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Mustapha Chérif : “Islam, musulman, croire, signifient « se mettre en état de paix »

Pourquoi ces livres aujourd’hui sur le Prophète et le Coran?

L’avenir du monde dépend en partie de la relation entre les deux rives de la Méditerranée. L’ignorance a pris trop de place. L’islam est méconnu et l’objet de controverses. La littérature qui existe à son sujet est souvent celle du dénigrement, de la désinformation, de l’islamophobie, d’orientalistes et néo-orientalistes aux visées malsaines, et celle d‘intellectuels dits de culture musulmane qui se renient et se flagellent ; ou bien au contraire celle de l’apologie et du sentimentalisme de musulmans qui ne savent pas transmettre le vrai message, notamment en direction des non-musulmans.

Le Prophète est un modèle par excellence de l’humain pleinement équilibré et ouvert que le monde dominant ne connait pas. Il est celui qui est venu donner du sens et apprendre à l’humanité à surmonter l’épreuve du vivre-ensemble, de manière juste, digne et responsable. Il a libéré l’humain, contre toutes les formes d’oppression, institué la sécularité, encouragé la bonne gouvernance, l’Etat de droit et la citoyenneté, cela n’est pas assez connu.

Mon essai sur le Prophète ne se contente pas de relater sa biographie. Il présente un  éclairage nouveau dans un langage accessible, moderne, en fonction des interrogations de notre temps.Quelles décisions le Prophète aurait pris aujourd’hui face à tant de défis? J’analyse des concepts et des événements clefs de son œuvre, afin de montrer que les questions  qui étaient centrales pour le Sceau des prophètes, celles du sens de la vie, de la justice et du comportement sage, rationnel et civilisé, sont d’actualité.

Aujourd’hui, parce que notre époque est en profonde crise et que des usurpateurs du nom de l’islam favorisent la confusion, il est nécessaire de se souvenir de l’Homme total et universel, le guide qui a permis la civilisation musulmane. Il écoutait, consultait et réfléchissait toujours avant de prendre une décision.En tirant les leçons de la vie et de l’œuvre du Prophète, nous apportons des réponses claires aux questions que des musulmans et des non-musulmans se posent.

S’humaniser, réfuter toutes les formes d’indignité, d’extrémismes, d’idolâtrie, de violence, défendre les droits humains, le droit à la différence et la stricte légitime défense en dernier recours, en forgeant une société fraternelle et du savoir faisaient partie des priorités du Prophète. C’est à des années lumière de ce que la propagande religiophobe et celle des fondamentalistes, tout à la fois, laissent entendre.

Quel est le public visé par  vos deux  ouvrages ?

Il s’agit de tenter de présenter le vrai visage de la civilisation musulmane. Mes ouvrages, s’adressent à tout le monde, sans limites, à nous-mêmes pour  progresser et sortir des visions étroites et idéologiques, avancer sur la voie du développement harmonieux.  Ils  s’adressent aussi  à  l’Occident, pour sortir des amalgames et des impasses. Chacun doit sortir de ses points d’aveuglements. D’autant qu’il y a des occidents et des orients et que les deux mondes sont imbriqués, liés, mêlés. Malgré elle, notre religion est instrumentalisée, sujette  à des controverses, des stigmatisations et des préjugés inadmissibles.

L’intégrisme et le fondamentalisme sont l’anti-islam. La civilisation  musulmane est incomprise et injustement déformée par certains des siens et par des non-musulmans. En Occident, même si le  génie  du Prophète est parfois reconnu par des savants, et que tous ne confondent pas entre religion et fanatisme, sa grandeur et son œuvre sont méconnues par un grand nombre. Les xénophobes, les islamophobes,  pour faire diversion, prenant prétexte de l’usurpation du nom par une minorité d’inauthentiques musulmans, trompent les opinions publiques.

