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Il faut sauver le soldat décolonial. Message (critique) à nos amis du mouvement

En France, la majorité des musulmans ne sait pas qu’il y a en leur sein des hommes et des femmes se revendiquant décoloniaux. Alors pour ceux qui auraient raté un ou plusieurs épisodes, un décolonial c’est quelqu’un qui adhère à l’idée que chaque peuple est libre de disposer de lui-même, ce qui suppose que les impérialismes, tous les impérialismes, soient un poison pour les cultures humaines.

Jusque-là, on peut dire qu’il y a en chacun de nous un décolonial. Mais nous constatons qu’il y a, en Occident, une posture décoloniale qui se trouve à l’intersection d’autres combats sociétaux n’ayant pas de lien entre eux et que certains idéologues vont tenter de forcer leur convergence, quitte à se retrouver dans d’insolubles contradictions ; et en ce sens, ils sont semblables à cet enfant qui essaie obstinément de mettre un carré dans un rond.

Personne ne parle de nulle part, chacun d’entre nous étant pétri par une multitude d’influences. Les décoloniaux ne font pas exception. Je rappelle, encore, que les théologiens musulmans d’Occident doivent être sensibles aux idées de notre temps, sans discrimination aucune, tout en ayant un critérium qui leur permet de distinguer les errances de la juste compréhension.

Les hommes du Seigneur (Rabbanyounes) de l’Islam trahissent le Coran et l’enseignement du Prophète (ç) s’ils ne vont pas à l’assaut des courants de pensée, alors que l’on sait depuis toujours que ce sont les idées qui gouvernent le monde. Auquel cas, ce verset s’appliquera à eux de manière implacable :

« Ô Seigneur pourquoi me ressuscites-Tu aveugle alors que je voyais sur terre ? ».

Rappelons néanmoins, que si penser est à la portée de tous, pour autant, cela ne va pas de soi, car cela demande un réel effort personnel, surtout si nous voulons penser sincèrement et en dehors de la pression du collectif.

Les décoloniaux ont une « qibla » mentale (un sens unique) : les rapports sociaux et les forces qui les sous-tendent. Hors des rapports sociaux, il n’y a point de salut. La question de la doctrine (le Vrai), de la morale (le Bien) et de l’esthétique (la beauté qui se surajoute à la foi) leur échappent ou pour le dire autrement, la pensée décoloniale ne possède pas de métaphysique. La métaphysique, et le musulman avec, affirment que l’homme ne peut s’enfermer dans l’expérience donnée, ils s’opposent absolument à l’empirisme et au matérialisme.

Certains décoloniaux français et musulmans se retrouvent étrangement dans la lignée de Sartre, qui est un de leurs maîtres (parfois malgré eux), en s’enfermant dans un empirisme radical alors que dans la perspective islamique l’expérience est insuffisante. Pour Sartre, l’être est un néant, une notion abstraite, forgée par la pensée théologique pour permettre une permanence et donc un salut après la mort.

Mais, nous avons le grand Mollah Sadra, complètement inconnu des sunnites (parce que Chiite) qui, avant Sartre déjà, avait dénoncé cette notion de l’être comme substance permanente et stable, pour lui préférer la notion d’acte d’être.

Ce charabia philosophique pour le commun des musulmans (mais pas que) semble lointain et ne pas le concerner. Fatale erreur ! Dit autrement, ce qu’a avancé Mollah Sadra qui, rappelons-le, se revendique comme disciple d’Ibn Arabi (sunnite), c’est l’affirmation que tu n’es pas homme tout le temps ni même musulman, mais que tu es plus ou moins homme et/ou plus ou moins musulman.

Ton humanité comme ton islamité tu dois aller la conquérir, c’est un combat de chaque instant ; au passage, l’imam te ment en te rassurant sur la permanence de ton islamité grâce à la gestuelle de tes cinq prières par jour. La validité de ta prière n’en fait pas sa valeur auprès de Dieu. Mais alors, comment aller à la conquête de mon humanité/islamité ?

En agissant éthiquement et au service de l’Un (Allah). Pour Sartre, l’homme advient pour finir dans le néant, alors que pour Mollah Sadra, l’homme ne peut advenir qu’en étant dans la plénitude malgré sa finitude. Sartre était un « métaphysicien » du et pour le néant (qui lui aussi est un concept théologique irréel) et que seule sa fin lui a montré qu’il avait tort.

