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Quelle VIe République ?

Il s’en est fallu de peu. Nous avons, en effet, manqué une occasion historique de nous interroger, collectivement, sur le chemin que nous aimerions voir emprunté par notre nation. Pour quelques centaines de milliers de voix, autrement dit une broutille à l’échelle de la France, une publicité massive sur un changement institutionnel de l’ampleur de celui qui déboucha, en 1958, sur la Ve République, n’a finalement pu être produite pendant l’entre-deux tours des récentes présidentielles.

Malgré son absence lors du scrutin du 24 avril, l’empêchant, en définitive, de présenter au pays les raisons pour lesquelles il serait opportun de s’atteler sans attendre à la mise en place d’une VIe République, Jean-Luc Mélenchon aura au moins eu le mérite de poser un jalon essentiel à la refondation politique, qui caractérisera peut-être l’histoire future de notre peuple. Dans la perspective de ce débat, qui ne manquera pas de réapparaitre dans le contexte du tripartisme ayant pris l’ascendant sur la vie politique française, il importe de tenter une réflexion sur le type de République qui réussira à préserver la concorde au sein de notre nation, devenue, au passage, multiculturelle.

Le présidentialisme de la Ve République

Nos actuelles institutions sont le résultat de la ferme volonté du Général de Gaulle de réorganiser l’Etat. Elles aménagèrent une autorité sans pareille en faveur du chef de l’Etat, consolidée à la suite de l’adoption, lors du référendum de 1962, du suffrage universel direct pour son élection. Jouissant de domaines réservés sur les affaires étrangères, de défense, et militaires (force de dissuasion, décision exclusive d’engager l’armée sur un théâtre d’opérations), le président de la République dispose, sur la scène intérieure, du droit sans commune mesure de dissoudre l’Assemblée nationale (une autre force de dissuasion, mais qui est, celle-là, politique).

De plus, par le choix de son Premier ministre, auquel il peut demander de démissionner à tout moment, il est le maître du pouvoir politique, réglementaire et administratif attribué au Gouvernement par la Constitution. Grâce à l’exercice de la présidence du Conseil des ministres dont il fixe l’ordre du jour, il décide de la direction à donner à la coproduction législative réservée au Gouvernement (les projets de loi). Par le truchement de son Premier ministre, il peut aller jusqu’à faire adopter une loi par la disposition permise par le 49-3, et ainsi, éviter de dépendre du Parlement pour un projet qu’il juge essentiel pour le pays. Il en est également de même en ce qui concerne les effets législatifs de gouverner par Ordonnances.

Cette domination présidentielle sur les institutions s’est accentuée depuis l’instauration du quinquennat en 2002, puisque cette dernière a fait coïncider la durée de son mandat, avec le temps de la Législature dont émane la couleur politique du Gouvernement.

Les déséquilibres de la monarchie présidentielle

Ce qui vient d’être énoncé dénote un fort déséquilibre dans la distribution des pouvoirs entre l’Exécutif et le Législatif. Notre Ve République constitue véritablement une monarchie présidentielle, par laquelle la France doit s’en remettre à un seul homme pour son avenir, ne rencontrant devant lui que très peu de contre-pouvoirs pour dérouler sa politique. C’est l’une des raisons pour lesquelles, à l’heure des réseaux sociaux, nous assistons à une succession de contestations de masse, comme lors des Gilets jaunes ou du mouvement des antivax.

En outre, dans une réédition moderne de la rivalité, fréquente au temps de l’Ancien Régime, entre le Parlement de Paris et le roi de France, cette même situation de déséquilibre offre la condition nécessaire à l’instauration d’une sorte de dictature du Judiciaire, pratiquée par les Cours supérieures de la République. En ayant la capacité d’imposer une jurisprudence tirée de l’Etat de droit, français et européen, à un président qui, pour reprendre l’exemple de l’Ancien Régime, ne peut s’y opposer en se processionnant durant un lit de justice, ces cours réinstaurent un équilibre introuvable dans les institutions. Seulement, elles le font au détriment du peuple souverain, dont elles ne cherchent pas, du fait de leur incompétence légale, à interpréter la volonté.

Mais la tripolarisation de la vie politique, que les récentes présidentielles ont révélée, pourrait changer la donne. L’éclatement du champ politique en trois blocs d’à peu près égale importance, autorise d’envisager l’avènement d’une cohabitation dès cet été, ou lors des prochaines Législatures, ce qui paralyserait l’action du chef de l’Etat, alors même que celle-ci découle du suffrage universel direct, par lequel le peuple souverain se choisit un homme pour présider à ses destinées.

Ne rien faire se traduirait donc par une crise de régime, dont nul ne pourrait prédire les conséquences. Or, elles seraient potentiellement désastreuses, quand l’on sait que le peuple vient de connaitre, à cause de l’immigration postcoloniale, une modification inédite de la composition ethnique et culturelle de nombre de ses membres. Le « Grand brassage », qu’il connait actuellement, risquerait de se muer, dans un tel contexte de crise, en une immense fracturation de la société.

Quelles réformes pour retrouver l’équilibre ?

