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Peut-on travailler en France avec un voile ?

Un bref retour sur la loi

Les textes de lois concernant le port du voile dans la sphère publique se sont multipliés ces dernières années. C’est en 2004 qu’est votée la première loi contre le port de signes religieux à l’école, elle ne concerne pas toutefois l’entreprise privée. Néanmoins, la récente proposition de loi de 2012 vise à étendre l’obligation de neutralité aux structures privées, en charge de la petite enfance, et à assurer le respect du principe de laïcité. Ce qui revient à dire que, désormais, les assistantes maternelles n’ont plus le droit de porter de signes distinctifs de religion. Cette dernière loi entrave un peu plus le droit de nombreuses femmes à vivre de leur travail, à jouir d’une indépendance financière et à s’épanouir dans l’exercice d’un métier.

La France et l’interdiction du voile au travail : une exception européenne

Dans une Europe tolérante et permissive à l’égard du voile, la France fait figure d’exception, à grand renfort de textes de loi interdisant le port de signes religieux dans le secteur public et dorénavant dans le privé. La tendance est complètement inversée en Grande-Bretagne, où des entreprises comme Ikea sont allées jusqu’à s’adapter à leurs employés, non seulement en  tolérant leur voile, mais aussi en proposant des uniformes appropriés. Dans les pays anglo-saxons,  la  recherche de la paix sociale est souvent préférée à l’interdiction. Dans le reste de l’Europe, notamment en Allemagne, en Belgique, et en Suède, le voile est autorisé sur le lieu de travail.

Outre-Atlantique, même constat, rappelons-nous les propos de Barack Obama, lors de sa conférence au Caire, visant la France. Le fait de juger la norme vestimentaire des citoyens français, et d’interférer dans ce  débat franco-français très sensible, avait été vivement critiqué. “Il est important pour les pays occidentaux d’éviter de gêner les citoyens musulmans de pratiquer leur religion comme ils le souhaitent, et par exemple en dictant les vêtements qu’une femme doit porter”.  Le Canada développe, pour sa part,  un modèle de tolérance qui est parfaitement illustré par le parcours de Wafa Dabbagh, cette musulmane voilée, lieutenant dans l’armée canadienne. Au Québec, les accommodements raisonnables garantissent la non-discrimination dans le milieu du travail.

Le voile est-il soluble dans l’entreprise ?

Certaines entreprises font le pari de miser sur les compétences. Ainsi, de grands groupes n’hésitent pas à donner leur chance aux femmes voilées. Dans un article de Stratégies, datant du 6 décembre 2007,  on apprend que L’Oréal a recruté une musulmane portant le voile pour un poste de cadre. Le 30 juillet 2008, c’est Guillaume Pépy,  patron de la SNCF qui, au micro de France Info, explique sa position favorable aux salariées voilées.

A la question du journaliste Daniel Schick  “Une femme musulmane voilée qui veut délivrer des billets, elle peut, elle pourra le faire en France comme on peut le faire en Angleterre ou ça ne va pas avec vos principes ? ” Ce à quoi Guillaume Pépy a répondu :  « Je ne connais pas d’histoires, de problèmes là-dessus. Tout simplement parce que la SNCF, elle est à l’image de ces voyageurs. Quand on est en Seine Saint Denis, quand on est à Argenteuil, quand on est à Villeneuve la Garenne, il faut que la SNCF ressemble aux voyageurs qu’elle transporte ».

On observe que si les entreprises communiquent de plus en plus sur la diversité, le cas des femmes voilées est très peu mis en lumière. Tolérer, mais en toute discrétion… Il en va de l’image de l’entreprise, qui ne souhaite aucunement apparaître comme pro-voile. Nous avons tenté de contacter les RH de la SNCF, mais en vain, personne ne souhaitant communiquer sur cette question.

Face à cette hostilité du port du voile conjuguée à une mauvaise image,  certaines se résignent à se présenter aux entretiens sans “hijab”, afin de  mettre toutes les chances de leur côté. Anissa B., 21 ans, étudiante en BTS « Négociation relation client », en alternance dans une société d’assurance, confie qu’elle « porte le voile depuis un an.  A l’époque,  je cherchais une entreprise en alternance pour continuer mes études. C’est  après un rendez-vous avec ma conseillère du Pôle emploi, qui m’a clairement signifié  que je ne trouverai jamais de travail avec mon voile, que j’ai décidé de faire un compromis et de le porter en dehors de mon temps de travail ». 

Anissa n’a jamais osé se présenter voilée à un entretien : « J’ai toujours été convaincue  que l’on ne me prendrait pas avec mon voile. Il existe aujourd’hui beaucoup de discriminations dans le monde du travail, en plus d’être une femme, je suis musulmane et voilée de surcroît, je pense que c’est beaucoup pour un seul et même employeur (rires) » ajoute-t-elle, non sans humour. La plupart des candidates revêtues du voile  vont même jusqu’à ne pas mettre  de photos sur leur CV,  afin d’optimiser leurs chances de décrocher un entretien.

Travailler avec son hijab difficile… mais pas impossible

Lors de notre enquête, nous avons réalisé à quel point il était difficile pour ces femmes voilées de trouver un emploi à la hauteur de leurs compétences. Il existe un phénomène important de «déclassement professionnel», beaucoup sont contraintes d’exercer des métiers  qui ne correspondent en rien à leurs compétences.

