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Dr al Ajamî: «Traduire le Coran, c’est être au service de l’Auteur et du Texte et non au service d’une quelconque idéologie»

Entretien avec le Dr al Ajamî

Traduction Littérale du texte coranique

« Le Coran – Le Message à l’origine »

Qui mieux que le Dr al Ajamî, l’éminent théologien dont l’érudition couvre un large éventail de disciplines, pouvait entreprendre la traduction inspirée, inspirante et novatrice à plus d’un titre, d’un grand Texte révélé qui n’a aucun secret pour lui : celle, littérale, du Noble Coran ?

Vingt longues années de recherches rigoureuses auront été nécessaires à cet expert connu et reconnu de l’exégèse coranique pour paravecher ce véritable travail d’orfèvre, qui met non seulement en lumière la quintessence du Message divin, mais réhabilite aussi magnifiquement le Livre sacré de l’islam.

A l’occasion de la parution de son ouvrage riche de sens « Le Coran – Le Message à l’origine », le Dr al Ajamî, cet islamologue de renom, qui est tout à la fois Médecin, Docteur en littérature et langue arabes, ainsi que fondateur de la méthodologie d’Analyse Littérale du Coran, apporte sur Oumma son éclairage aussi lumineux qu’édifiant.

Avant de parler de cette traduction du Coran, vous rappelez un chiffre important : 80% des musulmans ne sont pas arabophones et peu d’arabophones maîtrisent l’arabe coranique.  Traduire le Coran constitue donc un enjeu fondamental qu’ont saisi certains courants de l’islam dominant, qui ont proposé des traductions orientées idéologiquement et souvent liées au sens qu’ils donnent aux versets coraniques ? Quel est leur impact sur la compréhension du Livre Saint par les non-arabophones ?

Effectivement, il est utile de rappeler que nul ne peut ignorer les enjeux présents de la traduction du Coran, plus de 80% des musulmans ne sont pas arabophones et pour le dire sans ambages, peu d’arabophones maîtrisent l’arabe coranique. Le groupe doctrinaire dominant s’est donc saisi du dossier depuis une trentaine d’années et diffuse à grande échelle des « traductions du “sens” des versets du Coran » totalement asservies à la signification qu’il entend leur donner. La centralité du Coran est telle pour les musulmans, et elle le sera plus encore à l’avenir, que la compréhension littérale du message coranique à l’origine est essentielle.

En effet, résoudre les problématiques islamiques engendrées par cette mainmise intentionnée sur le Texte me semble devoir passer par l’établissement de la signification première du Coran, le sens littéral, un en amont des strates exégétiques classiques, le sens antérieur à l’emprise exégétique de l’Islam sur le Texte dont la « traduction standard»[1] et ses répliques sont les nouveaux témoins.

Bien que la forme, l’écriture proposée, reste de piètre qualité, cette entreprise a visé le fond : le sens que cette École dogmatique entend donner au texte coranique, comme elle le reconnaît elle-même dans l’introduction des Corans qu’elle diffuse massivement. Cet état de fait explique que nous qualifions cette traduction en particulier de traduction standard, mais cela peut aussi s’appliquer à ses nombreux avatars papiers et numériques. Cette traduction et ses imitations par suivisme se sont imposées de par la force de frappe du pétro-Islam comme le modèle de référence, tout comme cette interprétation de l’Islam s’est imposée aux musulmans parfois même sans qu’ils n’en prennent conscience.

Il est ici clairement manifesté la problématique : les traductions du Coran sont l’outil le plus simple et le plus efficace pour manipuler la foi, les croyances et les pratiques des musulmans. Elles servent d’appel vers une idéologie, elle instille une compréhension et une interprétation du texte coranique. Par conséquent, il n’y a rien de surprenant à ce que l’on nomme traduction du Coran ne soit pas en réalité la traduction à la lettre du texte coranique arabe, mais la traduction de son interprétation et de son explication.[1]

Au demeurant, ce même courant religieux a légalisé cette trahison et l’affiche en couverture : traduction du sens de ses versets. Autrement dit et à peine sous-entendu : une traduction du Coran se doit selon eux d’exprimer l’interprétation de cette École qui ne dit pas son nom. Ceci passe d’autant plus inaperçu que le lecteur, par la force de l’habitude, pense lire ainsi l’opinion générale de l’Exégèse classique quant au sens du Coran.

