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La burqa, une « cinquième colonne » ?

AURANGABAD, MAHARASHTRA, INDIA - 2013/11/28: A portrait of a young muslim woman, covering her face by a black veil, hijab, and visiting the Bibi-ka-maqbara, built in 1660 by Aurangzeb in memory of his first wife, Dilras Banu Begam. (Photo by Frank Bienewald/LightRocket via Getty Images)

Pourquoi faudrait-il absolument légiférer, ici et maintenant, sur le port de la « burqa » en France ? Vu qu’il y a davantage de députés dans l’hémicycle que d’adeptes de la burqa sur le territoire, on peut se le demander. Il va de soi que chacun est libre d’avoir une opinion sur cette pratique vestimentaire. A titre personnel, je la trouve particulièrement déplaisante et rétrograde. Qu’elle témoigne d’une relation entre hommes et femmes à l’opposé des valeurs égalitaires est une évidence.

Mais la liberté de choisir son mode de vie vaut-elle seulement pour ceux dont nous partageons les idées ou les pratiques ? On ne demande à personne d’approuver le port de la burqa, d’en apprécier l’esthétique ou d’en partager la dimension spirituelle. Evoquer pour le flétrir aussitôt le relativisme culturel qui dicterait ici notre tolérance à l’égard de cette tenue vestimentaire n’a aucun sens. Car il s’agit de savoir si l’on doit interdire ou pas une pratique, et non de dire si elle est à notre goût ou pas.

Occultée par le commentaire dominant, la vraie question, en effet, est la suivante : de quel droit allons-nous interdire, proscrire, frapper d’illégalité une pratique vestimentaire en raison de sa signification culturelle ? Pourquoi légiférer contre cet usage purement privé dès lors qu’il échappe, en toute rigueur laïque, à la sphère de la loi ? L’Etat républicain doit-il interférer dans les débats théologiques sur les signes extérieurs de la foi ? A-t-il aussi l’intention de légiférer contre la robe de bure des franciscains et les papillottes des juifs orthodoxes ?

L’interdiction du foulard islamique à l’école se fondait prétendument sur l’exigence de neutralité de l’espace public. Mais cette exigence vaudra-t-elle pour le port de la burqa dans la rue, à Prisunic, au salon de thé ?

Le discours prohibitionniste s’empêtre dans la contradiction en voulant interdire au nom de la liberté une pratique nullement préjudiciable à la liberté d’autrui. Pour tenter d’en sortir, il sort alors son joker : en interdisant cette tenue dégradante, il s’agirait de libérer des femmes qui sont opprimées par leurs semblables de sexe masculin. Car on nous le répète sur tous les tons : ces femmes sont des victimes. Comment le sait-on ? Qu’en pensent-elles ? On serait sans doute surpris de certaines réponses à des questions qu’on se garde bien de leur poser. On rétorquera que le poids de la tradition est tel qu’il façonne les comportements. C’est vrai. Et c’est pourquoi il est vain d’interdire légalement une pratique traditionnelle à laquelle une communauté est attachée, au risque de produire l’effet inverse.

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Si l’argument prohibitionniste est fondé (« les femmes qui portent la burqa en France sont contraintes de le faire par leur entourage »), ce déni de liberté est d’ores et déjà passible des tribunaux. A quoi bon une nouvelle loi ? Interdire cette pratique au motif qu’elle est imposée par la force serait légitime si on avait la certitude qu’elle l’est toujours. Mais est-ce le cas ? Evidemment non. En légiférant contre une tenue vestimentaire, on la décrète illégale comme telle, et non parce que l’entourage l’impose à l’intéressée. On veut donc dénier à celles qui l’ont adoptée librement le droit de le faire. Au nom de quoi ? Du trouble à l’ordre public ? Non. De l’offense causée à autrui ? Non. Pour émanciper ces femmes contre leur gré, pour les libérer d’elles-mêmes ? C’est absurde, et c’est pourtant le principal argument en faveur de la prohibition.

Mais derrière cette sollicitude pour les femmes opprimées, il s’agit surtout, on s’en doute, de faire le procès du fondamentalisme islamique. On connait déjà cette antienne : les femmes voilées seraient la cinquième colonne de l’internationale jihadiste ! En effaçant la burqa du paysage hexagonal, on s’imagine participer au combat planétaire contre l’hydre islamiste. Les yeux ouverts, on rêve d’exercer une prophylaxie qui aura pour vertu d’arrêter net la contagion. Mais lutter contre la burqa en l’interdisant sera-t-il plus efficace que lutter contre les talibans en bombardant des villages ? Est-ce un hasard si parmi les co-signataires de la proposition de M. Gerin figure le gratin du néo-conservatisme à la française ? Les mêmes qui s’imaginaient qu’on allait libérer la femme afghane en utilisant les B 52 !

Pour conjurer la menace qui plane, ces experts en propagande misent sur l’effet symbolique : il s’agit de brûler, d’immoler ici, chez nous, un attribut détesté de l’ennemi universel. André Gerin explique par exemple dans Libération (18 juin 2009) qu’ « on ne peut pas se contenter de tenir de beaux discours sur la liberté et les droits de l’homme en Iran et en Afghanistan » et qu’on doit agir ici même : « il faut, dit-il, balayer devant sa porte ». Balayer ? L’image n’est pas anodine. Faut-il balayer la burqa comme une saleté, une impureté qui contamine la population française ? Le registre prophylactique, comme de raison, complète le registre guerrier. Car si l’on comprend bien, il y a urgence à importer le conflit afghan sur notre sol. L’ennemi y rôde déjà, il prolifère : derrière chaque burqa ne se cache-t-il pas un taliban ?

André Gerin, dans la même interview, avoue qu’il ignore combien de femmes portent la burqa en France. Mais peu importe, puisque la perception de la menace compte davantage que sa réalité. Le sort des femmes en burqa a-t-il autant d’importance, d’ailleurs, que le regard porté sur elles par la majorité de la population française ? Et, au-delà, sur cet islam radical perpétuellement présenté comme une menace vitale ? « Le spectacle de la burqa nous blesse, nous heurte, nous révulse : supprimons-le, balayons ce qui fait tache, effaçons de notre champ de vision cet étendard du jihadisme », tel est en substance le message subliminal adressé à l’opinion française. Tout se passe comme si la visibilité de la différence culturelle, désormais intolérable, exigeait sa suppression physique. Comme s’il fallait évacuer cette ignominie pour connaître la triple satisfaction de rester entre soi, d’enrayer la contagion du mal et de soulager sa conscience en volant au secours des victimes.

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