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Réponse à Vincent GEISSER

Pour une fois, je ne partage pas le point de vue de Vincent GEISSER à propos de l’UOIF. La description des relations entre l’UOIF et l’actuel ministre de l’intérieur me paraît partielle et donc partiale ; elle fait une part excessive à des querelles internes, à la mise en cause des « Bordelais » qui donne une tonalité de règlement de comptes à la démonstration.

Pour autant, l’UOIF a bien changé ces dernières années et s’interroger sur cette évolution est légitime. Cette évolution est circonstancielle ; elle tient également à des raisons de fond. Enfin, si certaines des raisons de fond sont assumées et revendiquées, d’autres relèvent de la dynamique dans laquelle l’UOIF et d’autres organisations revendiquant une représentation d’associations musulmanes se sont inscrites en participant, avec des motivations et des objectifs variés, à ce que nous observons tous, à savoir, l’insertion d’une nouvelle tradition religieuse dans le paysage hexagonal, lui-même marqué par cette relation singulière entre politique et religion, à l’échelle du monde, qui a nom de laïcité.

Cet aspect n’est pas toujours explicite, loin s’en faut. L’insuffisance du débat interne n’a d’égale que l’intensité des querelles intestines, les mises à l’écart des militants, le recours à la langue de bois. Mais observons que cette insuffisance de discussion démocratique, de transparence, de statut accordé aux lignes oppositionnelles, de réflexion théorique caractérisent toute organisation. Il n’y a pas, à proprement parler, de caractéristique musulmane dans cette posture. De ce point de vue, l’UOIF ne fait pas exception et la critique ne peut se réduire à un excès de critique.

Ces vingt cinq dernières années, la question de l’islam a bien évolué. La revendication de l’expression de la croyance s’est imposée ; cela vaut pour toutes les traditions religieuses et se double d’un discours de visibilité et d’affirmation identitaire pour les traditions religieuses minoritaires. Tel est le cas de l’islam en France auquel s’ajoutent la réminiscence coloniale et la question sociale principalement sous l’angle de la discrimination. Cette évolution correspond à l’affaissement des idéologies sécularisées et à une culturalisation identitaire (cf. le discours de Ratisbone) qui donnent crédit à la confrontation des civilisations et à l’irréductibilité de l’autre. « L’intransigeantisme » de M ONFRAY avec la notion de laïcité intransigeante participe de cette évolution et le débat sur le voile en a été une singulière démonstration sur le thème : « nous et les autres ».

Ce sont cette revendication du religieux exprimée essentiellement à travers la question des lieux de culte « décents » et la mesure de l’importance d’une population se réclamant d’une culture musulmane qui ont conduit les autorités politiques à envisager de passer d’une gestion des consulats à une gestion directe de la question musulmane d’autant que le mythe du retour s’effondrait.

Les associations telles que l’UOIF, l’AEIF, le Milî Görus ont eu à décider d’être parties prenantes de cette évolution ou, au contraire, à choisir de rester à l’écart. A priori, ne pas participer à la cogestion de l’islam en France pouvait apparaître comme la solution d’évidence, dès lors, qu’historiquement, la justification de ces organisations était de représenter une immigration musulmane sur le sol national avec l’idée d’entretenir la vision du pays d’origine. S’il faut entreprendre une comparaison audacieuse, l’UOIF, comme porteuse de l’idéologie des Frères, a été à l’islam ce que le Kommintern a été à l’internationale et à l’URSS. Tant que l’horizon était fixé sur le pays d’origine, le discours pouvait être révolutionnaire. Lorsque la tentation de l’intégration s’est fait jour, la question du réformisme, dans le pays d’accueil, était irrémédiablement posée.

Faut-il porter un jugement de valeur sur cette évolution ? Oui, lorsqu’à l’instar de la réflexion de T RAMADAN, ce déport du pays d’origine vers le pays d’accueil aboutit à l’interrogation sur ce que signifie le fait d’être musulman en Europe. L’évolution des objectifs organisationnels interpelle le fondement dogmatique, son rapport aux valeurs de pays sécularisés et la façon de se vivre musulman au regard de la déclaration des droits de l’homme, « liberté de toutes les opinions, même religieuses ». Comme le souligne T RAMADAN dans son dernier manifeste, cette interrogation est d’autant plus essentielle qu’elle se déroule dans un contexte où l’image de l’islam s’est fortement dégradée dans les pays occidentaux et où cette dégradation légitime discours sécuritaires et pratiques d’exclusion dans un contexte de crise culturelle, sociale et politique.

