Ce livre arrive à point nommé dans la vulgarisation du débat complexe de l’objet terroriste. Une catégorie « terroriste » qui fait l’objet de nombreuses controverses en Sciences politiques.[1]
Chercheur à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS), Ali Laïdi part d’un constat alarmant : nous ne pensons plus devant l’objet « terroriste », le « pourquoi » devient suspect, seul le comment est légitimé au nom d’un pathos émotionnel narcissique sur l’autel de l’aphorisme « Nous sommes tous américains ». Nous devons saluer l’effort de réflexion de l’auteur, qui refuse de surdéterminer le référent religieux « islamique » dans la compréhension du phénomène « terroriste » contemporain. Le religieux ne serait que le vecteur de cette agressivité, non son objet.
L’ouvrage refuse l’essentialisme journalistique auquel nous devons faire face dés lors que l’objet « islam, terrorisme » est évoqué. Ali Laïdi a voulu donner une perspective scientifique à la nébuleuse « terroriste », et met la question politique au cœur de son ouvrage, dans la manière d’appréhender « Al Qaëda ».
L’auteur pose quatre postulats :
1) le terrorisme s’inscrit dans une tradition d’une opposition violente du faible au fort.
2) Les terroristes ont identifié l’hyperpuissance états-unienne comme le pilote d’une mondialisation néo-libérale qu’ils dénoncent, une mondialisation qui ne respecte pas les valeurs arabo-islamiques.
3) Le 11 septembre 2001 a débouché sur le choc des puissances, et non sur le choc des civilisations.
4) Dans ce jeu économique planétaire, les Arabes n’arrivent pas à tirer leurs épingles du jeu.
Nous tenterons de synthétiser les principales thèses du livre, et dire en quoi elles peuvent rendre compte de la complexité de l’objet « terroriste ».
D’une part, Ali Laïdi a le mérite de s’intéresser aux acteurs du terrorisme. Qui sont-ils ? L’auteur a lu de nombreuses enquêtes pour rendre compte de la trajectoire de ces acteurs. Ils sont souvent socialisés dans les universités occidentales, de familles aisées. On s’aperçoit que l’humiliation, voire le deux poids, deux mesures sont à l’origine d’actes aussi ignominieux que l’acte terroriste.
Mais pour lutter contre le terrorisme encore faut-il « que la guerre contre le terrorisme doit être mené avec la conscience que les terroristes sont l’émanation des griefs fondés et compréhensibles ».[2] C’est pourquoi l’auteur dénonce le tout répressif, voire le discours sécuritaire de pseudo-experts, autoproclamés spécialistes d’Al Qaëda, qui montre plus que jamais ses limites, que seul l’analyse sociopolitique peut dépasser.
En outre, Ali Laïdi dénonce l’unilatéralisme états-unien, qui au lieu d’avoir essayé de comprendre le 11 septembre a pris le versant contraire en proclamant la guerre à l’Islamo-fascisme. A l’heure où la géopolitique des idées est dominée par les anglo-saxons, la voix française portée par le duo De Villepin/Chirac a pu paraître comme un contrepoids à la tentation hégémonique à la Pax americana, même si le discours du gaulliste enflammé Dominique Gallouzeau De Villepin[3], n’a pu éviter malheureusement la guerre en Irak. Cette guerre « juste »[4] selon les néo-conservateurs n’a fait selon les dires du National Journal (Conservateur) qu’engendré le terrorisme dans une région atomisée.
Il avait titrée « La France avait raison ! », espérons que nos prétendants à la présidentielle retiendront la leçon.
Par ailleurs, la pertinence de la thèse (la thèse audacieuse de l’essai) d’Ali Laïdi tient également au fait qu’il montre en quoi les effets de la mondialisation ont des effets dévastateurs pour des civilisations traditionnelles. En effet, concernant le Monde arabe, les contraintes de la mondialisation s’ajoutent à des problèmes structurels vieux de plusieurs siècles, ce qui crée une humiliation qui n’est pas récupérée par le Politique (Altermondialisme).
Cette guerre économique globalisée sous le prisme d’un modèle uniforme de valeurs, s’ajoute à une crispation qui s’exprime sous une forme identitaire dans les pays arabo-musulmans ; et qui explique le succès de l’Islamisme politique. Le référent religieux islamique devient la matrice identitaire[5] de ce refus du modèle uniforme mondialisé, même si paradoxalement le néo-fondamentalisme reproduit un Islam de marché.
