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Rencontre « Animal et Société » sur l’abattage rituel musulman : vers une radicalisation des positions ?

Il semble bien loin le temps où M. Boubakeur, recteur de la Mosquée de Paris et président du Conseil Français du Culte Musulman (CFCM) pouvait se faire photographier tout sourire en compagnie de Mme Bardot, loin l’époque où la Fédération des Exploitants d’abattoirs (FNEAPS) signait une charte sur l’abattage rituel avec la Mosquée de Paris, oublié le temps où le président de l’association des Imams de France confiait dans une interview que l’abattage rituel n’était pas une priorité du culte musulman en France (N°spécial de La Medina, 2000), disparu le temps des fatwa égyptiennes conciliantes pour les méthodes d’étourdissement destinées à insensibiliser les animaux.

Alors que s’ouvre une discussion nationale sur l’abattage et en particulier sur l’abattage rituel dans le cadre d’un « grenelle des animaux », le temps semble révolu où l’abattage industriel musulman offrait encore un espace de négociation entre les différents protagonistes qui travaillent à la production de viande halal.

D’abord, que représente l’abattage rituel en France ? D’après des enquêtes de l’Œuvre d’Assistance aux Bêtes d’Abattoirs (OABA), l’abattage rituel des seuls bovins et ovins concerne 118 abattoirs sur environ 300 abattoirs français, soit un peu plus d’un tiers. Si on calcul le pourcentage des ovins et bovins abattus selon un rite religieux, on obtient environ un tiers des bovins, la moitié des veaux, et les deux tiers des ovins abattus en mode rituel dans ces 118 abattoirs. L’abattage rituel est donc une pratique courante qui s’imposait aux discussions du « grenelle des animaux ».

Représentants des cultes, collège de professionnels de la filière viande, collège d’ONG, experts scientifiques et techniques et représentants des ministères de l’agriculture et de l’intérieur étaient réunis le 7 Mai 2008 dans le cadre des rencontres « Animal et Société » initiées par le Président de la République. Cette réunion présidée par le Député de la Somme avait pour thème l’abattage rituel, et se déroulait dans le cadre des travaux du groupe « Animal, économie et territoires » traitant des questions portant sur l’utilisation de l’animal dans les activités économiques, de l’élevage d’animaux de rente aux spectacles.

Les organisations de protection animale avaient largement initié ce débat en dénonçant auprès d’une commission interministérielle (laquelle signa en 2005 le rapport COPERCI sur le champ du Halal[1]) le non respect de la réglementation sur les abattages rituels, l’absence d’information des consommateurs qui peuvent acheter sans le savoir une viande issue d’abattage rituel sans étourdissement préalable[2]. Ces organisations demandaient pour les plus radicales (la Fondation Bardot) la suppression de la dérogation à l’étourdissement, et pour les plus modérées (l’OABA) le strict respect de la réglementation en cas d’abattage sans étourdissement.

Elles faisaient valoir d’une part que dans les pays européens du Nord comme l’Allemagne et le Royaume Uni, deux pays où résident également une importante communauté musulmane, les abattages rituels musulmans utilisent majoritairement l’étourdissement, et rappelaient les propos sans ambiguïtés de l’ancien candidat à la présidence de la République M. Sarkozy dans une lettre du 18 Avril 2007 adressée à Mme Bardot dans laquelle il disait son souhait de « (systématiser) l’étourdissement des animaux (…) et dans un esprit de concertation avec les représentants des associations musulmanes et dans le respect des traditions (de) réussir à imposer (l’étourdissement) ». )

La réunion du 7 Mai a laissé aux organisations welfaristes un goût amer. Non seulement il ne fut pas question de négocier avec la communauté musulmane la possibilité d’utiliser l’étourdissement avant égorgement comme cela est pratiqué dans une majorité des pays producteurs non musulmans, mais les personnalités religieuses musulmanes invitées (Mosquée de Paris, Mosquée de Lyon et Aumônier musulman en chef des armées) se sont alignés comme un seul homme sur la position intransigeante du Consistoire Israélite de Paris sous la pression de laquelle la dérogation à l’étourdissement pour abattage religieux a été instaurée en 1964.

