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Rentrée 2004, mode d’emploi

I Introduction

Par la publication, le samedi 22 mai 2004, de sa circulaire d’application, nous sortons du long périple en vue de la mise en œuvre de la loi du 15 mars 2004. Cette loi dite « d’application du principe de laïcité dans les établissements publics d’enseignement » est plus connue sous le nom de « loi anti-foulard ». Elle fait passer l’état du droit français du principe de liberté religieuse accordée aux élèves des établissements publics d’enseignement, à l’obligation de l’abandon de certaines pratiques vestimentaires découlant de leurs convictions religieuses.

Ainsi, en moins d’un an d’un pseudo débat la France, « Patrie des droits de l’homme et du citoyen », a réussi à remettre en cause l’un des principes les plus élevé dans la hiérarchie des droits fondamentaux de la personne humaine : la liberté de conscience et de religion. Cette loi a été adoptée à la très grande majorité de la représentation nationale sans que les citoyens, dont les ancêtres s’étaient pourtant battus pour leur léguer leurs libertés, ne protestent massivement.

Depuis octobre 1989, date de la première affaire des foulards de Creil, j’ai eu la chance d’être un observateur privilégié du processus qui a abouti à cette loi liberticide. Depuis cet épisode, une question m’obsède : Pourquoi ?

Pourquoi le port, par des adolescentes, de quelques grammes de tissus sur leur tête obsède-t-il a ce point une minorité très agissante de chefs d’établissements et d’enseignants ? Pourquoi cette minorité arrive-t-elle à convaincre une majorité de citoyens de la nécessité d’interdiction de cette pratique ? Pourquoi ce sujet, pourtant très marginal, tant dans l’islam que dans la société française, arrive-t-il a prendre de telles proportions ? Pourquoi les très nombreuses institutions et organismes de défense des droits de l’homme et du citoyen, qu’ils soient nationaux ou internationaux, sont tout à coup impuissants dans la défense de principes si importants pour notre démocratie ?

Autant l’avouer tout de suite, malgré quinze années de réflexions approfondies, je ne prétends pas avoir de réponses satisfaisantes à ces questions qui m’obsèdent. Je dois tout de même reconnaître que grâce à elles, j’ai plus appris sur les mécanismes réels qui conduisent mon pays que je n’aurais pu le faire en lisant tous les ouvrages de droit et de science politique de la terre. Bien sûr, les pistes que j’explorais dans mon premier ouvrage « Le foulard islamique et la République Française : Mode d’emploi » paru en 1994, restent d’actualité mais j’essaierai ici d’en explorer quelques autres à la lumière des débats récents qui ont secoué notre pays.

La France m’apparaît parfois comme un état schizophrène, refusant de voir les groupes de pressions qui oeuvrent en son sein, imposant à ses minorités un moule majoritaire dans lequel le droit à la différence est souvent nié.

II Les causes officielles de la loi et d’autres qui le sont moins…

J’ai naturellement été très attentif aux débats des commissions de réflexions sur l’application du principe de laïcité, tant celle de l’Assemblée Nationale présidée par M. Debré que celle de M. Stasi. J’ai assisté à l’intégralité des débats à l’Assemblée Nationale. Tous ces évènements et tous les écrits qu’ils ont entraînés m’ont permis de dégager vingt-neuf problèmes de société qui seraient à l’origine de la loi.

Ainsi, une simple loi de trois articles permettrait de résoudre vingt-neuf problèmes majeurs de la société française ? Comment croire à de telles fables ? Comment ne pas y voir une manifestation flagrante de notre « schizophrénie à la française » ?

Dès lors, les musulmanes et les musulmans sont fondés de se poser la question des véritables raisons de la loi du 15 mars 2004. Sans vouloir être exhaustif, on ne peut que constater que cette loi a été votée suite à la demande expresse d’une minorité de cadres de l’éducation nationale, qu’ils soient professeurs ou chefs d’établissement.

