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Les bases d’une théologie musulmane régénérée et redonnant du sérieux à nos vies (1ère partie)

Nous y sommes. Après avoir médité sur notre triste situation métaphysique (lire la trilogie «  A quoi ressemblerait une théologie musulmane revivifiée au 21ème siècle ? »), nous avions conclu sur ce besoin de rebâtir, sur des bases nouvelles, une théologie musulmane régénérée en tenant compte à la fois de la Tradition et de notre époque.

Car personne en France, et nous le regrettons, ne semble s’atteler à cette tâche. Il y a juste des aspirations et des paroles incantatoires de certains intellectuels musulmans, toujours les mêmes par ailleurs, sur des plateaux de télévision. Cette (im)posture se résumerait à cette citation  :« rien ne sert de discourir, il faut mentir à point »…

Une partie de la communauté mohammadienne française, sincère, attend que l’on produise une théologie sérieuse pour qu’elle puisse aller à l’assaut des idées de son époque tout en restant fidèle à ses principes.

Au préalable, soyons honnêtes : en contexte sunnite, si la théologie musulmane a été opérative à ses débuts, elle a fini par connaître une forme de dégénérescence à partir du 14ème siècle. Nous avons fini par ne plus interpréter le monde et la réalité, mais, bien plutôt, les textes théologiques des premiers maîtres.

Il y a donc eu, après une formidable ascension théologique, une involution où ce qui retenait l’attention des théologiens musulmans décadents ce n’était plus l’existence et ses mystères mais le fait d’éprouver leur agilité conceptuelle et verbale face à un texte de Platon, d’Aristote, de l’imam Al Baqillani ou Al Razi ce qui contribuera ainsi, à créer un système clos engendrant « ses propres problèmes ».

En ce sens, la critique de Paul Nwyia est partiellement juste : « La pensée théologique, très vite, est devenue, dans le monde sunnite, une scolastique décadente, enfermée à l’intérieur d’un système engendrant ses problèmes et tirant de sa propre substance des solutions qui n’avaient aucune prise sur le réel. Ces problèmes et leurs solutions sont connus. On peut dire que pour l’essentiel, ils sont identiques dans un traité écrit par Baqillani au 11ème siècle et dans la risalat al tawhid de Muhammad Abdou, mort au 20ème siècle. La persistance à travers neuf siècles d’un même type de langage, d’une même langue et d’une problématique fixée ne varietur est le signe qu’une telle pensée a vécu hors du temps réel, se nourrissant d’une sécrétion intérieure au système, tandis que le monde changeait et que ses problèmes devenaient autres ».

Cette affirmation n’est que partiellement justifiée car la métaphysique restera pour toujours la même puisque son contenu, c’est-à-dire les lois qui la structurent, ne peuvent changer sinon, ce ne serait plus « la métaphysique ». Les pérennialistes (l’école d’Abdelhadi Aguéli) ont raison sur ce fait.

Cette idée, qu’à chaque nouveau siècle, il y devrait y avoir nécessairement une métaphysique nouvelle, détruit la notion même de métaphysique qui, par essence, est en dehors des variations du temps. Mais la métaphysique par un autre côté est une discipline vivante et concrète. « Lorsqu’il a bien senti la transcendance de l’Absolu, nous dit Gaston Berger, le métaphysicien renverse la direction de sa méditation, se retourne vers le monde, regarde les mêmes objets, les mêmes phénomènes, les mêmes actes que ceux auxquels s’attachent l’homme ordinaire, le technicien et le savant.

Mais il les voit maintenant sous un tout autre jour et comme éclairés par une lumière nouvelle. Ce sont les mêmes choses (…). Mais elles ont pris leur place dans l’ordre universel et je cesse d’y voir mes appartenances ». Aussi, lorsque nous évoquons la nécessité d’avoir une métaphysique actualisée nous voulons surtout signifier le besoin d’une vision régénérée par la métaphysique.

Le critérium pour un musulman (équilibré) restera pour toujours le Coran. Et le Coran nous dit que s’il y a des lois métaphysiques, physiques et psychologiques et donc, une part de permanence qui compose la réalité, il y a aussi une part de mobilité. Mais le Coran rappelle bien que c’est l’esprit (le qualitatif) qui doit gouverner le corps (le quantitatif) et que par conséquent, c’est le règne de la qualité (du cœur et de l’esprit) qui doit diriger le monde mouvant de la quantité (la nature et le corps).

