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Extraits du livre : « L’âne, le puits et le musulman »

Quel temps de chien ! Pourtant le pauvre animal n’y est pour rien. Disons d’emblée que l’Homme n’est pas destiné à la folie pas plus qu’à la bêtise. Le romantisme traduira l’expérience humaine sous la forme d’une conscience malheureuse, nous dirons quant à nous, comme Georges Bastide, que la vie humaine « est tout à la fois l’expérience de l’échec, celle de l’erreur et celle de la faute » car « l’homme qui croyait se libérer s’apercevra qu’il n’a fait que s’aliéner ; lui qui espérait régner sur le monde, il s’apercevra qu’il s’y enchaîne comme un esclave volontaire… ».

Par conséquent, l’homme portera ce sentiment de la faute. Et reconnaissons, qu’en ce moment partout autour de nous l’ambiance n’est pas « au beau fixe ». Un bref tour d’horizon et nous voyons très vite que sur le plan économique « ça craint », que sur le plan écologique « ça craint grave », de même sur le plan géopolitique, de la politique intérieure mais aussi, et surtout, sur le plan social. Il n’y a presque plus de lieu pour trouver quelques instants de repos. Bref ! Il y a un nuage grisâtre et menaçant au-dessus de l’humanité voilà maintenant plusieurs décennies.

Par ailleurs, de grands philosophes d’horizons divers, depuis l’aube de la philosophie, c’est-à-dire avant même le déluge, ont formulé une proposition à la fois simple et radicale, à savoir que « seul l’homme est en crise et qu’il est donc, la cause des causes et ce pour le meilleur comme pour le pire » avec une intuition profonde, à savoir qu’un rayon de soleil sera toujours là pour percer les nuages menaçants ; il apparaîtra ainsi, toujours une minuscule mais réelle espérance chez l’Homme.

Comme le rappelait le philosophe Michel Henry, la vie saura toujours se frayer un chemin malgré les grandes barbaries. Au milieu de ce moment « déprimant » il y a donc, quand même une bonne nouvelle : si l’homme en crise guérit, eh bien, le reste devrait suivre. Bonne nouvelle certes ! Mais encore faut-il (re)connaître son mal et savoir quels remèdes apporter à sa guérison ? Cela étant dit, et le contexte général (légèrement merdique comme dirait l’autre) ayant été posé, on peut commencer à faire une première entrée en matière. « Il faut aller aux choses mêmes » disait Husserl !

Aussi, je tiens à préciser d’entrée de jeu que notre propos se focalisera sur la religion musulmane à travers ses multiples facettes. Il ne s’agira pas de l’Islam comme fait sociologique, la psyché qui anime l’être-musulman comme « animal » social, ne nous intéresse pas vraiment pour dire les choses sincèrement. C’est pourquoi certains sujets, comme l’Islam de France, ne nous concernent pas car ils sont en dehors de notre champ d’analyse. À la rigueur, nous essaierons de savoir pourquoi beaucoup parmi nous n’arrivent plus à incarner cette immense tradition et à se reconvertir ?

Mais vraiment, en premier lieu, ce qui nous passionne c’est l’Islam comme réalité et puissance spirituelles ; c’est son efficacité intrinsèque qui nous occupe avant tout, mais également, son articulation avec les multiples mouvements qui sous-tendent les sociétés humaines. Nous précisons qu’il ne s’agit ni d’une pensée théologique ni même apologétique, juste d’un ensemble de questionnements pour tenter de comprendre un certain désarroi, tout en ayant la force de penser contre soi-même, ce qui est très difficile.

Rappelons que sur l’Islam, son histoire, sa réalité et ses perspectives, il y a les initiés et …il y a les autres. La raison principale de ce décalage est simple à expliquer : lire, encore et toujours lire, des dizaines voire des centaines de livres à l’heure du temps qui file, des éditos et des « tutos », ça « soûle » de plus en plus de monde. Ce monde digitalisé n’est pas encore prêt à penser, mais bien plutôt disponible pour le « prêt-à-penser ». On peut le regretter mais c’est ainsi et ce, jusqu’à ce que l’homme revienne à lui. Cela me fait penser à cet adage africain qui affirme que « les Européens ont tous des montres mais qu’ils n’ont jamais le temps » ; ce temps qui nous asservit au point de ne jamais avoir le temps de le voir passer.

Silencieux, furtif et dévoreur de nos consciences oublieuses, il ne nous permet plus de vivre à notre rythme, autrement dit, de vivre, osons le terme, spirituellement. Seule une réconciliation avec soi-même d’abord puis avec tout le règne du vivant, nous permettra de revenir à une vie réelle qui nous aidera à voir « ce » temps dévoreur qui passe.

