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La quête spirituelle de Diam’s et la diabolisation de l’islam

Certains ont cru voir une fanatique d’Al Qaeda sur TF1 le 30 septembre dernier, Didier Porte une sorte d’« adolescente attardée »…plutôt une simple quête spirituelle après une vie au bord du gouffre…

Dans les années 1970, les babas auraient adoré : la recherche d’une spiritualité hors des miroitements superficiels de l’argent roi et une volonté de dépouillement après des années de « bling bling ». Mais on a connu, depuis, l’islamophobie, entendue comme la stigmatisation discriminatoire des musulmans (et non la légitime critique des religions), avec tous les amalgames entre terrorisme, intégrismes et islam.

Didier Porte en général Custer ?

Ainsi nombre de réactions dans les médias et sur internet au livre de Mélanie Georgiades dite Diam’s, publié récemment aux éditions Don Quichotte sous le titre Diam’s, autobiographie, et à l’entretien de TF1(1) dessinent plutôt le portrait d’une monstruosité, qu’on va montrer du doigt comme au zoo (« Regardez comment ils sont ! », avec une pointe de tremblement dans la voix pour se faire un peu peur, entre voyeurisme, répulsion et sentiment de supériorité). Le camarade Didier Porte, dont j’apprécie habituellement les chroniques sur Mediapart (et avant sur France Inter), la joue moins dramatique. Il nous fait plutôt le coup du mépris misérabiliste au nom d’une bonne conscience antiraciste qui révèle cependant des côtés troubles : regardez cette « neuneu » qui fait le jeu des islamophobes avec son voile à la con(ne)(2) ! Car, pour celui qui s’est transformé – pour un temps seulement, espérons-le – en général Custer de l’humour franchouillard « de gôche », « un bon musulman est un musulman invisible » !

Certes, je me battrais pour que Didier Porte continue à avoir le droit d’exprimer une telle ironie acerbe sans pour autant être menacé de mort comme l’ami Charb. C’est ce que nous avons voulu dire avec Philippe Poutou il y a quelques temps en associant la lutte contre l’islamophobie à la défense du droit à la caricature de Charlie Hebdo(3). Certains ont vu alors en nous des « islamophobes » (à cause de l’appui à Charlie Hebdo) et d’autres des « islamistes » (à cause de la critique de l’islamophobie). Comme si c’était si difficile de prendre en compte deux facteurs face à ce type de problème, alors que nombre d’événements qui nous sollicitent présentent trois, quatre, cinq…arêtes ! Malheureusement, c’est le manichéisme et non pas les complications et les fragilités humaines qui ont le vent en poupe aujourd’hui dans les médias (jusque chez les critiques des médias eux-mêmes) et sur internet. Ce qui participe à l’actuelle décomposition intellectuelle des gauches, mais c’est une autre histoire(4)…

Á distance du climat islamophobe, la biographie de Diam’s peut être lue autrement et son entretien sur TF1 peut émouvoir, non pas sur un mode paternaliste un peu en surplomb mais dans une relation à égalité face au témoignage singulier d’une sœur humaine. Cet entretien m’a donc ému. Il faut dire que nous avons un goût commun avec Diam’s pour le personnage principal de Forrest Gump : un attrait pour la naïveté humaniste comme antidote aux séductions contemporaines du cynisme. Bref, le camarade Didier Porte pourra me rajouter aussi à sa liste de « neuneus »…

Bonheurs et souffrances d’une aventure dans le rap

La plus grande partie du livre de Diam’s raconte son parcours dans le rap et dans le showbiz. Les incertitudes de l’adolescence et l’absence du père sont au point de départ, avec une tentative de suicide à 15 ans. Toutefois, à travers les premiers contacts avec le  rap, s’ébauche très tôt une tentative de trouver du sens dans le brouillard. Mélanie Georgiades, née en 1980 à Chypre, devient Diam’s dès 1993. L’écriture se présente comme un bonheur inédit, les amitiés nourrissent, l’attente du succès concentre l’attention, les joies de la communion avec un public grandissant font battre le cœur, mais sans pour autant éteindre les fêlures internes. La célébrité atténue et en même temps attise les angoisses, dans des moments différents. La superficialité d’un milieu dont la rebellitude affichée cache mal la fascination pour l’argent la laisse même de plus en plus solitaire : « Dès que j’étais seule, et que je redevenais Mélanie, je ne pouvais que faire le constat de mon mal-être, de ma carence d’amour, de mon manque de repères ».

Cachets, dépression, séjours en clinique psychiatrique, nouvelle tentative de suicide… La vie de Mélanie, pourtant adulée sur scène, ressemble aux personnages de ses chansons les plus tristes : leur existence « ne tenait qu’à des branches trop fragiles comme la mienne ».

Les interrogations se précipitent alors : « J’avais, certes, mais qui étais-je ? Quel était le sens de ma vie ? Où était le bonheur ? La gloire ? Elle m’éblouissait. L’argent ? Je n’arrivais pas à le transformer en sérénité. » Elle aurait pu devenir une héroïne ordinaire de nos quêtes communes de sens…Mais la diabolisation actuelle de l’islam a largement fait écran à l’émotion et au partage des questionnements spirituels.

