Dans son dernier ouvrage édifiant «La République autoritaire. Islam de France et illusion républicaine (2015-2022)» – Ed. Le Bord de l’eau – le politiste Haouès Seniguer, maître de conférences en science politique à Sciences Po Lyon et chercheur au laboratoire Triangle (UMR 5206, ENS-CNRS, Lyon), met en lumière les ambivalences de la gestion étatique du fait musulman et la propagation d’une forme d’idéologie du soupçon.
Ce fin connaisseur de l’islamisme marocain et des rapports entre islam et politique en France – auteur de « Les (Néo) Frères musulmans et Le nouvel esprit capitaliste. Entre rigorisme moral, cryptocapitalisme et anticapitaliste (2019) » – livre une analyse passionnante sur ceux qui alimentent, exacerbent la suspicion autour de l’islam de France, ses responsables et certaines pratiques jugées douteuses, au regard d’une certaine conception moralisatrice et autoritariste de la République et de la laïcité.
Haouès Seniguer a accepté de répondre aux questions d’Oumma.
Dans votre introduction générale, vous estimez que « notre pays n’est pas sous la coupe d’un régime autoritaire au sens plein du terme, ni même prisonnier d’un autoritarisme déguisé ou diffus ». Vous déplorez, cependant, que la scène politique française « n’en renvoie pas moins une image dégradée et à tout le moins inquiétante ». Quelles sont, selon vous, les principales causes de ce « délitement du débat politique »?
Dans cet ouvrage, je m’efforce de raisonner par méthode, en évitant autant que possible toute forme de manichéisme, par définition excessif, stérile et contreproductif. Or, force est d’admettre que c’est le manichéisme qui domine largement les débats publics actuels où il faudrait, de ce point de vue, penser en noir et blanc, où il ne fait pas bon, décidément, de tenir des positions nuancées car vous courez d’être accusé d’un côté comme de l’autre.
Par ailleurs, j’essaie de m’abstenir de toute espèce de généralisation, par essence hâtive et caricaturale. Je dis clairement qu’il y a des grands commis d’Etat, bienveillants, nuancés et bien disposés à l’égard des musulmans, notamment au niveau du Bureau central des cultes ou des préfectures.
Toutefois, cet autoritarisme, que j’ai vu se déployer après les attentats islamistes radicaux de 2015, procède de pratiques politiques déterminées, d’abord conjoncturelles puis, de plus en plus, structurelles, à l’égard de contestataires en général et de certaines catégories de musulmans en particulier, avec des formes de censures discursives à l’endroit de formes plus ou moins ostensibles d’expression de l’islamité.
J’en veux pour preuve les perquisitions administratives, les visites domiciliaires, etc., qui, souvent, n’ont d’ailleurs rien donné, cependant qu’elles ont privé de liberté certains, causé quelquefois des dégâts matériels, et surtout suscité l’effroi de familles entières, par des violences symboliques en tous genres difficilement cicatrisables.
Ce n’est pas la République ou l’Etat en soi qui sont autoritaires, mais des discours et actions d’acteurs sociaux, décideurs ou non, qui agissent en leur sein ou en leur nom. J’observe et fais observer, à cet égard, que les usages et surtout mésusages du référentiel républicain deviennent le paravent de discours et pratiques aux relents discriminatoires ou, a minima, essentialistes.
J’entends donc ici par autoritarisme l’imposition de choix et d’orientations politiques, sécuritaires et légales qui engagent la collectivité, sans concertation large préalable, discernement et pondération, avec l’ambition, tacite ou plus avouée, de discipliner les esprits et les corps, au nom par exemple d’un principe laïque attractif mais, dans les faits, revisité et complètement dévoyé. Ce n’est par conséquent plus seulement « d’un délitement du débat politique » qu’il s’agit, mais d’une « extrême droitisation de la vie politique », qui contamine jusque et y compris des secteurs de la gauche, pour reprendre la thèse intéressante du politiste Philippe Corcuff.
Cette extrême droitisation progresse sur fond de délitement des repères classiques distinguant historiquement la gauche de la droite. J’ajouterai aussi, plus spécifiquement eu égard à mes propres analyses, la réalité d’une extension d’une idéologie du soupçon vis-à-vis de celles et ceux qui sont jugés déviants, sans critères stables ou stabilisés adoptés par la puissance publique. Et c’est d’autant plus problématique que ça peut potentiellement affecter n’importe qui, dès lors que l’individu apparaît, à tort ou à raison, avoir quitté les rails de « la République » ou d’être un « faux » laïque.
