Un contexte
Une des difficultés, lorsque nous tentons de comprendre certains moments historiques révélés par le Coran, est de nous « départir » d’une vision légendaire qui n’a aucun rapport avec des faits raisonnables et bien établis. C’est cet écueil qu’a su éviter le savant musulman et homme politique indien Abu Kalam AZAD (1888-1958). Beaucoup de nos contemporains oublient que le « moment coranique » est ce moment de la démythologisation et de l’avènement de la raison éclairée et éclairante : « A la fin de Joseph, le Coran appelle à prêcher Dieu dans la « clairvoyance » ou la « lucidité » (baçira) : autant d’appels à l’exercice de la raison » (J.Berque, « En relisant le Coran », p.758).
Né à la Mecque, Abu Kalam AZAD a été très engagé dans la lutte anticoloniale en Inde tout en offrant un commentaire du Coran (Tarjumane al Qur’an) où l’on peut trouver une analyse assez fine de certains versets parfois inaccessibles. Comme Sir Iqbal, il prône une nouvelle approche dans l’exégèse du Coran en faisant un constat partagé : « La langue si singulière du Coran, à la fois simple et dynamique, touchant à l’intelligence vivante de l’homme sans artifice ni faiblesse, a été perdue par un apport de systèmes philosophiques sophistiqués suscitant plus de problèmes qu’ils n’en résolvent. Ces carcans conceptuels, hérités de la pensée grecque, n’emportent pas l’élément vital de l’homme ».
Ce constat critique a été partagé par Muhammad Iqbal qui affirmait que la culture grecque, plus statique que dynamique, avait enkysté la logique sémitique et orientale. La vision coranique est substantiellement dynamique et s’oppose ainsi, à la vision statique du monde des penseurs grecs classiques et c’est pourquoi, selon Iqbal, « le Coran est anti-classique ». Abu Kalam AZAD exposera sa méthode simplement, en suggérant de revenir aux sources primitives ; il dépassera ainsi, la pensée systématique d’inspiration grecque. Pour notre savant, il faut être au plus proche de la tradition et de ceux qui ont pu bénéficier de la présence du premier exégète autorisé qu’a été le Prophète (ç).
Un commentaire
Le Coran cite un roi ayant existé avant sa révélation et qu’il nomme, Dhul Qarnayne. La postérité lui donnera le nom de l’homme aux deux cornes ou le bi-cornu (Qarnayne).Etrange appellation, surtout lorsque l’on sait que le Coran n’utilise la racine « Qarne » que pour faire référence à une époque, à des cités, une génération ou à des civilisations dans l’histoire. Ce sont les notions de temps historique et de génération qui sont privilégiées mais jamais celle de corne. Mais revenons comme le demandait Abu Kalam AZAD à l’origine de l’évocation de ce roi qui possédait, selon le Coran, des vertus comme celles de l’humilité, de la foi monothéiste et de la force au service du Bien.
Selon une tradition, les arabes souhaitaient prouver que Muhammad (ç) n’était pas un prophète et cherchaient un moyen de le démasquer avec des preuves décisives. Pour cela, ils allèrent voir les tenants d’une tradition religieuse monothéiste similaire à celle que professait le Prophète (ç) et qui avaient l’habitude, eux, de voir des prophètes. Ils demandèrent alors aux juifs arabisés de les aider dans ce sens. Aussi, les rabbins invitèrent les détracteurs du Prophète (ç) à lui poser des questions pouvant le mettre dans l’embarras et dont seul, un vrai prophète, pouvait y répondre. Les juifs leur proposèrent de l’interroger sur un certain Dhul Qarnayne, un homme du passé, qui n’a été cité qu’une seule fois dans la bible, car seul un vrai prophète pouvait évoquer une réalité du passé peu connue. Pour les rabbins, cette question n’était pas arbitraire. En effet, l’époque de ce roi était ce moment du retour en terre sainte après y avoir été chassé par Nabuchodonosor. Et pour les rabbins d’Arabie il y a un évènement, une datation plus précisément, qu’ils recherchaient pour connaître le moment de leur second retour en terre sainte après la destruction du Temple par Titus en l’an 70.