La théologie involutive islamique née au 14ème siècle n’a même pas contre-argumenté avec la modernité et surtout, elle ne l’a même pas perçue comme étant un courant de pensée en rupture radicale avec les sagesses traditionnelles. A la suite de la modernité sont nés l’évolutionnisme, le rationalisme, le nihilisme, le structuralisme, le transhumanisme et maintenant, la post-vérité. Ce sont des courants philosophiques modernes devant lesquels la théologie musulmane classique ne peut plus offrir au croyant une grammaire théologique qui puisse lui permettre de s’émanciper de ces doctrines écumeuses mais aussi et surtout, qui puisse l’aider à « marcher droit sur terre » pour espérer son salut.

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Il faudra attendre au moins cinq cents ans pour voir apparaître les premiers courants de pensée se réclamant de l’Islam discuter avec la modernité, en la considérant réellement comme une vision révoltée de l’homme et du monde. Parmi ces courants, il y a eu les traditionnistes représentés par Abdelhadi Aguéli et son condisciple René Guénon, ce courant sera par la suite perpétué par Schuon, Burckhardt ou Valsan, tous convertis à l’Islam.

Ces métaphysiciens musulmans auront un débat de haute tenue avec la modernité et ses multiples courants de pensée. Juste avant, il y eut Shah Waliyou llah al Dihlawi qui engagea la riposte que Mohammed Iqbal poursuivra dans les années vingt. Nous aurons également le courant de la salafiya, emmené par Al Afghani (m.1897), qui cherchera plutôt à ressembler aux modernes et à rattraper le retard sur le plan du développement technique. Or, construire une métaphysique, était pour la salafyia le dernier de son souci. Erreur fatale !

Car, nous le voyons actuellement, les communautés de l’Islam à travers le monde se sont dissoutes dans la modernité en n’ayant pas compris, encore aujourd’hui, que la modernité n’est pas neutre et que sa philosophie de l’homme prométhéen est, purement et simplement, incompatible avec l’homme-éthiquement-accompli (Al insane al kamil) tel qu’il est défini dans et par le Coran.

Et selon un propos visionnaire du Prophète (saws), la dissolution des sociétés musulmanes n’est pas encore complète et le chaos social intégral semble encore devant elles, et nos chouyoukhs enturbannés et quiétistes n’y pourront rien, car ils sont un des nœuds du problème dans la désagrégation de la métaphysique islamique. Une société sans métaphysique n’est que ruine de l’homme.

Qu’on nous permette cette incise : les musulmans modernes s’entichent toujours de choses passées de mode, à l’indépendance ils s’entichent dans les années 60-70 du socialisme quand les sociétés socialistes préparent leur sortie du socialisme, ils s‘entichent ensuite de la société de consommation quand l’Occident reconnaît l’impasse et recherche un autre modèle et enfin, les populations musulmanes s’amourachent des réseaux sociaux quand leurs créateurs préviennent du danger et que beaucoup d’occidentaux recherchent à revenir à une vie réelle.

C’est la preuve de la décadence ultime que d’essayer de courir derrières des modes toujours dépassées ; les sociétés musulmanes seraient-elles condamnées à être surannées ? Les musulmans n’arrivent plus à être précurseurs ou visionnaires mais passéistes et aveuglés comme l’avait annoncé le Prophète (ç) – « “vous imiterez aveuglement les autres cultures au point que si elles entraient dans un trou de lézard vous y entreriez” ». Et quand le Prophète (ç) prévient, à travers ce hadith, que nous n’aurons plus de métaphysique et donc, que nous irons par pur sentimentalisme au gré du vent qui soufflera le plus fort, les petits esprits imbéciles du moment comprirent : il faut s’habiller différemment et ne pas, formellement, ressembler au reste du monde.

Allons plus avant ! Il y a deux types d’hommes qui se partagent la connaissance : les premiers sont les empiristes, ceux qui affirment que l’expérience est suffisante c’est-à-dire absolue et qui nient la Transcendance. Puis nous avons les métaphysiciens, qui témoignent que l’expérience est au contraire insuffisante et que « le monde serait anormal s’il n’existait que ce que je saisis ».