Plus grave : il croit lire le texte coranique, ce qui n’est pas le cas, il ne lit que son interprétation à présent dominante. Cette emprise est telle que toute nouvelle traduction se doit de s’y conformer sous peine d’être disqualifiée. Ces re-traductions ne peuvent donc s’en écarter quant au fond et elles ne peuvent différer que sur la forme, plus ou moins bien écrite, une affaire du décor en quelque sorte.[2]

Le lecteur des traductions n’a donc pas accès à la signification réelle du texte coranique, ce alors même que lesdites traductions se présentent qui plus est comme littérales ! C’est à ces difficultés réelles que l’ensemble de ma recherche exégétique est en mesure sous cet aspect de répondre en proposant une approche non-interprétativedu texte coranique. Ma Traduction Littérale du texte coranique[3] est l’expression directe présentée à tout lecteur désireux par lui-même de comprendre le Coran tel qu’en lui-même ; une nouvelle expérience de lecture.

Néanmoins, il ne faudrait pas s’imaginer que le lecteur arabophone du Coran serait à l’abri de cette malversation, de cette accaparation scolastique du Message originel du Coran. Lorsqu’un arabophone ou un arabisant lit le Coran, la signification qu’il perçoit n’est pas directement dictée par le texte coranique, mais par ce qu’il sait être par avance de la signification de ses termes et de ses versets.

Or, comme je viens de le préciser, ces significations sont celles d’une exégèse standardisée que l’arabisé connaît d’avance, dont il a entendu parler, un faisceau de sens véhiculé inlassablement par les médias religieux, immuablement par les imans sur leurs minbars, et à présent par la société arabe en son ensemble puisqu’elle est de facto imprégnée par cette mainmise interprétative dogmatique sur le Coran. Tout autant que pour le non- arabophone, cette boucle herméneutique empêche donc l’arabophone de pouvoir comprendre le texte coranique pour ce qu’il dit réellement par lui-même.

Ce n’est pas le sens premier ou littéral, at–ta’wīl, qui l’instruit de la signification, mais bien l’interprétation que l’on en a donnée. Plus encore, l’arabophone aurait même un désavantage, puisque sa connaissance de l’arabe le porte à survoler la formulation coranique sans réellement en voir les détails. Poussé par son herméneutique, il évite à son insu la phase de réflexion, d’analyse philologique puis sémantique, tandis que le non-arabophone qui peine sur la ligne est dans l’obligation de se pencher humblement sur le Texte.

Cette nouvelle traduction du Coran est le fruit de vingt années de recherches exégétiques. Vous soulignez dans l’introduction que « le Coran est traduisible et il l’est par essence puisqu’il se définit lui-même comme universel et intemporel ». Pourquoi ce rappel ? Est-ce que traduire le Coran est un sacrilège ? Que signifie traduire le Coran ? 

Il y a effectivement toute une mythologie sacralisant le Coran en tant qu’objet, mais aussi son texte, puis sa langue et, par voie de conséquence, sa compréhension. Si Dieu a révélé Son Message à tous les Hommes, Message universel et intemporel,[4] la caste exégétique de l’Islam se l’est toutefois approprié en persuadant la masse qu’elle ne pouvait en approcher la signification. Seuls les détenteurs de la langue déclarée à cette fin sacrée sont alors dépositaires du sens. Le peuple des musulmans ne peut donc que suivre leur opinion, le texte coranique leur échappe, ils en sont en quelque sorte dépossédés par le haut.

Par la suite, l’Exégèse est sacralisée, les exégètes aussi, au point qu’ils se sont autoproclamés héritiers des prophètes.[5] Par conséquent, il fallait que le Coran soit déclaré intraduisible afin que les gardiens du Temple préservent leur privilège et que le croyant ordinaire ne puisse pas lire le Coran dans sa propre langue. Cette sacralisation artificiellement imposée aux textes révélés paralyse la réflexion, elle est comme la manifestation d’un autre état de réalité qui dépasse l’Homme et l’oblige à rester en deçà de la limite sacrée ainsi forgée, outrepasser serait profaner…

Ce procédé est connu, tous les textes dits sacrés en ont été victimes, telles la Thorah et la Bible plus largement, et conséquemment tous les croyants le sont aussi ; l’on retrouve ici les enjeux luthériens initiaux.

Or, à l’évidence, le texte coranique, comme tout texte en langue humaine peut être traduit ! Pour pallier à cette faille dans le système, il fut donc généré le concept d’inimitabilité du Coran appartenant au cortège apologétique nimbant de sacralité le Coran : inimitable, il serait inatteignable, inaccessible.

Rien de rationnel en une telle affirmation, car au contraire une traduction fidèle du Coran se doit d’en être l’imitation la plus parfaite qui soit. Le véritable sacrilège est là : si le Coran est déclaré intraduisible, alors c’est qu’il est incompréhensible… Comment le Coran pourrait-il se déclarer universel et intemporel s’il ne doit ni ne peut être traduit ! Cela ne fait pas sens et, à l’inverse, tout esprit normalement constitué déduit de ces deux caractéristiques essentielles revendiquées par le Coran lui-même qu’elles impliquent que, par essence et vocation, il soit traduisible et doive être traduit.

