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En quoi l’islam est compatible avec la République

Cette tribune a été initialement publiée dans Le Huffington Post France

À la lutte légale contre le fondamentalisme, il faut ajouter la lutte idéologique et rappeler en quoi l’islam est compatible avec la France, sur les principes comme sur le statut de la femme.

Le projet de loi pour conforter les principes républicains et lutter contre les séparatismes a été présenté le 9 décembre en Conseil des Ministres. Comme l’a réaffirmé le Président de la République ce 5 décembre dans un discours de rassemblement: “La France n’a pas de problème avec l’islam”. Mais, ainsi que l’a explicité le Conseil d’État dans son avis sur le projet de loi le 7 décembre, il convient “d’apporter une réponse à des phénomènes de repli communautaire, de prosélytisme et d’affirmations identitaires et fondamentalistes, indifférents ou hostiles aux principes qui fondent la République et aux valeurs qui les inspirent”. Un des axes retenus est d’assurer la dignité et l’égalité de tous, et, particulièrement, des femmes pour une égalité stricte entre l’homme et la femme au sein de notre société.

Pour lutter contre les idéologies fondamentalistes indifférentes ou hostiles aux valeurs républicaines, il faut, bien sûr, réaffirmer le droit et la loi. Mais il importe aussi de détruire la construction fondamentaliste et intégriste, de la défaire avec ses propres arguments. Il importe de dire en quoi l’islam, ce n’est pas l’islamisme. Et de rappeler en quoi l’islam est profondément compatible avec la République, sur les principes généraux comme sur le statut de la femme. Pour conforter la très grande majorité des musulmans en paix avec la République, et vaincre idéologiquement le fondamentalisme et l’extrémisme.

L’islam est compatible avec la République

L’islam, c’est d’abord, et avant tout, les cinq piliers qui définissent la pratique musulmane. Ces cinq piliers sont, rappelons-le: la profession de foi en un Dieu unique (les Arabes chrétiens utilisent le même mot que les Arabes musulmans), l’aumône aux pauvres, le jeûne du Ramadan (pour qui n’en a pas la capacité, le Coran propose une aumône compensatoire), le pèlerinage à la Mecque pour qui en a les moyens, et la prière rituelle (qui peut être faite chez soi et en fin de journée). Il n’y a dans ces cinq préceptes qui définissent la pratique des musulmans ni allusion au prosélytisme, ni appel à la violence. Le Coran le dit explicitement: “Dieu lit parfaitement dans les cœurs” (Coran, 17.30) –un message qui revient souvient dans le Coran (par exemple, 11.31; 17.25; 27.74; 35.38; 42.27; 57.6; 67.13), et ce qui importe donc avant tout aux musulmans est la foi intérieure. À tel point que, dans l’islam, une intention bonne qui ne débouche sur aucun acte est quand même considérée comme positive. Le Coran valorise la foi et la piété intérieures (8.2; 9.64), notamment plus que les actes purement rituels. Par exemple: “Les vrais croyants sont ceux dont les cœurs frémissent quand le Nom de Dieu est évoqué” (Coran, 8.2), un verset qui n’est pas sans rappeler la contemplation chrétienne. Ainsi, le jeûne du Ramadan est considéré comme de peu de valeur s’il n’est pas précédé de l’intention de jeûner et s’il n’est pas accompagné de bienveillance et d’absence de colère à l’égard d’autrui. Pour donner un autre exemple, un musulman appréciera que l’aumône puisse être versée aux ONGs dont l’utilité publique est reconnue par l’État. Il n’y a rien dans les cinq piliers de l’islam qui soit en contradiction avec les lois françaises.

Il n’y a aucune raison pour les musulmans de France de ne pas suivre le droit français. Il est, ici, important de souligner que charia, un terme galvaudé, ne veut pas dire le droitCharia signifie loi divine, ou loi issue des textes sacrés. La loi dont il s’agit dans la charia n’est pas la loi au sens positif –le droit–, mais la loi naturelle –la morale. Le droit en arabe, c’est le fiqh, qu’on peut traduire par jurisprudence islamique. Le Judaïsme fait une distinction similaire entre loi morale (loi deutéronomique) et droit (jurisprudence). La charia, la morale, n’est pas en concurrence avec le droit (les lois de la République). Les deux ne sont pas sur le même plan: on peut suivre le droit (français) et la morale (musulmane) tout à la fois.