Cependant,  une minorité  réussit  à se faire accepter dans le monde du travail. Nassera J., 21 ans, étudiante en 3ème année d’Information et communication,  et co-fondatrice du site d’achats groupés « Deal4you » affirme : « J’ai toujours travaillé en fonction de mes compétences,  et hamdoulillah je n’ai pas eu à exercer des métiers qui n’avaient rien à voir avec ce que je sais faire, j’ai toujours été acceptée telle que je suis, avec mon hijab».

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Cette dernière conseille aux femmes portant le voile « de faire preuve d’assurance lorsqu’elles se présentent, et de ne pas renoncer à leur voile pour un travail. Elles doivent mettre en avant leurs compétences autant que faire se peut, et si elles sentent un malaise, briser la glace avec un peu de dérision, l’humour peut parfois être un atout », précise-t-elle en connaissance de cause.

Le regard et l’incompréhension  des collègues sont des difficultés, des épreuves, rencontrées au quotidien.  Anissa B. nous a confié : « Je n’ai pas osé en discuter avec ma responsable par crainte de sa réaction, aucun de mes collègues n’était au courant que je le portais et je savais que c’était mal vu dans mon service. Je me suis donc résignée à le retirer sur mon lieu de travail. Je dois avouer que c’est une décision qui n’a pas été facile, surtout dans les débuts, c’était très dur ».

Voile non désiré ! Turbans, bandanas ou chapeaux «tolérés»

En France, le voile traditionnel, connoté trop religieux, n’est pas le bienvenu dans les entreprises.  Certaines femmes voilées sont prêtes à faire des concessions pour décrocher un emploi, en s’assurant de couvrir les parties du corps qui doivent être dissimulées, (plus particulièrement la chevelure), et  elles remplacent leur hijab par un bandana, un turban, un chapeau ou autres… Plus discrète, cette nouvelle façon de se couvrir la tête pourrait être une solution susceptible d’inciter certains employeurs à accepter, à leur tour, ce compromis.

Les centres d’appels, « refuge » ou « repaire » pour les femmes voilées 

Pour celles qui désirent travailler coûte que coûte,  les centres d’appels recrutent à foison des femmes voilées. Ce n’est un secret pour personne, c’est à peu près le seul secteur qui ne fait pas de discrimination envers les femmes portant le hijab, mais la contrepartie peu enviable est un travail, abrutissant, difficile et mal payé, comme seul lot de consolation. Dans la communauté, c’est par  le bouche à oreille, les forums de discussion ou via les réseaux sociaux que s’échangent les coordonnées de ces call centers.  Lors de l’entretien, on vous fait savoir que l’«on a l’habitude de travailler avec des femmes voilées ».

Une masse impressionnante de jeunes gens se rue vers ces entreprises pour gagner quelques sous, et parmi eux se trouvent beaucoup de femmes voilées. Si vous commencez à engager la conversation, elles vous diront comme Dalila D., étudiante de 22 ans en sociologie, qu’elles n’ont « pas le choix, il faut bien vivre. Je suis étudiante, mais la bourse ne me suffit pas. Avant de porter le voile, je n’avais aucun problème pour trouver du travail, j’ai eu un tas d’expérience. Après ma décision de porter le hijab, j’ai vu les portes se fermer, c’est dommage… Ici nous sommes beaucoup dans cette situation, alors même si le travail n’est pas très gratifiant, c’est toujours ça. J’ose à peine me plaindre, même si c’est difficile, j’ai un job et garder mon voile c’est tout ce qui m’importe.» 

Une autre alternative : créer sa propre entreprise  

L’entrepreneuriat est une des solutions que certaines femmes envisagent pour travailler en toute sérénité. Devenir son propre patron confère une grande liberté à ces femmes, qui peuvent pratiquer leur religion sans contraintes, tout  en employant des femmes confrontées aux mêmes difficultés. Ainsi, Anissa B envisage de monter sa propre entreprise familiale, soit dans le domaine de la relaxation, soit une agence de voyages spécialisée dans le pèlerinage : “J’ai toujours voulu être entrepreneur et j’ai tout le soutien de ma famille.  Sans discrimination bien sûr, je recruterai en priorité des femmes, compétentes et voilées. N’y voyez pas de communautarisme, mais simplement  l’occasion de donner une chance d’accéder à l’emploi aux femmes qui sont dans la même situation que moi».  Les professions libérales constituent également une alternative, qui permet de concilier voile et métier, en tant que médecin, avocate, sage-femme ou même architecte.

Le port du voile,  avec les préjugés qu’il véhicule, est sans conteste un obstacle à l’insertion professionnelle  de toutes ces jeunes femmes, qui n’aspirent qu’à s’épanouir professionnellement,  tout en étant autonomes financièrement.  Victimes de discriminations,  en dépit de brillantes études, et bien que très motivées et dotées d’un esprit combatif, elles voient  leur  horizon professionnel  se réduire considérablement.  Certaines se tournent vers les quelques entreprises “musulmanes” qui existent, comme l’ultime recours pour trouver un emploi, alors que d’autres tentent de se lancer dans la création d’entreprise, parfois avec succès. Mais elles sont nombreuses à subir les affres du chômage.

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