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Angleterre : collaboration entre musulmans et non-musulmans dans le mouvement contre la guerre

Cet article qui est la traduction d’une réflexion parue dans la revue anglaise International Socialism Journal, relate l’expérience intéressante entre musulmans et non-musulmans unis au sein d’un même mouvement contre la guerre.

Mouvement contre la guerre : une perspective musulmane britannique

Nous faisons l’expérience des grands événements historiques à travers une myriade de réponses individuelles et personnelles. Il est facile de se sentir petit et insignifiant devant une puissance beaucoup plus grande. Mais par notre participation dans un mouvement de masse rassemblant des individus divers, nous pouvons commencer à voir comment nos propres expériences se reflètent dans les expériences des autres.

Avant le 11 septembre 2001 ma préoccupation immédiate, en tant que mère, était naturellement le bien-être de ma propre famille. Je m’intéressais au monde, et j’avais des opinions, mais je ne m’étais jamais vue comme une « meneuse » ou une porte-parole. Pourtant, en quelques mois je me suis mise à faire de l’organisation politique au niveau local et national. L’histoire de cette transition n’est qu’un petit exemple de la façon dont beaucoup de musulmans, et d’autres, ont vu leur vie transformée par leur réaction à ces grands événements. Mon histoire commence par le choc du 11 septembre et ce qui l’a immédiatement suivi :

Il est difficile de décrire avec des mots les sentiments que j’ai connus après avoir eu la nouvelle de l’horrible attentat du 11 septembre. L’énormité même de l’attentat a entraîné un niveau sans précédent de couverture par les médias, dont beaucoup virèrent rapidement à l’expression d’un sentiment anti-musulman.

Au bout de quelques heures, des musulmans étaient désignés comme responsables des terribles attentats et tous les médias hurlaient les mots « terrorisme Islamique ». Tout à coup je n’étais plus Salma, mais une terroriste connecté d’une manière ou d’une autre à ces actions méprisables. Ma crainte était très réelle, et je me sentais pour la première fois isolée, une étrangère.

En revenant chez moi on m’a craché dessus dans la rue. Je tremblais de colère. J’avais mon fils de trois ans avec moi et j’avais peur pour lui. Personne n’a rien dit, personne n’a rien fait – ils ont simplement regardé, et ont passé leur chemin.

Je me sentais complètement impuissante, et c’est l’indifférence des témoins qui m’a le plus choquée. Il était clair qu’on ne voyait plus en moi une personne. Je serrais mon fils plus près de moi, et à partir de ce moment j’ai décidé de ne plus rester passive. Je ne serais jamais comme ces gens qui ont vu mais ne se sont pas arrêtés.

Cette expérience des journées qui suivirent le 11 septembre n’était pas unique. Certaines personnes ont voulu faire comme si rien n’était en train de se passer. Mais quand nous parlions entre nous, il était clair que quelque chose avait changé :

Mon amie, alors qu’elle rentrait chez elle, a entendu des gens dire : « Je veux poignarder tous les musulmans. » Plus tard on l’a humiliée en l’aspergeant avec une canette de bière, pendant que des badauds étaient là à ne rien faire. J’ai commencé à penser que si, simplement parmi mes amis proches nous avions été confrontés à ce genre de réactions, que pouvait-il se passer ailleurs, et quelle était l’expérience de la communauté musulmane dans son ensemble ? Ces attaques racistes étaient particulièrement difficiles à vivre, car j’avais vécu toute ma vie à Birmingham, une ville multiculturelle très vivante, et je n’avais jamais connu un tel racisme.

Même avant le 11 septembre il y avait un sentiment croissant parmi les musulmans que nous étions stigmatisés. Nous avions tous suivi les événements de Bosnie :

Une partie de moi commençait maintenant à poser la terrible question : « Quand notre tour viendra-t-il ? » Quand j’étais avec mes amis et ma famille nous partagions la même crainte, la même panique. Nous comparions sincèrement cette période sombre aux événements qui avaient eu lieu en Bosnie. Le nettoyage ethnique des musulmans venait de prendre place dans les années 90 à côté de chez nous, dans l’Europe moderne. Ces musulmans étaient de la même couleur et partageaient les mêmes racines ethniques que le reste de la population, et pourtant ils ont pu être marginalisés et diabolisés au point que leurs voisins et leurs collègues ont pu justifier et réaliser leur extermination. Nous pensions que notre position était encore plus vulnérable – la grande majorité des musulmans britanniques ne sont pas blancs, et la plupart des membres de notre communauté sont des immigrés de première ou deuxième génération seulement. Je pensais que ma place dans cette société allait de soi, et voilà que cette conviction était fortement ébranlée.

Le monde et nos vies prirent une nouvelle signification. Tout ce qui pour moi allait de soi – mon foyer, mes enfants, notre avenir, mes espoirs – tout était remis en question. Rien ne semblait stable ou sûr. Bizarrement, notre crainte était grande et notre existence menacée, et c’était nous qu’on représentait comme une menace.

Ce n’est que quand une de mes amies, par pure coïncidence, tomba sur un groupe de militant du Socialist Workers Party1 qui faisait campagne au centre-ville contre les bombardements prévus en Afghanistan, que les choses commencèrent à changer. Alors que nous nous sentions impuissants et qu’on nous disait de faire profil bas, il était rassurant de voir des gens venir vers nous qui avaient de la sympathie pour notre position. Elle m’a parlé d’une autre réunion contre la guerre et m’a persuadée d’y aller ainsi qu’une autre amie.

Les choses allèrent très vite à partir de ce moment. Cette réunion était un rayon d’espoir, et mes amis et moi étions à nouveau optimistes. Pour la première fois nos opinions et nos pensées étaient écoutées et prises au sérieux, et la peur et la frustration d’être toujours mal compris commencèrent à diminuer. On m’encouragea à devenir membre du comité de la Stop the War Coalition2 qui se montait, et peu de temps après on me confia la responsabilité d’en être la présidente.