En ces temps de mondialisation agressive et inégalitaire, les délires anti-musulmans prennent des proportions démesurées, exacerbés par la méconnaissance et des visées inavouées; alors que l’enjeu de notre époque devrait être le vivre-ensemble, la primauté du droit et la recherche d’une nouvelle civilisation universelle commune, par-delà les différences et les divergences. Il nous faut pratiquer l’autocritique, communiquer, expliquer, preuves à l’appui, qu’il n’y a pas d’alternative raisonnable au dialogue et au partage, énoncer clairement nos valeurs, pas seulement dénoncer les mensonges proférés.

Il s’agit avant tout de cultiver, d’instruire, d’enseigner, d’éduquer afin de faire reculer l’ignorance sur des questions essentielles. Etre citoyen européen, ou du monde moderne,  et croyant est évidemment possible et visible. En ces temps de malaise et de crise dans la culture, la politique, l’économique, c’est une chance pour tous que la question de la civilisation, de la transcendance et de l’éthique se repose de nouveau.

Quelle est la relation entre la civilisation musulmane et le développement ou le sous-développement ?

La civilisation musulmane, bien comprise, l’une des plus belles de l’humanité, a favorisé durant des siècles le vivre-ensemble et le développement équilibré, pas seulement matériel, malgré des péripéties difficiles. Rester soi-même, tout en évoluant, et s’ouvrir au monde est le bon chemin. Le citoyen de confession musulmane est capable de progrès et peut exprimer tous les besoins humains de son déploiement existentiel, s’il base son existence sur le savoir et l’éthique spirituelle.

Produire des richesses, des idées et du bien, se développer,  est une exigence, tout en respectant une éthique, des finalités. Cela signifie que si aujourd’hui des pays musulmans sont en retard économiquement et scientifiquement, le problème n’est évidemment pas l’islam, mais la responsabilité de musulmans et leur comportement, selon le contexte social, politique et historique. Nul n’est immunisé pour toujours. Les causes multiples du retard actuel et des insuffisances sont d’ordre interne et externe, elles concernent les questions de la bonne gouvernance, de l’Etat de droit, de l’économique et du rapport à la science.

Malgré des progrès et acquis, et le monde musulman est hétérogène, les problèmes de la qualité du savoir, de l’éducation, de la recherche scientifique, de la culture, sont insuffisamment pris en charge; des despotismes non éclairés et les populismes qui instrumentalisent le sacré, aggravés par la domination inique du monde développé techniquement, hier sous forme de colonisation, aujourd’hui en termes d’hégémonie, d’ingérences et de libéralisme sauvage, rendent difficiles les voies du développement durable et alternatif.

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Mais le mouvement d’émancipation et de développement se prouve en marchant, les citoyens de confession musulmane de partout et les sociétés de la rive Sud, dotés de valeurs éthiques et du sens de la dignité, résistent et aspirent au sens, à la justice, à plus de bien-être et à la coexistence. Je reste confiant, malgré la complexité de la tâche.

Vous défendez donc l’accord entre authenticité et progrès, entre raison et éthique, pourquoi et quelle est la relation entre eux ?

Ce qui compte c’est articuler, sans confusion ni opposition, les dimensions essentielles de l’existence.  Les atouts existent pour répondre aux nouveaux besoins et attentes des populations désorientées. Il faut s’y atteler, en s’ouvrant au monde dans la vigilance, en revivifiant nos repères et en s’impliquant. Il s’agit de réaliser l’articulation entre authenticité et progrès, entre le spécifique et le mondial, entre l’autonomie de l’individu et l’être commun. Ni communautarisme, ni individualisme déshumanisant. Dans ce sens, la culture doit assumer sa fonction de formation de la citoyenneté et du lien social.

