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Réaction aux propos scandaleux du Ministre Luc Ferry

Je tiens à réagir aux propos scandaleux que vous avez tenu lors de l’émission intitulée « Le Vrai Journal » diffusée sur CANALPLUS le dimanche 19 octobre 2003.

En effet, par rapport à l’exclusion des deux sœurs Lévy, vous vous êtes tout d’abord dit « extrêmement triste » pour elles, d’autant qu’il ne s’agit pas d’une exclusion prononcée « pour des raisons qui ne tiennent pas à l’absence de mérite ou de talent ou à des bêtises qu’elles auraient faites ».

Permettez-moi de douter de votre sincérité. Se dire « extrêmement triste » est d’un point de vue démagogique très judicieux, mais vous n’avez cure de leur souffrance, de leur avenir. Pas un mot concernant d’éventuelles mesures prises ou à prendre quant à leur privation de ce droit fondamental que celui du droit à l’éducation ou quant à leur marginalisation. Ne serait-ce que pour rassurer les citoyennes et les citoyens inquiets que nous sommes pour nos deux jeunes et intelligentes concitoyennes. Là, sur le plan de la démagogie, quel pêché par omission ! Ah, veuillez m’excuser … autant pour moi, j’allais oublier votre proposition très intéressante et très représentative du manque de rationalité qui anime actuellement le débat autour du foulard dans notre société. Vous vous permettez odieusement de leur dire : « si elles veulent revenir dans l’Education nationale, il suffit qu’elles mettent un signe qui ne soit pas un signe ostentatoire … Je préférerais que ces deux jeunes filles reviennent avec un petit bandeau et on n’en parle plus  ».

D’abord, le foulard est ostentatoire selon vous, mais pas selon moi, ni surtout selon le Conseil d’Etat, et encore moins selon le Petit Larousse qui définit l’ostentation comme suit : « Affectation qu’on apporte à faire parade d’un avantage ou d’une qualité ». Vous n’êtes pas sans savoir que le foulard est malheureusement loin d’être présenté comme un avantage ou une qualité dans notre pays. De plus, je vous rappelle que selon le Conseil d’Etat, ce sont les conditions dans lesquelles le foulard est porté qui peuvent éventuellement être taxées d’ostentatoire – et cela reste à démontrer – non pas le port du foulard en lui-même.

Monsieur Le Chevalier des Arts et des Lettres, c’est vrai qu’il manque à votre Curriculum Vitae la fonction d’académicien, mais de grâce, soyez à la hauteur du Prix littéraire des Droits de l’homme qui vous a été décerné en 1996.

Ensuite, « montrez-moi vos oreilles et je vous donne l’accès à l’Education Nationale » ; ce n’est pas textuellement ce que vous avez dit mais le sens y est ; piètre exigence que vous tentez de justifier par : « Ce qui me gêne, c’est l’idée que quand des professeurs rentrent dans leur classe, ou les autres élèves rentrent dans leur classe, ils se disent « là, y a les juifs, là, y a les catholiques, là, y a les musulmans ». Monsieur Ferry, en dehors du fait que la diversité constitue une richesse, vous savez que ces différences culturelles demeurent heureusement perceptibles avec ou sans foulard. Il existe également d’autres différences idéologiques. Comme l’a souligné Karl Zero, nous avons en plus des catholiques, des musulmans et des juifs (en espérant que l’ordre dans lequel ils ont été désignés par vous ne soit que fortuit), des rappeurs, des gothiques, des écologistes etc. et cela ne dérange personne. Et vous de répondre : « Oui, mais au Moyen Orient, ce ne sont pas des rappeurs et des gothiques qui s’affrontent ». On ne le répètera jamais assez : dans la région que vous évoquez, il ne s’agit pas d’une guère de religion, mais d’une légitime résistance à une politique de colonisation.