Pendant 18 mois nous étions à la tête d’une coalition énergique qui rassemblait des milliers de personnes dans des manifestations locales et nationales, des réunions publiques, et des actions directes. Parfois l’activité était frénétique. Des groupes locaux se formaient dans la ville, nous allions régulièrement dans la rue tenir des tables pour apporter les arguments directement à la population. Des liens avec les médias étaient établis pour donner plus d’écho aux arguments du mouvement contre la guerre, une campagne d’affichage – la première dans son genre – a été lancée et des activités de collecte d’argent ont été organisées. Et pendant tout cela la contribution de la communauté musulmane allait toujours croissante.

Avant le 11 septembre 2001 je n’aurais jamais imaginé jouer ce rôle. Mais dans la crainte et la démoralisation je me suis rendue compte qu’avec d’autres, je pouvais en faire quelque chose de positif. La même expérience, de différentes manières, a été faite par des milliers et des milliers de musulmans – et en particulier par beaucoup de jeunes musulmanes.

Mais le développement de cette coalition n’allait pas sans de grandes difficultés.

Deux pas en avant, un pas en arrière

Aujourd’hui, il semble presque inévitable qu’un grand mouvement contre la guerre se soit formé en Grande-Bretagne, et en particulier à Birmingham. Cependant, il n’y avait rien d’inévitable dans l’alliance de tant de gens différents et le processus d’établissement de liens et de collaboration avec différents groupes dura toute une période. Il n’allait certainement pas sans difficultés, et certaines des façons dont les éléments de la coalition ont réagi les uns aux autres sont à présent en train d’être analysées.

Quoiqu’au début nous étions bienvenus et acceptés, il est apparu très rapidement que tout le monde ne voyait pas notre participation de façon positive, et qui irait sans problèmes. Notre soulagement devint déception quand des étiquettes telles que « intégristes réactionnaires » et des accusations ridicules concernant nos croyances et nos motivations nous étaient accolées par quelques individus qui croyaient que les laïcistes ne devaient pas travailler avec des croyants, particulièrement des musulmans. C’était choquant, non seulement parce que ce n’est pas ce à quoi nous nous attendions de la part de gens qui disaient être antiracistes et combattre contre les préjugés et l’injustice, mais parce que les accusateurs ne me connaissaient pas, ne m’avaient pas demandé ni à moi ni à d’autres musulmans quelles étaient nos croyances et nos positions, n’avaient clairement aucune connaissance de l’Islam même, et pourtant dénonçaient publiquement notre participation avec des déclarations péjoratives et négatives sur les musulmans et l’Islam. Ils ont également étendu leur condamnation aux non-musulmans, particulièrement les socialistes3, qui travaillaient avec nous.

Un exemple de cela fut donné après un meeting qui connut un grand succès, co-organisé par une organisation islamique (qui donna son accord pour financer les coûts considérables de l’événement bien que la majorité des orateurs n’était pas musulmans) dont le nom était « La paix dans des temps troublés » – l’une des plus grandes réunions politiques d’intérieur de toute l’histoire de Birmingham – à laquelle participèrent plus de 2000 personnes. La tribune était variée avec le célèbre écologiste George Monbiot, John Rees de la Socialist Alliance4, moi-même, et Zaid Shakir, un imam et universitaire américain. Jusque là le nombre de personnes non-blanches qui participaient à la coalition était très réduit. La présence de l’imam attira beaucoup de musulmans qui ont pu entendre les arguments contre la guerre et étaient encouragés à participer à des actions de protestation pacifique.

Le meeting semblait symboliser l’esprit d’unité et de respect mutuel que nous essayions de faire naître. Non seulement les musulmans étaient capables et disposés à écouter des analyses non-musulmanes, mais les non-musulmans pouvaient entendre une perspective musulmane.

Ce meeting suscita cependant une grande controverse dans le mouvement contre la guerre du fait de la présence de l’imam, qui s’est naturellement référé à l’Islam et au Coran dans son intervention. Alors qu’aucun musulman n’avait exprimé d’objections ce jour-là ou par la suite au fait que la majorité des orateurs exprimaient des points de vue profanes, certaines personnes dans la coalition exprimèrent de fortes objections au fait que l’un des cinq orateurs s’était référé ouvertement à l’Islam. Beaucoup d’entre nous étions stupéfaits de l’intolérance de telles opinions – après tout l’imam ne s’était servi que de versets du Coran qui soulignaient l’importance de la paix et de l’unité – il ne semblait pas devoir y avoir de raison à ce genre d’hostilité et de manque d’ouverture. Pourtant ils maintinrent que toute référence à l’Islam et à des versets coraniques, quelque soit leur contenu, était choquant pour eux. Il faut noter, cependant, qu’une attitude similaire envers des orateurs chrétiens qui citaient la Bible à d’autres meetings brillait par son absence.

Certaines personnes exprimèrent aussi leur indignation morale parce qu’il y avait une section de la salle « réservée aux femmes ». L’idée que beaucoup de musulmanes espéraient et préféraient cette disposition allait au-delà des capacités intellectuelles de certaines personnes, qui pensait que c’était là une preuve supplémentaire du sexisme et du patriarcat imposés par la force, tout comme certains d’entre eux ne pouvaient pas accepter que porter un foulard pouvait réellement être un choix de la part de musulmanes, et non pas imposé à elles par les hommes et une religion injuste. Les accusations de ségrégation forcée étaient tout simplement fausses. Il n’y avait aucune imposition – si des hommes et des femmes voulaient s’asseoir côte à côte personne n’insistait. Pour ceux qui n’avaient jamais interagi avec la communauté musulmane, la vision d’hommes et de femmes assis séparément a du surprendre. Cependant, au lieu de chercher à la comprendre et à la contextualiser par rapport aux expériences et à la culture des autres, certains condamnaient et jugeaient rapidement un comportement qui ne satisfaisait pas complètement leur propre norme.