Les empiristes purs n’existent pas, il suffit juste de noter que l’existence d’autrui ne peut jamais faire l’objet d’une expérience, on peut tout juste l’inférée, ce fait est « même radicalement inexpérimentable, tout comme il est impossible d’être sur le trottoir d’en face ». Bref ! Il est impossible de se contenter du donné.

Dans une seconde et dernière partie, nous essaierons de dire ce que doit être, selon nous, la métaphysique et nous évoquerons ce que doit être la valise théologique d’un théologien-enseignant à destination des futurs étudiants au sein des probables futurs instituts d’études théologiques et d’éthique musulmanes dans une société française déboussolée.

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13 Comments

  1. @ Djeser, ce que tu viens d’écrire démontre que tu ne sais pas ce que c’est que la Nation Islamique, demandes au frère Hakim Fedaoui de t’expliquer, moi j’en ai pas envie, quand je lis des choses comme “Islamiser tout le monde”, je suis trop fatigué pour redresser cette absence d’argument, HF le fera mieux que moi il a plus de patience. Qu’est devenu l’iman Lyonais?

    Croissant de lune.

  2. @ Djeser, c’est ppas comme ça t’arrange, la Nation Islamique est constituée dans le Coran, dans la sunna, dans le consensus et tout ce qu’on veut et surtout, il ne faut pas s’y tromper, elle n’est pas soluble dans l’eau et dans l’oubli. Il n’appartient pas à un Djeser de décider ce qu’est ou n’est pas la nation Islamique et ce qu’on lui doit. On sent bien l’Occidentaliste résigné qui s’exprime, non? As-tu revu cet iman pour l’emmener à Fourvière histoire de le promener et lui ouvrir l’esprit?

    Croissant de lune.

  3. Lorsque l’on parle d’une entité musulmane qui englobe plusieurs confessions , on ne parle plus de oumma ni de nations mais de civilisations ” arabo musulmane ” qui a eu cette faculté de réunir differents peuples. On peut utiliser différents termes pour désigner les musulmans , dieu ne nous a t il pas exprimé.99 noms ? Le prophète n’ avait t’il pas diferents noms , Al Mustapha Al Amin …?

  4. Salam Hakim Fedaoui, salam Water Water. Pourquoi traduire “Oumma” par communauté? On fait quoi alors de la Nation Islamique? Ah celle-là, elle n’existe plus, on n’ose même plus la nommer? Eh bien moi je la nommerai et la renommerai. Pas d’objection anti-nationaliste qui tienne, parce que d’abord, la Nation Islamique est universelle puisque n’importe qui peut en être, sans compter son aptitud dès les débuts à la multi-confessionalité, un peu l’ancêtre de ce qu’aujourd’hui on nomme “laïcité”. Et puis oui, si le nationalisme est de tenir pour soi-même et les siens, comment objecter à ce sentiment national partout vivant, sans lequel une communauté flasque s’exposerait et est déjà exposée, très exposée aux coups et aux méfaits des nations qui se disent des nations? L’a-politisme est-il constitué en Islam, sinon où, comment et quel sens ça a? Quiconque me parlerait d’a-politisme je le prie d’avance de définir ce que c’est parce que moi, je crois que ça n’existe pas.

    Effectivement, Hakim, la oumma est en même temps une communauté et une nation, c’est de la langue Arabe, ça. Mais si en plus vous la réduisez à n’être qu’une communauté Mohamédienne, alors bon, qu’est-ce que ça suggère, qu’y a-t-il qui vous fasse parler ainsi? Je trouve ça assez révélateur, le nierez-vous?

    Croissant de lune.

  5. Salam HF

    Vous dites que c’est un autre nom pour dire communauté musulmane… ne vous formalisez pas !

    A la limite dites communauté musulmane, pourquoi changer les noms des choses, pour finir par dire religion mohamadienne. Le mot islam dérange

    Dans l’islam, on dit nation du prophète et non pas communauté mohamadienne. On ne cite pas le prophète par son nom.
    Je n’ai jamais appelé mon père par son prenom, je disais toujours papa, le prophète est plus important que mes parents.

    Chez les non musulmans, on dit personne mohamadienne et d’autres disent pesonne hagari, cela ne me dérange pas quand ça vient d’un non musulman. Chacun sa religion.