Dans le cadre d’un seul texte, il n’est pas possible de lister toutes les dispositions d’une nouvelle Constitution instituant une VIe République. Il convient donc d’en présenter quelques-unes, énumérées ci-dessous au nombre de 4, qui auraient pour objectif de réinstaurer un équilibre institutionnel salutaire pour la vigueur démocratique :

  1. Prévoir un retour au septennat. Durant un mandat de 5 ans, période équivalente à 1/8e d’une carrière professionnelle moyenne, un président ne disposera, que rarement, de la faculté de s’extirper de la rumeur bruyante des affaires courantes provoquée par le temps court. Il n’aura donc pas la possibilité de donner le nombre d’impulsions nécessaire à la mise en application d’une vision à long terme, notamment, mais pas seulement, dans ses domaines réservés. Face à cela, le septennat pourrait rétablir, dans les faits, le temps long indispensable à la position d’arbitre d’un président de la République. Par ailleurs, son retour induirait une nouvelle respiration démocratique, en relâchant la pression sur un corps électoral qui, une fois l’élection passée, est témoin de la compétition qui s’initie immédiatement pour la prochaine échéance présidentielle. Enfin, réadopter le septennat pourrait faire consensus dans la classe politique, surtout si l’on se rappelle que deux des trois blocs, par l’intermédiaire de leur chef, Marine Le Pen et Emmanuel Macron, se sont prononcés pour son retour.

  2. Mettre en place une désarticulation maximale entre mandat présidentiel et Législature. Alors même que la dissolution permettait à un président élu de bénéficier d’une majorité s’il arrivait au pouvoir face à une Assemblée hostile (cas de François Mitterrand qui rencontra deux fois cette situation lors de ses élections), l’usage de cet outil constitutionnel devrait être limité au maximum. Cela, afin de préserver la souveraineté du peuple qui s’exerce d’abord et avant tout dans l’Assemblée qu’il se choisit, et dont il attend qu’elle contrôle les actes du Gouvernement, qu’elle vote l’impôt et qu’elle autorise ou interdise telles ou telles dépenses de l’Administration. Mais prendre cette décision radicale de l’abandon de la dissolution aurait comme résultat de dénaturer la légitimité que tire le président du suffrage universel direct. Cela nous conduirait à un même type de régimes que celui de la IIe République, qui se termina par le Coup d’Etat commis par Louis-Napoléon Bonaparte. En tout état de cause, comme le peuple est attaché à la nomination de son président par l’intermédiaire de son vote direct, la France ne peut abroger ce mode de scrutin. Du reste, le pays est cette nation qui a souvent eu le culte des grands hommes. Si bien que la seule solution qui demeurerait serait de mettre en place le système suivant :

  • Une utilisation virtuellement rare de la dissolution. Lorsque le président arrive au pouvoir face à une majorité hostile, il aurait la possibilité de recourir, de manière exceptionnelle, à la dissolution. C’est dans ce seul et unique contexte, que le locataire de l’Elysée pourrait utiliser cette arme politique. Mais la chose lui serait interdite dans les autres cas, afin de protéger la puissance politique des députés. Cette disposition éviterait les dissolutions sans raisons apparentes, à l’image de celle décidée par Jacques Chirac en 1997. Elle empêcherait également leur recours devant trancher dans le vif un conflit entre l’Exécutif et le Législatif, comme en 1962, lorsque Charles de Gaulle voulut, par un tel acte, contrecarrer les effets du renversement du Gouvernement Pompidou par l’Assemblée nationale.

  • Une impossibilité de faire coïncider, une même année, les élections présidentielles et législatives (sauf dans le cas de la dissolution autorisée dans la situation précise évoquée ci-dessus). L’application de cet impératif servirait à la réappropriation, par l’Assemblée, de la légitimité populaire qui lui fait défaut, surtout depuis que l’élection de la majorité de ses membres tient à leur proximité politique avec le président élu. Cet impératif commanderait de rallonger d’une année une Législature qui aurait commencé ses travaux 5 années avant une élection présidentielle, à la seule exception déjà abordée dans le point précédent que, si le président arrivé au pouvoir ne dispose pas d’une majorité parlementaire, il pourrait décider de dissoudre. Dans le cas où cette réforme entrait en vigueur dès 2027, et si une dissolution pour cause d’incompatibilité politique entre le président et l’Assemblée était évitée sur plusieurs décennies, nous verrions que cela nous amènerait à 2062, avant que l’on ne doive proroger, d’une année, et afin de se prémunir contre la quasi-simultanéité des deux élections, les travaux de l’Assemblée nationale :

Tableau prévisionnel des futures dates des élections, si le système présenté à l’instant entrait en vigueur en 2027 (et sans dissolution de l’Assemblée lors d’une arrivée au pouvoir d’un président fraîchement désigné) :

Prés.

Lég.

Lég.

Prés.

Lég.

Prés.

Lég.

Lég.

Prés.

Lég.

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Prés.

Lég.

Prés.

