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“Elle ne m’a pas auscultée à cause du voile !”

Unis devant Dieu depuis un an et demi, c’est plus que jamais soudés que Ludovic Aubert, converti à l’islam il y a six ans, et son épouse Nadia Bounouara affrontent, courageusement, la terrible épreuve de l’islamophobie qui vient de les frapper, et ce d’autant plus cruellement qu’elle leur a été infligée par une femme qui a prêté le serment d’Hippocrate : un médecin généraliste.

Ce mardi 4 décembre, lorsque le jeune couple (26 ans chacun) s’est mis d’urgence en quête d’un médecin résidant à proximité de son domicile à Vigneux-sur-Seine (91), Nadia Bounouara souffrant d’une fatigue persistante et de vertiges à répétition particulièrement inquiétants, aucun des deux ne pouvait prévoir que leur choix, lié au hasard, les confronterait au racisme aveugle et déshumanisant sous le masque d’une professionnelle de la santé.

Un masque trompeur, que la généraliste a très vite tombé à la vue de la jeune patiente voilée qui se présentait pour la première fois devant elle, manifestant une intolérance à peine voilée et pire encore, quasi pathologique, au point de déroger à la plus élémentaire déontologie médicale. On serait tenté de s’exclamer « ça se soigne ! », si ce flagrant délit de racisme anti-musulmans, ce grave manquement professionnel, et leurs conséquences dramatiques pour Nadia Bounouara, victime d’une fausse couche, ne constituaient une agression islamophobe.  

Ironie du sort, la sphère médicale est loin d’être une terre inconnue pour le couple, Ludovic Aubert entamant sa cinquième année universitaire de Pharmacie à Paris, tout en travaillant dans une pharmacie, quant à sa femme aujourd’hui sans emploi, elle est également préparatrice en pharmacie.

Nadia Bounouara, vous avez choisi cette femme médecin au hasard, car votre médecin traitant est à Paris et donc trop loin de chez vous. Pouvez-vous nous faire le récit des faits ?

"Effectivement, nous avons choisi ce médecin parce que c’était une femme et que son cabinet était près de chez nous. J’ai pu obtenir un rendez-vous en fin de journée à 18h15, ce qui me convenait puisque, depuis plusieurs jours, j’étais sujette à des vertiges, proches du malaise. Elle m’a reçue à 18h45, mais déjà alors que j’étais dans la salle d’attente, nos regards s’étaient croisés, et le sien s’était durci à ma vue.

Dès que je lui ai remis ma carte vitale sur laquelle figure ma photo sans le voile, elle m’a immédiatement lancé : « Pourquoi vous n’êtes pas venue comme ça ? ». Sur le moment, je n’ai pas compris son allusion au voile. J’étais affaiblie, et je ne souhaitais qu’une chose c’est qu’elle m’ausculte au plus vite.

Mais elle a aussitôt enchaîné par une autre question méprisante : « De quelle origine êtes-vous ? ». Je lui ai répondu que j’étais algérienne, tout en lui disant que je ne me sentais vraiment pas bien et que je cherchais un médecin traitant près de chez moi.

Comme elle ne m’auscultait toujours pas, je lui ai demandé si cela la dérangeait de m’examiner, et là elle m’a rétorqué cinglante : « Là, vous êtes là, mais ne comptez pas sur moi pour être votre médecin traitant ». Elle a alors pris une ordonnance, refusant obstinément de remplir son devoir médical en m’auscultant, et elle m’a demandé quelque chose d’aberrant : « Dites-moi ce qu’il vous faut ! » sur un ton autoritaire. Je n’en croyais pas mes oreilles, j’étais stupéfaite et très choquée par cette réaction, surtout de la part d’un médecin.

Je me sentais de plus en plus mal, humiliée au fond de moi-même, et j’ai trouvé la force de lui dire que le voile c’était mon choix, ce à quoi elle m’a répondu cassante : « Et moi, c’est mon choix de faire respecter la laïcité dans mon pays ! », et elle a lourdement insisté en prononçant  « mon pays ». « Ce ne sont pas les médecins qui manquent » m’a-t-elle dit en guise d’adieu, sans jamais avoir pris ne serait-ce que ma tension…

En partant, j’étais bouleversée par un tel rejet, et en repassant par l’accueil, j’ai laissé éclater ma colère devant son assistante et ses patients en lâchant : « Elle ne m’a pas auscultée à cause du voile ! ».

Vous quittez le cabinet médical profondément blessée, votre état de fatigue empire, mais vous appelez immédiatement la police pour dénoncer ce qui vous est arrivé, puis votre mari.

