C’est un vieux rêve. Il est inscrit dans les trois monothéismes, parce que tous trois véhiculent le même Message du Dieu unique et un, le Dieu de tous les hommes :
« Si vous suivez mes lois, si vous gardez mes commandements et les mettez en pratique, je vous donnerai les pluies en leur saison ; la terre donnera ses produits et les arbres des champs donneront leurs fruits ; chez vous le battage durera jusqu’à la vendange, et la vendange durera jusqu’aux semailles ; vous mangerez de votre pain à satiété, et vous habiterez en sûreté dans votre pays ; je mettrai la paix dans le pays » (Lv. 26 : 3-5).
« Alors Pierre ouvrit la bouche et dit : Je me rends compte en vérité que Dieu est impartial, et qu’en toute nation, quiconque le craint et pratique la justice trouve accueil auprès de lui. Son message, il l’a envoyé aux Israélites : la bonne nouvelle de la paix par Jésus Christ, lui qui est le Seigneur de tous les hommes »(Ac. 10 : 34-36).
« Une Lumière et un Livre lumineux vous sont venus de Dieu. Par ceci Dieu guide ceux qui cherchent Son agrément vers les sentiers de la paix. Il les sort, par Sa grâce, des Ténèbres à la Lumière, et les guide dans le droit chemin » (Coran, 5 : 15-16).
Mais il ne suffit pas de rêver de Paix. Il faut la faire. Un dit de l’Ultime Messager de Dieu à l’humanité entière précise : « Celui qui se tait lorsque la vérité est en jeu, celui-là est un Satan muet. » Or, lorsque Bush annonçait son crime contre l’Irak et poursuivait sa politique de soumission et d’humiliation de l’Islam, tous nos ulémas s’étaient tus, ou avaient protesté dans leurs barbes. Ils se sont conduits en masse, selon la tradition qui leur est coutumière, comme des Satans muets. L’Emir du Qatar s’était couvert d’opprobre en faisant de son pays la base avancée et stratégique de l’agression. Les autres dirigeants, dits arabes et musulmans, avaient actionné tous les freins de leurs polices pour empêcher ou contenir les manifestations contre l’agression. En Occident, y compris en Amérique, on manifestait cependant.
C’est alors que dans la nuit du lundi 24 Février, dans une émission de la BBC, j’ai entendu la voix la plus autorisée du Christianisme, celle du continuateur de Pierre cité plus haut, appeler à une journée de Jeûne pour la paix. C’est tout ce qu’il a en son pouvoir. Par cet appel : en se désolidarisant de l’Axe du Mensonge, Axe qui, par le mensonge érigé à la manière de Machiavel en doctrine d’état, fait de l’Islam le Mal absolu ; en désavouant l’ami et conseiller de Monsieur le Président Tout Puissant et Tout Arrogant Bush, le pasteur Franklin Graham, pour qui l’islam est une « religion satanique et malfaisante » ; le continuateur de Pierre avait évité, avec le monde de l’Islam, une cassure dramatique aux conséquences incommensurables. Alors, sous le titre Appel aux Musulmans de soutenir l’invitation de l’Apôtre de Jésus, j’avais immédiatement faxé, à toutes les agences de presse et à de nombreux journaux de langue française accessibles à partir de Tunis, ce texte :
« Devant le silence criminel des laquais de Bush qui nous gouvernent et qui nous bâillonnent par la torture – devenue forme routinière de gouvernement – et par la terreur de la police et des armes ; qui nous interdisent de manifester, même dans des espaces clos, sous la menace du feu de nos concitoyens transformés en gendarmes mobilisés pour nous tuer au service de l’ennemi, salissant ainsi la mémoire de ceux qui sont morts pour nous libérer de la colonisation ; devant l’incurie coutumière, héréditaire, honteuse et avilissante de nos ulémas dont la poltronnerie séculaire et légendaire déshonore l’Islam, et dont le Conseil Supérieur Islamique donne en Tunisie le plus vil et le plus honteux exemple ; j’appelle tous les Musulmans de faire bloc derrière Sa Sainteté Jean Paul II qui appelle à la paix, en authentique Apôtre de Jésus que nous vénérons autant que nos authentiques frères chrétiens qui nous aiment , nous respectent et pensent comme nous que le Coran est un Message de paix envoyé, pour nous, à l’humanité entière, par Celui qui, pour nous tous, a pour nom Paix (Salâm), et que nous adorons tous avec la même humilité et ferveur dans Son insondable mystère, quelles que soient nos différences.
