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La soumission à Dieu est un acte de volonté libre

La dimension de l’amour

Seul Adam, « grumeau de sang coagulé » comme dit le Coran (40, 67), peut faire à Dieu l’offrande d’un amour en toute liberté. D’ailleurs, Dieu n’exige rien des simples d’esprit, car celui qui n’a pas la possibilité de choisir ne peut être considéré comme responsable. L’islam ne se réduit pas à la lettre, à une morale pratique, ni même à des préceptes rituels, mais ouvre avec des paraboles sur le mystère.

L’islam – au sens de soumission à Dieu – de l’humain, contrairement à celui des autres créatures, est un acte de volonté libre. Il n’est pas conformité passive, mais adhésion confiante, en réponse à l’Amour divin. Car Son Amour précède l’amour humain, et l’incite. « Sa Clémence précède Sa Rigueur », comme, selon la tradition, il est écrit sur le Trône divin, car « Dieu est plus proche de l’homme que sa veine jugulaire[1]  » (Coran 50, 16). Le thème de la liberté se noue à celui de l’Amour divin. Par cela, il se rattache au mystère des fins dernières de l’être.

Chaque dimension de l’être humain est régie par un ordre. Selon une parole qui est quelquefois attribuée au prophète Muhammad, prototype du modèle de l’accomplissement dans les trois dimensions humaines : « Ma Loi (shari’a) ce sont mes paroles ; ma Voie (tariqa) ce sont mes états spirituels ; ma Vérité (haqiqa), ce sont mes caractères nobles ». Il exprime ainsi les trois modalités de l’être en donnant pour chacune la règle qui lui correspond.

Le monde formel auquel appartient le corps est régi par sa Loi sacrée dont dépend son équilibreDans ce domaine, celui de la matérialité qui est liée à l’espace et au temps, l’ordre procède de l’enchaînement des causes secondes. L’âme dont le destin est de s’élever pour s’attacher à l’esprit peut suivre une voie de transformation ou tariqa. Mais le monde comporte un envers, une autre face. Dans cet au-delà des formes, le monde de l’esprit est le domaine de la haqiqa, la Connaissance. Ainsi, la vérité est cachée ou révélée selon ce que nous sommes capable de recevoir, de percevoir, en nous-mêmes, car le monde corporel est le reflet changeant d’une immuable réalité.

L’être humain fait un pont entre les deux mondes. Il occupe, de par sa position originelle, la place la plus élevée dans l’ordre de la création. Cette place se retrouve comme en miroir dans le monde manifesté, puisqu’il est le calife de Dieu sur la terre. Il est plus facile de se représenter les choses si l’on pense à l’état de veille et à celui du rêve. Les règles qui nous rendent compréhensible le monde disparaissent dans le rêve, pourtant il vient de nous. Dans notre sommeil, nous semblons fabriquer un monde incohérent ou merveilleux dans lequel est possible ce qui ne l’est pas à l’état de veille.

Quand nous nous réveillons, nous pensons que ce n’était pas réel, qu’il s’agissait d’une fantaisie de notre âme, une activité incontrôlée de notre cerveau. Mais quand nous dormons, où est la réalité ? Parfois, dans le rêve, il nous arrive de prendre conscience que nous dormons, et même de pouvoir sortir du rêve. Certains songes laissent une impression troublante de réalité. Ils restent en nous pour toujours, inscrits dans nos muscles et dans nos sens. Certains, renversant les habitudes mentales, disent que la vie est rêvée et que nous nous réveillerons lorsque nous mourrons. Nous sommes donc conscients qu’il existe un ordre des choses et que cet ordre est différent et nous échappe souvent dans le rêve. Ceci illustre l’existence d’autres états de conscience régis par d’autres lois.

L’esprit de la loi

La nuit et le jour, l’eau et le feu, le début et la fin, l’esprit et la lettre, l’intérieur et l’extérieur, le féminin et le masculin, la santé et la maladie, dans le monde créé tout est duel et aspire au retour à l’unité primordiale. Le corps définit une forme. Il établit une frontière entre l’intérieur et l’extérieur, il nous individualise, nous distingue les uns des autres, fait éclater en multitude l’unité de l’être. L’harmonie, la cohérence du monde reposent sur un ordre cosmique, une Loi divine qui, en islam, se nomme shari’a, c’est-à-dire « route ».