En y réfléchissant, il semble que nos critiques ne pouvaient pas concevoir un Islam qui ne soit pas extrême. Le simple fait que nous étions des musulmans, certaines d’entre nous de façon visible parce que nous portions le hijab, voulait dire que nous devions être des extrémistes. L’ignorance de l’Islam tel qu’il est pratiqué par la majorité des musulmans est malheureusement très répandue, et la plupart des musulmans ne s’attendent pas à une compréhension profonde de leur foi. Le fait est que c’est une bonne surprise quand quelqu’un en montre une certaine connaissance.

Ironie du sort, les choses que beaucoup de musulmans considèrent fondamentales dans leur foi – le respect de la liberté de choix, l’importance des droits humains, l’égalité des hommes et des femmes, l’accent mis sur la solidarité et le combat pour la justice – sont les choses les moins associées à l’Islam. Au contraire leurs exacts opposés – l’intolérance, la violence envers les femmes, la violence aveugle et le terrorisme – sont les associations habituelles. L’incessante condescendance et le manque de toute discussion positive de l’Islam sont pour le moins fatiguant, et souvent frustrants et décourageants pour beaucoup de musulmans.

Beaucoup de gens se sont interrogés sur le manque d’engagement politique des musulmans dans ce pays jusqu’à aujourd’hui, et s’il est vrai que beaucoup des autres facteurs qui ont conduit au désengagement politique dans toute la population touchent également les communautés musulmanes, le poids supplémentaire d’avoir à combattre constamment ces stéréotypes négatifs avant même de pouvoir commencer un dialogue est un facteur important. Ainsi, alors que la pleine acceptation par certains éléments du mouvement contre la guerre était une nouveauté bienvenue et rafraîchissante, l’hostilité et le degré d’animosité d’autres éléments étaient très troublants et décourageants.

C’était vraiment une période éprouvante pour mon endurance et ma patience, et j’ai même parfois remis en question mon propre engagement, me demandant si le travail dans la coalition était la meilleure utilisation de mon temps et de mon énergie. Malgré cela, nous prîmes la résolution de maintenir notre dignité et de maximiser l’unité face à des attaques non provoquées. En vérité c’est dans cet article que je donne pour la première fois de façon publique notre version des événements, car je sens qu’alors que nous considérons l’étape suivante de construction du mouvement, il y a des leçons importantes que nous avons apprises et qui doivent être partagées avec le mouvement dans son ensemble. J’ai délibérément gardé le silence quand je sentais qu’il y avait beaucoup trop de « vrai travail » à faire dans la construction d’un mouvement fort, et que nous ne pouvions pas nous permettre de laisser nos énergies se perdre dans des critiques négatives.

Malheureusement, beaucoup de musulmans étaient déjà partis, dégoûtés et incrédules, quand nous nous avons tenu des élections au niveau de la ville, dont les résultats donnaient raison à l’attitude coopérative de la majorité et isolaient complètement la minorité hostile. Il était symptomatique de la compréhension de la démocratie par cette minorité qu’au lieu d’accepter le verdict de la majorité et de travailler ensemble dans les activités contre la guerre, ils décidèrent de former une scission dont l’activité principale était d’essayer d’affaiblir la Stop the War Coalition en distribuant des tracts à nos événements et des articles sur Internet qui disaient que nous étions « non-démocratique », et faisaient référence à l’ « alliance malsaine » de musulmans et de socialistes.

J’avais espéré que nos actions et la coopération dans l’esprit de l’unité apaiseraient certaines de leurs craintes et contrecarreraient certains de leurs préjugés, mais ils ne voulaient apparemment pas regarder les preuves qu’ils avaient devant les yeux, aveuglés qu’ils étaient par les barrières qu’ils avaient érigées dans leurs esprits.

Malheureusement, malgré l’expérience réussie de la collaboration entre musulmans et non-musulmans dans le mouvement contre la guerre, beaucoup de préjugés restent bien vivants. Un article de Nick Cohen dont le titre est « Pourquoi un groupe socialiste britannique forme-t-il une alliance politique avec des fondamentalistes répressifs, islamiques ? Dans l’article nous sommes décrits comme « les ennemis de la liberté politique, et les ennemis de la liberté religieuse et sexuelle », « des amis de la tyrannie », et des « partisans de la dictature ». En répétant les assertions diffamatoires à propos du meeting « Peace in Troubled Times », il écrit que « des membres du clergé et leurs partisans ont donné comme instruction aux femmes asiatiques5 de s’asseoir séparément des hommes », et qu’« on a dû faire taire les socialistes iraniens quand ils ont dit qu’ils savaient par leur amère expérience où mène la bigoterie religieuse ». Aucune de ces observations n’avait de fondement.6

La vérité est que beaucoup des stéréotypes négatifs utilisés par Cohen pour décrire l’Islam et les musulmans ont été intégrés par beaucoup de gens de gauche, ainsi que les attaques plus prévisibles de la part de la droite. L’Islam reste l’une des religions à laquelle les médias font le plus souvent référence, et cependant l’une des moins bien comprises. Le mépris avec lequel on en parle dans la presse de droite comme de gauche serait considéré complètement inacceptable si de telles généralisations négatives étaient faites à propos du judaïsme, du christianisme, ou de toute autre religion.

Il semble que les musulmans sont « acceptables » quand ils sont vus comme les victimes de l’impérialisme occidental dans des pays étrangers, qu’ils méritent d’être sauvés des tourments de leurs « maître impériaux ». Cependant, toute compréhension ou respect pour leurs croyances est rare, et l’idée que les musulmans et l’Islam peuvent être des acteurs pour un changement positif dans la lutte pour un monde meilleur n’a même pas commencé à être adoptée.