Certes tous les professeurs et les chefs d’établissement ne sont pas du même avis, nombreux sont ceux qui expriment leur exaspération devant la stigmatisation de ce problème très marginal, mais il y a, chez une minorité d’entre eux, très agissante, une obsession vis-à-vis de la pratique religieuse des jeunes musulmanes et musulmans qui fréquentent leurs établissements.

En dehors de préjugés et d’opinions racistes, qui existent de manière indéniable mais qui, à ma connaissance ne sont jamais réprimés, la très grande majorité des responsables impliqués dans la lutte contre la pratique religieuse, fonctionnent sur une conception très particulière de leur mission d’éducateurs :

Jusqu’à présent, je croyais naïvement que le rôle de l’éducation nationale, à laquelle je confiais mes enfants, était de leur transmettre au mieux des connaissances et des valeurs républicaines de manière à leur permettre le meilleur développement et épanouissement individuel. Pour moi, cette relation d’éducation devait impérativement entraîner un respect de l’élève envers ses éducateurs.

Mais à force de discuter avec les acteurs des problèmes de foulard qui se sont posés ces dernières années, je me suis rendu compte que certains professeurs n’envisagent d’éduquer nos enfants que dans un rapport complet de soumission. Pour ceux-là, l’enseignement n’est qu’un rapport de force qui doit écraser l’élève de manière à lui enlever toute volonté de révolte.

Dans cette optique, ce n’est qu’à ce prix que la discipline peut régner dans les salles de classe. Le but de ces enseignants n’est plus le développement harmonieux des élèves, il est devenu l’écrasement de leur personnalité propre pour les forcer à entrer dans un moule pour leur bien futur. Il s’agit bien d’une perversion, au sens psychiatrique du terme, de la relation de l’enseignant à l’élève. Toute relation perverse induit des comportements réactifs : l’évitement, l’insoumission, le manque de respect ou la vengeance.

À la lumière de cette analyse, les « affaires de foulard » prennent une toute autre dimension ; cette minorité d’enseignants ne supporte pas que les jeunes musulmanes soient soumises à une autre autorité que la leur : l’autorité divine en l’occurrence, mais on a vu les mêmes phénomènes pour les piercings ou le port du string… Ce qui pourrait expliquer leur acharnement obsessionnel à briser cette minorité de filles qui « défient leur autorité »…

Pour ma part, je reste convaincu que l’école est le lieu d’apprentissage du vivre ensemble et du développement individuel harmonieux. Il faut empêcher qu’elle ne soit l’outil de l’écrasement et de l’asservissement des générations futures.

En défendant les jeunes filles, je leur donnais les outils de protection de leurs personnalités et de leurs choix individuels. Inversement, je provoquais sans le savoir la rage de ceux qui voulaient pervertir notre système d’enseignement. En nous appuyant sur les principes juridiques des droits de l’homme et du citoyen qui fondent notre laïcité, nous avons réussi, pendant quinze ans, à leur rappeler leurs devoirs de respect des choix des élèves.

III Une loi d’exclusion

Ayant perdu sur le terrain juridique, cette minorité de cadre très agissants s’est attachée à vaincre sur le terrain politique où il n’y avait personne pour prendre la défense des petites musulmanes. Structurés en lobbies syndicaux, puis au sein des plus grandes formations politiques, à l’aide de journalistes complaisants, ils ont su trouver des oreilles compatissantes pour envisager l’adoption d’une loi qui leur permette enfin de soumettre ces élèves.

Mais comment faire adopter une loi liberticide au pays des droits de l’homme et du citoyen ? Dès le printemps 2003, nous avons eu droit à une offensive médiatique massive destinée à convaincre la population de l’importance de nombreux problèmes de société et de l’urgence qu’il y avait à leur trouver une solution rapide. Ces vingt neufs problèmes existent réellement, il faudrait, pour les résoudre, un vrai débat de fond, impliquant des analyses sociologiques poussées et des échanges approfondis entre les acteurs de terrain.