Malheureusement, les décoloniaux musulmans ont moins que Sartre lui-même : ils n’ont pas de métaphysique. Et sans métaphysique, nos frères et sœurs décoloniaux sont condamnés à errer dans l’empirisme appauvrissant les consciences et à ne jamais trouver le chemin de la « Houria » (la « liberté » en arabe).

L’armature idéelle des décoloniaux touche un spectre large et son noyau nucléaire reste la critique sociale. Nos décoloniaux, volontiers indigénistes, bien que presque tous nés en France, échangent autour de la race, la blanchité, le racisme, les racisés, l’intégrationnisme, etc. Des notions totalement étrangères au paysage mental du musulman pour qui le Prophète (ç) avait prévenu comme pour nous en préserver :

« Sachez qu’il n’y a aucune différence entre un arabe et un non arabe. Il n’y a pas de différence non plus entre un blanc et un noir, si ce n’est par la piété », reprenant le verset de la 49ème sourate : « le plus noble auprès de Dieu est celui qui est le plus pieux ».

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Alors on nous dira, mais la critique sociale du racisme et d’une forme de suprémacisme de la blanchité s’inscrit dans une perspective d’égalité parmi les hommes. Cela s’entend, mais le propos du Prophète (ç) insiste sur le fait que les rapports sociaux sont circonscrits dans un ordre éthique.

Alors nos frères et sœurs décoloniaux nous affirmeront qu’ils ne font qu’un diagnostic de la société telle qu’elle est. Le racisme est un fait depuis l’origine de l’humanité, il ne suffit pas de le dénoncer avec des concepts sociologiques mais de faire une révolution intérieure pour éviter qu’il se propage. Les méandres des concepts nous éloignent de la vie.

Par ailleurs, dans la perspective islamique, l’éthique est le noyau nucléaire des sociétés traditionnelles structurées par un ordre moral. Le champ mental du musulman étant moral et métaphysique, il fait appel à des notions telles que la fraternité humaine, la conscience, l’âme, le salut, la connaissance, l’action éthique et notre « acte-d’être-dans-le-monde ».

La critique sociale qui est une création purement européenne est inexistante dans l’inconscient collectif musulman. En fait, les indigènes structurés par la critique sociale, sont au cœur de la blanchité qui leur a donné les outils émanant de la « sociologie-blanche », et leurs références sont exclusivement autochtones.

S’ils nous citent Abdelmalek Sayad, un pur élève de Bourdieu, un « blanc » selon les termes des décoloniaux. Enfermé dans le spectre de la sociologie, Sayad se trompe lorsqu’il affirme qu’« exister c’est exister politiquement », car ce qui sous-tend toute de chose c’est la vie, et ainsi, au préalable, exister c’est exister spirituellement. Il n’est pas juste de dire que la souffrance générée par l’émigration à un impact sur les rapports au pouvoir, elle a surtout un impact sur la psyché et la vie intérieure de l’émigré qui aura des conséquences sur l’éducation et les comportements des générations suivantes.

Le scientisme positiviste du marxisme, qui n’a été qu’un « ensemble des contresens qui ont été faits sur Marx », comme l’a si bien énoncé Michel Henry dans son 1er tome sur Marx, nie la subjectivité au profit de la structure, quand l’Islam affirme, au contraire, la subjectivité vivante contre le collectivisme, la structure et l’ordre polythéiste. Sa critique rejoint la nôtre lorsqu’il analyse la notion de « praxis » qui, selon nous, procède de la vie, et qu’il affirme que toute l’œuvre de Marx a été de dénoncer l’aliénation de la vie au profit de la cupidité et de la férocité d’un capitalisme aveugle, qui finira par mourir un jour.

Les décoloniaux ont été pris à leur propre jeu : leur intellectualisme matérialiste étouffe la vie et les en éloigne. La théorie ne sera jamais la vie, dont elle émane en vérité ; de l’inférieur ne peut advenir le supérieur disait René Guénon. C’est pour cela que notre maître Iqbal avait dit que le Coran, qui lance un appel à revivre constamment, met l’accent davantage sur l’action que sur la pensée.

L’Islam minore la discipline qui enseigne les rapports sociaux et axe son travail sur les consciences dans ce que la phénoménologie appelle l’intersubjectivité. Autrement dit, les consciences partagent un patrimoine métaphysique commun et peuvent le reconnaître et se reconnaître grâce à lui.