Ceci est si vrai qu’est ainsi expliqué pour partie ce dont j’ai traité ci-dessus : la mainmise actuelle de l’Exégèse sur les traductions, afin qu’elles ne soient que l’expression de la volonté de la doxa exégétique en vigueur. Pour autant, la vérité est aussi simple que claire : Dieu ne parle pas arabe, Gabriel non plus, l’arabe est la langue du Prophète en tant que récepteur-émetteur[6] de la révélation. La notion de “Parole de Dieu”[7] n’implique pas un Dieu parlant, le Message de Dieu n’a pas de langue, il peut être exprimé dans les langues des Hommes, quelles qu’elles soient.

Traduire le Coran est donc une nécessité. Traduire le Coran est tout d’abord, et fondamentalement, examiner avec minutie son texte, son propos, le suivre, l’entendre, le reproduire avec le plus de fidélité et de rigueur possibles ; traduire le Coran ne serait plus ainsi le trahir, mais le respecter. Traduire le Coran ne consiste donc pas à surimposer au Texte la ligne de sens imposée par le prisme de l’Islam.

Traduire le Coran, c’est tout d’abord identifier ce qu’il dit vraiment et non ce qu’on lui fait dire. Ainsi, traduire le Coran nécessite qu’auparavant ait été réalisée son exégèse littérale et non-interprétative, et non pas qu’aient été réinjectées les interprétations passées. Traduire le Coran, c’est donc en premier lieu en déterminer le sens littéral, ce que le texte dit en tant qu’expression de l’Intention initiale et première.

Traduire le Coran n’est surtout pas l’interpréter, mais le laisser s’exprimer, l’écouter. Ce travail de restitution du sens premier, le Message à l’origine en toute conformité et fidélité, m’aura donc demandé une vingtaine d’années de recherches exégétiques.

Il s’agit là du fond, l’aspect le plus essentiel qui soit. Traduire, c’est être au service de l’Auteur et du Texte et non pas au service d’une quelconque idéologie, une interprétation. Quant à la forme, traduire le Coran c’est réaliser une œuvre à part entière, en ce cas, elle a pour mission de restituer et le fond et la forme.

Traduire le Coran, c’est transcrire un texte dont la forme et le fond sont toujours en parfaite adéquation, sachant que la forme n’a de valeur que si elle reflète le fond. Traduire le Coran de manière optimale, c’est respecter du point de vue formel le Texte au mot près, suivre sa syntaxe sans que le français en pâtisse, valoriser sa richesse lexicale, respecter son rythme, sa prose, souvent sa poésie, son souffle.

Le Coran est un Texte substantiel, dont la relative brièveté et la variété d’expression sont pourtant au service d’une grande amplitude programmatique. Un texte à la trame serrée et complexe, dont il convenait de maintenir la complexité, car dès lors que la traduction ne s’en départit pas, cette difficulté intrinsèque ne nuit pas à une compréhension nécessitant de principe une lecture attentive ; simplifier aurait été ici à nouveau trahir le Coran.

Votre approche, dites-vous, a pour principe premier de considérer le Coran comme « un corpus clos ». Qu’entendez-vous exactement par cette expression et comment cela guide-t-il votre méthodologie de traduction ?

Par corpus clos, il faut comprendre le fait que le Coran est un texte délivrant sémantiquement et herméneutiquement les informations nécessaires et suffisantes pour établir le sens littéral de ses propres énoncés : son Message ; en la matière le Coran se suffit à lui-même. Concrètement, cela suppose que telle partie du texte coranique puisse être expliquée par elle-même ou complémentairement par une autre.

Autrement formulé, de principe notre Exégèse Littérale du Coran ne fait jamais recours aux sources traditionnelles telles que les circonstances de révélation forgées pour l’occasion, les hadîths supposément attribués au Prophète, les interprétations prêtées à certains de ses Compagnons, les propos des exégètes des premières générations. Ce corpus exégétique improprement nommé sciences du Coran/‘ulūm al qur‘ān n’est qu’une somme d’interprétations élaborées par nos prédécesseurs en fonction de leurs propres conceptions. Celles-ci étaient conformes aux mentalités et aux conceptions de l’époque, elles étaient aussi pensées pour l’élaboration d’un Islam en tant que religion impériale.

Cet Islam devait nécessairement dominer en s’inscrivant en compétition avec les religions majoritaires dans les territoires conquis, à savoir principalement : les juifs, les chrétiens et les zoroastriens. Ce réseau d’interprétations a donc sa propre cohérence, mais il est en réalité obsolète puisque la conception du monde et de l’être au Monde a radicalement changé à l’époque contemporaine.