Stéréotypes de la communauté musulmane comme un « bloc » monolithique

Paradoxalement, nous ne pouvions pas considérer comme acquise la participation des musulmans britanniques au mouvement contre la guerre et leur réaction à la coalition. Le choc initial et les répercussions du 11 septembre n’ont pas suscité une critique claire de la guerre du gouvernement en Afghanistan de la part des dirigeants musulmans. La raison en était que les musulmans britanniques, comme tous le monde, était affectée par la mort d’innocents, mais ils faisaient aussi face à une pression particulière : devoir constamment condamner publiquement les attentats pour « prouver » que l’Islam ne justifiait pas ces actions.

Ainsi beaucoup de musulmans furent paralysés par une attitude défensive, contrite. Ceci se traduisit par un manque de critique du gouvernement, ce qui menait de fait à une acceptation muette de la situation.

De fait, certains pensaient que parler ouvertement et publiquement pourrait être dangereux pour la communauté musulmane dans son ensemble en attirant encore plus d’attention non voulue sur elle, et que cela augmenterait la violence d’une réaction raciste. Notre participation au mouvement contre la guerre était en vérité une lourde responsabilité et un chemin sur lequel il fallait avancer prudemment.

La plupart des gens présumaient que les musulmans de Birmingham formaient une sorte de « bloc » alors qu’en réalité ils formaient beaucoup de groupements différents. Ces groupements avaient beaucoup de choses en commun, mais ils comportaient des attitudes très différentes envers la politique. Cependant, il était présumé que parce que beaucoup de musulmans habitaient à Birmingham, ils formaient d’une certaine façon une masse qui attendait d’être mobilisée. Mais la réalité était très différente. Ils nous fallait des arguments et les convaincre individuellement, comme pour tout le monde.

En réalité, la désillusion et le sentiment d’impuissance étaient plus marqués dans la communauté musulmane à cause du lien personnel plus fort avec la question – à un niveau de base, beaucoup de musulmans pensaient que leurs frères et leurs sœurs étaient attaqués – et l’expérience de la diabolisation et des attaques islamophobes en Grande-Bretagne généraient plus de réticence. Par conséquent, à beaucoup de points de vue, il était encore plus difficile de mobiliser les musulmans. Il y avait beaucoup de crainte, d’apathie et de cynisme envers l’idée que quoi que ce soit de positif pouvait venir d’une telle alliance, ou de manifestations.

Au début, les initiatives et la participation au mouvement contre la guerre restèrent limitées à un petit nombre de mosquées. Afin de faire participer le plus de gens possible, les musulmans de la coalition demandèrent à des mosquées coopératives comme la Mosquée Centrale de Birmingham (avec le soutien vital du président Dr Naseem) de financer des bus qui partiraient des mosquées les moins actives. En ayant des points de départ à ces différentes mosquées nous espérions qu’une attente de la participation de ces mosquées serait créée dans les congrégations. Après quelques manifestations, des congrégations considéraient effectivement que leurs mosquées devaient soutenir les activités contre la guerre et fournir des moyens de transport, ce qui se passa finalement dans un nombre croissant de mosquées.

Les processus d’engagement dans la coalition :

« interactionnistes » contre « isolationnistes »

Certaines organisations comme la Muslim Association of Britain (Association Musulmane de Grande-Bretagne) et l’Islamic Society of Britain (Société Islamique de Grande-Bretagne) ont été plus rapides que d’autres à réagir, car leur conception de l’Islam incluait la politique. Cependant, la majorité des mosquées et des groupes Islamiques n’avait jamais traité de questions politiques, et il a fallu beaucoup de persuasion. Alors que certains restaient sceptiques quant aux chances de succès, beaucoup manquaient simplement de confiance et d’expérience ou avaient peur, mais beaucoup plus encore étaient heureux que quelqu’un fasse quelque chose, et une fois qu’un point de ralliement a été établi, ils étaient contents de se joindre aux autres.

Les fortes mobilisations étaient par conséquent très significatives : il n’y avait pas eu de si grands nombres de gens répondant à des appels à manifester de cette façon auparavant. Leur participation à ce moment avaient à voir en partie avec la consistance et la détermination de musulmans qui travaillaient dans la coalition pour convaincre les réticents, ainsi qu’avec le fait rassurant que des non-musulmans faisaient sincèrement campagne sur des questions similaires. C’était un vrai tournant et le début de l’espérance pour beaucoup de membres de la communauté musulmane.

L’approche de front unique a aussi aidé à apaiser les craintes de menaces de violence encore plus graves envers les musulmans s’ils protestaient, en lien avec la réaction raciste qui a suivi le 11 septembre. Les musulmans faisaient partie de quelque chose de beaucoup plus grand qu’eux, et il était beaucoup moins facile de peindre l’opposition musulmane à la guerre comme étant « anti-patriotique » alors que la majorité de la population les y rejoignait. On demandait constamment aux musulmans britanniques s’ils étaient « britanniques ou musulmans » via des « enquêtes » dans les médias sur nos loyautés – comme si nous ne pouvions pas être les deux. Ce genre d’interrogatoire ne servait qu’à souligner à quel point la société avait des difficultés à simplement imaginer l’Islam comme une partie intégrante du paysage britannique. Le mouvement contre la guerre a joué un rôle important pour réfuter des perceptions négatives de ce genre, et a aidé les musulmans à s’éloigner de la position confinée, de plus en plus marginale, d’être constamment sur la défensive.