La tradition diverge sur les modalités exactes de cette demande, néanmoins le Coran nous révèle que le Prophète (ç) a bel et bien été interrogé sur ce roi inconnu des arabes et du Prophète (ç) lui-même : « On t’interroge sur Dhul Qarnayne … » (C. 18, 83).
Je ne sais pas pourquoi certains de nos commentateurs ont pu voir en Alexandre le Grand le fameux Dhul Qarnayne. En effet, Alexandrea été un conquérant injuste, fornicateur, alcoolique, pillant et brûlant la ville de Persépolis et tuant son plus proche compagnon Cleitos lors d’un banquet arrosé. Certains savants musulmans comprenant qu’Alexandre le Grand ne pouvait pas être ce roi justedont parle le Coran affirmèrent qu’il s’agissait plutôt d’un roi yéménite parce qu’ils pensaient que les Yéménites avaient la maitrise de la construction de barrages faits de pierres et de terre (Ma’rib). Or, le fait d’avoir assimilé l’ouvrage de Dhul Qarnayne au barrage de Ma’rib, c’était vraiment ne rien comprendre à l’ouvrage gigantesque et à la maitrise de l’art métallurgique des maîtres artisans de Dhul Qarnayne ayant construit ce fabuleux rempart métallique« situé entre deux flans d’une montagne » qui ne pouvait« ni être escaladé ni même transpercé »nous révèle le Coran.
Il faut bien s’imaginer que ce barrage métallique devait être d’une hauteur impressionnante et infranchissable car le Coran affirme que des blocs de fer étaient amenés « jusqu’à ce qu’ils comblassent l’écart entre les deux falaises » (C. 18, 96). Seul un roi appartenant à une culture hautement développée pouvait construire un tel mur d’airain (un alliage de fer et de cuivre). Des métallurgistes pourraient d’ailleurs, nous instruire sur cet ouvrage ainsi que sur les modalités d’une telle construction en suivant pas à pas ce qu’en révèle le Coran. Il y a sans doute dans ce barrage surprenant un aspect relevant de la conductivité électrique repoussant les barbares appelés, par les populations locales, les « Ya’jouj »et« Ma’jouj ». De plus, l’airain a une symbolique religieuse car il est vu comme un alliage repoussant la présence de forces maléfiques mais il symbolise aussi, la présence des lois divines régissant les différents mondes.
Abu Kalam AZAD rejettera ces affirmations approximatives assimilant ce roi historique à Alexandre le Grand ou à un prince Yéménite pour aller effectuer des recherches, notamment bibliques, pour voir s’il y avait la mention d’un Dhul Qarnayne. Il fallait que ce nom ne soit cité qu’une seule fois, car c’est ainsi que le présentèrent les juifs aux arabes mecquois à l’époque du Prophète (ç). « Le fait est que nos commentateurs, dira AZAD, n’ont pas su, avec exactitude, savoir à qui revenait ce qualificatif de Dhul Qarnayne » (Tarjuman al Qur’an – p. 354), et il ajouta : « S’il y a un moindre indice, il est à chercher, dans le rêve du prophète Daniel durant sa période d’emprisonnement à Babylone ». Ce que nous verrons dans une deuxième partie tout en essayant de contextualiser ce récit avec notre étrange actualité.
N’oublions pas que toute l’Histoire n’est pas documentée, que toute l’histoire n’est pas connue. Un historien est celui qui étudie l’histoire accessible à l’étude, des documents directs ou indirects, des vestiges, voire des documents verbaux, non écrits qui sont peut-être plus sujets à s’interroger que les documents écrits, bien que,… Les uns et les autres étant à vérifier au moins par récollement, comparaison des récits, citations et allusions, ceci restant imparfait. Mais l’histoire existe sans égard aux historiens, toute l’histoire n’est pas connue, peut-être de grands faits historiques nous sont inconnus ou mal connus.
