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Le choix des prénoms arabo-musulmans en France : entre tradition et diversité culturelle

En 2018, Eric Zemmour a tenu des propos polémiques à l’encontre de Hapsatou Sy lors de l’enregistrement d’une émission de télévision. Deux ans plus tard, en tant que candidat à l’élection présidentielle de 2022, il a proposé une série de mesures visant à accélérer et renforcer le processus d’assimilation en France, notamment en obligeant les citoyens français d’origine étrangère à choisir des prénoms pour leurs enfants parmi ceux qui figurent sur le calendrier ou dans l’histoire antique, afin de franciser les prénoms par la force de la loi.

Cette mesure a été vivement critiquée pour son caractère discriminatoire et a relancé le débat sur la liberté de choix des prénoms. Il propose même d’interdire les prénoms à consonance étrangère, tels que Mohammed, pour améliorer, selon lui, l’intégration en France.

Dans la plupart des pays européens, on constate une tendance à accorder aux parents une grande liberté dans le choix du prénom de leur enfant, tout en évitant que des prénoms extravagants puissent nuire à leur développement. La Finlande a longtemps eu une réglementation stricte en matière de prénoms, obligeant les parents à choisir parmi une liste de noms locaux “historiques”. Cependant, ces dernières années, sa législation a évolué pour permettre plus de flexibilité, autorisant notamment l’utilisation de prénoms non traditionnels si des motifs religieux ou l’origine des parents sont invoqués.

Afin d’analyser l’évolution des choix de prénoms pour les nouveau-nés en France et de décortiquer la polémique portée par la droite et l’extrême droite, j’ai opté pour l’étude menée par Lotfi Ramdani, directeur du site islam2france.fr . Cette étude, bien qu’elle ne fasse pas l’unanimité, a le mérite de souligner certains aspects de la question. Ses résultats ont été diffusés sur internet et relayés par plusieurs journaux. Elle se distingue des études financées par des organismes malveillants et menées par des sites d’extrême droite qui cherchent à nuire à une minorité.

La recherche de M. Ramadani vise plutôt à clarifier et à comprendre l’évolution sociologique et culturelle de la présence des musulmans en France dans un contexte difficile. Il convient de préciser que Lotfi Ramdani s’est appuyé sur les données publiées par l’Insee, couvrant la période de 1900 à 2000. Toutefois, il est important de souligner que la loi n’autorise pas à établir des statistiques basées sur des critères ethno-religieux.

Les résultats de l’étude menée en France entre 2017 et 2020 montrent une diminution constante de la fréquence d’attribution de prénoms à consonance arabo-musulmane, passant de 12,10% à 11,74%. Cette tendance s’explique par la présence dominante de prénoms étrangers, tels que des prénoms américains, allemands, espagnols et italiens en France, représentant la majorité écrasante des prénoms donnés dans le pays (plus des deux tiers).

Ces conclusions rejoignent les travaux de Baptiste Coulmont, sociologue et chercheur à l’Institut national d’études démographiques (INED), qui a co-écrit une étude en 2019 sur les prénoms donnés par les immigrés à leurs enfants en France. Le sociologue révèle que les immigrés ont tendance à favoriser des prénoms “internationaux” plutôt que des prénoms issus de leur culture d’origine.

Cette évolution témoigne de l’influence de la culture mondiale, véhiculée par les médias de masse, et d’une certaine autonomisation culturelle des classes populaires. Toutefois, il convient de souligner que la Seine-Saint-Denis demeure le département où la proportion de prénoms arabo-musulmans est la plus importante, représentant 28% des prénoms attribués. En revanche, dans d’autres pays européens, tels que la Belgique où une forte communauté d’origine marocaine est installée depuis plusieurs générations, la proportion de prénoms arabo-musulmans a augmenté de 46%, selon une étude.

De nombreux travaux académiques, en outre, témoignent que le prénom est une composante de la personnalité, et d’autres études présentent le lien entre le prénom, l’image de soi et la personnalité de l’individu. Anne Laure Sellier, spécialiste en psychologie cognitive et sociale, affirme que 76% des Français sont convaincus qu’un prénom peut influencer le cours d’une vie et que nous ressemblons physiquement à nos prénoms. Ils influent sur celui qui le porte. C’est la raison pour laquelle le prénom occupe une place centrale chez l’individu.