Le dernier chapitre est consacré à la crise politique et civilisationnelle du monde arabe. L’auteur s’intéresse aux mutations de l’Islam politique (pluriel).[6]
Son intérêt pour les nouveaux penseurs de l’Islam l’incite à être optimiste sur le défi de la mondialisation dans cette région du monde, « malade du post-colonial »[7].
L’auteur situe les origines de la crise civilisationnelle actuelle du monde arabo-islamique à deux dates clés : 1492, qui prévaut à l’expulsion de l’Islam de l’Europe par Isabelle La Catholique, et l’autre date plus contemporaine, l’abolition du califat en 1924 par les jeunes Turcs emmenés par le leader charismatique Atatürk. En outre, s’ajoute à cette chronologie historique du déclin civilisationnel islamique un élément patent dans la persistance de la crise de la culture de la culture islamique, les peuples arabes[8] vivent dans le passé de l’âge d’or de la civilisation islamique. L’Histoire rendrait otage les mutations politiques et intellectuelles du Monde arabe, cette thèse révèle une certaine véracité intellectuelle, et mériterait une réflexion plus ample.
Pour résumer l’ouvrage, citions une réflexion judicieuse de Jacques Derrida, « On peut condamner inconditionnellement comme je le faisais ici, le 11 septembre, sans s’interdire de prendre en conditions réelles, ou alléguées qui l’ont rendu possible. Tous ceux qui, dans le monde ont organisé ou tenté de justifier cet attentat y voyaient une réponse aux terrorismes d’Etat des Etats-Unis et de leurs alliés. Ce fut le cas au Moyen-Orient, bien que Yasser Arafat ait aussi condamné le 11 septembre et a refusé que Ben Laden puisse parler au nom du peuple palestinien [9] ».
Cette posture déconstructionniste adoptée par Derrida doit nous inciter à nous interroger sur la catégorie terroriste, expliquer les raisons ou les enchaînements qui conduisent au terrorisme sans les justifier le moins du monde, sont une nécessité pour les sciences humaines. Comment ne pas être attentif à la définition que Derrida se fait de la philosophie, « est philosophe celui qui recherche une critériologie pour distinguer la compréhension de la justification ».
[1] Voir à ce sujet, l’article de Paul Zawadski, « Travailler sur des objets détestables. Quelques enjeux épistémologiques et moraux » Revue internationale des sciences sociales, décembre 2002. Signalons le numéro de la revue Esprit d’Août-septembre 2002, « Terrorisme et contre-terrorisme : la guerre perpétuelle ? ».
[2] Christoph Bertram, « Notre guerre contre le terrorisme », in Gilles Andréani, Pierre Hassner (dir.), Justifier la guerre ? Paris, Presses de Sciences Po, 2005.
[3] Pour un aperçu de la politique étrangère de Dominique de Villepin voir son ouvrage, Un autre monde, Paris, L’Herne, 2003. Y figure des discours, interventions,et débats avec Christoph Bertram, Régis Debray, Carlos Fuentes, Charles Grant, Robert E. Hunter, Bernard Henri Lévy, Norman Mailer, Fernando Savater, Simon Serfaty, Susan Sontag, Antonio Tabucchi Tzvetan Todorov, Mario Vargas Llosa, Avraham Yehoshua.
[4] La notion de guerre juste fait l’objet de nombreuses controverses en sciences sociales, elle fut théorisée dans le champ intellectuel contemporain par Michaël Walzer, Les guerres justes, Paris, Folio, 2006.
[5] Voir le dernier ouvrage de François Burgat, L’Islamisme d’Al Qaëda, Paris, La découverte, 2005.
[6] Il faut saluer Ali Laïdi dans son traitement du phénomène islamiste s’inspirant des travaux universitaires d’intellectuels experts allant d’Olivier Roy, Gilles Kepel, François Burgat pour ne citer les plus connus. Ces références universitaires dans un essai où l’objet central est le Terrorisme est devenu chose rare dans l’espace journalistique et éditorial. Saluons donc l’auteur dans sa volonté de refuser les postures manichéennes.
[7] Voir l’ouvrage collectif dirigé par Pierre Jean Luizard, Le choc colonial et l’Islam, Paris, La découverte, 2005.
[8] Nous utilisons l’expression d’Albert Hourani « Peuples arabes » au lieu des Arabes qui exprime un imaginaire orientaliste très péjoratif.
[9] Jacques Derrida, Jürgen Habermas, Le concept du 11 septembre, Paris, Galilée, 2003.
GIPHY App Key not set. Please check settings