Mais l’urgence n’était pas là : pour résoudre des problèmes aussi graves que la violence scolaire, l’absence de respect des élèves, la monté du fondamentalisme islamique dans les banlieues, les violences faites aux femmes, les viols en réunion, les mariages forcés, l’antisémitisme, les conflits communautaires aux seins des grands ensembles urbains, le refus par certaines patientes d’être examinées par des médecins de sexe différent, le statuts des femmes en Iran ou au Maghreb, la question de la compatibilité de l’islam avec les valeurs de la république, le terrorisme international et tant d’autres sujets disparates de société, une seule solution devait s’imposer : Interdire le foulard islamique à l’école !

Nous avons eu ensuite droit à deux simulacres de débat : l’un polémique mais ouvert, à l’Assemblée Nationale au sein d’une commission ad hoc, l’autre plus feutré mais prenant soin de donner une parole minimale aux opposants à une éventuelle loi, sous la direction théorique de M. Stasi. Lorsque les participants risquaient de douter, ils étaient rappelés à l’ordre par leurs promoteurs qui n’ont pas hésité, dans le cadre de la commission Stasi, à raccourcir brutalement le calendrier de réflexion des « sages »…

Les dirigeants des deux principales formations politiques, l’U.M.P. et le P.S., étant convaincus, il ne restait plus au Parlement qu’à trouver une formulation suffisamment ambiguë pour ne pas déroger, en apparence au moins, aux principes de protection des droits de l’homme.

Ainsi, une loi ne peut viser l’islam en particulier, elle vise donc à « défendre le principe de laïcité » en interdisant le port de tous les signes religieux. Elle doit, suivant les principes du droit national et international, donner les moyens aux chefs d’établissement de faire face à un trouble à l’ordre public et ne peut comporter d’interdiction générale et absolue, on a donc rajouté l’adjectif « ostensible ».

Ainsi faite, la loi pouvait être présentée par la diplomatie française comme « ne visant aucune communauté religieuse particulière » et respectant, en apparence au moins, notamment l’article 9 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, dont la formulation est pourtant un chef d’œuvre de clarté, de précision et de concision :

-“1- Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.

– 2- La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.”

Cette loi, bien que n’ayant pas subi le contrôle de constitutionalité et sans que l’avis du Conseil d’Etat demandé par le gouvernement n’ait été publié, pourait être présentée comme n’étant pas illégale. En effet, il ne s’agirait que de donner, aux chefs d’établissements, des outils, prévus par la loi, constituant des mesures nécessaires, dans une société démocratique, au maintien de la sécurité publique, de la protection de l’ordre, de la santé ou la morale publique, ou à la protection des droits et libertés d’autrui

En confiant l’application de la loi aux chefs d’établissements qui ignorent, ou peuvent prétendre ignorer les principes du droit, on peut être sûr que son application concrète méprisera la nécessité absolue d’un trouble à la sécurité, à l’ordre à la santé ou à la morale publique préalable à toute sanction. Car si l’existence de la loi est nécessaire selon les termes de l’article 9-1 de la Convention Européenne des Droit de l’Homme, elle n’est certainement pas suffisante. En matière de liberté de conscience et de religion, la loi ne peut et ne doit être que l’instrument de la répression d’un trouble à l’ordre public.

C’est ainsi qu’en jouant hypocritement sur les termes d’une loi ambiguë et en confiant son application à des personnels qui ne sont pas formés juridiquement, on se prépare à briser l’avenir de filles dont le seul « crime » aura été de choisir de pratiquer leur religion sans avoir, à aucun moment, troublé l’ordre public de l’établissement.

