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« Ôte ta conscience de là que j’y mette la mienne »

« Quand il s’agit de décrire la crise profonde qui secoue le monde musulman en général et les pays arabes en particulier, les feux des projecteurs occidentaux sont systématiquement dirigés sur la mise en évidence des défauts de nos structures intérieures » relève très lucidement le sociologue tunisien Aziz Krichen (1) . « Ces carences sont rapportées à des déterminismes enfouis dans la longue durée, et présentées comme le résultat logique nécessaire d’une histoire et d’une culture qui nous seraient propres. Lorsque de telles problématiques sont reprises et relayées par des acteurs autochtones, on peut constater que ces derniers sont fortement encouragés, soutenus, applaudis et reconnus. On les publie, on les “médiatise”, on les invite, on les récompense : ils font le travail à votre place ».

En matière d’information, le « service public des uns » a en France deux façons de faire taire les autres. La première est d’interdire de facto de micro ou de plateaux toute une partie du tissu intellectuel national. La seconde, plus sophistiquée, et plus dangereuse pour le « vivre ensemble », a de profondes racines coloniales : faire taire l’autre c’est bien, parler à sa place c’est mieux encore !

Sur le « service public des uns », la voix des autres doit ainsi respecter une sorte de cahier des charges. Une émission sur l’Islam permet généralement, dans une première partie, de vanter sans restriction la grandeur, la noblesse et l’inventivité des musulmans… qui ont quitté ce monde. La seconde se doit en revanche de dénoncer les humeurs protestataires et le goût intempestif de la violence de l’immense majorité… de ces intégristes qui leur ont succédé. La conclusion conduit le plus souvent le « savant musulman » du jour à laisser entendre que, ma foi, si tous étaient aussi polis que lui ou si c’était à lui qu’était confiée l’éducation de ces empêcheurs de moderniser en rond, de Gaza jusque dans nos banlieues, le calme serait vite revenu.

Depuis le « psychanalyste musulman » qui a découvert (et qui le lui reprocherait !) tout le plaisir qu’il a à ne plus l’être, jusqu’au converti de fraiche date qui vient avec entrain, du haut de son soufisme tout neuf (ah… le bon soufisme !), pourfendre si opportunément la résistance du Hamas et du Hezbollah, sans oublier bien sûr la banlieusarde qui refuse d’être « soumise », l’imam adoubé par les généraux d’outre méditerranée, le roi de la caméra cachée régulièrement « infiltré chez les terroristes », le spécialiste des pathologies de la pensée musulmane et, de l’extrême droite chrétienne à l’extrême gauche marxiste, toute la cohorte des perdants récents de la politique arabe, venus sur le ton de l’expertise nous dire combien nous avons raison de penser tout ce mal de « nos ennemis communs », la palette sans cesse renouvelée des médiateurs « islamiquement corrects » de l’autre musulman s’enrichit et se renouvelle à l’infini.

Chacune et chacun de ces hérauts de nos « autres » a bien évidement son charme, sa respectabilité et sa légitimité. Le problème est que leur fortune médiatique est trop souvent inversement proportionnelle à leur ancrage dans la population qu’ils sont supposés représenter. Et qu’ils ne doivent leur temps d’antenne qu’à leur capacité à occulter beaucoup d’autres visions, bien d’autres sensibilités, de multiples autres exigences, qui sont souvent celles de la vaste majorité de leurs concitoyens ou de leurs compatriotes, ainsi privés de voix.

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La recette de ce parfait déni de représentation n’est pas nouvelle. En Algérie, au début des années 1950, pour dénoncer la manipulation des institutions représentatives des musulmans et qualifier cette technique dont le dominant use au détriment de celui qu’il ne veut pas entendre, Malek Bennabi avait eu une formule cinglante : « Ôte ta conscience de là que j’y mette la mienne ! » Cinquante ans plus tard, de l’autre coté de la Méditerranée, Bennabi n’en finit pas d’être d’actualité.

Note :

(1) Intervention à la rencontre pour le 10ème anniversaire de la création du Comité pour le respect des libertés et des droits de l’homme en Tunisie (CRDDHT), Paris, décembre 2006.

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Réponse à Vincent GEISSER

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