Lég. (après 6 ans de travaux)

2027

2032

2034

2037

2041

2042

2047

2048

2052

2055

2057

2062

2063

  • Le maintien de la relation existante entre le président et son Gouvernement, y compris dans la permission de demander au Premier Ministre d’user du 49-3, ou d’obtenir l’autorisation de l’Assemblée de gouverner par Ordonnances. Cela, afin que le chef de l’Etat, en conformité avec la position que lui confère son élection directe par le peuple, demeure l’animateur principal de l’Exécutif.

  • L’obligation pour le Gouvernement de demander la confiance de l’Assemblée nationale lors de sa nomination. Même si, sauf exception, le Gouvernement nouvellement nommé a toujours cherché à obtenir une telle confiance de la part des députés, cette obligation le rendrait, dans la lettre constitutionnelle comme dans les faits, totalement dépendant du Législatif. Cela, afin que l’esprit de la Constitution ne découle pas de l’usage institutionnel qu’adoptent les présidents de la République, dont le pouvoir de nomination du Premier ministre est indépendant, dans le texte, de la couleur politique de l’Assemblée (bien que, sauf pour le cas De Gaulle-Pompidou de 1962 rappelé ci-dessus, les présidents ont toujours tenu compte des majorités, notamment durant les trois cohabitations qui eurent lieu à partir de la première de 1986).

  • La disparition du Sénat, dont le mode d’élection, abscons pour le citoyen lambda, ainsi que son incidence sur les travaux du Législatif, provoque les trois effets négatifs suivants : une désaffection de la Nation vis-à-vis des organes de son Etat ; un conservatisme ontologique, qui a le potentiel de bloquer la mise en place de réformes importantes, même quand l’Assemblée nationale conserve le dernier mot dans la production législative ; un allongement plus que nécessaire des débats parlementaires, ce qui peut paraître incongru à l’heure de l’information continue qui fixe au sein du peuple, sur tel ou tel sujet, des attentes impatientes qu’il faut pouvoir canaliser.

  1. Militer pour l’inscription dans la Constitution d’une inversion des normes juridiques. Elle réserverait systématiquement la primauté à la souveraineté nationale sur la lettre des Traités auxquels la France serait parti, tout en anticipant sur un certain nombre d’interdits que l’Etat se donnerait à perpétuité (impossibilité de remettre en cause l’indépendance de la justice dans le cadre ainsi défini, caractère républicain du régime, prohibition du retour de la peine de mort, laïcité, interdiction des essais nucléaires, lutte contre le Réchauffement climatique, égalité sans distinction de sexe, d’orientation sexuelle, de religion, d’opinion, d’ethnie – et non plus de race, mot à connotation péjorative –, etc.). Cela aurait pour avantage d’interdire l’occurrence d’une crise au cours de laquelle le président, faisant jouer son domaine réservé sur la politique étrangère, se trouverait en rivalité avec l’Assemblée, lorsqu’un éventuel Traité ratifié par la France serait menacé par une disposition législative nouvelle. Elle permettrait également d’éteindre la force jurisprudentielle dont se servent les Cours supérieures, pour empêcher les Gouvernements d’appliquer leur politique promise lors de l’échéance qui les ont portés au pouvoir.

  1. Porter une attention particulière à l’immigration et à son impact « multiculturalisant » sur la cohésion nationale. Elle devrait être inscrite dans le marbre de la Constitution, sans pour autant autoriser, entre autres dans le domaine de la solidarité, l’inégalité de traitement entre nationaux et étrangers légaux. Cette prise en compte constitutionnelle de l’immigration devrait par exemple permettre à la Nation, par la voix de ses représentants, de fixer des quotas d’arrivées en fonction des besoins identifiés après enquêtes approfondies. Elle autoriserait, de surcroît, la mise en place de statistiques ethniques et religieuses, seules à même d’écarter tous les fantasmes, dangereux pour la concorde, liés à la théorie du Grand Remplacement, et, dans un même mouvement, de lutter contre les discriminations de toute nature qu’elles démontreraient. Enfin, cette attention dans la Loi fondamentale justifierait de maintenir le régime concordataire en Alsace-Moselle, en le parant de la protection constitutionnelle, afin que l’islam, deuxième religion de France depuis qu’il a émergé à la faveur du processus migratoire, y devienne la prochaine Eglise établie. Ce changement donnerait ainsi l’occasion à l’islam de recevoir les subsides publics indispensables à la pratique de son culte, et d’instiller dans son esprit une « gallicanisation », grâce à la distance qu’une telle mesure de reconnaissance et de financement impliquerait entre son clergé et l’étranger.

Une crise de régime ?

Les réformes présentées ici peuvent faire penser que ce n’est pas une VIe République, mais une Ve République bis qui se fonderait par leur entremise. Un éventuel débat, entre un changement de régime, et une modification profonde des clauses de notre actuelle Constitution, ne doit néanmoins pas occulter le principal.

Les déséquilibres actuels, accentués par le tripartisme qui figera le champ politique en trois blocs irréconciliables sur nombre de sujets, nous entraîneront en effet, pour peu qu’une série d’évènements s’y prêtent, vers une situation de crise de régime insoluble, surtout si, dès cet été, aucune majorité n’émerge à l’Assemblée nationale.

Adel Taamalli

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