Le psychanalyste allemand Karl Abraham évoquait déjà, en 1912, ce processus d’identification qui repose sur le prénom : « On observe fréquemment qu’un garçon portant le même prénom qu’un homme célèbre s’efforce de l’imiter ou lui porte un intérêt particulier. Le prénom d’Alexandre pousse, par exemple, ceux qui le portent à consacrer un intérêt spécial à Alexandre le Grand, à s’identifier à lui en imagination. » Toutes ces études démontrent la nécessité pour l’individu, au sein d’un groupe social, de chercher sans cesse à se différencier et d’affirmer son originalité.

Dans la tradition chrétienne, il est courant de donner le prénom de l’enfant lors de son baptême. Le baptême est un sacrement de l’Église catholique et de certaines Églises protestantes, où l’enfant reçoit le sacrement de l’eau, symbole de purification et de régénération spirituelle. Lors de la cérémonie, le prêtre ou le pasteur interroge les parents sur le choix du prénom, qui est alors officiellement donné à l’enfant devant l’assemblée. Le défunt pape Benoît XVI, haute autorité religieuse, encourageait les parents à donner des prénoms de saints et à renoncer aux prénoms à la mode.

Dans la tradition juive, il faut attendre huit jours pour donner un prénom à un garçon, le jour de sa circoncision. Ce moment est hautement spirituel car, selon la tradition, le nouveau-né est en alliance avec Dieu. Quant aux filles, leur nomination a lieu à la synagogue le jour de la lecture de la Torah.

Dans la tradition musulmane, le prophète de l’islam encourage sa communauté à choisir minutieusement les prénoms de ses enfants et dit : « C’est un droit de l’enfant sur son géniteur que celui-ci l’éduque bien et choisisse bien son prénom.

Toutefois, il reste une partie des parents qui choisissent une stratégie de refuge, comme l’a souligné Anne-Laure Sellier. Cette stratégie vise à faciliter la vie de l’enfant en lui donnant un prénom indémodable qui lui permettra de passer partout, y compris dans le domaine professionnel.

En effet, dans les différentes traditions religieuses mentionnées, le choix du prénom de l’enfant est considéré comme une décision importante qui doit être prise avec soin et valorisée. Le baptême, la circoncision ou d’autres cérémonies religieuses peuvent être l’occasion de donner officiellement le prénom de l’enfant, en présence de la famille et des amis. Toutefois, le choix du prénom peut être une tâche complexe pour les parents, car cela implique souvent une réflexion approfondie, liée parfois à l’ancrage territorial d’origine de l’un ou des deux parents, à l’ancrage religieux des parents, ou à d’autres considérations familiales ou culturelles. Dans certains cas, cela peut même être un indicateur de rapport de force entre le couple, tandis que dans d’autres situations, des conflits familiaux peuvent survenir lorsque les différentes générations, ainsi que la belle-famille, ont des opinions divergentes sur le choix du prénom.

Dans certains cas, le statut socio-professionnel des parents influence de manière directe le choix des prénoms, comme l’ont démontré de nombreuses études en France et au Canada. Les parents ayant un niveau socio-économique élevé cherchent souvent à se singulariser en donnant des prénoms plus originaux à leur enfant.

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Il convient de souligner que le processus de nomination d’un enfant est bien plus complexe que ce que de changer d’obsession de parcours semble suggérer. Il ne suffit pas de choisir un prénom dans un catalogue proposé par un commercial, comme on choisirait, par exemple, une couleur de peinture pour sa maison ou une marque de voiture. En réalité, il s’agit d’un enchevêtrement d’éléments qui englobent à la fois un projet personnel, une histoire familiale et une dimension individuelle et plurielle. Si cela était aussi simple que cela, nous pourrions nous contenter d’attribuer des numéros d’identification, à l’image des numéros de sécurité sociale !

Il est vrai que la plupart des enfants ne souffrent pas de leur prénom et ne considèrent pas que leurs parents n’ont pas été à la hauteur de cette responsabilité ou que leur choix de prénom a eu un impact négatif sur eux. Cependant, dans les rares cas où cela se produit, l’enfant peut éprouver un rejet de son prénom plus tard dans sa vie et demander un changement de prénom auprès des autorités compétentes. En France, environ 3 000 demandes de changement de prénom sont déposées chaque année.

Vivre en harmonie avec son pays de naissance ne signifie pas adopter une apparence ou une personnalité uniforme, comme cela peut être suggéré par Monsieur Zemmour et sa bande. Les choix vestimentaires, les choix d’études, les préférences culinaires, ainsi que bien d’autres aspects de la vie quotidienne, doivent être respectés. Suivre le raisonnement de ces idées extrêmes conduirait éventuellement à imposer aux Français de changer de religion pour ressembler à une prétendue majorité, ce qui serait une violation flagrante des libertés individuelles et une négation de la diversité culturelle.