On peut bien sûr souligner que les filles qui s’estimeront victimes de discrimination pourront demander le rétablissement de leurs droits aux tribunaux compétents jusqu’à la Cour Européenne des Droits de l’Homme, mais concrètement, au bout de combien de temps pourront-elles espérer être rétablies dans leurs droits ? Deux ans ? Cinq ans ? Dix ans ? D’ici là, les plus endurantes auront été définitivement brisées, interdites d’avenir et, pensent les promoteurs de cette loi, la question ne sera plus d’actualité.

On a l’habitude, au Parlement, en présentant les différents projets et propositions de loi, de parler de « texte équilibré »… Mais dans le cas de cette loi, où est l’équilibre du texte ? Cette loi est bien une hache, mise dans les mains des chefs d’établissement, pour menacer les musulmanes susceptibles de choisir de porter le foulard islamique et pour briser l’avenir de celles qui refusent de se soumettre. Il s’agit bien d’une loi d’exclusion, adjectif hideux qu’on a toujours répugné à employer au cours des débats de l’année 2003.

Un bon nombre de chefs d’établissements ne s’y sont pas trompés, qui convoquent dès maintenant les filles pour leur signifier que « la loi a changé » et qu’à partir de septembre 2004 elles devront renoncer à porter leur foulard islamique dans les établissements publics d’enseignement. Ils leur demandent benoîtement ce qu’elles vont faire et, à celles qui leur disent leur attachement à leur pratique religieuse, ils leur annoncent brutalement qu’elles seront exclues.

Certains vont même jusqu’à contacter devant elles les chefs des établissements privés de la région, leur demandant s’ils accepteront les filles exclues du système public d’éducation en raison de leur port du foulard islamique. Devant le refus des établissements privés, ils concluent que la jeune fille n’aura d’autre solution que de s’inscrire au Centre National de l’Éducation à Distance (C.N.E.D.) à ses frais naturellement si elle a plus de seize ans. Le seul problème qu’ils oublient de signaler est que les cadres du C.N.E.D. ont déjà protesté en soulignant que l’enseignement des filles exclues pour des motifs religieux ne faisait pas partie de leurs missions.

D’autres, plus rares mais plus sournois, constatant l’attachement de l’élève à sa pratique religieuse, refusent de la ré-inscrire dans leur établissement, pensant s’éviter ainsi les difficultés futures de la rentré 2004.

D’autres enfin, dont il faut ici souligner l’humanisme, expliquent à la fille leurs regrets pour cette loi et lui garantissent que, si elle porte un signe religieux discret, comme un bandana par exemple, elle pourra continuer sa scolarité normale. Mais pour combien de temps ? Que vaudra la détermination de ces courageux chefs d’établissements face à l’ensemble de leurs professeurs, excités par une minorité d’entre eux exigeant ” la tête ” d’une fillette défiant selon eux l’esprit de la loi ?

Ceux qui s’apprêtent à exclure ces musulmanes de leur droit à l’éducation et à briser ainsi leur avenir essayent dans tous les cas de le faire dans la discrétion, ” à l’étouffée “, loin du tapage médiatique que ces même tenants de l’exclusion avaient organisé pour amener au vote de la loi.

Les ” grandes manœuvres ” ont déjà débutées : certains règlements intérieurs on déjà été modifiés, en rajoutant, en plus des textes prévus par la loi, des mentions illégales interdisant tout couvre-chef au sein de l’établissement.

L’angoisse actuelle de nombreuses musulmanes et musulmans de France est de s’interroger sur l’attitude à suivre.

Les refus arbitraires d’inscription doivent être signalés par lettre recommandée avec accusé de réception aux recteurs d’académies, aux associations de défense des droits de l’homme, aux associations musulmanes et à la presse.

En ce qui concerne les règlements intérieurs illégaux, l’élève et ses parents ont deux mois, après en avoir pris connaissance pour demander au juge administratif un contrôle de légalité. Il faut donc demander l’annulation du point illégal du règlement intérieur dès maintenant devant le tribunal administratif.

IV Concrètement, que faire ?

A-Courage : fuyons !

