La loi sur « les signes religieux » a été acceptée par 494 députés ; seuls 36 ont marqué leur désaccord et 31 se sont abstenus. L’affaire serait donc entendue et il n’y aurait donc plus rien à dire ou à faire. Outre que les étapes de sa mise en application ne sont de loin pas terminées (le vote des députés n’était qu’une première étape qu’il fallait mener tambour battant et boucler très vite à cause de l’approche des élections), le débat de fond demeure impératif et il faut absolument éviter de s’enfermer dans la seule revendication concernant le foulard ou la question des signes religieux à l’école.
La France, que le monde entier observe avec stupéfaction, est en train de vivre un moment historique. Sa classe politique et une majorité de citoyens, portés par la passion et aveuglés par leurs peurs, peuvent soit décider de continuer à se fourvoyer sur des solutions cosmétiques et symboliques (une loi, la « discrimination positive », la politique sécuritaire…) et mener le pays à une impasse et à une fracture grave ; soit les débats surréalistes de ces derniers mois vont réveiller une partie de la société civile et imprimer un nouvel élan et une nouvelle légitimité aux revendications sérieuses, fondamentales et citoyennes qui sont à mille lieux des jeux politiciens et des visées électoralistes.
S’il faut aujourd’hui descendre dans la rue et se faire entendre en France, ce n’est pas uniquement pour discuter une loi injuste et discriminatoire, une loi de la peur … Non pas ! L’enjeu est autrement plus important, plus grave, plus déterminant. Il s’agit de dire et d’exprimer quelle idée on se fait de la France de demain, quelle conception l’on a de la laïcité, quels projets on veut voir se réaliser quant aux politiques sociales qui doivent permettre de lutter, dans les faits et au quotidien, contre les discriminations à l’emploi, à l’habitat, à l’éducation, de même que contre toutes formes de racisme, d’exclusion et de marginalisation. C’est de cela dont il est question : quelle France voulons-nous au-delà des calculs électoraux de l’ensemble de la classe politique qui a décidé, à la quasi unanimité, de se taire sur les vraies questions… ensemble, à gauche comme à droite, parce que tous ne semblent pas savoir comme gérer la fameuse « fracture sociale ».
C’est aux citoyennes et aux citoyens, athées, agnostiques, sikhs, bouddhistes, juifs, chrétiens, musulmans, à tous les citoyens sans exception, de se lever et de dire, ensemble, très haut et très fort, qu’il n’y a pas de citoyenneté minoritaire en France, que ces questions concernent tout le monde, de la même façon et que, somme toute, c’est la classe politique elle-même qui est en train d’alimenter le communautarisme qu’elle dit vouloir combattre. Les droits sont les droits et les revendiquer est un droit ! Toutes les hypocrisies du monde n’y changeront rien et l’on peut continuer longtemps à se moquer de soi, d’autrui et du monde en affirmant que cette loi concerne « tous » les signes religieux ; que l’islam n’est pas visé, qu’il n’y a aucun problème avec les Arabes ou les banlieues ; que l’école est « un sanctuaire » dont la vocation respectée est la transmission « égalitaire » du savoir et qu’enfin la France accepte toutes les différences… et de s’en persuader en convoquant la sacro-sainte preuve de cette extraordinaire tolérance en se référant à son histoire, à ses penseurs et à sa tradition ancestrale. On peut continuer sur ce mode et faire mine de ne pas sentir le sol bouger sous ses pieds tant les philosophes des Lumières, Voltaire au premier chef, mais également, plus près de nous, Jaurès, doivent se retourner dans leur tombe, ébranlés par la trahison, deux fois meurtris par l’enfermement d’esprit de celles et de ceux qui ne savent plus les lire… on utilise leurs mots, vidés de leurs idéaux.
A plusieurs centaines ou plusieurs milliers, la manifestation du 14 février 2004 devra marquer un tournant décisif dans l’engagement social et politique des actrices et des acteurs de la société française. Contre toute tentation communautariste, il s’agira de montrer que les citoyens, et en particulier celles et ceux que l’on continue à appeler « d’origine immigrée », les « beurs », les « Arabes », « d’origine musulmane » refusent les mises sous tutelle, le paternalisme et les politiques à coup de slogans et sans efficacité. Ils refusent désormais d’être traités comme des porte-voix ou des viviers d’électeurs par des politiciens en mal de popularité. Au-delà de la nature légitime des revendications de telle ou telle organisation ou institution, il apparaît clairement que les partis cherchent « des entrées » dans « la communauté musulmane »… les élections approchent. En ce sens, le Conseil Français du Culte Musulman, et ses représentations locales, sont à une partie de la droite, et à Sarkozy en particulier, ce que SOS Racisme et Ni putes ni soumises sont au parti socialiste, et aux amis de Julien Dray en particulier… des chasses gardées, outils de la nouvelle pêche aux voix, instruments d’une assez grossière politique de récupération.
La France a besoin que s’expriment des citoyennes et des citoyens libres, indépendants, engagés, critiques et ouverts à tous les partenariats dès lors que ceux-ci sont basés sur le principe de la défense des droits légitimes des individus, de la justice et du respect des libertés fondamentales. Le 14 février, dans plus de quinze villes de France, il est nécessaire qu’ils se fassent entendre, ensemble, dans le calme mais avec détermination, et qu’ils disent qu’au-delà de « l’affaire du foulard », l’espoir est celui d’une école de l’avenir, non pas d’un « sanctuaire » fermé sur ses certitudes frileuses et ses dogmes exclusifs, mais d’une « école pour toutes et pour tous », transmettant le savoir, oeuvrant pour l’égalité, développant les principes du respect de l’autre, de la connaissance mutuelle et offrant enfin les moyens de lutter contre le racisme, la discrimination et les injustices.
Celles et ceux qui défendent cette idée de la France devraient exercer leur droit légitime à manifester en ce 14 février, là où ils se trouvent, pour faire entendre leur voix et dire à la classe politique française que, au-delà de la loi sur le foulard, elle se trompe et que le meilleure moyen de rectifier une erreur d’appréciation n’est pas de se noyer dans l’imaginaire de ses craintes mais de tenir ferme aux principes de ses espoirs.
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