus intolérable que la révélation coranique apportait une vision dynamique du monde et de l’homme ». Pour notre poète-philosophe indo-pakistanais, le Temps est l’un des plus grands signes de Dieu et ce hadith l’atteste, et le Dieu du Coran « ne peut qu’être désigné ».

    Iqbal malgré de multiples influences, auxquelles aucun penseur ne peut échapper en réalité, selon moi, a plus exprimé une synthèse qu’une hybridation. Seyyed Hussein Nasr, en parlant de la diversité des écoles de pensée islamiques depuis l’origine de l’Islam écrivait : « Cette abondance et cette diversité d’écoles, qui étaient différentes, mais qui toutes puisaient à la source de la révélation coranique et du tawhid, ont été le moyen par lequel l’Islam a su préserver le caractère sacré de la connaissance, tout en créant, en même temps, une vaste civilisation dans laquelle le développement des différents modes de connaissance et la diversité des sciences étaient une nécessité ». Iqbal n’a fait que perpétuer cette réalité de la pensée islamique.

    Enfin, S. Bachir Diagne lors d’une interview, avouait qu’il ne cessait de revenir à l’œuvre d’Iqbal car elle n’a pas encore révélé toutes ses potentialités ; comme lui nous y revenons pour continuer le chemin tracé.

    Merci encore pour le commentaire.

    Hakim FEDAOUI

  7. Bonjour,
    Dans un premier temps, je vais essayer de prouver que Sir Iqbal était influencé par Bergson et bien d’autres encore.
    S.B. Diagne, philosophe sénégalais, a sorti un livre dans lequel il démontre l’influence de Bergson sur deux grands poètes : Léopold Sédar Senghor et Mohamed Iqbal. J’ai lu un article qui présente ce livre qui nous dit : “chez Iqbal, la philosophie bergsonienne de l’élan vital, de l’évolution créatrice, entre en résonance profonde avec sa (c’est moi qui souligne) lecture du Coran et l’étude de la tradition prophétique de la pensée islamique, permettant de donner corps au projet de reconstruction de la pensée religieuse de l’Islam”.

    Iqbal n’a pas subi seulement l’influence de Bergson mais également celle de Nietzsche et bien d’autres encore. Vous reconnaissez vous-même qu’il fut influencé par le bergsonisme quant au concept de “durée”.
    J.F. Revel, dans son livre “Pourquoi des philosophes ?”, qualifie la durée bergsonienne de “concept verbal”, c’est-à-dire sans teneur véritable. De plus, René Guénon dans ” La crise du monde moderne” démontre l’inanité de ce concept. Mais celui qui donne le coup de grâce au bergsonisme c’est le livre de Politzer qui s’intitule “Contre Bergson”. J.F. Revel nous dit qu’il n’y a plus rien à ajouter à cette critique parce qu’elle ne démonte pas le système philosophique de Bergson mais elle en sape les bases. Il n’en reste plus rien. Qui lit aujourd’hui Bergson sinon des étudiants dont la lecture leur est imposée.

    Il n’est certes pas interdit d’emprunter des concepts à d’autres champs de compétences pourvu qu’on en maîtrise la teneur, le réemploi et les implications épistémologiques. Car la greffe demeure, jusqu’à nouvel ordre, conditionnée par la compatibilité. Sinon il y a rejet. L’exigence de compatibilité n’a jamais été prise au sérieux par certains. Nous en payons aujourd’hui le prix. Mais ce n’est point une raison pour s’entourer de barbelé. La sagesse peut sortir de n’importe quelle bouche ou de n’importe quel écrit.

    Dans un second temps, ce que dit Sir Iqbal à propos du hadith authentique qui énonce ” N’insultez pas le temps (addahr) car le temps c’est Dieu” rapporté à la fois par Muslim et Al-Bukhari. Ça en dit long sur son authenticité. Mais la lecture qu’en fait Iqbal est complètement erronée. Il suffit de comprendre l’économie globale de l’Islam pour savoir que le temps est une créature de Dieu à l’instar de toute la création et de ce fait il ne peut se confondre avec Dieu, Exalté soit-IL ! (Voir sourate 112). Dieu est Transcendant ! De plus, si le temps était Dieu comme nous l’apprend l’exégèse de ce hadith, “addahr” aurait été un beau nom de Dieu. Mais, hélas, pour Iqbal addahr ne fait point partie des “Beaux Noms”.

    Que veut donc dire ce hadith authentique ? Ceci : les arabes d’avant l’islam et du début de son avènement, chaque fois qu’un malheur les frappait ou qu’une catastrophe leur tombait dessus, s’exclamaient : “ya khaïbata addahri !” C’était une façon d’insulter le temps. Et le Messager de Dieu de leur dire : N’insultez pas le temps car le temps c’est Dieu. Autrement dit, le temps n’est qu’une créature de Dieu et que rien n’advient sans Dieu. Le temps n’est donc pour rien dans ce qui vous arrive puisqu’il est une créature comme vous. Il n’a pas de volonté propre. Il ne fait qu’obéir en tant que créature. Et quand vous l’insultez, c’est Dieu que vous insultez puisque que c’est Dieu qui décrète tout.
    Dieu révèle dans le Coran : “ils disent : il n’y a rien que notre vie en ce bas-monde. Nous mourons et nous vivons et seul le temps (addahr) nous fait périr!” (45/24). Ceux qui parlent sont ceux qui prirent leurs passions comme divinité… nous apprend le verset 23 de la même sourate. Si le temps était Dieu, ce verset devient une aberration ! Mais le Coran est très précis.
    L’interprétation qu’en a fait Iqbal ne se justifie pas du point de vue religieux. Car elle un contresens de ce point de vue-là. Mais certains peuvent la justifier du point de vue de la poésie ou de la littérature ou même de la philosophie. Libre à eux !
    Donc addahr que l’on traduit par le temps résulte de l’alternance du jour et de la nuit (comme cela est mentionné dans un autre hadith); alternance consécutive au fait que la terre tourne autour d’elle-même etc… la terre et le soleil avec leurs conséquences sur le temps ne sont que des créatures de Dieu Exalté soit-il ! Et Dieu ne se confond point avec sa création. Car il y a une sacrée différence de nature entre Dieu et ses créatures y compris l’homme.
    Qu’Allah soit Exalté !

    En conclusion, les systèmes hybrides sont peut-être performants en mécanique. Mais stérile dans le domaine de l’éthique. L’on comprend aisément aujourd’hui pourquoi la greffe n’a pas levé dans le champ religieux islamique. Il suffit de voir la lecture qu’on fait certains du hadith qui nous occupe. Ainsi la religion n’aime pas le syncrétisme et autre hybridation. Elle exige la fidélité à ses principes sans fanatisme et sans fatalisme. C’est le prix de l’authenticité.

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