  6. Salam Hakim,

    la théologie à une époque je pense , répondais à un besoin réel . Clarifier, définir, poser un cadre,.. mais celle ci fut victime d’une surenchère , qui au fil du temps finit pas s’étouffer. Pour quel raison ? Car cette surenchère nous mena nulle part , elle ne répondais ni a un réel besoin , ni au vrai besoin.

    La recherche scientifique , intellectuel , technique et philosophique qui repondaient aux réels besoins de nos sociétés , finirent par être proscrit par certains qui considéraient que l’islam n’avaient pas besoin de cela. .

  7. @ Djeser, si si, c’est bel et bien en contrebattant ce qui est mal nommé laïcité qu’on avancera avec les autres, ou on proposera la civilité à la place de la laïcité, ou une altair-laïcité si on préfère, la définition n’étant en définitive que l’égalité citoyenne en religion.

    Mais combattre, oui, les émirats anti-Arabes Unis se plaignent tous les jours de quelques coups reçus, ça va pas s’arrêter là, donc oui, combattre en nous-même notre propre disposition au chancre Sio-Saoudiste puis combattre le chancre Sio-Saoudiste qui n’est guère endurant, c’est ça qui nous sauvera, tu crois pas? Ah ça fait mal au coeur certaines choses, on ne peut plus vivre sur l’Amérique et le pétrole maintenant, et on va tout faire pour qu’advienne plus vite encore cet univers multi-polaire qui fait mal aux Emirats mais nous remplis de joie.

    Croissant de lune.

  8. Salam Waterwater,

    C’est un autre nom pour dire communauté musulmane… ne vous formalisez pas !

    Salam Djeser,

    La théologie est le cœur de notre besoin …mais vous ne devez pas lire cette contribution avec vos appréhensions, il faut plutôt vous déplacer et changer votre regard… Nous verrons avec la fin de l’article (partie 2)… La question du normatif (fiqh) c’est encore une autre difficile question… et tout le monde ne peut pas s’y atteler …

    Cordial salam
    Hakim FEDAOUI

  9. Djeser,
    Vous et moi, on differe , peut etre sur la thérapie. Moi, je voie les choses , comme l’homme ancien.

    La revelation coran avait pénalisé les peuples de l’epoque à cause de l’association qu’ils pratiquaient , et les a remplacé par les arabes de l’epoque, peuple sans aucune civilisation.

    Dans la logique humaine, trop humaine, un ingenieur qui ne fait pas son boulot, doit etre remplacé par un autre ingénieur et non pas un portier ou un courtier.

    C’est pour cela que je dit , le problème chez les musulmans est d’ordre matériel et n’a rien à voir avec la croyance et la charia.

    Les dictateurs musulmans ne comprendront jamais que,
    Pouvoir et richesse veulent dire dieu. الملك المالك
    L’homme doit choisir entre les deux.

  10. La théologie vue selon la modernité , la theologie vue selon guenon , la theologie vue selon Tik tok, la théologie vue selon Al ghazali…
    J’ai l’impression d’assister au loto, on essaie toutes les combinaisons possibles pour trouver la bonne formule .

    Essayons d’être sérieux un peu, la théologie est les fondements de L’islam, qui ne peuvent être interpréter a l’envie.

    Il y a confusion ici avec la philosophie , la pédagogie , ou la méthodologie.

    Ce n’est pas la théologie qui pose problème, mais le droit musulman, l’identité , le développement et l’éducation, et notre perception de la société et du monde. Il faut se concentrer la dessus ! Arrêtons ,d’embrouiller les fidèles !

    Désolé mais ce n’est pas en combattant la laïcité , l’impérialisme occidentale et reinterpreter la théologie que l’on avancera.

  11. Hakim Fedaoui

    Je suppose que vous etes musulman, J’ai voulu lire votre article, mais il y a un dure mecanique qui m’a bloqué.

    Pourquoi vous designez les musulmans par communauté mohammadienne française.
    Un chrétien qui dit religion mohamadienne. , je dirai peu importe, on s’en fout.

    Quand ça vient d’un musulman, c’est grave, trés grave. Devanr dieu, aucun homme n’est mohamadien.

    Je suis musulman, je ne suis pas mohamadien, encore moins ibrahimite. et l’islam n’est pas une religion mohamadienne.

    Regénérer une théologie mohamadienne, bonne chance, ce n’est pas ma religion.

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