Certaines filles vont simplement abandonner leurs études et attendre qu’un prince charmant se présente pour se marier. C’est une grave erreur qu’elles risquent de regretter toute leur vie. Soit, elles risquent d’être exclues du système scolaire, mais elles n’ont pas le droit de se résigner avant d’avoir fait face et d’avoir exploré toutes les solutions qu’elles auraient pût mettre en œuvre.

Par ailleurs, un bon nombre de parents m’ont contacté pour m’exposer leur projet de quitter la France pour un pays dans lequel ils pourront élever leurs enfants dans le respect des valeurs de l’islam. Il s’agit d’une attitude tout à fait respectable, conforme à l’islam et au droit international qui stipule que les parents sont les responsables de l’éducation et de la transmission des valeurs morales à leurs enfants.

Un tel projet, qui remet en cause l’investissement familial en France, qu’il soit intellectuel, affectif, financier, social ou patrimonial, nécessite cependant des conditions particulières pour pouvoir réussir au nombre desquelles je pense qu’il faut que le père dispose d’un métier spécialisé recherché qui lui permette une rapide autonomie dans le pays d’accueil.

Il faut également penser à la capacité d’adaptation de la famille, à l’apprentissage éventuel d’une nouvelle langue étrangère, aux difficiles conditions sociales à affronter, aux conditions d’éducations des enfants et en particulier au niveau des études qu’ils pourront espérer atteindre après avoir fait l’énorme effort de s’adapter à leur nouvelle vie.

Faut-il quitter une situation relativement stable et autonome pour tomber dans des conditions où l’on risque de dépendre de l’arbitraire et d’une situation locale qu’on n’appréhende pas correctement à partir de la France ? Quelles garanties a-t-on qu’à terme, l’islamophobie mondialisée ne nous rattrape pas ? Ne vaut-il pas mieux faire face ici et maintenant plutôt que de rêver à un ailleurs idyllique où l’herbe est toujours plus verte ?

Il persiste qu’il est indéniable que cette loi aura pour effet de faire chasser des citoyens français hors de France !

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La deuxième hypothèse, moins radicale, est d’envoyer la fille compléter ses études secondaires à l’étranger. J’interroge alors les familles qui ont ce projet sur les moyens qu’ils sont prêts à mettre en œuvre pour ce type de projet : l’éducation en France est de qualité et largement subventionnée. Ce n’est pas forcément le cas dans les pays où ils envisagent d’envoyer leur progéniture.

<PALIGN=”left”>Ilfaut également envisager une possibilité ultérieure d’enseignement supérieur : les diplômes obtenus permettront-ils à la fille de revenir dans les universités françaises ou d’acquérir une formation professionnelle de manière à avoir un avenir en France ? Ou cette expatriation est-elle définitive et irrémédiable ?

La troisième solution, encore plus simple, est d’inscrire la fille dans un établissement privé. Malheureusement, les établissements privés refusent de plus en plus l’inscription des jeunes musulmanes qui portent un foulard. Il faut d’autant plus saluer ceux qui les acceptent. Je reviendrai sur l’absence quasi absolue d’établissement privé musulman en France.

Toutes ces questions doivent être envisagées, discutées et solutionnées dans le dialogue familial et la sérénité. Pour ma part, je ne pense pas qu’il faille systématiquement prévoir le pire avant qu’il n’arrive. J’encourage donc les familles à scolariser leurs filles en France, dans les établissements publics d’enseignement de proximité et d’attendre de voir ce qu’il adviendra. Ces hypothèses restent à envisager après une éventuelle exclusion, mais à mon sens pas avant.

B-Faire face

Dès le mois d’Août, l’ensemble des responsables musulmans et des citoyens attachés à la défense des droits de l’homme aura à cœur de se tenir à la disposition des jeunes musulmanes pour les soutenir dans cette épreuve. Il ne s’agit naturellement pas d’imposer quelque chose à quiconque, bien au contraire, nous devons tous impérativement respecter les choix des filles et leur faciliter la mise en œuvre de leurs choix.

