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Emmanuel Macron: une victoire de trader?

A une dizaine de jours de son départ de l’Elysée, François Hollande a présidé ce que nous lui souhaitons être le dernier rassemblement de deuil qu’il aura diligenté durant son pénible quinquennat. Il y en a eu beaucoup et ce sont les seuls qu’il aura réussis depuis son discours du Bourget en janvier 2012 quand il n’était encore que candidat, et celui de la place de la Bastille le dimanche 6 mai à minuit, jour de son sacre comme président.
Sous son mandat, c’est ce que la France a fait de mieux : rendre hommage à elle-même dans une tristesse digne et un recueillement solennel pour entretenir la flamme de sa grandeur qui a vacillé avec lui
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En suivant à la télévision la cérémonie organisée – dans le bel ensemble auquel nous sommes accoutumés – à la mémoire du gardien de la paix abattu sur l’avenue des champs Elysées, je me suis dit que, curieusement, elle réunissait dans la même émotion (ou posture affligée) victimes et responsables indirects de la tragédie à un degré ou un autre, je veux dire les hommes politiques de droite et de gauche qui ont gouverné le pays durant plusieurs lustres et ont à voir avec ces malheurs récurrents qu’à tout le moins ils n’ont pas réussi à empêcher. Gouverner c’est prévoir, non ?
Le terrorisme qui a régulièrement frappé la France ces dernières années a indéniablement un lien avec l’islamisme, mais aussi un caractère vengeur. Il remonte à des décennies avant l’apparition de Daech (affaire Kelkal), et ses exécutants affichent un profil similaire laissant penser à un profil-type, à un prototype : souvent issus de l’émigration, délinquants superficiellement convertis, passé judiciaire plus ou moins lourd, inadaptés et exclus sociaux…
D’où le lien irréfragable avec les politiques de gauche et de droite menées au cours du dernier demi-siècle en matière d’intégration (discriminations raciales, bavures policières, stigmatisations culturelles) et de réformes économiques qui auraient réduit les niveaux du chômage et du déficit budgétaire, ce qui aurait renforcé les moyens d’action des pouvoirs publics.
Le déficit commercial est de 48 milliards d’euros en France et la dette publique au niveau de 96% de son PIB, alors que l’Allemagne voisine affiche un excédent commercial de 300 milliards d’Euros et un endettement au niveau de 71% de son PIB.
Au cours de la cérémonie d’hommage, la malchance des uns (les victimes) côtoyait la responsabilité des autres (les hommes politiques) dans une innocence toute chrétienne, et cette communion dans l’affliction dégageait une impression d’union sacrée à laquelle les Français appellent quand ils sont dans le désarroi, et battent en brèche dans leurs joutes quand le péril passe. Une fois les rangs de la cérémonie rompus, chacun retourne machinalement à ses ritournelles en attendant le prochain attentat qui sera suivi du même rassemblement où on affichera le même air sombre.
L’élection présidentielle en cours a explicitement posé ces problèmes, et la société française qui a saisi le lien entre la gestion défaillante de l’économie, le comportement de la France dans les crises internationales et la montée du terrorisme chez elle, a donné un coup de balai sans précédent dans l’histoire de sa vie politique, disqualifiant dans un même mouvement de colère la droite et la gauche qui l’ont gouvernée alternativement sous la IIIe, la IVe et la Ve république.
Les résultats du premier tour ont eu les mêmes effets sur la scène politique française que les révoltes du « printemps arabe » sur les régimes arabes : ils ont démantelé le cadre institutionnel (le binôme droite-gauche) où se déroulait traditionnellement le jeu, et renvoyé à leurs foyers les figures qui le représentaient.
Jean-Luc Mélenchon avait prédit un « dégagisme » tonitruant et il a effectivement eu lieu. Les grands ténors, les figures de proue, les visages bibliques, tout ce monde a disparu ou s’est replié, laissant la vie politique sans leadership à droite, à gauche et au centre.
Si l’on a vu sur quoi a débouché le « dégagisme » en Libye, au Yémen, en Egypte et en Syrie, on ne sait pas ce qu’il va en être en France où s’ouvre une ère pleine de mystères et d’incertitudes. La droite et la gauche s’étant effondrées, par quelle majorité de gouvernement et quelle opposition vont-elles être remplacées dans quelques semaines ?
Las des déceptions que leur a infligées la classe politique, les électeurs français ont décidé sans se concerter, dans le secret de l’isoloir, de quitter le confort de l’habitude, de la routine droite-gauche, pour s’engager sur des chemins non battus en distribuant leurs suffrages entre l’extrême gauche, l’extrême droite et l’extrême inconnu. Les voilà, au soir du premier tour, ballottés entre un homme nouveau, sans passé politique ni programme clair, surgi dans la vie politique comme un météore, et une candidate archiconnue mais aux idées encore minoritaires dans le pays.