En conséquence, j’appelle tous les Musulmans, dont je suis par les convictions et la pratique, à répondre à l’appel de Sa Sainteté Jean Paul II, dont je salue la piété et le courage, et de célébrer la journée du 5 Mars 2003 comme jour de « Prière et de Jeûne » pour la paix en Irak et partout dans le monde. »
Clemenceau, dans son livre Discours de Paix (1919), disait : « Il est plus facile de faire la guerre que la paix. » L’Axe B.B. est en train d’en faire l’expérience en Irak, à ses dépens et à ceux de ses amis et collaborateurs irakiens, surtout des chiites, que ses soldats n’hésitent pas à tirer comme des lapins, par excès de « nervosité », nous dit-on. Jusqu’où ira la « nervosité », et avec quelles conséquence ? Avec l’entêtement de l’inintelligence, ou du gang pour le profit, l’Axe B.B. s’enlise. Va-t-on vers une nouvelle Palestine d’une plus grande ampleur, avec plus de souffrance, plus de désolation, et aussi plus de détestation pour une Amérique devenue sur le plan universel le symbole de l’immoralité insultante et insolemment cynique ?
Les « terroristes », se console Bush, viennent de l’extérieur, et ce n’est pas de bonne guerre. Des « terroristes ? » Que l’on se souvienne de la crue sagesse populaire : « qui veut noyer son chien l’accuse de la rage » ; et « c’est la faim qui chasse le loup hors du bois ». Le terrorisme, une vielle rengaine que les pseudo-terroristes connaissent sur les bouts de leurs doigts serrés sur les gâchettes. Fâqû, ça ne prend plus, disaient les fellagas algériens en pleine guerre d’indépendance. Les résistants irakiens, comme les résistants palestiniens, s’en balancent et contre balancent des noms qu’on leur donne. Là où il y a invasion étrangère, occupation, dictature tortionnaire, déni de justice et de démocratie, il est indécent de parler de terrorisme. Le tortionnaire ne peut parler vertueusement de terrorisme. L’occupant, qui tue proprement et techniquement par milliers et centaines de milliers, non plus. Que les grands terroristes cessent de terroriser, les petits suivront et cesseront. C’est l’hypocrisie qui tue. Que l’Axe B.B. ne se console pas donc trop vite ! Ceux qu’il appelle les terroristes s’en foutent des noms dont on les affuble. Ils continueront à venir, de tout l’Islamdom, toujours plus déterminés et de plus en plus nombreux. Pour cadenasser les frontières, il lui faudra, de proche en proche, « libérer » la Syrie, voire la Jordanie et l’Arabie Saoudite, etc. ? La guerre en Irak a commencé après la victoire. C’était prévisible, mais il fallait ne pas être myope.
Pour comprendre la situation il nous faut aussi nous rafraîchir la mémoire. Un certain 18 Juin 1940, une voix venue de Londres appelait les français à résister à l’occupant nazi, le strongest and finest people du moment, les bons Ariens, ou à rien, si ce n’est à envahir et à tuer, avec cette inscription sur les boucles de leurs ceinturons : Gott mit uns (Dieu avec nous). Cette usurpation de Dieu n’avait pas été inventée par Franklin Graham, mais nous sommes sûrs qu’il la revendiquerait. En tout cas au verso de chaque dollar nous lisons : In God we trust. Traduisons : Nous croyons au dollar. C’est cette foi dans le dollar qui fait le lit de celui que l’on appelle le terroriste.
La voix qui venait de Londres était celle du plus prestigieux des terroristes de l’histoire contemporaine, celle de De Gaulle qui avait dit non à l’occupation, au nom d’autres valeurs que l’usurpation de Dieu et le culte du dollar. Il était le terroriste du maréchal Pétain, une figure qui ne fut pas en son temps moins prestigieuse, le sauveur à la voix chevrotante qui avait cédé à l’occupant et pactisé avec lui, le Pater Patriae dont les photos ornaient toutes nos classes, et en l’honneur de qui on entonnait, à l’unanimité : « Maréchal, nous voilà ! ». On sait à qui l’histoire et le droit ont donné finalement raison. Ce terroriste hors pair, avait fait la paix avec un autre terroriste non moins prestigieux, Ben Bella, qui fut, avant de devenir chef d’Etat, un vulgaire fellaga. Lorsqu’on parle de terrorisme, il ne faut pas avoir la mémoire courte.
François Mitterrand avait la mémoire courte, ou la voulait plutôt courte, pour raison d’état., ou de realpolitik. Tout a commencé au cours de la première guerre du Golfe en 1990, menée tambour battant par Bush le père. Avec sa fumeuse formule de « logique de guerre », François Mitterrand se laissa ligoter à son attelage, finalement sans gloire ni profit pour celui qui ne fut considéré, somme toute, que comme un comparse de second plan. Il est vrai, à sa décharge, que tous les canards arabes, ou presque, s’étaient attelés au même attelage de la honte. Mais le président de la République Française n’était quand même pas un canard arabe.