C’est pourquoi nous souhaiterions offrir ce que nous avons compris des problèmes qui nous « préoccupent » au plus grand nombre, faire acte de générosité sans volonté de sermonner quiconque ; l’objectif étant, humblement, de traiter de l’Islam, autant son message essentiel que ses finalités, en tentant d’expliciter sa vraie réalité ainsi que son intention première et, accessoirement, de nous faire gagner du temps pour le consacrer ailleurs, en évitant la lecture de centaines d’ouvrages sur le sujet à l’heure de l’instantanéité dispersive.

Pour revenir à notre étrange époque, je tiens à préciser que « le » musulman, lui-même, n’échappe pas à ce nuage sinistre qui plane au-dessus de nos têtes. Il ne suffit pas d’allumer la télé pour le voir. Comme témoin, certes auto-proclamé, je le constate chaque jour et ce, en côtoyant la communauté musulmane française depuis presque toujours et qui, j’en profite pour le dire, est la moins armée spirituellement en Europe. Bref ! Il s’agira d’aider une génération « Gafamisée », et à la compréhension morcelée (mais pas seulement !), qui s’affirme le plus souvent, être de culture musulmane, souvent par réflexe, sans trop savoir ce que cela implique sur le plan moral.

Je rappelle au passage, que l’exigence morale coranique a donné le soufisme, c’est dire la rigueur et le niveau qu’il faut atteindre, c’est dire également, la discipline personnelle que cela demande. Chez beaucoup trop de nos contemporains, malheureusement, il y a de tout sauf de l’éthique consciente, vécue et assumée.

Par ailleurs, j’ai toujours été troublé de voir que dans nos sociétés des réseaux que se veulent « sociaux », de la communication, des algorithmes hyper-puissants et de l’information en continue, il y ait toujours autant de méconnaissance sur des réalités ou des phénomènes qui sont là parmi nous depuis des centaines d’années. La religion la plus médiatisée au monde (on est tous d’accord quand même pour dire que c’est l’Islam ?) est aussi paradoxalement la moins connue. Parfois même, par les musulmans eux-mêmes qui, pour le dire franchement, ne jouent pas le jeu du message coranique voire, agissent et rament trop souvent à « contre-Coran ».

On nous a enseigné à l’école, qu’Aristote (un grec qui aimait les têtes bien faites) avait écrit un livre à son fils « la morale à Nicomaque » pour lui laisser un témoignage sur le critère de la bonne action. Eh bien, si l’on veut faire une relative comparaison (je sais « comparaison n’est pas raison » mais parfois ça nous aide à comprendre) pour expliquer ce qu’est le cœur de l’Islam et le message du Coran, nous dirions que c’est exclusivement « une morale à celui qui cherche une vie psychiquement saine et socialement harmonieuse ».

Le Coran n’aime pas la tergiversation et les hésitations ainsi que le double, triple et quadruple discours et donnerait ainsi, tort à nos imams médiatiques (ou non), qui semblent de plus en plus tergiverser et se diluer dans l’absolue conformité. Le Coran oppose à l’obscurité du faux (dhouloumate), qui empêche d’avancer et de se libérer de nos asservissements, la lumière de la vérité (nur al haqq), forte et éclairante. Le combat éternel sera toujours entre le véridique au service du juste et le menteur au service du vice, tout le reste n’est qu’une supercherie. Faut-il dès lors ne pas se demander s’il n’y aurait pas « après le musulman, l’Islam » comme il y a toujours eu « après la pluie, le beau temps » ? Étrange dirons certains ? Faut-il qu’il n’y ait plus de musulmans pour qu’il y ait l’avènement de l’Islam ?

Ça n’a pas de sens, nous sommes d’accord. Cependant, il faudra qu’il y ait la disparition d’un certain type de musulmans, ou plutôt d’une certaine psychologie, pour que renaisse l’Islam matinal. Après tout, une religion précède toujours les hommes ! Non ? Oui, répondront certains. Et l’Islam, comme toute religion, est bien en amont constitutif de la conscience musulmane ; cette conscience, qui est censée incarner le message de cette grande tradition spirituelle. Là-dessus, tout le monde est d’accord.

D’ailleurs, des hommes qui ont incarné et vérifié l’efficacité de l’Islam il y en a à la pelle : Rumi, Ibn Arabi, Hallaj, Ghazali pour ne citer que ceux que l’Occident connaît. Mais, dès lors que le musulman s’éloigne toujours un peu plus du message essentiel du Coran – c’est un fait que nous essayerons de démontrer dans ce livre – ils deviennent nécessairement l’un et l’autre comme deux droites parallèles qui ne se rencontrent pas.

