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Réaction à l’ouvrage de Michel Houellebecq (Plate-forme)

Tintamarre, vacarme et tapage médiatique. Que se passe-t-il ? Un nouvel élu de la presse à grand tirage a fait de quoi alimenter les rotatives en quadrichromie, et a lancé de quoi égosiller les gorges chaudes, et de quoi faire jubiler d’une convoitise à peine camouflée les grands esprits de la littérature française et quelques uns de l’académie paraît-il, tant il est vrai que les grands esprits se rencontrent. De quoi s’agit-il ? Michel Houellebecq, coqueluche d’une presse avide d’extra ― et si vous ne le connaissez pas encore, ce qui au demeurant est tout à fait normal, la presse se chargera de vous le faire connaître sous les meilleurs augures,― a réinventé un nouveau moyen d’acquérir du succès rapidement si vous êtes un écrivain pressé, c’est-à-dire un écrivain « trendy » ou nouvelle vague. La technique est simple, mais les inventions les plus géniales ne procèdent-elles pas souvent d’idées simples ; il s’agit donc simplement, dans un amoncellement tonitruant et quasi chaotique de verbiage, d’agrémenter le tout d’une dose de vulgarité juste de quoi faire petit intello qui s’encanaille « grunge », de laisser transparaître une tendance maniaco-dépressive avec la mansuétude de celui en qui chacun devrait se reconnaître, et enfin, et c’est là la clé de la formule, d’asséner quelques invectives dignes d’un pilier de zinc devant son mètre de pastis. Néanmoins vous vous trompez si vous pensez que cela suffit pour produire les effets attendus, car votre composition n’atteint la perfection que si les invectives sont de franches insultes dirigées contre les Arabes, l’Islam, les musulmans, le Coran et tutti quanti. Avec ceci, vous aurez le succès assuré d’un tirage d’au moins 200 000 exemplaires en moins d’un mois et d’une promesse de rééditions multiples. Nous ne pouvons, devant la générosité de Michel Houellebecq qui accepte de nous dévoiler cette formule, que nous confondre en remerciements et en adulation obséquieuse pour son génie littéraire rarement égalé, sauf peut-être au Moyen Age quand Urbain et sa curie s’activaient à dresser les Croisés contre les barbares (les musulmans bien sûr) qui dominaient la Sainte Jérusalem. Aussi, soucieux de faire mieux que le parfum de scandale répandu par les média qui ont ainsi contribué à lui construire une renommée et à lui faire une publicité gratuite, nous voudrions insister sur ce qui fait le génie de Michel Houellebecq et que ces média n’ont même pas relevé :

D’abord, nous évoquerons le fait de l’ignorance incontestable de l’auteur sur les questions de l’Islam, et sa capacité à passer pour un iconoclaste talentueux et téméraire sur ces mêmes questions du fait simplement qu’il insulte à tout va. Donc ici réside un trait de génie qui consiste à insulter ce dont vous ignorez tout, et en suscitant les réactions qu’on peut imaginer, vous devenez subtilement l’objet même de la préoccupation de ceux-là dont vous ignoriez tout. Or il suffit qu’ils se manifestent pour leur dignité à la hauteur de votre imposture pour passer justement pour ce pour quoi vous voudriez les faire passer. Quant à ceux qui, comme vous et de votre clan, ignorent tout sur la cible de votre insulte, ils se réjouiront d’abord en exultant par procuration, et se diront ensuite offensés ou à tout le moins perplexes de vous voir humilié par une foule vindicative qui réclame des explications. Ils appelleront à la liberté d’expression et se feront les chantres du renouveau des idées, ils déploieront un grand amour évangélique à vous trouver des excuses et feront de vous un incompris du fait même que le public que vous insultez n’est par définition pas à même de vous comprendre et encore moins à même de saisir vos subtilités. En résumé, Michel Houellebecq nous enseigne, braves gens, comment être provocateur-victime pour votre bien et celui de votre éditeur. Talents méconnus, à vos plumes !…

 

Par ailleurs, les média ont injustement oublié d’évoquer la contribution méritoire de Michel Houellebecq à la sous-culture qui envahit les média eux-mêmes, la communication, les loisirs, l’art et la littérature. Comme nous avons eu la joie de voir l’avènement du Loft Story, plébiscité par un public de connaisseurs avertis, nous devons aujourd’hui saluer avec autant d’émoi la nouvelle littérature gore sur laquelle Michel Houellebecq lève une aube nouvelle. Et, comme tous les succès éclatants suscitent les jalousies, ne nous étonnons pas de voir traiter injustement ça et là Michel Houellebecq de cas psychiatrique qui comble un vide affectif. Mais heureusement, rassurons-nous de savoir que le public des lecteurs français raffinés n’est pas dupe, et qu’il a compris que l’avis des critiques littéraires a une expertise infaillible, et qu’il vaut mieux apprécier par procuration et penser par la conscience du système plutôt que par sa propre conscience.

 

Non, il n’y aura pas de nouvelle crise économique. Le marché qu’ouvre cette nouvelle littérature est prometteur d’une prospérité incommensurable, tellement le public est demandeur, et s’il ne l’était pas, on lui apprendra à l’être. Imaginez-vous tous les produits dérivés qu’une telle œuvre déclinera ?

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Enfin, comment évoquer le rôle de catalyseur de Michel Houellebecq sans rappeler que Le Monde publie le Jeudi 6 septembre 2001 sous la plume de Xavier Ternissien, juste au moment où culmine cette polémique de Michel Houellebecq et de sa fameuse « Plate-forme », un article intitulé « Le Coran en question », qui est un plat réchauffé que nous avons déjà dégusté sur oumma.com. Ne trouvez-vous pas curieuse cette coïncidence ? Et bien, ce n’est qu’un ingrat manque de reconnaissance à Michel Houellebecq pour sa capacité à cristalliser la synergie des idées.

 

Fort de cette leçon que nous donne Michel Houellebecq, j’ai décidé de rédiger un roman (qui j’espère sortira avant celui des vedettes du Loft Story pour avoir une chance d’être lu) où je m’emploierai à utiliser les ficelles et tuyaux divers que nous dévoile le célèbre auteur. Pour faire original, j’incrusterai par ci par là quelques phrases franchement antisémites, anti-judaïques. Je me donnerai l’air du beur en mal d’identité qui vide légitimement son spleen. Et à la première interview je dirai que la Bible est insipide et me donne des migraines alors que le Coran est tellement beau. Ou encore je pourrai me gausser du credo catholique et dire que l’Evangile est assommant de platitude. Je n’ai pas encore choisi, à moins que je ne publie deux romans à la suite en exploitant les deux options. Voilà, avec ça, je devrais mener rondement mon affaire. J’imagine déjà mon portrait dans les journaux, côté rubrique littéraire. Je ne sais pas pourquoi un ami, pourtant intelligent, à qui j’ai parlé de ce projet cherche à m’en dissuader…

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