En soi, l’on en déduit sans peine que maintenir cette compréhension s’oppose aux notions d’universalité et d’intemporalité du Message coranique. Ceci n’empêche pourtant pas la faction persuadée que l’on avance en reculant de la défendre à contre-raison et contre-Coran. Le sens littéral du Coran doit donc nécessairement faire sens de manière anhistorique et indépendante des évolutions sociétales.

Il ne s’agit pas pour autant de moderniser la compréhension du Coran, son interprétation, mais de revenir à l’origine en dégageant sa signification initiale, son sens premier littéral enfoui sous des siècles d’exégèses sédimentées. Cette archéologie du texte permet de mettre au jour le Message à l’origine lequel fait parfaitement sens pour le lecteur contemporain.

Le Coran suffit donc par définition, fonction et mission, à déterminer son sens littéral premier sans aucune source externe dont on sait à présent le manque complet de garanties de fiabilité et d’authenticité. La compréhension du Coran est ainsi strictement intratextuelle.[8] En somme, mon projet exégétique ne réalise rien d’autre que ce qu’Ibn Taymiyya recommandait en la matière : tafsīr al–qur’ān bi-l–qur’ān ou compréhension du Coran par lui-même et en lui-même.[9]

Vous parlez d’une analyse critique déconstructive et non destructrice, mais reconstructrice de sens, qui peut dérouter le lecteur. Quelle méthodologie avez-vous utilisée pour cette traduction qualifiée de « littérale du Coran » et qui diffère de la traduction littéraliste ? 

L’islamologie est de principe déconstructive, cela résulte de la réflexion historico-critique, mais selon les intentions de chacun ce travail n’a d’autre objectif que la destruction des certitudes qui portent le croyant musulman ; déconstruire sans construire, c’est détruire. Ce qui distingue donc mes recherches du champ d’action de l’islamologie est qu’elles ont pour vocation de construire du sens. En l’occurrence la signification première du Coran antérieurement à la prise en charge du texte coranique par l’Exégèse.

Cependant, l’Homme est fait d’habitude, or notre traduction littérale du Coran présente un texte n’ayant pas emboîté les pas du sentier largement battu depuis un siècle et demi. Chemin qui, nous l’avons souligné, a été tracé par une exégèse dont l’effort princeps est resté figé depuis mille ans. Ma Traduction Littérale du Coran bien qu’elle renvoie au sens initial du texte coranique méthodologiquement étayé n’est pas un retour en arrière contrairement au reflux de la vague littéraliste.

À ce sujet, par littéral j’entends la fidélité à la lettre près pour l’établissement méthodologique du sens littéral.[10] Par littéralisme, nous comprenons tous de manière erronée que la compréhension et sa traduction seraient simplement conformes au texte coranique. Cependant, ce que l’on nomme littéralisme n’est qu’un collage informatif sur la ligne du texte coranique des sources extra textuelles dont j’ai mentionné ci-dessus l’absence totale de crédibilité.

Le littéralisme est, de ce fait, un retour en arrière qui impose au texte coranique des interprétations d’un autre temps qui font obstacle herméneutique et empêchent le lecteur de lire et comprendre le Coran avec ses propres yeux. Il n’entend pas le Coran s’adresser à lui, mais l’Islam du Xe siècle qui lui dicte ce qu’il doit en comprendre.

Par conséquent, le sens littéral du Coran est obligatoirement le résultat d’une méthodologie permettant de comprendre le texte de manière non-interprétative. Pour parvenir à identifier ledit sens littéral de manière rigoureuse et afin que lors du processus cognitif de compréhension du texte ne s’immisce une interprétation, j’ai donc mis au point et codifié l’Analyse Littérale du Coran.

Cette méthodologie de décryptage du texte suit un processus algorithmique en cinq étapes :

1 – Analyse lexicale;
2 – Analyse sémantique;
3 – Analyse structurelle et contextuelle ;
4 – Analyse de la convergence coranique ;
5 – Résolution du sens littéral.

Cette démarche, strictement intratextuelle  est rigoureuse et critique, d’ordre scientifique, elle apporte à chaque étape la preuve littérale et rationnelle de ce qu’elle avance.

Vous écrivez que vous portez « un regard objectif et rationnel sur le Coran ». Comment peut-on atteindre cette objectivité et cette rationalité, malgré les différences d’interprétation ?

Ceci découle directement de la méthodologie que je mets en œuvre. L’Analyse littérale du Coran est une démarche systématique et logique qui impose un parcours de compréhension écartant toutes les formes d’interprétation.