Comme il a été remarque dans The Observer  :

Il y a un nouveau climat parmi les musulmans britanniques – il y a peu d’appels à des représailles violentes ou de slogans haineux, même de la part de groupes de jeunes hommes. La colère alimente plutôt le mouvement large de britanniques qui sont contre cette guerre, et que…les musulmans britanniques se sont mis à respecter et auquel ils font confiance. [Les musulmans] se réengagent, se mobilisent et, semble-t-il, le font de façon tout à fait britannique.7

Cet exemple positif de solidarité a également complètement marginalisé les groupes islamiques extrêmes qui s’opposaient au travail avec des non-musulmans. Bien sûr une grande partie des craintes de réactions violentes de la part de musulmans britanniques relevait de la même islamophobie. Mais il n’était pas complètement impossible que ces groupes aient pu gagner de nouvelles recrues autour d’un message anti-occidental simpliste parmi les rangs de ceux qui étaient terrassés par le désespoir et l’impuissance. Il y a eu une occasion intéressante où un groupe musulman extrême a essayé de semer le désordre dans un meeting de la Stop the War Coalition, en utilisant le slogan (plutôt ridicule) « Campagne pour ne pas arrêter la guerre » (« Don’t Stop the War Campaign »), en appelant les musulmans à ne pas travailler avec des non-musulmans. Ils essayaient de mettre en péril l’esprit d’unité et de solidarité que la coalition avait bâti. La marginalité de leurs opinions a cependant rapidement été mise en évidence quand les musulmans qui se trouvaient là les rejetèrent complètement. Le meeting suivit son cours, on ne les revit plus.

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La similarité de leur attitude envers la coalition avec celle des gauchistes sectaires était frappante. Eux aussi pensaient que travailler dans quelque alliance que ce soit était mal, que c’était une trahison de leurs principes. Et pourtant il me semble que ces deux groupes de personnes représentent un extrême de leurs idéologies respectives, et qu’alors qu’ils prétendent représenter leur système de convictions respectifs, ils avaient peu de choses à proposer à part des avertissements sinistres sur les dangers de l’Autre basés sur des préjugés. En cela, ils avaient plus de choses en commun les uns avec les autres qu’avec leurs coreligionnaires et camarades. Il est ironique que ceci n’ait servi qu’à souligner le degré de similarité et de communauté dans l’approche des musulmans et des socialistes dans la coalition qui se retrouvaient dans la situation de collaborer encore plus pour combattre ce genre d’extrémisme et assurer l’existence d’un mouvement équilibré et inclusif.

La solidarité dans le mouvement

La mobilisation de la communauté musulmane n’était cependant qu’une partie du travail de la coalition. Pour moi, mon rôle couvrait la construction de la coalition la plus large possible. J’ai parlé à divers réunions d’unions locales syndicales (trades councils), dans des églises, à des veillées pour la paix, dans des écoles et des universités, à l’usine automobile de Longbridge, à des pompiers pendant leur grève, à des agents municipaux pendant leur grève, et avec divers délégués syndicaux. Nous avons fait des projections de vidéos dans toute la ville, et sommes allés voir des députés pour leur présenter nos arguments.

Un partage d’expériences avait commencé. A Birmingham une mosquée locale a invité des socialistes ainsi que des représentants des fois chrétienne, bouddhiste et juive pour qu’ils parlent à leur congrégation. Un temple sikh a ouvert ses portes pour une prière œcuménique de 48 heures. Des socialistes, alors que certains d’entre eux étaient peut-être mal à l’aise au début à l’idée de travailler avec des croyants, ont pu voir les musulmans comme des personnes également dévouées, s’élevant contre l’oppression. Des chrétiens et des musulmans, dont certains étaient peut-être mal à l’aise au début à l’idée de travailler avec des « gens sans foi », ont pu voir que les socialistes étaient des gens qui partageaient leur attachement à la justice sociale, et parlaient des dangers du capitalisme sans garde-fous.

La solidarité devint une réalité, et de nouveaux liens furent tissés. Le syndicat des pompiers, avec à l’esprit l’expérience de leurs collègues de New York, étaient parmi les partisans les plus fervents du mouvement contre la guerre. Les liens crées dans le mouvement contre la guerre servirent pendant la grève des pompiers, durant laquelle la congrégation de la Mosquée Centrale de Birmingham réunirent 900 £ (environ 1300 euros) en une seule quête, car elle s’identifiait au slogan : « Ce gouvernement veut bien dépenser de l’argent pour prendre des vies, mais pas pour en sauver ».

En vérité, je crois que c’est ce processus de dialogue et d’action des uns avec les autres, de communication de notre position aux autres, tout en étant ouvert à nous changer nous-mêmes, qui a été la clé du succès du mouvement contre la guerre.

Je souligne l’importance d’« être ouvert à nous changer nous même ». J’irais jusqu’à suggérer que pour beaucoup de gens, moi incluse, cette expérience nous a transformés. Tout en maintenant nos identités distinctes, nous avons mis de côté nos différences et nous avons travaillé avec d’autres groupes pour trouver des points communs.

Cependant, au cours de notre expérience à Birmingham, j’ai appris qu’en collaborant intimement de façon très concrète, nous nous influençons les uns les autres, dans nos identités et dans nos opinions, avec comme résultat que les différents groupes changent la façon dont ils se comportent avec les autres, et même avec eux-mêmes. Une véritable transformation de nos identités a eu lieu – qui nous a enrichis mutuellement sans compromettre nos principes.

Avoir une identité solide nous permet de collaborer avec confiance avec d’autres, avec une certaine ouverture. Ceci nous a amené un examen plus profond de nos propres identités, qui ont évolué à la lumière de l’interaction des uns avec les autres.

Paradoxalement, ceux qui étaient les plus inamovibles dans leur attitude « puriste » et qui soulignaient le plus les dangers de l’érosion des convictions fondamentales, et défendaient donc une attitude isolationniste, trahissaient un certain manque de confiance dans leur propres convictions. Leur crainte de l’influence négative des autres souligne une certaine faiblesse de leurs convictions. Pourquoi craindraient-ils la possibilité d’un changement en eux-mêmes ou chez les autres, et présumeraient-ils que ce changement mènerait à une perte d’identité, plutôt qu’à son renforcement ? En fait nos croyances, nos convictions, nos attitudes ne sont réellement mises à l’épreuve que quand elles entrent en contact avec des idées différentes et même contradictoires.