Cette énième tentative populiste de la part de la droite et de l’extrême droite française pour définir l’identité française n’est pas nouvelle. Elle s’inscrit dans un processus de radicalisation des idées, de banalisation et de manipulation de l’opinion publique qui a commencé avec l’arrivée de Nicolas Sarkozy au pouvoir en 2004. Il a contribué à établir explicitement un lien entre “la sécurité et l’immigration”. Plus tard, Manuel Valls a mis en avant le lien entre “l’islam et le terrorisme”, tandis que Marine Le Pen évoque constament dans ses meetings “l’islamisation de la France”.

La “fachosphère” cherche sans cesse à stigmatiser les minorités, en prônant l’ordre et la conformité à des normes édictées par une majorité supposée. Cette rhétorique est souvent relatée par Eric Zemmour, qui utilise l’expression “À Rome, fais comme les Romains” pour justifier cette exigence de conformité. Cette idéologie discriminatoire récurrente repose sur une volonté de domination et d’humiliation envers les minorités, en particulier les citoyens français de confession musulmane.

Les partisans de cette idéologie tentent ainsi de faire croire que ces minorités ne sont jamais chez elles et seront toujours perçues comme des étrangers, contribuant ainsi à leur exclusion, leur marginalisation, voire à leur invisibilisation dans la société française.

Baptiste Coulmont, sociologue et chercheur à l’Institut national d’études démographiques (INED), fait remarquer que dans les années 1920, il était difficile de différencier les immigrés originaires d’Europe de l’Est et leurs descendants, car les parents avaient francisé les prénoms de leurs enfants afin de mieux s’intégrer dans la société. Cependant, il est étrange de constater que l’extrême droite s’opposait farouchement à cette pratique à l’époque.

Cela montre que les musulmans de confession musulmane seront toujours critiqués, que ce soit pour leur visibilité ou leur invisibilité, car leur simple présence dérange.

La manipulation des chiffres et la diffusion de théories racistes durant toutes ces années par des personnalités comme Zemmour, à travers les médias mainstream, ainsi que leur intervention persistante dans la mémoire collective pour désigner l’ennemi de l’intérieur, sont des pratiques qui contribuent à la construction et à la consolidation d’un discours et d’un système de discriminations ethniques et raciales qui continuent d’avoir un impact négatif direct sur la vie des citoyens français de confession musulmane.

Cela se traduit notamment par des difficultés en matière d’emploi, d’accès au logement, d’intégration dans les grandes écoles et dans d’autres domaines de la société. De nombreuses enquêtes ont confirmé l’existence de ces discriminations.

En conclusion, il est important de souligner que la France ne pourra réellement être glorieuse qu’en reconnaissant la diversité culturelle de tous ses enfants, qu’ils soient de confession musulmane ou non. Des personnalités emblématiques telles que le footballeur Zinedine Zidane, l’acteur Omar Sy ou encore Yasmine Belkaid, récemment nommée directrice générale de l’Institut Pasteur, ont contribué à la richesse culturelle du pays et cela malgré leurs prénoms arabo-musulmans.

Monsieur Zemmour, toi qui portes un nom berbère, plutôt que de demander aux Français de confession musulmane de changer leur prénom, il serait plus approprié de te demander de changer d’obsession et de t’adapter à un monde en constante évolution, où les moyens de communication favorisent la découverte de l’autre et la tolérance envers les différences culturelles et religieuses.

Seul le respect mutuel et la reconnaissance de la diversité pourront conduire à une société française véritablement égalitaire et harmonieuse…

Nabil MATI

École doctorale des sciences sociales de l’École des Hautes Études de Paris (IMAF, Campus Condorcet).

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Un commentaire

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  1. Pour l’homme, il y a plus de deux cents prenoms du prophète (sws) plus les prenoms de tous les prophètes (sws) et une centaine de prenoms serviteur de dieu, sans oublier les prenons des compagnons du prophète.

    Pour la femme,
    Meriam est la seule femme citée par son prenom dans le coran, les autres femmes sont citées, dans le coran, par leur mari, femme de…
    le choix, pour la femme, est plus vaste à condition de respecter la regle.

    La regle, pour l’homme et pour la femme : le prenom ne doit pas etre contre la charia, pas forcement pour.

    L’etat civil Français, doit savoir que le coran n’est pas natif grecque.

    Pour ma part, je ne pense pas qu’une personne convetie à l’islam soit obligée de changer son prenom, s’il respecte la regle.

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