Par ailleurs, l’interprétation de tel verset est toujours fractionnaire, limitée à ce verset, mais si l’on étudie la convergence intratextuelle dudit verset, c.-à-d. tous les versets traitant du même sujet ou construisant sa signification de manière complémentaire, cette méthodologie finit toujours par trouver une contradiction interne résultant d’une interprétation donnée. C’est d’ailleurs cette force de la cohérence intratextuelle du Coran qui a imposé à nos interprétateurs de s’emparer de l’outil d’abrogation pour tenter de supprimer les contradictions que leurs interprétations ont produites.[11]

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La multitude des interprétations existantes et possibles ne témoigne que de la capacité herméneutique de l’esprit humain à investir et surinvestir un texte, mais cette capacité ne remet pas en cause le fait que le Coran ne délivre qu’une seule et unique signification : son sens littéral ou premier ou ta’wīl: « ne connaissent son sens premier/ta’wīl que Dieu et ceux qui s’enracinent en la connaissance ».[12]

Cette opposition du Coran à l’interprétation de son propre texte est théologique : « interpréter le Texte, c’est faire de son ego sa propre révélation».[13] L’objectivité est donc faire table rase de tout ce que l’on sait du Coran comme de tout ce que l’on souhaite ou attend de lui.

Outre procéder méthodologiquement pour découvrir le Message que le Prophète nous a transmis par le biais de la Révélation, il faut aussi pratiquer l’ascèse de nos intentions comme une démarche spirituelle consiste à faire taire son propre ego. Rien en cela ne relève d’un quelconque penchant pour la modernité et encore moins d’une volonté réformiste puisque j’apporte toujours la preuve que ces significations semblant nouvelles sont littéralement présentes dans le texte coranique dès l’origine.

Ce qui est actuel est seulement de pouvoir les entendre et les comprendre. Le regard que nous avons porté sur le Coran est objectif et rationnel, et cette approche critique au sens positif du terme n’aboutit ni aux conclusions traditionnelles ni à celles de l’islamologie.

Pouvez-vous expliquer la notion fondamentale qui structure notamment votre traduction : « chaque sourate traite d’un thème unique », en donnant un exemple concret pour illustrer cette idée ?

Mon analyse littérale a exhumé une notion fondamentale littéralement enfouie sous les décombres de l’atomisation du texte coranique par l’approche ultra segmentée exégétique classique, à savoir : chaque sourate traite d’un thème unique.

Ce thème est présenté par les premiers versets formant alors l’introduction de la sourate et repris dans les versets constituant de même sa conclusion. En suivant les indications textuelles, les nombreux marqueurs sémantiques jalonnant le texte de la sourate et la logique du sens alors guidée et dictée thématiquement, il apparaît qu’en fonction de la longueur du texte des sourates celles-ci dévoilent une structure parfaitement élaborée en fonction du thème.

Cette organisation insoupçonnée jusqu’alors a pour fonction de décliner didactiquement à la manière d’une symphonie le thème propre à chaque sourate, une diffraction rigoureuse toute en nuances et mises en perspectives qui sous-tend et soutient ainsi la ligne de sens développée par la sourate. Cette mise au jour du thème est un levier puisant de détermination de la signification des versets en fonction de leur insertion thématique et tout autant un frein puissant contre l’interprétation.

Ceci m’a conduit à présenter le texte coranique en tenant compte de cette organisation thématique. Ainsi, sous le titre donné traditionnellement à chaque sourate j’ai fait figurer le thème de ladite sourate. Cette première information est importante puisqu’elle indique au lecteur le vecteur de compréhension de ladite sourate.

Il apparaît que chaque sourate est construite selon un plan en Parties, Chapitres, Paragraphes permettant de décliner son thème de manière rigoureuse. J’ai donc restitué cette organisation visuellement en donnant un titre indicatif à chacun de ces éléments de composition. Ceci permet au lecteur de saisir la signification de ce qu’il lit au fur et à mesure du développement thématique de la sourate.

Signalons qu’à partir de cette organisation thématique l’effet catalogue et bric-à-brac que l’on impute généralement au Coran disparaît, il est en réalité un texte d’un très haut niveau d’organisation et d’une très grande rigueur d’expression thématique.

L’exemple le plus frappant est peut-être le cas de la Sourate 2 : la Génisse, réputée construite de notions composites et hétéroclites sans lien les unes avec les autres, sautant d’un sujet à un autre au point que le lecteur est vite désorienté et quelque peu perdu en cette masse confuse et ne perçoit pas l’unité qui sous-tend pourtant cette grande Sourate, il nous faut savoir le reconnaître honnêtement.

