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La France du délit vestimentaire

Cet article qui est paru aujourd’hui dans la page Rebond du quotidien Libération a fait l’objet de quelques modifications. Nous avons donc décidé de le publier dans son intégralité sur oumma.com .

Près de quinze ans qu’un débat sur les vêtements de musulmanes a jailli dans notre société en refaisant surface très irrégulièrement au gré de la vogue médiatique. Depuis quelques mois, le niveau de mobilisation autour de l’opportunité d’une loi à l’école, est allé croissant et a atteint des sommets dans le débat public. Les motifs nombreux et présentés comme évidents, pour légiférer ont été réitérés, sans relâche, sans permettre pour autant, de trancher.

L’argumentation assommante développée collectionne, sans doute, en son sein, des assertions très inégalement recevables. Et dans toute démocratie digne de ce nom, des résistances sérieuses se mettent en place lorsqu’il s’agit de prendre des décisions potentiellement contraires aux droits élémentaires des hommes et des femmes, mais aussi des enfants. Ainsi du CNAL, à la FSU en passant par la FCPE, c’est le même embarras qui interdit à ces organisations d’appuyer l’idée d’une loi quand elle n’est pas plus directement rejetée par la Ligue des Droits de l’Homme, la Ligue de l’Enseignement ou la défenseure des droits des enfants, Claire Brisset. Et l’« écrasante majorité de la société [qui] appelle de ses vœux » (1) une loi est d’abord celle de sondages qui peinent, quant à eux, à renseigner sur une opinion publique hésitante sur le sujet. Comment sortir de cette situation troublée, sans revenir sur toute une série d’idées discutables que nous avons fini par admettre comme les balises de ce débat ? Comment éviter un détour théologique pour clarifier les choses alors que de hauts responsables de la République se sont, eux même, risqués à des exégèses sur le sujet, en contradiction formelle avec l’impérieuse laïcité de leur statut ?

Les musulmans se basent sur le chapitre 24 (« La Lumière ») du coran où se trouve le principal passage concernant cette prescription au centre de la polémique. Par une simplification excessive, on parle à tort de « foulard », de « voile » affublé à l’occasion du qualificatif « islamique » (voire même « islamiste »…).

Or que dit ce verset et celui qui le précède ? V.30 « Dis aux croyants de baisser leurs regards et de préserver leur chasteté. C’est plus pur pour eux. Dieu est certes parfaitement connaisseur de ce qu’ils font. »
V.31 « Et dis aux croyantes de baisser leurs regards, de préserver leur chasteté et ne montrer de leurs atours que ce qui en paraît et qu’elles rabattent leur voile sur leurs poitrines ;… »


La plupart des commentaires théologiques s’accordent sur le sens premier comme sur les présupposés de ce passage. D’abord ces versets indiquent clairement que l’islam n’a pas institué le fait de se couvrir les cheveux pour les femmes, cette disposition existait donc avant l’islam, et était largement répandue, héritée notamment du christianisme ou du judaïsme ; ils montrent seulement qu’il est demandé aux femmes croyantes de rabattre un vêtement qu’elles portent déjà comme les autres femmes. Cet aspect quasi universel s’est certes inversé à notre époque mais il est difficile de l’effacer de l’Histoire. Donc le coran et la tradition musulmane ne font que conforter cette pratique tout en y apportant des précisions qui concernent l’ensemble du corps. Réduire ces règles vestimentaires au « foulard » ou au « voile » et donc à la seule chevelure nous éloigne déjà d’une compréhension juste de l’attitude des musulmanes. Mais la construction théorique qui crée véritablement les conditions d’un malentendu quasi insurmontable est bien celle qui affecte à cette tenue le caractère d’un signe religieux. Signe religieux étant entendu comme un élément d’identification propre et sacré. Or le texte ne fournit pas de motivations de ce type et il n’existe pas dans l’islam de signes symboliques comme la croix à laquelle on compare abusivement, à plus d’un titre, le foulard. Souheib Bencheikh ne dit d’ailleurs pas autre chose en soulignant que cette prescription est « …claire et sans équivoque », il ajoute que « ce n’est pas un signe religieux…l’islam par nature refuse tout signe…le voile n’a donc ni mystère ni signification dogmatiques ; il est une pièce de vêtement profane recommandée pour des raisons de pudeur… » (2) Les divergences, quand elles existent, portent plutôt sur la place de cette manière de s’habiller vis à vis d’autres recommandations. Le choix relève en définitive de la responsabilité individuelle. Parmi les musulmanes, il en est donc qui se conforment à cette prescription- une minorité en France- , ce qui correspond pour elles à une manière particulière de s’habiller et aucunement d’afficher ostensiblement leurs convictions voire de provoquer. Les études sociologiques sérieuses (3) confirment que ces conduites dans leur majorité ne relèvent pas d’une démarche extrémiste mais s’inscrivent dans une lecture spirituelle équilibrée et assumée. Force est de constater dans le même temps que cette « façon » de se vêtir est à l’évidence regardée comme un indice fort d’islamité. Cette considération radicalise le jugement de l’observateur et prend alors les allures d’une nouvelle forme de délit de faciès . Or la motivation première, pour la musulmane, est bien la pudeur dans son acception coranique et non pas une volonté de manifester son appartenance. Il suffit de parcourir le monde pour réaliser la diversité des vêtements dont se parent les musulmanes respectant ces usages vestimentaires  ; la coloration locale achevant d’évacuer l’idée d’un uniforme religieux dont le rôle serait de signifier l’appartenance. En France, la pluralité des accoutrements dans ce domaine témoigne, la plupart du temps, d’une recherche d’adéquation avec l’ambiance culturelle hexagonale. C’est donc bien une manière de se vêtir qui est aujourd’hui l’objet de tant de positionnements et non un signe religieux couvrant les cheveux de la musulmane perçue à tort comme radicale.