Bref, pour l’Islam, les sciences sociales, nées au début du 20ème siècle, resteront des outils mineurs offrant une cartographie d’un groupe social, mais n’aideront personne à « faire son travail d’homme et en faisant, à se faire ». Or le but d’une religion est la transformation des individus et comme l’a si bien vu al Farabi, l’éthique islamique prépare à la cité des philosophes.

Dans son ouvrage, « Conformisme et révolution, esquisse d’une psychologie religieuse », le penseur turc Nurretin Ahmet Tôpçu, lorsqu’il traite de la question de la révolution, comme retour au point d’origine, rappelle que « Stirner, Rousseau et Schopenhauer n’étaient pas de vrais révoltés. Car ils se sont, en vérité, niés eux-mêmes avec l’ordre qu’ils ont voulu nier seulement (…). Nous reconnaissons chez le mystique (Hallaj) un véritable révolté dont la personne implique à la fois un anarchiste et un conformiste. L’affirmation de son insuffisance en effet, et l’appel à une puissance transformatrice dans l’action implique un anarchisme. L’attitude de l’homme à l’égard de cette puissance sollicitée est la marque authentique d’un conformisme. L’homme de la révolte devient, en quelque sorte, un intermédiaire entre l’humanité et la divinité ».

Tout est dit. Ce qui manque à nos frères et nos sœurs décoloniaux c’est cette métaphysique, qu’ils ont pourtant (en puissance) dans leur patrimoine spirituel, et l’exemple de vrais révoltés.

Les sciences sociales font naître (parfois) des simagrées et (souvent) des révoltés de salon. Nos décoloniaux indigénistes ne possèdent pas cette « logique des orientaux ». Ils sont de purs produits de la modernité « blanche », qu’ils sont censés dénoncer en la déconstruisant. Il ne faut pas avoir un « homme déconstruit », mais un « décolonial déconstruit ». Il faut sauver le soldat décolonial… du fantôme qu’est le matérialisme positiviste marxiste.

 

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4 commentaires

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  1. Bonjour Salam Hakim
    Je partage l’essentiel de ce qui est dit. Merci.
    C’est une lecture lucide des décoloniaux qui ont une double amnésie; celle de nier la mémoire des uns pour qe concentrer sur la mémoire des “dominés ” (sachant que les dominés d’un jour sont les dominants de demain) et effectivement de ne pas aller au delà des superstructures pour reprendre Marx.
    Je serai beaucoup plus réservé sur les soubassements de la marche du monde. Marx n’ a pas tort quand il fait une analyse des rapports de forces pour établir la hiérarchie dans les rapports humains en se focalisant sur la propriété des moyens mais il a tort de négliger les monde des idées. Pour en faire une synthèse je pense qu’à très long terme les idées forgent notre monde intérieur et extérieur et à hauteur de vie humaine c’est les rapports de forces et la dimension économique qui orientent la.vie économique, sociale et politique.

  2. Bonjour Leroy,

    Le référendum idéal, pour être vraiment un peuple libre, serait autour de la question de la souveraineté davantage qu’autour de l’immigration… Par ailleurs, le déclassement de la France sur le plan industriel, social et économique, génère de la frustration et du ressentiment au sein de la classe moyenne déclassée, et les peuples appauvris cherchent des coupables faciles (on l’a vu en Tunisie). La guerre des pauvres appauvrira davantage une nation en décroissance comme la France. Il faut avoir le sens de la mesure et des priorités.

    Cdt
    Hakim FEDAOUI

  3. “un décolonial, c’est quelqu’un qui adhère à l’idée que chaque peuple est libre de disposer de lui-même”

    C’est exactement ce qui nous arrive en France. Pourquoi pas un référendum auprès du peuple français, pour décider de son avenir face à une immigration massive de peuplement, devenue incontrôlable, alimentée par des populations très éloignées de nos moeurs et coutumes ?

    Si nous voulons rester français. Tant qu’il en est encore temps ?

    • Leroy@
      L’etat Français a toujours été contre le référendum, pour des raisons strategiques, et je ne pense pas que la France profonde veut ce que vous , vous voulez.

      Pour vous, l’immigration est un poids.
      Pour la France officielle, c’est une monnaie d’échange, tu me donne, je te donne.

      Je deteste la France officielle, logiquement l’immigration devrait etre en sens inverse.

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