La Communauté juive de France venait justement de recevoir de Mme Alliot-Marie, ministre de l’Intérieur, l’assurance que la République ne toucherait pas à la dérogation à l’abattage rituel[3]. L’alignement des positions des musulmans sur celles des juifs eut pour effet de fermer toutes négociations sur la possibilité d’étourdir les animaux avant un abattage rituel musulman, venant clore trente années d’hésitantes ouvertures.

Pour comprendre cette évolution, il faut replacer cette discussion hors du cadre qui lui est attribué à tort. On pense souvent que la controverse sur l’abattage rituel oppose les défenseurs des animaux aux religieux. En réalité les religieux n’ont aujourd’hui pas plus les moyens que les welfaristes de rejeter ou d’imposer l’étourdissement.

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L’industrie de la viande, principal organisateur et bénéficiaire du marché halal, se plie aux exigences des importateurs des pays musulmans qui protègent leurs marchés en exigeant une viande issue d’animaux non étourdis, parce que, selon la logique du « qui peut le plus peut le moins », les exigences les plus strictes satisfont le plus grand nombre. Le rituel « sans étourdissement » est ainsi devenu sur le colossal marché des produits islamiques et de ses dérivés un argument commercial, un avantage compétitif. Pragmatiques, les religieux savent que s’ils peuvent encore espérer bénéficier des subsides du marché halal en instaurant leur label, ils n’ont aucune chance d’y parvenir contre l’industrie de la viande.

Comment favoriser le dialogue entre les différents acteurs de l’abattage rituel musulman ? Le groupe d’expert des rencontres « animal et société » peut à présent adopter deux positions. Soit il s’entête à prétendre que l’abattage rituel pose un problème spécifique entre islam et protection animale (ce qui est faux en théorie comme en pratique) et prenant le problème par le petit bout de la lorgnette essaie de faire passer de fausses bonnes solutions comme l’étourdissement post mortem qui a peu de chance de voir le jour, soit il élargit son champ d’action et traite non pas le problème de l’abattage rituel, mais les problèmes qu’il révèle.

Sur le plan religieux, aucune position consensuelle sur l’abattage n’émanera de la communauté musulmane tant que la gestion politique de l’Islam sera influencée par les partis politiques et le ministère des affaires étrangères avec la complicité d’un CFCM déconnecté des réalités de terrain.

Les welfaristes n’auront pas possibilité d’être entendus s’ils persistent à ne montrer pour leur campagne choc que les abattages des « autres » (en l’occurrence les musulmans et les juifs) – comme si les abattages n’étaient pas tous sanglants – pour faire croire à une coïncidence entre progrès civilisationnel et bien-être animal. Enfin les conditions du dialogue pour améliorer le sort des animaux au moment de l’abattage dépendront également de la capacité de l’État à affirmer sa présence dans les abattoirs, en soutenant le travail des inspecteurs vétérinaires sur lequel s’exercent de façon croissante les pressions de l’industrie de la viande sur un marché ouvert fortement compétitif où les normes de sécurité et d’hygiènes sont de plus en plus contraignantes.



[1] Un résumé est disponible sur le site du Ministère de l’Agriculture ici

[2] L’étourdissement consiste à plonger l’animal dans un état d’inconscience, il immobilise les animaux, facilitant le travail de l’abatteur, et permet d’augmenter les cadences d’abattage. Les méthodes d’étourdissement (remplaçant les assommages) ont été rendues obligatoires sous la pression des organisations de défense animale en 1964.

[3]l’Etat doit protéger les traditions cultuelles : je pense à l’abattage rituel que rien ne doit pouvoir remettre en question, même au nom de droits reconnus à la protection animale“. Mme Alliot-Marie, cité par l’AFP à la Conférence des rabbins européens le 13 Mai 2008.

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