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L’Islam dans les relations Arabo-Africaines (2/2)

Analyser un tel phénomène est une tâche plus qu’ambitieuse car cela nécessitera une approche multidimensionnelle et interdisciplinaire qui fera appel à plusieurs ressources aussi bien sociologiques qu’historiques.

Même si la notion de Ummah, ’une et indivise’, n’est, depuis la naissance du réformisme musulman, jamais sorti de son état de projet, elle mériterait, des réflexions plus approfondies. Il faudrait, dans ce sens, déconstruire les illusions entretenues jusqu’ici et, par ailleurs, prendre en considération les possibilités à venir. L’imbrication, dans cette question, d’une dimension politique et religieuse, pourrait expliquer le mal que les sciences sociales ont à se débarrasser des préjugés relatifs à cette notion de Ummah. Rappelons à ce titre que la France, ancienne puissance coloniale dans cette partie de l’Afrique Occidentale, redoutait, déjà à l’époque, qu’une éventuelle collusion entre Berlin et Constantinople vînt compromettre les ambitions politiques de l’Empire. C’est pourquoi, l’Administration coloniale ne tardera pas à créer dès 1906, dans le sillage des recommandations alarmistes du Rapport William Ponty, un service des Affaires Musulmanes, visant à lutter contre ce qui fut appelé l’influence maghrébine en Afrique Occidentale française.

Ainsi, il serait intéressant et sûrement constructif de voir, à cet égard, si l’appartenance à une religion où à une idéologie de type moderne, est de nature à fournir la matrice d’une politique capable de susciter l’adhésion des masses. Dans ce cas précis, une telle appartenance peut devenir un enjeu politique qui, comme le dit M. Rodinson, serait la base d’un ’réseau de normes et de comportements (…) imprégnés de religiosité et surtout de réaffirmation constante d’une existence commune’

Certes, l’heure n’est plus aux blocs idéologiques, comme aux temps du communisme. Mais depuis que Huntington, bien qu’essentialiste dans sa démarche, a prophétisé le clash des ’civilisations’ comme enjeu majeur de l’avenir stratégique et des relations internationales, l’on ne peut plus s’abstenir de s’interroger sur l’impact futur d’une foi qui regroupe, aujourd’hui, plus d’un milliard d’âmes. Bref, cette allégeance proclamée à l’Islam comme système de croyances et de cultes, pourrait bien, dans des circonstances politiques imprévisibles, fournir ’un modèle de bloc particulièrement cohérent’.

Dans ces Etats ouest-africains, où l’Islam touche une part importante de la population, les relations politiques, économiques et culturelles avec le Monde arabe empruntent très souvent le canal religieux. S’agit-il d’une conscience qu’ont les dirigeants politiques de l’efficacité d’un tel procédé, prenant en compte l’impact de l’Islam ou d’un calcul visant à s’attirer les faveurs de partenaires détenteurs de pétrodollars ? On pourrait, par ailleurs, se demander si l’assistance apportée aux ’frères en religion’ grâce à la manne pétrolière, était gratuite ou découlerait plutôt d’exigences politiques, à la fois internes et externes, dont, en particulier, le souci de se légitimer auprès des gouvernés N’est-elle pas, pour les pays du Golfe, une manière, entre autres, de gagner en sympathie auprès des pays africains, sujets de droit international, capables d’accorder leur soutien politique aux causes arabes et leurs suffrages dans les instances internationales ?

On a plusieurs fois constaté, comme dans le conflit israëlo-arabe, que les Etats africains n’ont pas échappé à la pression des couches de la population qui ont voix au chapitre – les organisations religieuses, notamment confrériques -. Tout récemment le soutien politique que les pays de la sous-région ont apporté à la Libye, isolée sur la scène internationale, a emprunté le canal religieux par le spectaculaire rassemblement des personnalités religieuses et politiques au Tchad. ! Aussi, lors de la guerre du Golfe, Saddam Hussein a été identifié par les médias d’Etat africains, au ’satan’ menaçant la Mecque et Médine, pour susciter l’adhésion populaire à la politique favorable à l’Arabie Saoudite et au Koweït.

Cette ingénieuse manipulation des symboles religieux pour des fins politiques signifie, de toute évidence, leur caractère incontournable dans les relations arabo-africaines et leur efficacité en politique internationale.

Dans un contexte international où les gouvernements défendent leurs intérêts et où les inquiétudes socio-économiques ne font que s’aggraver, peut-on toujours continuer à croire que la solidarité religieuse, ou imprégnée de religisiosité est illusoire ?

A l’heure où, partout, se forment de grands ensembles, afin de mieux affronter les défis politico-économiques, est-il sûr qu’un renforcement de la coopération arabo-africaine soit une alternative improbable ? Ou bien, la coopération entre Etats arabes et Ouest-africains, forte de son onction religieuse, n’est-elle pas à même d’exacerber ce que Rodinson avait nommé, un ’patriotisme de communauté’ ?

Les ressources existentielles importantes que dégagent les formes de religiosité n’ont-elles pas, parfois, la vocation de raviver et de renforcer les appartenances ?