Et s’agissant de l’histoire, ne commettons pas l’à-priori selon lequel, les connaissances et aptitudes des gens sont croissant et s’améliorant, ça, c’est un dogme, non démontré, il a de quoi convaincre mais surtout il nous flatte, puisque nous serions à ce compte toujours meilleurs que nos prédécesseurs. On peut se demander si la vraie histoire suit bien ce shéma linéaire ou si elle fait comme elle veut. Il est possible que parfois, les savoirs et aptitudes soient allés déclinant, que de grands savoirs se sont perdus, que des civilisations brillantes mais différente de celle qui prévaut aujourd’hui aient passé sans laisser beaucoup de traces, voire pas du tout. Rien que le liant des pierres des châteaux-forts du Moyen-Âge est d’une recette inconnue, le feu grégeois des Byzantins reste une énigme, peut-être tenaient-ils tant à le garder secret qu’ils l’ont oublié eux-mêmes. Que dire des monuments antiques qui étaient à la fois immenses et précis dans le détail extrême, les pierres des pyramides se joignaient les unes aux autres et s’ajustaient comme ou plus finement que du tricot. Mettons que l’histoire soit aléatoire et que l’homme ne soit pas en croissance linéaire du savoir, de grandes villes ont été détruites, de grandes quantités d’ouvrages perdus. Que savons-nous du théâtre Arabe ancien? Des pièces se jouaient à Bagdad et étaient doublées dans les rues, eh bien, nous ne les connaîtrons peut-être jamais, après la dévastation de la grande ville par les Tatars, population et savoirs et livres se sont perdus en masse. Notre connaissance du passé est imprécise ou lacunaire. Mais le Coran n’est pas de nous, Allah connaît toute l’Histoire, dans le détail, du passé et à venir.
Croissant de lune.
Salam Djeser,
La thèse du mythe qui véhicule un message sans nécessairement avoir eu une réalité historique est la thèse d’un certain courant contemporain (Arkoun en est un digne représentant) …
Par contre avec Azad c’est la démonstration inverse…
Hakim FEDAOUI
Ceci dit je n’en fait pas une vérité absolue, c’est une simple opinion personnelle, je ne réfute pas non plus l’existence de ces récits ou ces prophètes , mais je pense qu’il y a peut être plus de symbole qu’on ne le croit . Le coran lui même affirme qu’il use parfois de métaphore ..
Mais peut importe, un recit qu’il soit réel ou simple mythe a quelque chose à nous dire ,a nous transmette . Ils ont contribué à l’édification de notre represenation du monde et de notre croyance Il ne faut pas s’en séparer . Ceci est valable pour tous les peuples . Mais il ne faut pas non nier la réalité archéologique , geologique et l’histoire de l’homme .
Cordialement
PS : je parlais d’Adam et Eve , nous savons qu’ils ont été chassé du paradis , mais nous ignorons reelement de quel manière dieu les a fait descendre sur terre , pour moi l’évolution est peut être la reponse , car elle correspond bien aux attributs de dieu : faire les choses avec patiente et non dans la précipitation ( ou jeter du ciel lol !).
Conclusion : les prophètes ont été intégré a l’histoire de l’humanité , mais pas physiquement envoyé…il ne sortent pas de nul part ….
Et de même.. Adam et Ève ou les premiers hommes et femmes ont été intégré a l’histoire de l’évolution et non descendu physiquement, voilà mon interprétation , que cela plaise ou pas ..car elle me permet de donner une certaine cohérence entre l’histoire du monde et l’islam .
on ne pourra jamais vraiment prouver l’authenticité des recits du coran qui me paraissent se confondre tantôt en fait historique , tantôt en symbole et tantôt en mythe légendaire. Il y a des faits historiques , mais par exemple Adam et Ève , ne serait ce pas un symbole ? Je crois perso à l’évolution qui me paraît très plausible . Leur descente sur terre n’est peut être qu’un symbole pour moi , l’évolution humaine symboliserait cette descente sur terre. De la même manière que les prophètes n’ont pas été envoyé reelement à leur peuples puisque il en été issu !