De plus, ce même Coran est cadenassé et encombré par d’innombrables commentaires parfois contradictoires, s’étalant sur une période de 1500 ans, il est donc urgent de tenter de revenir au message même autant que faire se peut. Attention ! Il ne s’agit pas ici de « bazarder » notre patrimoine spirituel et intellectuel, qui a encore des choses à nous dire.

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Il s’agit seulement d’avoir la lucidité nécessaire pour distinguer le bon grain de l’ivraie ; et si certains commentaires furent efficaces dans l’environnement et le moment historiques où ils ont été élaborés, force est de constater qu’ils atteignent en 2021 une limite qui les rend inopérants.

De plus, les dernières découvertes sur le style du discours coraniques impressionnent, car ils détruisent certaines idées tenaces construites par les écoles théologiques musulmanes et surtout la caste des jurisconsultes (fuqaha), puissante et intimidante encore aujourd’hui. Il semble que les sourates soient structurées sous la forme d’un étoilement. Si ce fait est avéré (des recherches récentes sont en cours), cela suppose que nous devons observer le Coran comme on observe le Ciel ; chaque étoile, représentant symboliquement chaque verset, a son propre scintillement, mais si l’on veut admirer la voûte céleste, c’est l’ensemble des étoiles qu’il faut regarder.

D’ailleurs, une analyse seulement linéaire c’est-à-dire, verset par verset, parait proprement impossible pour certaines sourates ; un des exemples les plus frappants est la sourate Al Isra (le voyage nocturne) qui ne peut tout simplement pas être commentée verset par verset, tellement elle semble, apparemment, désarticulée.

Un exemple concret pour nos lecteurs : la pleine compréhension de ce que l’on appelle « nafs » (l’âme ou la vie consciente),  se retrouve dans trois sourates différentes éparpillées dans le Coran, Joseph (l’âme qui manigance pour faire le mal), la Résurrection (l’âme honteuse et pleine de remords) et l’Aube (l’âme pacifiée), ce qui démontre bien que je ne dois pas regarder qu’une seule étoile (un seul verset) mais bien plutôt, l’ensemble des étoiles qui composent le ciel (le Coran); d’ailleurs c’est dans cet ordre que le Coran en parle, comme pour signifier que la progression religieuse se fait dans ce sens, et une fois que l’âme est pacifiée, c’est la renaissance puisqu’Il en parle dans la sourate qui porte le nom de l’Aube.

C’est pour ça qu’il nous apparaît fondamental de dépasser les prismes déformants qu’offrent beaucoup trop de musulmans contemporains, relayés par des médias hostiles, et qui malheureusement, dévoient trop souvent, sans vraiment s’en rendre compte parfois, le sens du message coranique. Cela peut paraître étrange, mais il arrive que l’on soit sincère dans sa bêtise, c’est ce qu’on appelle l’aveuglement.

Mais alors ? Pourrions-nous un jour, par-delà les sombres nuages, retrouver le soleil perdu ? Rien n’est moins sûr, mais l’on doit l’espérer ; l’espérance en la réalisation de l’homme comme un être moralement accompli, c’est-à-dire libéré de toutes les formes d’asservissement qui le rapetissent, est une obligation coranique : « Seuls ceux qui ne croient pas en Dieu, désespèrent de son souffle apaisant » (Coran 12, 87). En tout cas, ce qui apparaît au grand jour c’est que l’Islam matinal, à la fois léger et rafraîchissant, est le seul capable de nous offrir une alternative et de s’opposer frontalement à l’Islam infernal à la fois brûlant et pesant, incarné par nos nombreux fossoyeurs qui menacent la communauté musulmane française de désagrégation.

À l’inverse, nous ne pouvons nous dispenser d’engager un travail de fond, une enquête, qui nous aidera à comprendre la psychologie du musulman moderne ; engager en quelque sorte, une généalogie de cette psychologie qui est à rebours de l’âme pacifiée et qui, il faut le dire, est malade. Et pourtant ! C’est elle qui structure la croyance du musulman moderne ; ce travail est donc un devoir car trop souvent nous nous demandons comme beaucoup d’autres : comment en sommes-nous arrivés là ?

Et cette question nous hante. Il n’est pas facile de passer derrière Avicenne, Averroès, Ibn Arabi et Rumi pour ne citer encore que les plus connus en Occident, je le sais ! Ces grands noms ont pourtant réussi à absorber leur époque à partir de la lumière intellectuelle et spirituelle qu’offre le Coran – pour qui sait le lire et l’assimiler – et ont à leur tour, offert à l’humanité un patrimoine spirituel qui est à l’œuvre encore aujourd’hui. Raison de plus dès lors, pour se demander les causes du naufrage spirituel du musulman moderne.