Dès lors les limites d’une loi sur les signes religieux apparaissent, car elle ne devrait concerner en définitive que très peu les musulmanes. Sauf à introduire différemment la problématique et à opter clairement, en allant à contre courant des évolutions du droit sur les libertés individuelles, pour une restriction de la liberté vestimentaire. Dans l’ensemble des démocraties la France se singulariserait alors étrangement par une effervescence médiatique démesurée qui ne viserait à rien d’autre qu’à aboutir à la reconnaissance d’un délit vestimentaire.

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Que dire du prosélytisme mis en œuvre par cette façon de s’habiller à l’école publique ? Là encore, un raccourci dangereux, nous amène d’une situation objective où cette attitude identifie la personne à l’accusation d’une démarche prosélyte active voire forcenée. Les élèves concernées se retrouvent rapidement les otages d’une analyse qui ne correspond pas à la réalité ou à tout le moins qui ne saurait s’imposer comme une constante et à priori. Et c’est là qu’apparaît toute la pertinence de l’arrêt du Conseil d’Etat de 1989, abondamment critiqué ces derniers temps sans être sérieusement remis en cause dans le fond. Si aujourd’hui, donner du sens à sa vie, en puisant chacun dans ses propres références, est considéré de facto comme du prosélytisme, alors notre société ne fera que révéler un peu plus encore son absence de sens et la promotion effrénée de ce néant. De récents développements tentent de démontrer que le port du foulard islamique est sorti des frontières de l’école et touche désormais l’administration ou les services de santé. La laïcité des agents de l’Etat, la liberté de patients réduite à quelques comportements problématiques, le fonctionnement serein des services médicaux, l’ordre public, tout cela trouve irrémédiablement, une fois de plus, une unité forcée dans le regard – la caméra  ?- qui se pose sur ses réalités : logique obsessionnelle et confuse qui faute d’additionner de véritables arguments affiche sa détermination à nous montrer pour mieux nous démontrer. Et en dépit des précautions rhétoriques qui limiteraient ces phénomènes à une minorité chez les musulmans de France, ces derniers se sentent, dans leur ensemble, copieusement agressés.

Comme souvent dans les discussions passionnées et passionnelles, la réalité du contentieux reste, bien sûr, prisonnière d’un non dit. Lequel finit par se dévoiler pourtant au gré des emportements : « la contagion possible du voile à l’école » et du coup dans la société. Et si finalement ce n’était q’une certaine idée, conservatrice, de la France qui s’exprimait  ? Développant les pires prophéties et alimentant la radicalisation de ceux qui se présentent comme les détenteurs exclusifs de l’identité républicaine française. Dans ce cadre, la pratique de l’islam -ou plutôt sa visibilité récente- est interprétée comme un indicateur de l’échec de l’intégration. Peut-on se satisfaire de cet énoncé mi repentant-mi volontariste ? C’est non seulement une conception erronée et éculée de la religion appréhendée comme une pathologie qui toucherait « les plus faibles, les exclus », mais aussi nier que l’intégration, en partie, a bel et bien fonctionné. L’islam est présent sur notre territoire depuis des décennies et n’a pas connu de véritable rupture, dans son vécu, comme celle qu’on situe artificiellement à Creil en 1989, tout au plus une évolution sociologique largement prévisible. Plus surprenantes sont ces résistances minoritaires, fortement relayées, qui se manifestent aujourd’hui et qui méconnaissent tant la réalité sociale française contemporaine. Ces dernières s’arc-boutent sur une définition ethnique fantasmatique de la citoyenneté française et minent notablement ce qui a fait de la France une grande nation. Un constat juste doit conclure à l’inachèvement de cette intégration qu’il faut plutôt situer dans le déficit de reconnaissance politique de ces citoyens de confession musulmane. C’est à cela qu’il faut remédier pour éviter que ne se poursuive un rapport de domination dont les traits sont dépeints exhaustivement dans la fable, de La Fontaine, le loup et l’agneau.

L’enjeu est de taille et c’est bien la grandeur de la France qui se joue ici.

Notes :

(1) F.Khosrokhavar. Une laïcité frileuse, Le Monde, 19/11/2003.
(2) S. Bencheikh. Marianne et le Prophète, Grasset, 1998.
(3) N.B.Weibel Par-delà le voile. Femmes d’islam en Europe, Complexe, Paris, 2000.

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