Une approche isolationniste signifie qu’on ne veut prendre aucun risque. Mais en ne prenant pas de risques nous gâchons l’occasion à la fois d’apprendre, et d’influencer les autres.

Je crois fermement qu’une grande partie du succès du mouvement contre la guerre peut être attribué au fait que les énergies de personnes qui auparavant ne se sentaient peut-être pas « incluses » pouvaient alors être canalisées de façon positive, parce qu’elles se sentaient respectées.

L’émergence de leaders musulmanes

En tant que musulmanes nous trouvons souvent que notre place dans la société est mal comprise, et sous-estimée en occident. Le stéréotype de la femme musulmane/asiatique « passive » est bien connu. Nous rejetons ce stéréotype grossier, mais nous sommes également conscientes que le fait que des femmes musulmanes jouent un rôle de premier plan en politique pose un problème pour beaucoup de membres de notre communauté.

Il est notable que la majorité des musulmans qui jouent un rôle de premier plan dans la Stop the War Coalition était des femmes, à l’aise avec leur identité Islamique, et de plus en plus confiantes dans leur capacité de se présenter comme dirigeantes de ce mouvement large. La présence de contingents de jeunes musulmanes, bien organisées et souvent moins réservées que les hommes musulmans, était une caractéristique frappante de toutes nos manifestations. Je suis tentée d’attribuer cet effet au fait que, en portant le hijab (foulard), beaucoup de ces femmes sont constamment conscientes de leur identité musulmane quand elles agissent en public. Comme elles doivent continuellement combattre les perceptions des femmes musulmanes opprimées, et remettre en question les stéréotypes négatifs sur l’Islam, elles ont en fait plus d’expérience et ont plus confiance en elles que beaucoup d’hommes musulmans dans l’action et le dialogue avec d’autres

Je m’attendais à certaines des critiques et désapprobations initiales de la communauté à propos de mon rôle de premier plan dans le mouvement contre la guerre. Beaucoup de pratiques culturelles et de traditions asiatiques et arabes concernant les rôles des hommes et de femmes et l’interaction entre les sexes dans nos communautés sont trop souvent confondues avec la religion islamique, qui est invoquée à tort pour imposer un comportement restrictif. Cependant, à mon étonnement, seule une poignée de gens formulèrent des critiques, par comparaison avec la réaction massivement positive des mosquées et des organisations.

Certains hommes ne pensaient pas qu’il était approprié qu’une femme soit présidente (même si à ce moment aucun homme musulman ne se présentait). Certains émirent des doutes sur mes capacités d’épouse et de mère. Il est intéressant que certains émirent des doutes sur la sagesse de mon mari puisqu’il me « permettait » de faire ceci, et certains le critiquèrent même pour m’avoir placé dans une position « vulnérable ». Il ne semblait pas y avoir place dans leurs esprits pour l’idée que nous étions en fait un couple dans lequel nous nous soutenons et nous respectons mutuellement, aux points de vue politique et personnel – selon notre compréhension de la pratique du couple islamique. Ce type d’examen public dans des communautés très soudées est certainement l’un des facteurs qui découragent les femmes de se mettre en avant. Pourtant ce n’est qu’en le faisant que les attitudes changent dans nos communautés.

Beaucoup de gens expliquent la position de l’Islam à propos de l’égalité des femmes en soulignant les droits qui leur ont été accordés il y a 1400 ans dans le Coran. La réalité pratique est cependant qu’en grandissant musulmane j’avais été témoin de peu d’exemples et de précédents de femmes musulmanes qui soient leaders de communautés.

Alors que certains hommes avaient pu auparavant penser que la place d’une femme n’était pas à une tribune, la gravité de la situation commença à avoir raison de certaines de ces objections. La plupart des gens étaient soulagés qu’au moins quelqu’un prenne cette position publique dans une période si difficile. Il est intéressant de noter que cela a pu aider à changer les attitudes dans la communauté. Les frontières commencèrent à bouger, et d’autres femmes se sentirent aussi assez de confiance en elles pour se mettre en avant.

D’un point de vue personnel, j’avoue que jongler avec la vie familiale (j’avais deux garçons et étais enceinte de mon troisième enfant), le travail (comme psychothérapeute et étudiante de troisième cycle) et le militantisme politique (avec toutes ses contraintes et complexités décrites ci-dessus) était plutôt difficile. Trouver un équilibre était et reste encore un combat constant. J’ai la chance d’avoir eu le soutien de mon mari et de ma famille. Pourtant je ne peux pas m’empêcher de me demander, étant données les différentes difficultés que j’ai connues pour gagner le soutien de la communauté, si une femme musulmane célibataire aurait dû faire face à encore plus d’obstacles.

Foi et politique

Les difficultés de la construction d’un mouvement large contre la guerre ont donc compris des luttes à l’intérieur de notre communauté musulmane, et entre différentes perspectives politiques. Pour moi, en tant que musulmane, elles comprennent aussi un examen et un réexamen de la façon dont je lie ma foi au monde dans lequel je vis. Ma réponse individuelle est, je pense, symptomatique d’un processus plus large qui se déroule chez les musulmans britanniques.

J’accepte que j’ai dû faire face à beaucoup de questions sur moi-même pendant toute ma participation au mouvement contre la guerre. J’ai dû lutter pour maintenir la clarté de mes intentions, de mon but et de mes actions, sur la base de ma connaissance de l’Islam.

Le fait que j’étais une femme musulmane a pu être un sujet d’intérêt inhabituel pour certains, et le gage de la diversité dans le mouvement pour d’autres, mais pour moi ma foi est un élément central de mon identité. Elle donne un contexte plein de sens à ma vie, qui modèle à la fois mes actions externes et mes pensées et mes convictions intérieures.

Ma compréhension de l’Islam ne me laissait pas d’autre choix que d’agir devant l’intention de notre gouvernement de participer au meurtre de civils innocents en Afghanistan puis en Irak. Le Coran est très clair sur le devoir de faire front à l’injustice – même si c’est très difficile et si cela va à l’encontre de nos propres intérêts.