Dès maintenant, chaque musulmane qui sera scolarisée à la rentrée dans un établissement public d’éducation du second degré doit se poser la question de ses choix vestimentaires. Quel qu’ils soient, et même si elle en change, je lui réaffirme ici que, comme l’ensemble des responsables musulmans de France, je la comprends et la soutiens.

À celles qui choisiront de ne pas porter de foulard islamique pour pouvoir bénéficier d’un enseignement de qualité sans être perturbées, j’affirme que je les comprends et que je les soutiens. Des savants musulmans ont expliqué que, contraintes et forcées, elles n’étaient pas religieusement tenues à respecter la prescription de couvrir leurs cheveux et que la recherche de la connaissance était plus importante que l’interdiction temporaire qui leur était faite. Bien sûr, il ne s’agit là que d’un avis d’interprétation religieuse (fatwa) que chacun est libre de choisir de suivre, ou pas.

Je sais malheureusement par expérience que les choses ne vont pas non plus êtres faciles pour elles. Beaucoup vont vivre leur « dévoilement » comme une humiliation, ayant le sentiment de céder à une injuste contrainte, certaines finiront par ne pas le supporter. Leur entourage, les musulmans et l’ensemble des personnes attachées à des valeurs humanistes devront leur témoigner une écoute et un soutien actif pour traverser cette épreuve.

Puis il y a celles, très nombreuses qui, après avoir étudié de près les textes, pensent que la loi autorise les signes religieux discrets et accepteront de porter un foulard de type ” bandana ” c’est-à-dire recouvrant l’ensemble des cheveux mais noué en arrière.

C’est en effet la solution que les responsables musulmans n’ont cessé de promouvoir, depuis le début. Le législateur a clairement laissé cette marge de manœuvre aux chefs d’établissement chargés de l’application du texte. Voir à ce propos la réponse négative du Président de la Commission des Affaires Culturelles du Sénat à Fouad ALAOUI, Secrétaire général de l’U.O.I.F. qui lui demandait si la loi interdisait de manière générale le port de tout couvre-chef ou l’abandon de formules interdisant spécifiquement le bandana dans version définitive du texte de la circulaire d’application de la loi.

Pour ma part, c’est bien la solution que je recommande. Elle a l’immense avantage de respecter à la fois les convictions religieuses de l’élève et la loi du 15 mars 2004. Mais elle a l’inconvénient de dépendre de la bonne volonté des chefs d’établissement et des enseignants. Si tout le monde fait preuve d’un petit peu de bonne volonté, de compréhension et de respect, je suis convaincu que la rentrée 2004 se passera dans de bonnes conditions.

Les musulmanes et les musulmans auront ainsi montré leur écoute des préoccupations et des angoisses qui ont amené les élus du peuple à adopter cette loi, les chefs d’établissements et les enseignants auront montré le nécessaire respect des convictions et des choix des élèves qu’ils sont chargés d’éduquer.

Et puis il y a celles qui refusent toute concession et choisissent de continuer à porter leur foulard islamique comme avant. Là aussi je les comprends et je respecte leur choix. Il faut qu’elles se rendent compte que, du fait de leur choix, elles seront exclues du système public d’enseignement. Mais il faut que les choses se fassent dans les règles et le respect de leurs droits à la défense. Je leur recommande la lecture ou la re-lecture de mon ouvrage précédent qu’elles peuvent se procurer gratuitement sur Internet :

http://oumma.com/article.php3 ?id_article=83

Je leur recommande en particulier de ne pas créer de trouble à l’ordre public dans l’établissement, pas de prosélytisme, pas de distribution de tracts, pas de manifestation, un comportement particulièrement digne et respectueux, une froide détermination à faire valoir son droit à terme.