Cependant, dès lors que l’on détermine sont thème, à savoir : la présentation de la théologie coranique, l’ensemble du propos de cette sourate apparaît extrêmement cohérent et logique. L’on y distingue ainsi quatre parties réparties sur deux axes : Partie I : Théologie coranique générale ; Partie II : Théologie coranique interreligieuse; Partie III : Théologie éthique rituelle spécifique ; Partie IV : Théologie éthique sociétale spécifique. Chaque partie est divisée en trois ou quatre chapitres abordant chacun un aspect théologique précis, du plus théorique ou plus pragmatique, et chaque chapitre est composé d’un à quatre paragraphes représentant autant de déclinaisons du thème théologique propre à la Sourate 2. Selon la logique de construction ci-dessus mentionnée.

Pour compléter cette accessibilité retrouvée à la compréhension du Coran, j’ai accompagné ma traduction littérale du Coran de près de neuf cents notes de bas de page plus ou moins brèves, et ce, en fonction de plusieurs objectifs : 1 – expliquer les difficultés que comportent certains versets ; 2 – justifier étymologiquement nos différences terminologiques ; 3 – expliciter notre traduction chaque fois que résultant de l’analyse littérale elle présente une différence de sens notable d’avec celui que suivent ordinairement les traductions toutes assujetties à la doxa exégétique classique ; 4 – signaler les principales surinterprétations classiques ; 5 – mettre en exergue certains concepts-clefs coraniques qui ont été ignorés ou contredits par le corpus de l’Exégèse traditionnelle et l’Islam ; 6 – pointer les incohérences et les non-sens liés à des mécompréhensions et mésinterprétations devenues communes ; 7 – jalonner des repères de sens littéralement assurés permettant au lecteur de nourrir sa compréhension et mûrir son jugement.

L’objectif méthodologique de cette traduction est de restituer le message coranique à l’origine. Pouvez-vous citer quelques différences sur le plan théologique avec les interprétations classiquement admises, et pourquoi ces différences sont-elles significatives? 

Je préciserais tout d’abord que les observations ci-dessus évoquées sont développées et contextualisées dans mon Introduction à la Traduction littérale du Coran mis en ligne au lien suivant : https://www.alajami.fr/2024/02/29/introduction-de-notre-traduction-litterale-du-coran/. De fait, mon approche radicale, ce qui va à la racine, a mis en lumière une contemporanéité non attendue et non entendue du propos coranique. Il n’était donc pas nécessaire de moderniser l’interprétation du Coran, ce sont les interprétations proposées de longue date qui sont obsolètes.

Quoi qu’il en soit, mon travail de compréhension et de traduction souligne par la force des choses de nombreuses divergences d’avec les interprétations classiquement admises. Rien en cela ne relève d’un quelconque penchant pour la modernité et encore moins d’une volonté réformiste puisque nous apportons la preuve que ces significations semblant nouvelles sont en réalité littéralement présentes dans le texte coranique dès l’origine. Ce qui est actuel est de pouvoir les entendre et les comprendre.

Parmi les différences ainsi mises en évidence, nous citerons quelques faits significatifs. Sur le plan théologique, entre autres : la critique rationnelle du mythe biblique d’Adam et Ève ; le paradigme coranique du Libre arbitre versus le paradigme islamique de la Prédestination ; la non-possibilité de l’Intercession versus l’Intercession voulue par nos exégètes ; l’absence de Purgatoire contrairement à ce que l’Exégèse soutient ; la reconnaissance de la crucifixion de Jésus, mais la non-validation de son retour aux temps eschatologiques, et ce, contre l’adoption par l’Islam de ce concept emprunté au christianisme ; le Salut universel pour tous les croyants monothéistes quelle que soit leur religion versus l’exclusivisme de l’Islam et en la matière des autres religions. Citons encore : l’inexistence textuelle de la supériorité de l’Islam sur les autres religions ; l’affirmation de l’absence de miracles concernant le prophète Muhammad ; la dénonciation des croyances traditionnelles au magique et au surnaturel ; le rejet de la croyance au Diable en tant qu’entité du mal tout en soulignant que le mal ne provient pas de Dieu, mais des Hommes, le Diable/ash–Shaytân n’étant donc autre que notre “Démon intérieur”.

Cette réhabilitation du Message coranique, tel qu’il est à l’origine, aboutit à des propositions théologiques qui permettent à qui veut d’harmoniser à la lumière du Coran son rapport individuel à la foi, à la raison et à la religion, en un mot : son islamité.[14]

Le lecteur sera donc en droit de se questionner sur ces différences, mais il sera tout autant en devoir de s’interroger sur les raisons qui ont conduit nos doctes de la période classique à dévier le sens de certains termes, versets et concepts du Coran.

À tout lecteur désireux de comprendre le Coran, nous espérons avoir ainsi rendu possible l’accès au texte premier, à la signification initiale de son propos. Son parcours, à l’image du nôtre, nécessitera sans doute une remise en question de ses certitudes, la raison est à ce prix-là. La foi aussi aspire à retrouver l’écho de ce qu’elle sait être en son âme et conscience du Texte, le Recueil/al–qur‘ān ou Coran.