Oui, j’ai puisé dans mes réserves pour composer le 17, mais j’ai craqué, je pleurais, et l’on ma dit de me rendre au commissariat pour porter plainte. Puis j’ai appelé mon mari qui m’a rejointe. Nous n’avons pu porter plainte que le lendemain, et nous sommes allés le soir même aux urgences.

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Ludovic Aubert, quand votre femme vous appelle, sous le choc, qu’avez-vous ressenti ? Et quelle a été la suite des événements ?

J’étais sidéré et scandalisé à la fois, je ne pouvais pas croire qu’en France, en 2012, une femme médecin puisse enfreindre sa charte éthique, même si je sais que l’islamophobie est bien réelle et, hélas, en constante augmentation. C’était incroyable, et en plus cela arrivait à mon épouse ! 

Nous avons été très bien accueillis aux urgences, ce même soir, et nous avons été orientés vers un généraliste formidable que je tiens à saluer ici, le docteur Fabien Paquet. C’est lui qui nous a appris la grossesse de ma femme, lui recommandant le plus grand repos et lui prescrivant des examens gynécologiques.

Le lendemain, nous sommes allés au commissariat, et là il a fallu batailler pour porter plainte. L’inspecteur de police ne souhaitait pas enregistrer ma plainte, d’autant plus que nous voulions appeler le Conseil de l’ordre des médecins. J’ai fait valoir que je connaissais mes droits, que j’étais étudiant en Pharmacie, mais la police ne prenait pas l’affaire au sérieux, minimisant l’acte islamophobe du médecin, puisque pour eux il n
’y avait eu ni injures, ni coups… 

Finalement, devant ma détermination, la police a consigné les faits dans une main courante et dressé un procès verbal, en date du 5 décembre 2012, à l’encontre de ce médecin de la commune de Draveil, retenant la qualification de « discrimination ».

Malheureusement, le samedi 8 décembre, ma femme, qui était très éprouvée, a fait une fausse couche. Le fort choc émotionnel provoqué par ce face-à-face humiliant avec ce médecin, l’énergie qu’il a fallu ensuite dépenser au commissariat face à l’indifférence générale et au mépris, ont aggravé son état. Et le pire s’est produit.

Nadia et Ludovic, votre dossier est entre de bonnes mains, celles du Collectif contre l’Islamophobie en France (CCIF). Qu’attendez-vous maintenant ? Que la généraliste soit sanctionnée, qu’elle vous présente des excuses ?

Nous souhaitons vraiment que cette attitude inqualifiable et cette grave faute professionnelle ne se reproduisent plus, que la justice et le Conseil de l’ordre des médecins condamnent cette femme pour ce qu’elle a fait, et pour ce qui est un délit et non une opinion : l’islamophobie. Nous aimerions que notre triste cas serve d’exemple et que chacun en tire les enseignements.

J’ai (Ludovic) diffusé un message par sms pour informer mes proches et mes amis de ce qui nous était arrivé et essayer d’en savoir plus sur ce médecin. C’est ainsi qu’un ami avocat du CCIF m’a guidé vers son association, qui fait un travail remarquable sur le terrain pour la défense de nos droits. Je profite de cet entretien sur Oumma.com pour appeler les musulmans de France à rejoindre le CCIF, qui lutte sans relâche pour nous et avec nous contre ce fléau qu’est l’islamophobie.

Ce qui me choque, aujourd’hui, en France, qui est aussi mon pays comme disait cette généraliste, c’est la nette différence de traitement qui existe entre l’antisémitisme et l’islamophobie, alors qu’ils devraient être combattus pareillement. L’un est une cause nationale, l’autre est minoré, méprisé, ou ignoré, on nous reproche même de faire dans la victimisation. C’est insupportable, et là je peux en témoigner ! Mais, je sais qu’il y a pire que nous, et que les agressions verbales et physiques contre les femmes voilées sont violentes et nombreuses."

Chronique de l’islamophobie ordinaire qui s’est réfugiée derrière le mot fourre-tout « laïcité » pour mieux légitimer la volonté d’exclure les citoyens musulmans, le comportement anti-professionnel de cette femme médecin revêt toutefois un caractère extraordinaire, au sens propre du terme, qui inspire une seule pensée : Plus jamais ça !

C’est d’ailleurs sous ce cri d’indignation que Ludovic Aubert et Nadia Bounouara ont décidé de se battre pour faire reconnaître leur préjudice, mais aussi pour relayer l'affaire auprès de leurs concitoyens musulmans, et au-delà. Savoir, c’est être mieux armé contre l’islamophobie sous toutes ses formes, telle est la conviction profonde du jeune couple qui fait l'éclatante démonstration que l'on peut être très attaché à ses valeurs et parfaitement intégré. 

Propos recueillis par la rédaction.

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