Mais pour en revenir au sujet qui nous intéresse, Monsieur L’Agrégé de sciences politiques, ne faites pas semblant d’ignorer qu’une fille qui porte un foulard sera potentiellement davantage victime d’agression islamophobe (c’est bizarre, mon logiciel de traitement de texte ne connaît ce mot) que génératrice d’acte antisémite. J’en veux pour preuve les différents témoignages de professeurs qui – même s’ils ne soutiennent pas les élèves qui portent le foulard – avouent qu’elles sont généralement un modèle pour leurs camarades tant au niveau des résultats scolaires qu’au niveau du comportement. Mais vous avez raison, supprimons les victimes afin qu’il n’y ait pas de coupable !

Par ailleurs, vous vous êtes dit – comme la plupart de vos collègues – « solidaire » de la décision prise par le conseil de discipline de l’établissement. Pourtant, une des deux sœurs vous a demandé si, au préalable, vous aviez pris connaissance du dossier et des conditions dans lesquelles cette décision fut prise. Et vous de répondre : « Oui, mais pas dans le détail » ; ici, ce n’est plus la démagogie qui vous fait défaut, c’est un minimum de conscience professionnelle. En tant que ministre et face à une affaire si médiatisée qu’on a l’impression qu’un foulard a recouvert la France (pour reprendre les propos de Mouloud AOUNIT, secrétaire général du MRAP), une bonne maîtrise de ce dossier est plus que nécessaire. Car, justement, si vous n’aviez pas délaissé les détails, vous – et la plupart de vos collègues – ne vous seriez pas déclaré solidaire d’une décision illégale. Avec un peu moins de laxisme, vous auriez pu effectivement vous rendre compte qu’aucune des trois conditions (prosélytisme, danger, trouble) permettant à un proviseur d’exclure des élèves portant un foulard n’avait été reprochée aux sœurs Lévy. Certes, vous n’êtes pas garde des Sceaux, mais je vous rappelle que vous êtes Ministre de l’éducation nationale !

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Oui, Ministre de l’éducation nationale, et cela n’est pas synonyme de juriste en droit musulman. Car, au mépris des notions de compétence et de légitimité – à l’instar de nos Muftis autoproclamés Soheib Bencheikh et Dalil Boubakeur – vous avez déclaré qu’ « Il faut qu’on arrête avec la notion d’obligation, le foulard obligatoire c’est une blague … le foulard n’est pas plus obligatoire pour les musulmanes que le poisson le vendredi pour les chrétiens  ».

Monsieur le Chevalier de légion d’honneur, le fait d’entrer dans un bloc opératoire ne fait pas de vous un chirurgien. De même, le fait d’ouvrir le Coran ne fait pas de vous un exégète. A chacun son domaine de compétence. Veuillez donc laisser l’étude des obligations religieuses aux personnes compétentes et habilitées. Réservez vos opinions personnelles pour vos soirées privées.

Monsieur Ferry, chacun est libre d’adhérer ou de ne pas adhérer aux prescriptions de l’Islam. En revanche, ce qui est inadmissible, c’est votre ingérence dans un domaine qui ne vous concerne pas.

Et même si je suivais votre raisonnement, à partir du moment où le port du foulard relève d’un choix délibéré, son statut religieux – obligatoire ou pas – ne peut aucunement servir d’argument pour celui ou celle qui ne tolère pas ce bout de tissus dans son champ visuel, contre celle qui le porte. Et de vous à moi, pourquoi s’acharnerait-elle à le porter s’il n’était pas obligatoire ? serait-elle sadomasochiste ? Mais non, vous me répondrez très classiquement qu’elles y sont contraintes par des pères ou des frères obscurantistes, alors que la majeur-partie des filles qui portent le foulard le font contre le souhait des membres de leur famille, étant donné le contexte international actuel.

Monsieur l’agrégé de philosophie, il est enfin temps d’admettre que les convictions philosophiques de certaines citoyennes de ce pays sont plus fortes que tout.

Je vous prie de croire, Monsieur Le Ministre, en l’assurance de ma désapprobation distinguée.

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