Le lecteur, musulman comme non-musulman, pourra ainsi découvrir un grand Texte de foi et d’éthique, d’ouverture de cœur et d’esprit, un idéal de paix et d’universalisme, de justice et de bienveillance, d’altérité positive, de spiritualité, d’humanisme ; une alliance harmonieuse de la foi et de la raison.

Propos recueillis par la rédaction Oumma

 

Notes

[1] Quant à cette traduction, confer https://www.alajami.fr/2018/01/21/traduction-standard-du-coran/

[1] Sur ce point essentiel, se reporter à  https://www.alajami.fr/2024/02/29/nous-navons-jamais-traduit-le-coran/

[2] Concernant la catastrophe éditoriale représentée par le les traductions du Coran, voir : https://www.alajami.fr/2024/02/29/la-traduction-du-coran-na-jamais-ete-un-livre/

[3] Confer : https://www.alajami.fr/produit/le-coran-le-message-a-lorigine/

[4] Confer S34.V28 et S25.V1. Pour l’importance méthodologique de ces deux affirmations coraniques, voir : https://www.alajami.fr/2018/01/22/les-cinq-postulats-coraniques-du-sens-litteral/

[5] Pour la déconstruction de cette affirmation classique, voir : https://www.alajami.fr/2018/07/29/les-oulemas-sont-les-heritiers-des-prophetes/

[6] Le phénomène de révélation dans l’intime de ses mécanismes est étudié en détail à l’étude suivante : https://www.alajami.fr/2020/09/01/3-theorie-de-la-revelation-selon-le-coran/

[7] Sur l’analyse critique de ce concept, se reporter à https://www.alajami.fr/2022/01/10/5-la-parole-de-dieu-selon-le-coran-et-en-islam/

[8] Ceci ne retire en rien au fait que le Coran puisse régulièrement s’inscrire en un rapport d’intertextualité. Généralement, il s’agit de l’évocation d’assertions bibliques au sujet desquelles le Coran propose un contre-récit critique. Mais là encore, ce rectificatif ne fait sens qu’en fonction du réseau de liens intratextuels tissé par le Coran en tant que corpus clos. Pour ces deux notions méthodologiques fondamentales, l’on consultera les deux articles suivants : https://www.alajami.fr/2018/01/21/sens-litteral-et-intratextualite/ et https://www.alajami.fr/2018/01/21/interpretation-du-coran-et-intertextualite/

[9] En tant que principe, cette approche exégétique est en réalité connue depuis longtemps. Ibn Taymiyya, le célèbre théologien du VIIe siècle de l’Hégire, la cite comme la meilleure exégèse du Coran qui soit. Or, la validation de cette méthodologie n’a jamais été suivie d’effets réels. Sans doute doit-on retenir de ce constat que cette exégèse du Coran par le Coran, alors uniquement intratextuelle, est en soi une entrave majeure à l’interprétation et la surinterprétation des versets coraniques que l’Exégèse classique avait besoin de mettre en place puisqu’il s’agit de la méthode la plus simple et efficace pour manipuler à volonté le sens du Coran.

[10] Pour la notion centrale de sens littéral, voir : https://www.alajami.fr/2018/01/21/le-sens-litteral/

[11] Pour une étude critique détaillée, confer : https://www.alajami.fr/2018/01/28/labrogation-du-coran-selon-le-coran-et-en-islam/

[12] S3.V7. « sens premier » est la traduction étymologiquement fidèle du terme coranique ta’wīl.

[13] Je tiens à remercier l’auteur de cette pensée résumant toute la tension exégétique de ma recherche herméneutique.

[14] Sur ce concept essentiel permettant d’éviter à titre personnel la rupture épistémologique entre le Coran et l’Islam, cf. Vol. III : L’Islamité à la Lumière du Coran.

Traduction Littérale du texte coranique

« Le Coran – Le Message à l’origine »