Jacques Chirac le comprit. Il est un vrai chef politique élevé à l’école de De Gaulle. Le rang de comparse de second plan, tenu à l’écart des conciliabules qui se déroulaient à huis clos entre les deux B, ne pouvait lui convenir. Instruit par les frustrations qui furent le lot de son prédécesseur pour sa collaboration, il acquit la juste conviction qu’une deuxième guerre d’Irak ne servirait pas les intérêts de la France. Les grands partages avaient été déjà faits, et les journaux américains les avaient impudiquement annoncés à l’avance. Au mieux il ne restait que des miettes à partager. Un simple coup d’œil sur le carnet des allocations apportait la preuve évidente que la France tirerait davantage de bénéfice de son opposition à la guerre que de sa participation à cette guerre à la Mitterrand dans le passé récent, ou dans le présent, à la manière de l’Espagne, de la Pologne, de l’Italie et autres larrons de moindre puissance. Ibidem pour la Russie, et l’Allemagne.
L’Amérique avait traité la France comme quantité négligeable. Elle avait sous- estimé la détermination de Jacques Chirac, qui tenait de De Gaulle, et était décidé à fournir la preuve qu’il fallait désormais compter avec lui. Le bras de fer était inévitable. Mais des issues de secours furent aménagées. C’est la tâche de ce qu’on appelle la diplomatie. Dès que les premières victimes américaines tombèrent en Irak, Jacques Chirac se dépêcha d’envoyer à Bush un télégramme indigné de condoléances dénonçant ce qu’il s’empressa de condamner comme terrorisme. Et le lundi 22 septembre devant le Conseil de Sécurité – qu’il vaut mieux appeler d’Insécurité – réuni pour trouver une solution à l’occupation de l’Irak, il réclama, certes, une évacuation rapide (façon de maintenir la pression),mais en même temps – main tendue et issue de secours aménagée pour une réconciliation à un prix raisonnable – il s’empressa d’ajouter : « Lorsqu’un pays est occupé, il s’approprie, indûment, le combat pour l’indépendance », en isolant, et en martelant intentionnellement de la voix, l’adverbe « indûment. » Cet « indûment », qui confirmait la condamnation de la résistance irakienne comme terrorisme ne pouvait déplaire à Bush, qui devrait se montrer reconnaissant. Il n’en fut rien. S’approprier, implique déjà l’illégalité et la condamnation. Souligner ce verbe par l’adverbe « indûment », dûment martelé, renforce, double la condamnation et l’élève au carré. Peine perdue.
Faut-il conclure que Chirac condamne De Gaulle et la Résistance française de l’intérieur, celle des FFI, qui se serait approprié, contre l’occupant nazi, « indûment le combat pour l’indépendance », et avait opté, illégalement, pour la résistance armée ? Faut-il réhabiliter Pétain ?
Faut-il plutôt – ce qu’on est en droit de penser – conclure que le peuple d’un pays occupé, lorsqu’il n’est pas d’une race supérieure occidentale, et surtout lorsqu’il relève, par sa religion, de l’Axe du Mal, ne doit pas, de lui-même et par lui-même, engager de sa propre initiative « indûment le combat pour l’indépendance. » Faut-il qu’il attende, et en attendant-quoi ?—doit-il embrasser, très humblement, les bottes de l’occupant de race supérieure occidentale, pour rester dans le dû et le légal ? Faut-il, parce que de race inférieure, celle des esclaves auxquels il est refusé de se battre, qu’il accepte, avec passivité et humiliation, la servitude, qu’il supplie le bon vouloir des occidentaux auxquels il revient seuls de décider de son sort, et qu’il remette son destin entre les mains des Grands qui se le disputent dans le Conseil dit de Sécurité, un Conseil qui ne sécurise que ceux qui ont des dents nucléaires pour mieux dévorer en toute paix et en toute sécurité ceux qui n’en ont pas, et qu’il faut étroitement surveiller, pour qu’ils ne puissent jamais en avoir ? Jacques Chirac défend les intérêts de son pays et sa place dans le Club des Puissants. Il ne faut pas se faire d’illusion, rien de plus. J’ajoute : dommage !
Il voudrait forcer Bush – je ne dis pas par le chantage – à lui accorder la même place que Blair, une roue arrière dans la direction du monde, et à substituer au tandem américano-anglais, un tricycle américano-anglo-français. Peine perdue en fait. Jacques Chirac se trompe lourdement lorsqu’il pense pouvoir amadouer un vieux routier de la politique aussi roué que Bush par des boniments, en coupant un cordon tricolore à l’entrée du lycée français de New York, et en exaltant l’amitié franco-américaine, vieille de 225 années insiste-t-il, plus vielle que l’anglaise ! La rivalité franco-anglaise, qui fut d’abord coloniale pour se partager le monde, ne date pas de ce jour, et il faut s’en souvenir pour décrypter le langage de la politique actuelle.
A suivre…
Notes :
Ce texte reprend les idées, actualisées, développées au cours de deux rencontres :
La XX° Conférence Internationale Annuelle (7-8 Juillet 2003) organisée à Oxford par The Maghreb Review et Mansfield College sur le Thème : La religion de l’Autre.
La Conférence Internationale (7-9 Septembre 2003) organisée à Aachen/Aix la Chapelle par la Communauté de Sant’Egidio et le Diocèse d’Aachen sur le thème : Guerre et Paix. Les fois et les cultures en dialogue.
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