On peut en effet espérer qu’au bout d’un certain nombre de mois, voire d’années, elles gagneront les procédures qu’elles auront engagées en justice. Grâce à elles, l’interprétation commune qui voudrait voir dans la loi du 15 mars 2004 une interdiction générale et absolue notamment du port du foulard islamique dans les établissements publics d’enseignement sans qu’il n’y ait de trouble à l’ordre public associé sera annulée et les musulmanes pourront à nouveau étudier sereinement dans les tenues qu’elles auront choisies.

D’autres enfin, très déterminées et, il faut bien l’avouer, un brin provocatrices m’ont expliqué qu’exclues pour exclues, elles allaient porter le bonnet phrygien, symbole de la république, qui a l’avantage de respecter strictement les prescriptions vestimentaires des musulmanes, sans devoir être nécessairement porté uniquement par des musulmanes d’ailleurs…

Juridiquement, je me demande bien comment l’école publique va pouvoir exclure des élèves portant non pas un « signe ou une tenue manifestant ostensiblement leur appartenance religieuse », mais bien le symbole même de leur attachement aux valeurs de la république… À mauvaise loi, mauvaises solutions !

Je me suis même laissé dire que certains commerçants, flairant la bonne affaire, s’étaient lancés dans la production industrielle de ce symbole de la république. La mode de rentrée risque d’être tricolore !

C-Et si ça se passe mal ?

En dehors de ces comportements anecdotiques je l’espère, on peut donc imaginer que le port du bandana sera accepté dans la plupart des établissements. Les chefs d’établissements et les enseignants de bonne foi ne poseront pas de problème aux filles qui choisiront de porter ce signe discret et les musulmans de France ne causeront aucun trouble.

Mais si une jeune élève ayant accepté de faire un énorme effort pour porter un signe religieux discret autorisé par la loi devait, du fait d’une interprétation illégale, ne pas pouvoir suivre les cours dans les mêmes conditions que ses camarades, il faudrait selon moi, que les citoyens attachés aux droits de l’homme lui manifestent leur solidarité et envoient un avertissement explicite aux tenants de l’exclusion.

Je propose ainsi que, dès qu’une jeune fille est dans ce cas, l’ensemble des citoyens de la région de cette élève, prêts à défendre les droits de l’homme, retirent l’ensemble de leurs enfants des établissements scolaires, filles et garçons, croyants et athées, pendant une semaine pour marquer leur désapprobation face à cette mesure arbitraire et injuste.

Par cette grève d’avertissement, ils exprimeront ainsi leur attachement aux valeurs de la République. Ils mettront à profit cette semaine pour participer à des assemblées générales et mettre au point d’autres actions en cas d’acharnement des partisans de l’exclusion.

J’espère naturellement que personne n’aura à en venir à de telles extrémités, mais il est important de souligner que les libertés pour lesquelles nos aînés, et en particulier mon grand-père, se sont battus, ne sont jamais définitivement acquises et il nous faudra nous montrer particulièrement vigilants.

En tout état de cause, ceux qui rêvaient régler leur compte aux filles en toute discrétion, chacun dans son coin sans que personne n’en parle, pour ensuite ” passer à autre chose ” peuvent compter sur nous pour donner un maximum de publicité à ces exclusions injustes. Quitte à se faire exécuter, autant que ça fasse du bruit !

V Conséquences des exclusions

Tout en restant optimiste, nous risquons malgré tout d’avoir à faire face à de très nombreuses demande d’aide à la rentrée 2004. Pour y répondre, l’association que je préside, le Fonds de Défense des Musulmans en Justice, mettra dès la mi-août un numéro de téléphone, le 03 88 83 57 05, à la disposition des élèves pour les assister et les conseiller dans leurs épreuves. Des conseillers leur répondront les jours de la semaine de 9 heures à 18 heures, et le samedi de 9 heures à midi.