Vous évoquez la « crise du récit républicaniste » et soulignez combien la « visibilité physique des musulmans dans les espaces publics stigmatise par réfraction tout l’impensé et les échecs d’un modèle universaliste brinquebalant ». Pouvez-vous développer votre réflexion ?
En fait, l’hypothèse que je défends est la suivante : la présence et la visibilité musulmanes dans les espaces publics mettent à l’épreuve, en en montrant les limites éclatantes du modèle républicain principiellement indifférent aux origines, aux différences ethnoreligieuses, linguistiques, etc. C’est un principe incontestablement désirable. Toutefois, un certain récit républicaniste achoppe sur l’islam et les musulmans.
C’est selon moi, très précisément, un révélateur paroxystique du soubassement intolérant du jacobinisme qui déraille lorsque l’altérité, quelle qu’elle soit, vient à s’exprimer ou à se manifester, ou que des subjectivités se font jour.
Je ne fais donc pas, en l’espèce, de l’islam et des musulmans une exception, mais plutôt un symptôme aigu de cette quête d’unicité culturelle, d’unitarisme même, du corps social, lequel découle d’un certain récit républicain, lequel n’est par ailleurs pas à l’abri de contradictions majeures : on dit, en effet, être indifférent aux origines et celles-ci, pourtant, ne cessent d’être exhumées d’une façon ou d’une autre, par le haut, pour être quelquefois brocardées.
Souvenez-vous du projet de déchéance de nationalité sous le quinquennat de François Hollande (2012-2017). Néanmoins, je fais une vraie différence entre la liberté, que je chéris, donnée à des individus de dire ce qu’ils sont, comment ils sont, d’être ce qu’ils sont, ce qu’ils veulent dire à propos de ce qu’ils sont, dans le respect de l’intégrité morale et physique d’autrui, et les injonctions d’interlocuteurs mobilisant le référentiel républicain pour leur dire en quelque sorte de se taire, de se faire discrets, ou d’être comme ceci plutôt que comme cela, tout en continuant à essentialiser les appartenances et les identités telles qu’elles sont invoquées ou racontées par les premiers concernés.
Vous critiquez les effets contreproductifs de la stigmatisation du rigorisme musulman. Quels sont-ils exactement ?
J’évoque ces assignations proférées par une multiplicité d’acteurs ayant accès à la parole publique et jouissant d’une autorité : intellectuelle, morale, politique, administrative. Lesquels jettent à la vindicte des individus ou associations qualifiés, sans aucune précaution et aucun sens de la nuance, de « salafistes », « d’islamistes », de « Frères musulmans », de « fréristes », etc.
Je vais être plus précis pour ne pas donner prise aux procès d’intention qui font, en ces temps troublés, facilement florès : qu’il faille débattre du discours et de pratiques religieuses au plan culturel, philosophique, je n’y vois pas le moindre inconvénient.
Je le fais, bien ou mal, comme d’autres le font, bien ou mal. Ce que je trouve regrettable en revanche est cette façon, toute politique ou politicienne, de discréditer, d’agonir, d’insulter publiquement des personnes en raison de choix vestimentaires ou d’options existentielles que nous ne partageons pas nécessairement, alors même qu’elles ne violent pas la loi, du moins en l’état.
Donnons un exemple concret : il se trouve des locuteurs qui affirment par exemple, sous des dehors tolérants, qu’il ne faut pas, ou qu’on ne peut pas, interdire le voile dans l’espace public, tout en continuant de marteler que le voile est le symbole de l’islamisme et de soumission de la femme, et peu importe ensuite les conséquences de telles paroles.
Vous posez également la question de savoir si « islamisme, rigorisme, djihadisme sont des frères siamois ». Diriez-vous que ces amalgames en « isme », qui galvaudent le sens des mots, sont caricaturaux ?
Oui, caricaturaux, et surtout aux antipodes des travaux en sciences sociales qui devraient être beaucoup mieux relayées et discutées dans les espaces publics de la parole. Un discours ambiant confond effectivement trois ordres de réalité : le rigorisme religieux, moral et comportemental, variable suivant les individus, dans l’espace et le temps, n’est pas systématiquement lié à un courant idéologique ou religieux précis.
Un exemple : vous pouvez être très attaché au halal, pour ce qui est de la viande, sans être un islamiste ou un salafiste forcené dans l’âme. Raccorder, linéairement et automatiquement, le halal à l’islamisme est une ineptie. En outre, vous pouvez être islamiste (je lui préfère l’expression néo-Frère), autrement dit conservateur sur le plan des mœurs, ou salafiste, c’est-à-dire encore plus conservateur, et respecter intégralement la laïcité, moins en tant que valeur que principe.