Dans la civilisation, il n’y a aucune raison de choisir entre des dimensions complémentaires, l’authenticité et le progrès, entre éthique et raison, entre l’un et le multiple, elles sont indissociables et complémentaires. Communauté du juste milieu, il faut tenir aux deux dimensions, sans les confondre. L’éthique s’adresse à la raison pour l’éclairer et non pour la contredire. Aucun précepte coranique ne s’oppose à la raison, au bon sens et à la science. Des interprétations passéistes, limitées,  incultes et contradictoires peuvent aboutir à des résultats et comportements illogiques. C’est la responsabilité des élites de les corriger.

Croire en islam ne signifie pas « soumission » c’est une mauvaise traduction classique. Islam, musulman, croire, signifient « se mettre en état de paix », « faire confiance », dans la vigilance, pour nouer un lien profond avec le monde et l’au-delà du monde, se libérer et assumer ses responsabilités. Dans ce sens, s’attacher à une éthique c’est refuser l’inculture, le fanatisme, les pulsions de violence et les prétentions. Au contraire cela veut dire respecter le droit à la différence, la nature, autrui, les symboles communs, le bien commun, avoir des buts, des principes et assumer sereinement son destin propre. Ce sont des actes de sociabilité, d’humanisation, d’épanouissement.

Vous donnez une priorité majeure à l’éthique, pourquoi ?

Le Prophète mettait l’accent sur cette dimension. C’est ce qui manque le plus au monde actuel. La marchandisation de l’existence aggravée par l’athéisme dogmatique, ou sa fétichisation perpétrée par le fanatisme religieux, mènent à des impasses. Ethique spirituelle et raison sont deux dons en islam qui ne se contredisent pas. Rechercher le progrès au moyen de la raison est un acte naturel. Nous avons le droit de dire : science sans conscience, sans morale, sans éthique n’est que  ruine de l’âme.

Nous avons aussi le devoir de rechercher librement le progrès sous toutes ses formes, et en même temps sans éthique, cela devient inhumain. Nous sommes confrontés à deux formes d’extrémismes : la tendance qui a peur de la liberté et celle qui a peur du sacré, elles instrumentalisent l’une ou l’autre pour des buts étroits. Dans le monde musulman contemporain, la mauvaise compréhension de la religion est une des causes des retards en matière de développement, mais  ce n’est pas à cause de la religion en soi.

Puisque c’est grâce à elle que les arabes, les berbères et de nombreux de peuples autour de la Méditerranée et au-delà, turcs, persans, africains, asiatiques, européens et des juifs et des chrétiens etc…ont connu la civilisation universelle musulmane et le progrès scientifique durant des siècles qui s’appuyaient sur la liberté et l’éthique. Tout dépend en conséquence des conditions socio-historiques et de la place que l’on réserve au savoir, à l’éthique et à l’Etat de droit, trois priorités.

Dans tous les cas, il ne faut pas confondre le spirituel et le temporel, sans les opposer, tout en recherchant l’accord entre authenticité et modernité, ce qui signifie aussi entre liberté et éthique. Il n’y a pas de liberté sans loi, il n’y a pas de progrès sans liberté. Le Prophète est venu nous rappeler ces principes.

Quel message peut-on porter aux nouvelles générations ?

Sans élitisme, ni paternalisme, l’intellectuel doit sans cesse donner à penser, éveiller les consciences et cultiver les nouvelles générations, afin d’humaniser les rapports sociaux, contribuer à réaliser une société équilibrée, juste et solidaire, aider à l’unité, au rassemblement et à la formation d’une Nation apaisée, traversée par le souffle de l’être commun. Il faut la force de la passion du pays et de l’humanité, il n’y a rien de plus beau pour tout être humain digne de ce nom.

La force d’une société ce sont ses citoyens éduqués, cultivés, patriotes, et qui se respectent mutuellement dans leur diversité. Une citation du Prophète(hadîth) est à cet égard significative :«Je suis venu  parachever  l’éducation humaine». L’interconnaissance, se cultiver, pour apprendre à vivre ensemble, détermine l’avenir. Le XXI eme siècle et l’ordre mondial seront justes ou ne seront pas.

Entretien réalisé par  la rédaction

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