Ce terme, envoyer , n’est qu’un symbole , leur descente sur terre peut être aussi.
Le récit de noé est présent même dans les anciens récits babyloniens ..alors ce récit est ce un mythe malgré lui ?
@ Djeser, tu sembles perdu. Pourquoi veux-tu qu’un envoyé vienne d’une autre planète? Oui, le vocable “envoyer” en Français d’aujourd’hui tend à signifier adresser de loin, alors si c’est ça qui te gênes, remplaces sauf erreur de ma part, par le vocable “susciter”. Adam et ève serait un mythe parce que ça te convient et que ça loge dans tes cases? Ben non, si tu n’arrives pas à loger telle ou telle choses dans les petites cases étroites de ta chétive intelligence, je te propose “mystère” au lieu de mythe, sachant qu’un mystère peut être un mythe et qu’un mythe est nécessairement un mystère. C’est plus clair comme ça? Donc un mystère, des mystère et est-il important que tout loge dans tes cases? Ne peux-tu pas accepter l’inconnu, l’incertitude, t’en remettre à Dieu qui nous instruira dans ces choses? Mais non, le petit élève veut absolument que tout rentres dans ses raisonnements, sinon il n’est pas content. Eh bien, je vais t’en aprendre une, l’Islam, la Révélation, c’est pas quand Djeser est satisfait ou insatisfait, la Révélation c’est pas “je voudrais que, je pense que”, la Révélation ne se soucie pas de ce que pense Djeser qui ne sait pas comment insérer l’Islam non pas en France, mais dans le contexte politique Français actuel, nuance! La Révélation ne se plie pas au politiquement correct d’un court instant plaisant à Djeser, mais c’est à Djeser de s’interroger sur, comment se fait-il que la Révélation me tourmente autant? Et pour peu que tu rentres en toi-même, au bout d’un certain effort, tu trouveras ce qui en toi convient mal à la réception de la Révélation. Après, tu es libre de ne pas recevoir, mais en ce cas, épargnes-nous tes prises de tête. Un iman a été envoyé à Lyon pour dire que, “Fourvière, je sais pas où c’est”. Moi, je ne crois pas à la réalité de cet iman, parce que c’est impossible à epsilone près, désolé. C’est un mythe? non, même pas, c’est un sot mensonge, ou un mensonge perfide. J’espère que comme ça, ça va mieux et que tu as les yeux bien en face des trous de tes propres contradictions.
Croissant de lune.
Wa alaykoum al salam,
La deuxième partie de l’article reprenant le commentaire de AZAD apportera un début de réponse … ce qu’il faut retenir surtout c’est que, loin des légendes et mythologies, le Coran rappelle des faits historiques que l’histoire contemporaine n’arrive qu’avec peine à saisir … et surtout, la première moitié du 20ième siècle a connu l’émergence de penseurs musulmans (indiens notamment) très perspicaces …
Hakim FEDAOUI
Salam. Oui, qui sont donc les jouj et majouj et le roi Idhou Qarnein? J’ai entendu une fois un de ces orateurs youtubeurs qui affirmait qu’en Chine on trouve deux tribus nommées Jouj et Majouj, enfin mais les hommonymies ça existe. D’autres traditions ou d’autres orateurs qualifient la Russie de foyer des Gogues et Magogues, mais ça semble faible et un peu partisan.
Mais puisque les faits sont déjà advenus et historiques, jze m’en remets à Allah qui Sait tout. On imagine mal pendant l’antiquité une puissance capable d’édifier un barage et ouvrage d’alliages notamment métalliques aussi important. La métalurgie commençait à peine, le fer coûtait cher, on le réservait aux armes, bien avant de l’employer aux outils agricoles, mais s’il s’agit d’autre chose, … Allahou Ahlem.
Croissant de lune.