O les croyants ! Défendez fermement la justice et soyez des témoins d’Allah, fût-ce contre vous mêmes, contre vos père et mère ou proches parents, qu’il s’agisse d’un riche ou d’un besogneux.8

A la lumière de ce verset j’ai trouvé inacceptable que certains musulmans disent que condamner publiquement le gouvernement serait une invitation à de nouvelles attaques envers nous. Le principe de défense de la justice était très clair. Même si je reconnais qu’il y avait des pressions très réelles pour prendre le chemin de la moindre résistance, j’ai trouvé une inspiration dans le verset du Coran qui a trait au concept de « Djihad » – terme très mal compris – sur le devoir de faire des efforts dans le contexte de l’oppression :

Et qu’avez vous à ne pas combattre dans le sentier d’Allah, et pour la cause des faibles : hommes, femmes et enfants qui disent : « Seigneur ! Fais-nous sortir de cette cité dont les gens sont injustes, et assigne-nous de Ta part un allié, et assigne-nous de Ta part un secoureur ».9

J’ai vu la décision de travailler avec différentes personnes contre l’injustice, non pas comme un compromis par rapport à mes croyances islamiques, mais comme leur expression. Je me vois, moi et les autres musulmans qui ont trouvé dans leur foi une source d’inspiration dans la lutte contre l’injustice, dans la continuité d’une riche tradition de résistance trouvant son fondement dans la foi. Dans l’époque récente on a pu la voir, depuis la présence centrale de prêtres baptistes du sud des Etats-Unis comme Martin Luther King dans le mouvement pour les droits civiques, jusqu’à ceux inspirés par la « théologie de la libération » en Amérique Latine10, ainsi que les musulmans en lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud11. Toutes ces luttes victorieuses ont été caractérisées par des mouvements larges dans lesquels des croyants se sont unis à ceux qui avaient une autre foi, ou n’en avaient aucune, dans la lutte pour la justice. Alors que l’Islam est souvent décrit en termes de « fanatisme », hostile aux valeurs démocratiques et à la tolérance religieuse, le Coran lui-même est explicite dans sa promotion de la liberté de choix et de la diversité religieuse :

Si ton Seigneur l’avait voulu, tous ceux qui sont sur la terre auraient cru. Est-ce à toi de contraindre les gens à devenir croyants ?12

A chaque communauté, Nous avons assigné un culte à suivre. Qu’ils ne disputent donc point avec toi l’ordre reçu ! Et appelle à ton Seigneur. Tu es certes sur une voie droite. Et s’ils discutent avec toi, alors dis : « C’est Allah qui connaît mieux ce que vous faites ».13

Il est important de noter que le vrai contexte du phénomène récent d’attaques sur des cibles occidentales ne relève pas de l’idéologie religieuse mais de réactions et de revendications politiques14 Le soutien des Etats-Unis et de leurs alliés aux régimes non-démocratiques du Moyen Orient, ainsi que le soutien financier et politique à Israël aux dépens des palestiniens et de la stabilité de toute la région en sont les motivations. Il est clair pour beaucoup de gens que le Coran n’explique pas plus les attaques violentes portées par des musulmans que la Bible n’explique la participation catholique et protestante à la violence paramilitaire en Irlande du Nord. En ignorant les réalités politiques il est clair que la réponse de l’occident (la mal nommée « guerre à la terreur » qui est en fait une « guerre de terreur ») ne contiendra pas mais alimentera une violence supplémentaire. Cependant, si un monde plus pacifique est vraiment désiré, musulmans et non-musulmans devront réexaminer leurs propres identités et leurs présomptions. Du côté musulman, aussi difficile que cela soit, nous devons éviter de tomber dans le piège d’une réponse purement réactive à l’hégémonie militaire et culturelle occidentale. Vouer aux gémonies l’occident sans faire de détail, comme le font les « extrémistes » minoritaires, ne sert qu’à isoler les musulmans en dehors de l’engagement constructif, ce qui mène à « jeter le bébé » (certains traits progressistes de l’occident qui sont tout à fait compatibles avec les valeurs islamiques) avec « l’eau du bain » (l’acculturation coloniale et l’occupation militaire).

La difficulté pour beaucoup de non-musulmans, particulièrement en occident, est d’admettre la possibilité qu’il y a des valeurs tout aussi universellement valides que les leurs, et qu’il n’est pas besoin d’un monopole de la production de la modernité. Par exemple, l’étendue et la complexité du mouvement islamique et de la présence musulmane, avec sa contribution historique à la culture occidentale et son rôle actuel d’extension de la modernité au Proche Orient, doit être reconnue.

Ainsi, toutes les personnes concernées doivent faire la démarche difficile d’être à la hauteur de leurs prétentions à la défense du principe « nulle contrainte en religion – ou en convictions », qui est en fait un refus de l’idée de ne considérer comme légitime qu’un seul système de référence. Ceci requiert que les individus franchissent les limites d’une familiarité confortable avec leur appartenance instinctive pour aller sur le terrain moins familier du dialogue avec le symbolisme et les significations tenues en estime par d’autres. Ceci peut être considéré comme le début d’un processus constructif de développement d’un « consensus de la modernité »15, qui se base sur des valeurs communes, et qui encourage le pluralisme et la coopération.

Le mouvement contre la guerre, malgré les éléments sectaires, a offert un rare espace de sécurité pour que des musulmans s’y expriment dans leurs propres termes, sans crainte d’être attaqués, et j’ai trouvé que c’était une expérience assez libératrice de pouvoir exprimer ce que je pensais réellement de la situation.

Beaucoup de musulmans qui sont allés aux grandes manifestations et ont assistés aux réunions publiques ne pouvaient pas nier que quand ils ont vu le nombre d’autres personnes qui partageait leur sentiment d’injustice et de colère, cela leur avait donné de l’espoir. En vérité, c’était le fait que la majorité des gens dans le mouvement contre la guerre n’étaient pas musulmans mais partageaient beaucoup des mêmes préoccupations qu’eux qui a commencé à leur donner un peu d’espérance dans leur état de désespoir et d’impuissance.