Par la force des choses, sans l’avoir calculé ou voulu, la France majoritaire va se ranger derrière un jouvenceau venu du monde des banques d’affaires, milieu professionnel tenu en grande suspicion d’habitude.
En accompagnant et commentant à chaud les révoltes du « printemps arabe » dans les colonnes du « Soir d’Algérie » entre 2011 et 2013, j’avais donné à certaines de mes contributions des titres comme « Réveil magique, vote mécanique », « La boîte de Pandore » ou « La lampe d’Aladin » pour rendre compte de l’ambiance psychologique qui prévalait dans les pays concernés. Aujourd’hui, il me semble déceler en France, pays de Descartes et des Lumières, une ambiance similaire, apparentée.
A nouveaux temps, nouvelles mœurs. En ces temps de financiarisation de l’économie, ce mal de la mondialisation, le danger est la financiarisation de la politique. Cela s’est déjà vu dans plusieurs pays européens et institutions internationales qui ont été vampirisés par des banquiers d’affaires devenus chefs de gouvernement ou grands décideurs au sein de structures multilatérales ou communautaires ; cela s’est vu avec Donald Trump aux Etats-Unis d’Amérique ; cela s’est vu aussi chez nous quoique avec moins de bonnes manières : au lieu de titres financiers et de trading boursier, c’est la grossière « chkara » d’argent sale qui fait la loi de bas en haut de la société et de la vie politique.
Devant l’accueil « magique » fait par une partie des Français aux élans christiques d’Emmanuel Macron dont ils pensent qu’il est venu à eux la « lampe d’Aladin » à la main pour régler leurs problèmes, suivi d’un « vote mécanique » qui l’a catapulté en tête du quatuor des favoris, on est en droit de se demander sur quoi va déboucher la nouvelle situation. Un éclaircissement du chemin ? Un assombrissement de l’avenir ? Des solutions-miracles ? Du bien ? Du mal ?
Après qu’il eut été tant question ces derniers mois de « temps politique » et de « temps judiciaire », voilà la France plongée dans le temps religieux. Tel que l’imaginaire chrétien se représente Jésus – un trentenaire au teint clair et à la chevelure dorée alors qu’en réalité il était basané et ses cheveux noirs et crépus – beaucoup ont vu des ressemblances entre lui et Emmanuel Macron, apôtre de la bonne parole et de la bonne nouvelle dans une France désemparée, et vu dans ses traits avenants et ses paroles doucereuses des assurances d’un avenir meilleur.
Sans savoir d’où est venu le nouveau prophète, ignorant la teneur de son message et dans quelle direction se trouve la terre promise, 24% des électeurs lui ont témoigné de leur foi dès le premier tour. Les 76% d’électeurs qui ont voté pour d’autres que lui vont devoir se transférer pour l’essentiel sur lui, bon gré mal gré, à contrecœur, en faisant contre mauvaise fortune bon cœur, comme cela s’était produit avec Chirac le mal-aimé en 2002. Il avait obtenu au premier tour 19,88% et au second 82,21% face à Jean-Marie Le Pen qui, lui, n’avait progressé que de 4,5% entre les deux tours.
Macron n’a pas décroché le jackpot du loto par hasard, il a misé sur une combinaison à quatre qui était la seule jouable selon l’ensemble des sondages. Son pari, son défi, son astuce, sa stratégie, c’était de figurer au premier tour face à Marine Le Pen ou à Jean-Luc Mélenchon, l’ordre d’arrivée important peu car la victoire serait dès lors imparable, mathématique, automatique, assurée.
Son but n’était pas de culminer avec le pourcentage le plus élevé – il n’a jamais été crédité de plus de 25 ou 26% par les pronostics les plus complaisants – mais de se retrouver en finale où l’effet de levier si connu des banquiers ferait le reste.
Un tel scénario, je crois que seul Emmanuel Macron pouvait l’avoir en tête car il ne se serait pas formé dans l’esprit d’un homme politique classique. Des individualités à l’image de Barre, Bayrou, Dupont-Aignan, Madelin, etc, ont tenté avant lui l’aventure présidentielle en solitaire, en dehors des appareils, mais se sont finalement fracassés contre les récifs.
Au même moment que Macron, Henri Guaino, ex-conseiller spécial de Sarkozy, député des Yvelines et membre des Républicains, s’est lancé dans la course mais il n’a même pas pu réunir les 500 parrainages nécessaires au dépôt de candidature alors que le nombre d’élus pouvant donner leur signature avoisine les 40.000. Pourquoi ? Est-il moins intelligent que Macron, moins expérimenté, moins connu que lui ? Mystère…
Seul un trader pouvait se lancer dans une telle affaire et réussir sans se donner beaucoup de mal, et Emmanuel Macron l’est de formation, de profession et de tempérament. Un trader vend et achète chaque jour des valeurs et des titres pour le compte de l’organisme (banque, société de bourse ou fonds d’investissement) pour lequel il travaille. Son travail consiste à analyser les fluctuations financières, à négocier des prix et à anticiper les cours. C’est le métier du risque et de l’aventure, du hasard et du coup de pot, de l’exploitation des opportunités et de l’esbroufe.