Sans être alarmiste, dans un monde caractérisé par ce que Albert Memmi appelle ’la fluctuation de l’identité culturelle’, nous croyons qu’il serait ’sage’ de prendre en compte l’enjeu islamique en tant que tel, sur la scène internationale plutôt que de rester obnubilé par les effets contradictoires de l’islamisme, expression parmi d’autres de l’Islam. Malheureusement, on tend à confondre les deux notions !

Il est vrai qu’à force de penser en bloc, on risque de passer à côté de l’enrichissante diversité culturelle du monde musulman. Mais, on ne peut rester indifférent face à des situations où le sentiment d’appartenance ou de fidélité au groupe se traduit par des ’manifestations de solidarités’ similaires à celles de mouvements ou de pays à dominante sunnite suite au triomphe du chiite Khomeiny en Iran, en 1979.

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Bien que, souvent, l’organisation compte beaucoup plus que le credo ou son contenu, les rapprochements de type religieux ont, parfois, une force qui échappe à bien des observateurs. Vu l’engagement des Etats ouest-africains à majorité musulmane en faveur de la question palestinienne, ou dernièrement, de leur soutien à la Libye, peut-on, encore, continuer à exclure l’hypothèse selon laquelle de telles formes de solidarités pourraient devenir un acteur potentiel de la politique internationale pour les années à venir ? Il serait dommage, pour les observateurs et pour la recherche de ne pas en tenir compte dans l’approche des questions internationales et des échanges économiques et culturels surtout que les relations internationales ne peuvent plus se réduire à une simple affaire entre gouvernements. Au moment où l’on parle d’une ’Europe des peuples’, ne doit-on pas considérer les autres ensembles régionaux avec plus de réalisme en prenant en considération, au-delà des organisations, des sensibilités, l’incontournable acteur : le citoyen qui fait un retour incontesté ou, plutôt, une apparition inattendue sur la scène internationale. Il contourne même les circuits diplomatiques habituels et, quelquefois, saisissant les « opportunités » de la vie internationale aléatoire, arrive à instaurer une diplomatie « parallèle » en concurrence avec les acteurs institutionnels. Le facteur religieux, dans une telle situation est d’une efficacité politique et symbolique qui dépasse toutes les prévisions. Rappelons-nous que c’est grâce à la pression incessante d’adeptes sénégalais de la qâdiriyya, voulant rendre visites à leurs cheikhs que la Mauritanie fut « contrainte » à ouvrir ses frontières ses frontières fermées depuis la crise qui l’opposa au Sénégal en 1989.

Parfois l’amitié entre les peuples eux-mêmes, prend le dessus sur les problèmes politiques opposant les Etats. La confrérie Tijâniyya a joué un rôle similaire entre les peuples d’Afrique noire et du Maghreb en instaurant une coopération informelle de fait, au mépris des bouleversements de la politique étrangère des Etats.

Pour se convaincre de ce fait, nous n’avons qu’à nous pencher sur le cas précis du Maroc. Le royaume chérifien occupe une place de choix dans ses relations et avec le reste du monde arabe et les Etats ouest-africains. La spécificité même du Maroc est cette forte implication en Afrique noire. Pendant toute son histoire, elle a tissé et développé des relations à la fois culturelles, politiques et économiques avec cette région comme en témoignent les relations spirituelles qui lient certaines villes éloignées du Maroc, comme Fès, par le biais du Tidjanisme, aux communautés musulmanes de cette région. Ce pays entretient, aujourd’hui de très bonnes relations avec l’Afrique de l’Ouest et surtout le Sénégal. Les échanges entre ces deux pays sont multiples sur le plan bilatéral. Le facteur religieux y est, certainement pour beaucoup si l’on sait que même en ayant claqué la porte de l’OUA, le Maroc n’a jamais été aussi proche de l’Afrique de l’Ouest. Cet exemple du Maroc est édifiant d’autant plus que les relations bilatérales au niveau institutionnel son doublées de rapports personnels tissés entre les deux peuples. Les situations de ce type sont innombrables. Reste que des études sérieuses s’y penchent afin de donner sa véritable place à cette donnée désormais incontournable qu’est la coopération arabo-africaine ainsi qu’à sa portée symbolique pour ne pas dire religieuse.

1. Monteil Vincent : L’Islam noir : une religion à la conquête de l’Afrique, Paris Seuil, 1980.

2. Confrétrie Soufie créée par un saint d’origine irakienne dont le tombeau est à Baghdad, Sidi Abdel qâdir al-jîlânî.

3. Cuoq J/ dans son introduction au Recueil des sources arabes concernant l’Afrique Occidentale, Ed. CNRS , 1985, p25.

4. Rodinson Maxime : Islam : politique et croyance, Fayard 1993, p89

5. Voir Alphonse Gouilly : l’Islam dans l’Afrique Occidentale Française, Paris 1952 ; pp248-49

6. ibid p89.

7. Huntington P. Samuel : The Clash of Civilizations, Revue Commentaire, Avril 94

8. rappelons que le Sénégal, comme le Maroc avait envoyé des troupes dans le Golfe.

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