Paradoxalement, c’est en se joignant à des gens différents, et en acquérant un sens de forte communauté avec eux, qu’ils ont pu se sentir renforcés dans leur identité de musulmans, et se sentir fiers de leur identité.

Une observation intéressante faite par certains musulmans était qu’alors que nous croyons à l’idée d’une vie dans l’au-delà qui nous réconforte dans les moments difficiles, nos amis incroyants n’avaient pas cela, et restaient pourtant persistants dans leur lutte.

Conclusion

D’une manière qui n’a pas de précédent, le mouvement contre la guerre a réussi à rassembler un nombre énorme de gens de tous les secteurs de la société autour de trois objectifs clés : empêcher une guerre, arrêter la réaction raciste et arrêter les attaques sur les libertés civiles.

Malgré que l’intervention militaire a eu lieu, le fait que des millions de personnes ont participé à un mouvement contre ces interventions a montré que les gens ont formé une véritable compréhension et un véritable sentiment de solidarité les uns envers les autres, en transcendant les frontières nationales comme les fausses divisions entre Orient et Occident. Ils ont fait fi même des barrières entre les croyants et les non-croyants pour découvrir et exprimer une humanité commune.

La réaction raciste a par conséquent été plus limitée, et les libertés civiles sont défendues par le fait qu’une plus grande démocratisation est encouragée par la large participation de gens ordinaires à la politique. Tout cela montre le chemin de la possibilité de la paix et de l’harmonie, et c’était là notre but. Même si la bataille pour arrêter la guerre a été perdue, la bataille pour la conquête des cœurs et des esprits va dans notre sens.

Tous les conflits du monde d’aujourd’hui ont un lien avec une injustice non corrigée, elle-même trouvant sa base dans le manque d’égalité. Il me semble qu’il y a une équation très simple – là où il y a l’inégalité il y a l’injustice, là où il y a l’injustice on ne peut pas avoir la paix. Par conséquent si nous désirons réellement la paix nous devons revenir au début de cette équation. Pour atteindre la paix nous devons avoir la justice, et pour avoir la justice nous devons avoir une égalité réelle.

De plus en plus de gens arrivent à la conclusion qu’en se contentant de réagir et de protester contre ce que nous ne voulons pas en espérant que les gens au pouvoir seront persuadés ne suffit pas. Plutôt, le temps est venu d’une véritable alliance proactive qui reflète les souhaits réels des gens. Une alliance qui propose à la fois une politique intérieure éthique et une politique extérieure éthique. Une alliance qui travaille pour une « civilisation de la solidarité »16. Il n’y a pas de raccourci pour une telle proposition. Elle nous demande de construire, à partir des liens puissants déjà formés dans le mouvement contre la guerre. Musulmans et non-musulmans doivent continuer à se confronter au difficile combat contre les perceptions simplistes par leur collaboration, par l’éducation et par l’information. Les musulmans britanniques doivent essayer de contribuer à la construction du mouvement et être encouragés à le faire, en ne se contentant pas d’une intégration passive. De façon similaire, les socialistes devraient pouvoir considérer les musulmans comme leurs alliés dans leur lutte pour un monde meilleur. Les portes du respect mutuel s’ouvrent lentement. Ce ne peut être qu’une bonne chose – pour tout le monde.

Merci à Ger Francis, Mark Hollan et Shaista Anjam pour leur aide dans la préparation de cet article.

Extrait de l’article « Global and local echoes of the anti-war movement : a British Muslim perspective », Numéro 100 de l’INTERNATIONAL SOCIALISM JOURNAL, automne 2003, Copyright © International Socialism

(Traduction : Sylvestre Balazard)

Notes :

1 Le plus grand parti d’extrême-gauche en Grande-Bretagne (NdT).
2 Coalition pour arrêter la guerre, qui a organisé toutes les grandes manifestations contre la guerre en Irak en Grande-Bretagne (NdT).
3 En Grande-Bretagne le mot “socialist” a gardé le sens qu’il avait en France au début du vingtième siècle Il désigne essentiellement l’extrême-gauche révolutionnaire, ainsi que des secteurs de la gauche du parti travailliste. (NdT)
4 La Socialist Alliance regroupait la plupart des partis d’extrême-gauche. (NdT)
5 La plupart des musulmans de Grande-Bretagne sont issus de familles originaires du sous-continent indien : Pakistan, Inde et Bangladesh. Le mot « Asian » (qu’on ne peut traduire que par « asiatique » désigne tous les individus ayant une ascendance dans ces pays. (NdT)
6 N. Cohen, ’The Lesson the Left Has Never Learnt’, New Statesman, 21 juillet 2003. Cohen n’était pas présent au meeting dont il est question, non plus qu’à aucun meeting de la coalition de Birmingham, et n’a parlé à aucun des musulmans participant à la coalition
7 F. Alam, ’How War Has Brought Hope to British Muslims’, The Observer, 23 mars 2003
8 Coran, sourate 4, verset 135
9 Coran, sourate 4, verset 75
10 Voir M Lowy, The War of Gods : Religion and Politics in Latin America (Verso, 1996).
11 Voir F Esack, Quran, Liberation and Pluralism : An Islamic Perspective of Interreligious Solidarity Against Oppression (Oneworld, 1997).
12 Coran, sourate 10, verset 99
13 Coran, sourate 22, verset 67, 68
14 F. Burgat, L’islamisme en face (La Découverte, 2002)
15 Comme ci-dessus
16 M. Lowy et F. Betto, ’Values of a New Civilisation’, in W F Fisher and T Ponniah, Another World is Possible : Popular Alternatives to Globalisation at the World Social Forum (Zed, 2003).

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