Côté pouvoirs publics, le processus d’élaboration du CFCM constitue la césure dans la façon dont les pouvoirs publics ont envisagé leur rapport à l’islam. Certes, les tentatives d’organiser l’islam ne datent pas du CFCM (JOXE, PASQUA), mais le CFCM marque clairement pour la première fois l’idée d’abandonner la gestion consulaire et l’idée « d’administrer » l’islam. Comme l’a finement souligné le professeur PRELOT, aller chercher une matrice du début du XIX siècle pour répondre aux problèmes que posent l’insertion de cette tradition religieuse à une société du XXI siècle n’était pas nécessairement un choix adapté d’autant le CFCM et les CRCM, malgré quelques années d’existence, sont toujours des coquilles vides de sens, à peine peuplées par d’incessantes querelles internes. L’organisation de l’islam de France était à l’agenda des pouvoirs publics ; ce n’était pas nécessairement la priorité des musulmans davantage intéressés par la résolution des questions du quotidien local : pratique du culte, cimetière, halal, etc…

Initié par la gauche (CHEVENEMENT puis VAILLANT), le CFCM a été poursuivi par la droite (SARKOZY). Ce n’était pas d’évidence. Le dernier conseil national du RPR avant les législatives de 2002 s’était prononcé à l’unanimité pour l’abandon du processus. Avec cette continuité entre gauche et droite, fallait-il aller jusqu’à s’exclamer avec X TERNISIEN à propos de SARKOZY : « il y a du NAPOLEON dans cet homme là » ? Rien n’est moins sûr.

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Le consensus politique s’est fait sur l’administration de l’islam. Toute chose égale par ailleurs, le modèle du CFCM est davantage à rechercher dans l’organisation de l’islam en Algérie au début du XX siècle que dans le souci du 1er empire d’organiser les cultes, « pour pacifier religieusement la France » et faire de la morale religieuse, une composante de l’ordre public. La désignation de BOUBAKEUR témoigne de ce que les contenus n’étaient pas la préoccupation des pouvoirs publics.

Faut-il faire grief à l’UOIF d’avoir cru que le ministre de l’intérieur avait plus en vue la résolution d’une question politique que la réponse à apporter au quotidien musulman ? Remarquons que si ce procès doit être instruit, il doit l’être à l’intention de tous ceux qui ont salué l’émergence du CFCM. Ils sont nombreux.

En fait, la stratégie aboutissant au CFCM a posé la question du réformisme en observant que si les pouvoirs publics se sont assignés des objectifs et un calendrier, les organisations musulmanes n’ont pas pu ou n’ont pas su concevoir leurs propres objectifs et leurs calendriers. Certes organiser un islam de « paroisse », s’interroger sur la formation des cadres cultuels, évaluer un contenu pour le CFCM, déterminer la nature de la relation à entretenir avec les collectivités locales, articuler les notion de laïcité avec les revendications cultuelles et religieuses, trouver la distance critique avec les débats sociétaux renversaient la perspective missionnaire des organisations musulmanes traditionnelles. Pour être objectif, il convient de remarquer qu’aucune organisation n’a saisi l’opportunité du CFCM et que toutes se sont perdues dans les querelles internes, les alliances à contre emploi.

Il serait également inexact de considérer que le ministre de l’intérieur n’a été mu que par le calcul politique. Le fait qu’il soit entré dans le dossier, qu’il ait participé à des négociations difficiles, qu’il se soit rendu au Bourget lui a permis de mesurer une réalité dont bien de ses collègues n’ont qu’une approche fantasmatique. Pour autant, l’engagement du ministre de l’intérieur mérite d’être examiné au regard du discours et du faire.

Ce qui frappe dans le discours de Sarkozy, c’est une incontestablement reconnaissance du fait cultuel qui a fait dire à certains qu’il prônait une sorte de modèle américain pour la société française. Sa position envers la loi de 1905 dont il estime qu’elle doit évoluer, ne le range pas dans la catégorie des laïcistes dogmatiques. Toutefois, il faut remarquer que confronté au réel, Sarkozy, en tant que ministre chargé des cultes, n’est à l’origine d’aucune instruction ministérielle relative à la pratique du culte musulman.

Rarement, l’écart n’aura été aussi grand entre le discours et le faire. Paradoxe, c’est sous le ministère de Villepin, que le ministère de l’Intérieur, réaffirmera pour la seconde fois que le droit de l’urbanisme n’a pas pour objet de faire obstacle à la construction des lieux de culte musulman. Lorsque ses amis politiques prennent, en tant que maires, des positions scandaleuses sur le culte musulman, au mieux lorsqu’il s’exprime, Sarkozy se réfugie derrière la règle qui veut que les collectivités locales s’administrent librement. Or, si la liberté d’administration communale s’arrête là où commence l’illégalité et il est encore dans les pouvoirs d’un ministre de l’intérieur de le rappeler.

Enfin, les expressions du ministre de l’intérieur au lendemain de la seconde élection du CFCM donnent, sous bénéfice d’inventaire, un sentiment de double jeu prononcé. Selon le ministre, la main tendue à l’UOIF n’avait d’objectif que de réduire l’influence de cette organisation au bénéfice de « l’islam modéré » incarné par D Boubakeur qui, en termes de modération, se réfère à Maurras et fustigeait la racaille des banlieues bien avant N Sarkozy ou M Boutih.

Si les partis politiques encourent une contestation récurrente de leur fonctionnement, la science politique a montré qu’ils sont essentiels à la démocratie ; il peut en être dit tout autant des organisations musulmanes qui prétendent à réguler une tradition religieuse dans une société sécularisée. L’UOIF n’a pas fini d’être critiquée : tant mieux : elle existe.

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