Par ailleurs, est-il utile de rappeler que islamistes et salafistes légalistes dénoncent le terrorisme ou djihadisme, soit l’engagement violent au nom de l’islam, qu’ils lisent comme une déviance mortifère, une abomination des enseignements de l’islam ?
Après cela, ils sont évidemment critiquables dans leurs rapports à l’altérité sous ses différentes manifestations, à l’intérieur ou l’extérieur des mondes de l’islam, dans leurs conceptions des relations entre les hommes et les femmes, etc.
Selon vous, les acteurs organisés de l’Islam de France, des plus conservateurs aux plus rigoristes, se retrouvent acculés par l’Etat, et « en viennent à approuver les stigmates qui affectent par extension tous les musulmans ». Pouvez-vous être plus précis ?
C’est un phénomène qui touche et a touché d’autres milieux, notamment homosexuels, dans des contextes de fragilité, comme le démontre bien le philosophe Didier Eribon dans son ouvrage, Une morale du minoritaire. Qu’est-ce à dire ?
Dans un contexte sociopolitique de stigmatisation qui touche des groupes minoritaires, quels qu’ils soient, certains membres desdits groupes, en quelque sorte inquiets et marqués par la crainte d’être montrés individuellement ou collectivement du doigt, jetés publiquement en pâture, auront tendance à reprendre à leur compte le discours stigmatisant, essentialisant, d’un environnement par certains aspects hostile, en cultivant l’illusion d’échapper ainsi au stigmate qui affecte leur groupe d’appartenance.
Cela s’est clairement donné à voir au moment de l’adoption, fin 2020, de la Charte pour les principes de l’islam de France, initiée par l’Elysée d’abord, relayée ensuite par le ministère de l’Intérieur, et enfin approuvée et défendue par le Conseil français du culte musulman (CFCM). Les signataires se sont alors mis à accuser l’autre ou les autres, notamment les non-signataires, de pratiquer « l’islam politique », d’être des « islamistes », etc.
Propos recueillis par la rédaction Oumma
Mouhib, il faut que les musulmans se battent chez eux pour développer leurs pays, combattre les dictatures et la corruption. Nous ne pouvons garder chez nous que ceux qui aiment notre pays et désirent s’intégrer. En évaluant les clandestins, ajoutés aux réguliers, ce sont environ 400.000 personnes étrangères qui entrent en France chaque année, attirées par les allocations diverses et les trafics.
Ceci ne peut plus durer car notre population se révoltera.
Lory, “chez eux”, où? Être musulman ce n’est pas une nationalité. Oui je conseille aux musulmans français de quitter leur pays et aller vivre à l’étranger le temps que les médias et les politiques reviennent à la raison, où les populations sont moins hostiles à l’islam. Ces musulmans aiment la France autant sinon plus que vous, mais différemment, ils ne sont pas obligés de penser comme vous, vous savez.
Quant aux étrangers qui viennent s’installer en France, il faut peut-être penser un jour à leur rendre leurs richesses volées pdt la colonisation, sans ignorer les ingérences qui se poursuivent jusqu’à nos jours. Vous croyez quoi, qu’ils allaient nous laisser les voler sans jamais se manifester pour réclamer ce qui leur revient de droit? Réveillez-vous.
Il fut un temps j’étais farouchement contre le fait de conseiller aux musulmans de quitter la France.
Maintenant, j’ai un peu évolué, je conseille vivement aux musulmans qui le peuvent (je dis bien ceux qui en ont la possibilité), surtout ceux qui ont des enfants en bas âge, de quitter la France et si possible les pays d’occident et de s’installer dans un pays qui n’a pas encore atteint ce degré d’hostilité envers les musulmans….quitte à y retourner plus tard.
Mouhib, je considère que nous sommes aussi responsable de cet islamophobie , qui a est né suite au vague d’attentat qui a frappé le monde. Ne soyons pas dans le déni de cette réalité .
Depuis plus de 20 ans j’entends un discours assez hostile à l’égard de la France , ce qui a manipulé les plus influençable. Chacun doit assumer sa responsabilité.
@Djeser,
C’est votre point de vue. Pas le mien.
Mouhib, ce n’est pas mon point de vue , c’est simplement la realité.
Le raisonnement absolument inverse de ce monsieur existe aussi…
Faut-il toujours que des musulmans jouent à la victime ? Evidemment, c’est plus confortable que de faire l’effort de s’assimiler. Allez, au moins s’intégrer chez nous…
En cas d’échec trop douloureux, il reste toujours le retour dans le pays des ancêtres. Même si les prestations sociales ne sont pas les mêmes, ce qui justifierait un petit effort.