La charia est un idéal de morale et de foi qui peut être interprété de différentes manières suivant les contextes, pas un code de lois strict. De fait, il n’existe pas un droit musulman, mais des droits musulmans parce qu’ils reposent sur des interprétations différentes –presque autant qu’il y a de pays musulmans. Par exemple, le droit musulman pratiqué au Maghreb est très différent du droit musulman pratiqué au Machreq. Beaucoup l’ignorent, mais les droits marocain et algérien, notamment, sont influencés par le droit français de tradition civiliste. Historiquement, il y a eu plusieurs écoles d’interprétation juridiques, et la version salafiste est une version récente… et extrémiste.

Il y a souvent confusion entre charia et pratique du droit tel que le comprennent certains fondamentalistes. Par exemple, la lapidation n’est pas mentionnée dans le Coran (comme le rappelle l’islamologue A.-L. de Prémare).

L’islam a élevé le statut de la femme contre les cultures machistes

N’en déplaise également aux fondamentalistes, le Coran fait de la femme une personne majeure et pose l’égalité hommes-femmes dans la foi et la dignité. En particulier, dans le Coran la femme ne procède pas de l’homme: Ève n’y est pas créée en deuxième après Adam, à partir de sa côte. Au contraire, le Coran affirme que l’humanité a été créée à partir d’une âme unique: ”Ô vous les gens! Craignez votre Seigneur qui vous a créé d’un seul être (min nafsin wâhidatin, ou d’une seule âme), et a créé de celui-ci son couple (zawjaha)” [Coran, 4.1]. Comme l’explique la spécialiste de l’islam Magali Morsy, “le Coran pose explicitement l’égalité entre l’homme et la femme. Pour désigner les devoirs des Croyants, les cinq piliers de l’Islam, le Coran dit: les Croyants et les Croyantes feront la prière, les Croyants et les Croyantes feront l’aumône… Il n’utilise pas un générique masculin tel que les hommes, mais cite explicitement les femmes. La femme est reconnue comme un être autonome et égal à l’homme, et également spécifique… L’islam abolit les préjugés des sociétés machistes.” (Magali Morsy, interview par l’auteur, Revue Millésime, Mars 1991).

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Surtout, le Coran rompt avec la culture patriarcale et tribale de l’Arabie pré-islamique en faisant de la femme une personne qui hérite, qui peut exercer ses propres transactions financières et commerciales, qui gère son propre argent sans l’autorisation du mari (dans le mariage, le mari doit totalement pourvoir au ménage, et la femme peut garder son revenu et son héritage en toute indépendance sans n’avoir à rendre aucun compte; par exemple, A. Altwaijri, La femme en islam et son statut dans la société islamiqueSociété, droit et religion, 2014). Dans la réalité, les principes du Coran ne sont pas toujours appliqués dans des sociétés qui restent patriarcales. La lutte pour les droits des femmes est, bien sûr, une lutte continue qui ne concerne pas seulement les principes ou le droit, mais aussi les mentalités –ce qui est vrai pour toutes les sociétés.

Contrairement à une idée répandue, le Coran n’encourage pas mais tolère la polygamie dans une Arabie pré-islamique où la polygamie était courante et où la femme n’avait aucun droit. Et surtout, un traitement équitable est imposé: “Sachez qu’il vous est permis d’épouser (…) deux, trois ou quatre épouses. Mais si vous craignez encore de manquer d’équité à l’égard de ces épouses, n’en prenez alors qu’une seule (…). C’est pour vous le moyen d’être aussi équitables que possible.” (Coran, 4.3). Pour tout lecteur du Coran, il est clair qu’atteindre l’équité parfaite est, pour l’être humain, une tâche quasi impossible, car il est créé faillible. De fait, le Coran, dans la même sourate que celle du verset précédent, indique explicitement: “Vous ne parviendrez jamais à traiter toutes vos femmes sur le même pied d’égalité, quel que soit le soin que vous y apportiez.” (Coran, 4.129). Habituellement, la tradition islamique associe ces deux versets, ne citant pas le premier sans citer le second. Alors, oui, un lecteur fondamentaliste pourra voir dans le premier verset l’autorisation formelle de la polygamie; mais la majorité des musulmans y voit simplement que l’équité est préférable, et la polygamie découragée. En pratique, la polygamie a représenté entre 5% et 10% des communautés musulmanes. Au Maroc, par exemple, les mariages monogames représentent 99,7% des mariages –un chiffre similaire en France suivant les estimations.