Spiritualité musulmane et sérénité (lecture d’un agnostique)

Des grands-parents maternels catholiques pratiquants, une éducation dans un rapport flou au christianisme, son histoire ne prédisposait pas Mélanie à la rencontre avec l’islam. Toutefois, dans les tempêtes intérieures, une expérience inopinée de prière l’apaise, puis la lecture du coran vient illuminer sa vie : « Je me sentais libérée de mes chaînes, de mes démons, de mes angoisses, de mes craintes ». Agnostique, je ne peux pas dire grand-chose des apaisements du religieux. Ayant mis entre parenthèses la question de dieu, je m’efforce de frayer des sentiers spirituels plus cahoteux et incertains hors des religions et des divers absolus (y compris anti-religieux et laïcs). Mais je ne ressens pas le besoin de salir
et de crétiniser les chemins pris par d’autres. Si la spiritualité, c’est-à-dire l’interrogation sur le sens et les valeurs de l’existence humaine et plus largement du monde, n’appartient pas aux croyants, ils en constituent historiquement une modalité importante.

Le rapport à l’islam de Mélanie est tout à la fois inscrit dans la consolidation de son individualité et dans l’ouverture aux autres. Le rapport au religieux apparaît bien fortement individualisé : « la première fois que j’ai prié seule a été un grand jour, j’étais heureuse et fière de moi », « prier, se recueillir et lire la parole de Dieu : me voilà seule avec mon Seigneur », « Moi et Lui, c’était tout »…Tout en stimulant un certain goût des autres : de la convivialité lors de la rupture du jeûne pendant le ramadan à l’implication dans le projet humanitaire Big Up Project pour les enfants d’Afrique orphelins.

Le voile ? « Le fruit d’une réflexion personnelle, intime et mûrie, le fruit de mes lectures et de mes convictions ». Un certain besoin de ressourcement personnel comme d’humilité après les années de starisation et de valorisation de l’avoir. Point ici de contrainte patriarcale directe, ni de contrainte collective indirecte. Pas de discours sur la subordination de la femme. Pas de construction politique islamiste, non plus, ni d’hostilité à l’égard de l’incroyance, des autres religions ou de la laïcité. Certes Diam’s n’aborde pas la question des origines historiques discriminatoires du voile vis-à-vis des femmes par rapport aux hommes dans les diverses religions.

Pourquoi ce qu’elle appelle « la pudeur » appartiendrait-elle par « nature » aux femmes et non aux hommes ? La question n’est pas posée par elle, mais aujourd’hui des féministes musulmanes, voilées ou non voilées, s’interrogent et réfléchissent à des lectures non discriminatoires des voiles et autres foulards. La question est en tout cas ouverte et ne peut pas être définitivement tranchée par le stéréotype essentialiste de « la femme soumise ». Bien au-delà du traitement de l’islam et du voile, l’essentialisme, c’est-à-dire la tentation de la réduction de réalités sociales composites et contradictoires à des « essences » homogènes et stables, constitue d’ailleurs une des pathologies les plus vivaces contribuant à plonger actuellement les gauches dans un coma intellectuel profond(4).

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Loin des clichés et des stéréotypes en cours, n’a-t-on pas affaire simplement là à la manière personnelle d’une sœur humaine de réagir aux tourmentes du sens, en stabilisant une sérénité bienfaisante ? Certes, comme souvent dans les rapports avec des absolus (les absolus religieux ou athées), il y a un risque que le libre-arbitre personnel finisse par abdiquer devant les prophètes des dits absolus. Mais ce n’est pas un risque plus grand chez Diam’s ou chez les musulmans en général que chez les catholiques, les juifs ou… les communistes. Il n’y a peut-être pas d’aventures humaines sans chausse-trappes, mais peut-on se passer pour cette raison de la quête spirituelle ?

Mélanie Georgiades : Diam’s, autobiographie, éditions Don Quichotte, 309 p., 19,90 euros *

  

 

* Sur le Big Up Project, la Fondation pour les enfants d’Afrique lancée par Mélanie Georgiades/Diam’s, voir ici

 

Notes :

(1) « Diam’s, une autre vie », entretien avec Thierry Demaizière, émission « Sept à huit », TF1, dimanche 30 septembre 2012, voir la version intégrale ici

(2) Didier Porte : « Diam’s dans sa robe de bure », Mediapart, 1er octobre 2012

(3) « Contre l’islamophobie, pour le droit à la caricature de Charlie Hebdo », communiqué de Philippe Corcuff et Philippe Poutou, 20 septembre 2012

(4) Voir Philippe Corcuff, La gauche est-elle en état de mort cérébrale ?, éditions Textuel, collection « Petite Encyclopédie Critique », 80 p., octobre 2012 ; et à propos du livre l’entretien avec Mathieu Deslandes, Rue 89, 4 octobre 2012

Blog Mediapart

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