Nous remarquons par ailleurs, qu’il y a en France, de plus en plus des crispations identitaires à la fois politiques et religieuses qui se diffusent de plus en plus dans la société ; ce qui n’offre pas un terrain propice à la raison émancipatrice et critique. Nous sommes pour le débat ouvert mais l’on doit en respecter les conditions, pour qu’il soit courtois, comme il l’a été à des moments de l’histoire, notamment au Moyen Âge.

En effet, à cette époque l’on parlait de « disputatio » et il y avait des règles de bienséance dont le respect de son contradicteur et le fait de lui accorder un crédit d’honnêteté spirituelle et intellectuelle. Terminons ce prologue, en rappelant que le musulman moderne est, il faut le reconnaître, caractérisé par l’émotivité et la sensiblerie qui, comme l’a rappelé le Prophète, inhibent la raison. Nous ne supportons plus la moindre remise en question de notre vision du monde, très souvent figée, même si cette remise en question émane d’un esprit critique sincère ; de plus nos institutions musulmanes de France ont ce fâcheux réflexe, très contemporain, de traîner devant les tribunaux quiconque les insulte ; ce qui ne construit rien et remet à plus tard le travail intellectuel.

Or le Coran donne une réponse simple bien que difficile à pratiquer face à l’insulte ou à la moquerie : « patientez face à la méchanceté, car si vous êtes dans la réelle piété celle-ci ne vous atteindra pas » (Coran 3, 120). Cette attitude émotive s’explique par la peur qui nous habite de voir le peu qu’il nous reste d’un héritage islamique disparaître, et de nous retrouver devant le non-sens qui nous inquiète. Le non-sens, en fait le nihilisme moderne, est le fantôme maléfique dont se défie n’importe quel croyant, et le musulman encore plus.

Son malaise et son mal-être, en France surtout, vient du fait qu’il vit dans une société de plus en plus nihiliste, parfois agressive, qui l’enserre de toute part sans que cet homme pathétique ne sache trop comment faire pour trouver un souffle qui l’aidera à ne pas étouffer. Enfin, et c’est le plus tragique, les imams assoiffés de gains et le confrérisme asséché ont tué le seul souffle permettant à l’homme qui croit de survivre par-delà un matérialisme effréné, à savoir le soufisme réel. Le désespoir habite donc la conscience musulmane et la ronge.

Pourtant, l’espérance est au cœur du message coranique et c’est ce cœur que nous essayerons de retrouver. En résumé, ce témoignage est un hommage à tous ces anonymes du monde qui marchent intérieurement et silencieusement pour atteindre la source qui abreuve tous les êtres. C’est comme cette histoire du désert qui se raconte depuis que les caravanes bédouines existent. Un bédouin aurait vu son âne tomber dans un puits. Désespéré, le bédouin décida d’ensevelir son âne pour qu’il n’infecte pas le puits.

L’âne s’aperçoit avec horreur, que son ancien maître cherche à l’enterrer vivant. Le pauvre animal agita alors son dos, afin que la terre puisse retomber sur le fond du puits. Ainsi, l’âne comprit que plus il faisait retomber la terre qu’il recevait sur son dos, et plus il arrivait à remonter grâce à la terre amoncelée et à sortir du puits. Ce conte illustre bien le quotidien des musulmans de notre époque. On l’aura compris : la situation de l’âne est la nôtre aujourd’hui.

Nos petites réflexions à l’intention de nos lecteurs, cherchent à revivifier les fondements qui organisent la conscience musulmane depuis toujours à savoir, la croyance, Dieu, le Coran, le Principe-Unité (le tawhid), fondements qui ont amené tout au long des siècles, des hommes et des femmes à la révolte spirituelle, ces consciences que Lamartine qualifiait « de blasphémateurs héroïques », ceux qui n’hésitent pas à faire tomber nos idoles pour vider nos âmes et nous libérer de nos appétits, comme le Prophète (sbl) fit, en son temps, tomber les 360 statues qui encombraient l’intérieur de la Ka’ba, représentant symboliquement le cœur de chaque individu.

Mais, nous avons besoin pour cela de déterrer des penseurs et des savoirs ensevelis, afin de ressusciter des idées originales qui nous aideront à chasser la « pensée ignorante » de nos esprits apeurés, mais sans pour autant éluder certains sujets en débat au sein des communautés musulmanes françaises.

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