Il achète à droite, vend à gauche, emprunte au centre, prête aux pauvres non pas de l’argent mais des intentions et sustente tout le monde avec des promesses. Il s’engage dans le très court terme et les résultats doivent être rapides, les rendements élevés et les profits immédiats.
Macron a tout fait en une année : sortir du gouvernement, s’installer à son compte, appeler la jeunesse non engagée politiquement à une marche qui aura été moins longue et plus fructueuse que celle de Mao Tsé Toung, donner ses initiales au mouvement qu’il a créé, lancer une OPA (offre publique d’achat) sur le spectre politique français d’un extrême à l’autre…
Avec une telle nature, un tel cursus, un tel CV, un tel empressement de réussir, d’arriver, on n’accepte pas l’idée de devoir arpenter pendant des lustres ou des décennies les travées du Parlement, de somnoler dans les fauteuils des salles où siègent et jactent à longueur d’année conseillers municipaux et régionaux… Investir peu, gagner beaucoup, viser chaque jour le jackpot, voilà la religion du trader.
Après un court passage chez Rothschild, un stage à l’Elysée puis au gouvernement, il a vendu un Hollande décoté, emprunté son ministre de la défense, récupéré son ancien Premier ministre et rameuté une galerie de portraits politiques allant de l’ancien secrétaire général du Parti communiste à Cohen Bendit… En un an, le voilà « market maker », faiseur de marché, teneur de marché… Que va-t-il en faire ?
Etre trader est une profession qui peut mener à tout à condition d’en sortir pour paraphraser un propos au sujet d’un autre métier. Elle a conduit à la prison Jérôme Kerviel qui, on s’en souvient, a fait perdre à la banque qui l’employait quatre ou cinq milliards d’Euros, et va conduire dans quelques jours Emmanuel Macron au palais de l’Elysée. Comment en sortira-t-il ? Que deviendra la France entre ses mains juvéniles ?
Il faut dire qu’Emmanuel Macron a été servi par une chance extraordinaire car s’il était tombé avec François Fillon au lieu de Marine Le Pen, la lutte aurait été beaucoup plus incertaine et ses chances moindres. Mais ce dernier dont le programme était peut-être impopulaire mais le mieux structuré et le plus réaliste, a confirmé ce qui était dit de lui : un bon collaborateur sans plus, dangereux pour ses propres intérêts à le laisser seul.
Il a été en effet l’ennemi de sa propre cause, de son propre camp, et ce dès le premier soir de sa victoire à la primaire de la droite et du centre où il avait prononcé dans son discours cette phrase que j’avais trouvée de trop, malvenue et inutile : « Cette victoire est d’abord la mienne ! »
Les commentateurs français ne s’y sont pas arrêtés, comme personne – à ma connaissance – n’a prêté attention à la réponse d’Alain Juppé à une pique de François Fillon lors de leur débat télévisé entre les deux tours de la primaire : « Il vaut mieux avoir un passé judiciaire qu’un avenir judiciaire » lui avait-il rétorqué. C’était des mois avant que le « Canard enchaîné » ne commence à déballer les révélations qui lui seront fatales.
De Gaulle disait en 1966 que la politique de la France ne se faisait pas à la corbeille. Les Français y sont en plein ! La bourse de Paris a enregistré une hausse de plusieurs points après la proclamation des résultats du premier tour, communiquant cet heureux frémissement à d’autres places boursières.
 
Noureddine Boukrouh
 

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  1. L’histoire est remplie d’arroseurs arrosés et de pompiers pyromanes, et il est donc tout à fait logique que le désordre imposé dans le monde arabe par des seigneurs de la guerre locaux manipulés par les puissances occidentales revienne vers ses géniteurs. D’ailleurs, de Ben Laden à la plupart des “islamistes” ayant commis des attentats terroristes en Europe, on constate que la plupart d’entre eux ont commencé par être des petits dealers et des petits indics des services secrets des puissances s’ingérant dans les affaires intérieures des pays du sud de la Méditerranée. Tout ce qui se décide au sommet part des banques et des bourses mais désormais le roi est nu, le système met de l’avant des traders là où il mettait des “socialistes” ou des “gaullistes” préalablement stérilisés. La France est partagée désormais en quatre parties presque égales, là où elle semblait partagée en deux, ce qui ouvre un jeu intéressant. Car 3/4 des Français ne croient plus dans le système. Cela devrait faire beaucoup de monde dans la rue après des législatives qui ne pourront pas accoucher d’une majorité gouvernementale stable vu l’effondrement des partis et le mécontentement montant.

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