Elle est le chemin du corps, ce qui ordonne la nature et oriente le comportement, reflet extérieur d’une attitude intérieure. En tant que Loi révélée, la shari’a fixe des règles qui participent à l’ordre du monde et qui constituent une protection, une direction pour retrouver l’unité perdue. Etre une femme ou un homme est une contingence qui n’a de sens que dans ce déterminisme qu’implique l’état individuel, car cela constitue pour le voyage de l’âme un point de départ. En fait, toutes les âmes sont féminines et soupirent vers le seul principe qui est Dieu et ne voit que les cœurs, non les sexes.

Quand un homme ou une femme s’est anéanti en Dieu, il n’a plus d’existence propre. Comme les corps après la mort retournent à la poussière, les notions d’ « homme » et de « femme », liées à la fonction cosmique, disparaissent. Etre une femme ou un homme participe donc d’une prise de conscience de la forme qu’a prise l’âme, de ce qu’implique cet état, de ce qu’il permet et de ce qu’il empêche dans le monde de l’extériorité. Dans le monde de l’intériorité, celui de lahaqiqa, cette distinction n’a plus cours. Mais nous ne sommes pas de purs esprits. Ne pas tenir compte de son déterminisme sexuel coupe l’individu de sa nature formelle et le rend incapable de se connaître lui-même.

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Notre état corporel et l’ordre qui le régit sont un tremplin qui ne doit ni être dénié ni se transformer en boulet. « Occupez-vous de vous purifier, plutôt que de discuter sur la manière rituelle de monter une chamelle ! » disait une grande sainte de l’islam. La Loi divine est un moyen de parvenir à Dieu, une porte, pas un but et encore moins une obsession. L’imam Ghazali met en garde contre cette dangereuse confusion : « Ceux qui sont si érudits en certaines formes rares de divorce, ne peuvent rien vous dire à propos des choses les plus simples de la vie spirituelle, comme le sens de la sincérité en Dieu ou de la confiance en Lui ».

Le monde formel et la loi qui le régit sont un moyen, une épreuve aussi parfois car il faut supporter patiemment les limitations que cela impose. Il n’est pas question, bien entendu, d’axer la vie sur la science du licite et de l’illicite, mais de comprendre en toute humilité la miséricorde qui fonde l’esprit de la loi. Elle est le code de la route de notre existence physique. Le mot shari’a est l’équivalent du terme sanskrit dharma. Ces termes désignent, tout autant dans l’hindouisme que dans le bouddhisme ou l’islam, la Loi révélée, l’ordonnance prescrite à tous dans le monde formel, celui du corps et des actes.

C’est le chemin que suit chaque être humain dans sa quête de l’origine. L’univers est organisé selon un ordre mathématique, cette harmonie repose sur la loi et de ce fait, on peut dire que les atomes comme les corps célestes, tous sont soumis et obéissent à cette loi. Elle est l’ordre du monde, universelle elle s’adapte à toutes les cultures et à toutes les époques. Le plus sage est celui qui parvient à se conformer à l’ordre universel. Cette conformité est un acte de foi, preuve de la confiance en la raison cosmique. Elle n’est pas résignation, mais amour. Il ne faut pas la confondre, comme c’est souvent le cas, avec le fiqh, le droit musulman dont les règles sont le fruit d’une tentative d’interprétation humaine de la Loi divine, interprétation qui est plurielle, selon que l’on se rapporte à une école ou à une autre.

L’esprit de la shari’a est donc loin de cette ankylose qui fige depuis plusieurs siècles la pensée religieuse des musulmans, ou de ce qu’en disent les media. Dans la perspective d’un enseignement initiatique, elle est considérée à la fois comme le début et comme la fin de la voie initiatique. Au terme de la voie, le corps a réintégré sa forme originelle.

Le disciple doit être, comme disent les soufis, « intérieurement avec Dieu et extérieurement avec les hommes », réalisant ainsi en lui-même l’identité essentielle entre Créateur et créatures. La shari’a est la voie extérieure, celle duzâhir, mais elle trouve sa justification dans l’intérieur, le bâtin, comme le mouvement de notre corps trouve son origine dans le fond de notre âme. L’individu humain est dans l’obligation de partir du socle formel pour s’élever, d’abord dans les prolongements de cet état même, et puis bien au-delà.

Ainsi va l’ordre du monde, avec un extérieur et un intérieur, pour que nous connaissions Dieu sous ces deux aspects dont nous sommes nous mêmes dotés.

[1] Le terme arabe est souvent rendu par « veine » en référence à l’anatomie humaine. Mais la veine transporte du sang chargé d’impuretés. Certains traducteurs, pour exprimer cette présence lumineuse de Dieu en l’Homme, lui préfèrent donc le mot « artère ».

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