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  1. Qui de mieux peut expliquer le Coran ceux qui étaient là au début de la révélation, le pourquoi, de tel verset et ayant eu une connaissance parfaite de la langue arabe ?
    Il est exact que le Tafsir est d’abord une explication de texte pour ceux n’ayant pas les prédispositions et une connaissance parfaite de la langue arabe et surtout des mœurs des tribus qui peuplait le Hedjaz.
    En fait, c’est comme si le commun des mortels avait une lettre codé et que seul les gens versé dans cette science peuvent nous en expliquer le contenu.
    Car selon les Oulémas, le Coran se distingue par trois parties. La première celle qui se rapporte à l’unité divine, la deuxième au commandement divin et la troisième aux récits des prophètes envoyés pour appeler à Dieu et a son unité (Tawhid)
    Pour les savants des grandes universités comme El Ahzar, il n’y a plus rien à explicité ou à faire comprendre, car tous les commandements divins ont été détaillé et rien ne changera sur ce point.
    Par contre le Coran recèle d’autres secrets qui pour nous, aujourd’hui, sont impossibles à dévoiler, mais qu’une génération prochaine expliquera et ainsi de suite.
    Ce Coran est inépuisable en termes de découverte jusqu’au jour du jugement dernier, mais sera découvert par des gens de science (physique, mathématiques, etc.) et pas forcément pas des gens qui auront fait vœu de consacré tout leur temps à Dieu.
    Il est exact que cette science du Tafsir doit servir le créateur pour faire entendre et comprendre son message et nullement pour être pris en otage par des idéologies qui en creusant un peu ont toutes en filigrane un intérêt sonnant et trébuchant.
    Je me souviens d’un prêche d’un iman Koweïtien Wassim ou Nassim qui dans un prêche du vendredi et concernant le conflit en Syrie prenez à témoin les fidèles que des savants avaient été payés pour faire des Fatwas pour la guerre en Syrie et se souvenez également que les gens riches notamment du Golfe avaient ordonné à leur gouvernement de ne pas toucher à la jeunesse dorée, mais d’envoyés des musulmans de basse classe sociale.
    Voilà pourquoi je suis en colère, car pour le conflit en Syrie des milliers de jeunes notamment maghrébins naît en Europe et qui pour la plupart n’avait aucune connaissance parfaite de la religion ni de la langue arabe ont été sacrifiés oui Messieurs sacrifiés comme de la chair à canon. Et Dieu sait que certains, je les avais mis en garde en leur disant ceci ” Pensez vous vraiment que c’est une guerre sainte ce qui se passe en Syrie et que les gens à qui ont n’a confisqué leur maison et parfois leur fille en Syrie n’avaient pas des droits en tant que musulman et que l’islam condamne le vol de la terre d’autrui et que l’honneur et le sang du musulman sont sacré ? )

    Malheureusement, ces jeunes-là, étant nés en Occident, avaient développé des sentiments humanitaires à l’extrême et que la propagande mensongère et des fausses vidéos montrant des soldats syriens tués des femmes et des enfants les avaient révulsé à un point qui avait fait éclater leurs barrières de prudence.
    Je me souviens avoir dit à un jeune qui voulait partir en Syrie ceci ” Écoute jeune homme il y a des choses qui t’échappent et vous ne connaissez pas la mentalité très tribales des arabes moyen orientaux car ce conflit tôt ou tard prendra fin et ce sont vos têtes en premier qui tomberont ” car à chaque fois c’est comme cela c’est toujours la faute de l’étranger car les arabes que vous rencontrerais en Syrie ceux né dans cette région vous perçoivent comme des gens manipulable et trop occidentalisé pour qu’ils puisent vous faire confiance totalement.
    Et bien cela n’a pas loupé, car beaucoup ont voulu revenir non par regret, mais compris trop tard que la paix se fera sur leur dos et qu’ils seront sacrifiés en premier.
    Maintenant, beaucoup sont morts et devront rendre des comptes, car il y a eu des abus que l’islam bien compris condamne, d’autre en prison et ne reverrons plus jamais la France, car les condamnations en Syrie sont appliquées jusqu’à la dernière année et beaucoup ont été condamné à de lourdes peines comme quarante ans d’emprisonnement qu’ils feront dans toute leur entièreté s’ils sortent vivant après tant d’années passés dans les geôles syriennes ou celle dans les montagnes auprès de gardien de prison kurde.
    Voilà pourquoi il est important que notre religion soit enseignée par des gens compétents et ayant une ouverture d’esprit et conscient que les mœurs ont évolué et soucieux de préserver la jeunesse musulmans des usurpateurs et autre pseudo-savant religieux.
    Désolé, cela a été long et j’ai fait beaucoup de fautes, mais il fallait que je dise ce que j’avais dans le cœur et également, car humaniste, je déteste qu’on manipule les gens pour ensuite les conduire à la mort.
    Le prophète Mohamed salla Lahou Alayhi wa Salem dans un de ses dires ceci ” : « Ô gens ! Ne souhaitez pas la rencontre de l’ennemi et demandez à Allah la préservation ! Mais si vous les rencontrez, alors soyez endurants et sachez que le Paradis se trouve à l’ombre des sabres ! »
    Voilà le musulman ne provoque pas la guerre, mais quand ont lui déclarer alors la oui, ils doivent se défendre, mais avec éthique et moral et non comme un fauteur de troubles et un criminel.

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