Il y a un écart parfois abyssal entre la loi morale véhiculée par le Coran et la manière de vivre de certaines communautés fondamentalistes rétrogrades. Les inégalités hommes-femmes sont criantes aujourd’hui dans certains pays musulmans, du Maghreb au Machreq. Mais, comme la grande sociologue marocaine Fatema Mernissi l’a bien montré (Le Harem politique), ces inégalités sexistes sont le fait d’une culture patriarcale machiste, et non pas de la morale coranique. Elle montre que la misogynie des fondamentalistes ne vient pas du Coran (texte sacré de l’islam), mais d’un petit nombre de hadiths (dires rapportés du Prophète, dont certains ont pu être inventés a posteriori pour servir des intérêts politiques) dont l’authenticité est, en réalité, douteuse et qui ont été dès leur apparition âprement contestés par les historiens et théologiens musulmans.

De fait, les études empiriques récentes démontrent comment les discriminations contre les femmes au travail dans les pays arabes –notamment l’accès à des postes de direction– résultent de valeurs patriarcales persistantes de la culture arabe, malgré et non pas à cause “des tendances égalitaires de la théologie islamique” (Koburtay et al., Journal of Business Ethics, 2018). Une enquête récente fait ressortir comment les femmes musulmanes entrepreneures peuvent utiliser la théologie islamique à la fois comme source d’inspiration pour leur aventure entrepreneuriale et pour vaincre les résistances de la société patriarcale dans un pays comme le Liban (Tlaiss & McAdam, Journal of Business Ethics, 2020).

Oui, l’islam est compatible avec la République. Le fondamentalisme et l’extrémisme dénotent une méconnaissance profonde du message coranique.

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3 commentaires

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  1. L’islam est -il compatible avec les valeurs de la république ?

    La charte nationale des imams a été validé ces jours-ci par les différentes fédérations musulmanes qui composent le CFCM. Le contenu du texte affirme sans équivoque que la foi musulmane est compatible avec les valeurs républicaines. Mais une telle affirmation aurait du nécessiter un débat et une réflexion au sein des musulmans, afin d’adhérer pleinement à cette idée ou emmètre des réserves…

    Étant moi même Français musulman, et par soucis de rigueur et d’exactitude tels que l’enseigne l’islam je pense que l’on ne peux parler de compatibilité totale, mais seulement partielle, car pour que cela soit le cas, il doit y avoir une majorité de point commun entre les deux parties. Par exemple, on parle de compatibilité pour un couple qui s’entend ou pour des amis, on parle aussi de compatibilité en matière de santé, pour les dons d’organes et de sang, mais peut-on encore l’affirmer alors qu’ en islam Dieu est au centre, tandis qu’au sein de la république, les lois sont au centre ?
    la république ne reconnaît aucune religion, elle est donc athée en quelque sorte, tandis que l’islam est purement monothéiste.
    En effet, si certains politiciens émettent des réserves quant à assimilation de l’islam dans la république, c’est qu’à la différence du christianisme par exemple, l’islam a une portée politique importante en s’efforçant de réglementer la vie sociale et la société. La république ne fait pas de différence entre les religions tandis que l’islam oui.

    Si cette religion et la république ne sont pas compatible sur le plan doctrinale et législatif, ils le sont en revanche sur le plan des valeurs humaines : telles que la responsabilité, la bienveillance, la solidarité, l’intégrité et bien d’autres. C’est l’une des raisons pour laquelle la majorité des musulmans respectent les lois de la république et arrivent à vivre en son sein.

    Peut on dire que le christianisme est compatible avec la république ? De la même manière, je ne pense pas qu’il soit fondamentalement assimilable mais chacun a appris a vivre avec l’autre avec le temps.

    Malgré cela, une coexistence est possible, ce terme est plus approprié que compatibilité. Nous voyons
    également cette cohabitation entre différent partis politiques, plusieurs confessions également arrivent à vivre ensemble au sein d un même pays. La question n’est donc pas de savoir si l’islam et la république sont compatibles, mais de savoir si l’un ou l’autre sont capables de reconnaître l’autre, l’islam et ses fidèles, sont-ils prêt à reconnaître d’autres paradigmes ? Ceux qui affirment que l’islam doit être au dessus des lois se mentent à eux même car la plupart des hommes et des femmes, ont une pensée syncrétique sans même le savoir, c’est-à-dire que leurs croyances sont souvent un mélange de différentes influences ( religion, coutume, capitalisme, matérialisme, règle de société,..).. Leur affirmation ne reflète donc pas vraiment ce qu’il pense.

    Je pense aussi qu’au delà de la coexistence, l’islam de France peut même être complémentaire à la république, complémentaire d’une certaine éthique, de morale et de spiritualité qui a tendance à disparaître en occident.

    Mais pour cela, les instances musulmanes de France doivent définir des objectifs pour savoir clairement quels rôles l’islam veut exercer au sein de la république. La seulement, nous pourrons peut-être parler de compatibilité….

    https://renouveaudelislam.over-blog.com/

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