On peut malheureusement dès à présent prévoir que certaines d’entre elles seront exclues. Étant donnée qu’il n’existe que 20 places dans l’enseignement privé musulman pour toute la France et que la plupart des établissements privés d’enseignement refusent les filles qui portent un foulard islamique, ces filles seront brutalement déscolarisées avec ou sans l’aide du C.N.E.D.

Notre devoir de parents, de citoyens, d’humanistes, est de prévoir la prise en charge et le soutien scolaire de ces jeunes musulmanes qui sont, pour la plupart, de très bonnes élèves. Dans de nombreuses régions, des associations musulmanes de soutien scolaire voient le jour. Des adultes de bonne volonté, parents diplômés, étudiants, professeurs, seront amenés à y donner des cours.

Certes, il ne faut pas s’attendre à ce que la qualité de ce soutien scolaire puisse y rivaliser avec les établissements publics d’enseignement. Mais ces associations seront très certainement les embryons des futurs collèges et lycées privés musulmans que nous sommes condamnés à créer, à notre corps défendant.

C’est ainsi que la loi du 15 mars 2004, dont l’une des ambitions affichées était de lutter contre le communautarisme, aura comme conséquence à long terme de développer l’enseignement privé musulman…. L’un des signes patents du communautarisme !

Mais il y a, à mon sens, beaucoup plus grave : quelles valeurs républicaines les jeunes élèves d’aujourd’hui, qui auront été exclues pour leur attachement à leurs convictions, transmettront-elles à leurs futurs enfants ? Quel sens donneront-elles à la devise de la République : Liberté, Egalité, Fraternité ? L’exclusion des innocentes de la rentrée 2004 ne prépare-t-elle pas le communautarisme des années 2010-2020 ? Inconséquence des politiciens actuels qui ne seront plus là pour voir ça !

Autre paradoxe enfin, et non des moindres, les promoteurs de cette loi la présentaient comme un outil d’émancipation des femmes. Elle aura pourtant comme conséquence directe d’en renvoyer certaines brutalement dans leurs foyers en leur interdisant d’accéder à des études et en les condamnant ainsi à des emplois subalternes. Belle émancipation pour ces femmes !

VI Conclusion : La France, patrie des droits de l’homme, risque d’être condamnée pour violations des droits de l’homme.

Les Nations Unies s’intéressent de plus en plus à la situation des droits de l’homme des musulmanes et musulmans de France : le rapport de la commission des droits de l’homme de son Conseil économique et social du 23 février 2004 y consacre 10 pages sur 18 en soulignant la banalisation de l’islamophobie, l’absence de réaction des autorités françaises et les conséquences négatives du débat sur la laïcité.

http://www.unhchr.ch/huridocda/huridoca.nsf/2848af408d01ec0ac1256609004e770b/d12a6e1174d993c3c1256e63004d9816/$FILE/G0411073.pdf

La réponse officielle de la France à ce rapport, publiée le 24 avril 2004 montre à quel point le discours diplomatique s’éloigne des réalités quotidiennes de notre pays :

http://www.unhchr.ch/huridocda/huridoca.nsf/2848af408d01ec0ac1256609004e770b
/ebaa4d20b355ee2ec1256ea60047ae7f/$FILE/G0414053.pdf

[…]

1. Il n’est pas exact d’affirmer que, « derrière l’interdiction des signes religieux en général à l’école publique, c’est l’islam dans son expression qui est visé à travers son signe » (résumé, p. 2 du rapport). Le port de signes ou tenues exprimant l’appartenance religieuse n’est, bien évidemment, pas une caractéristique propre à l’islam. La loi française « encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics » ne stigmatise aucune religion. Elle ne comprend pas de liste de signes religieux interdits. Elle n’interdit pas de façon générale et systématique en France, y compris dans le système éducatif, le port de signes religieux. L’université n’est pas concernée par la loi. Dans les écoles, collèges ou lycées publics, seul le port de signes ou tenues manifestant « ostensiblement » une appartenance religieuse est prohibé (art. 1 de la loi). Il n’a pas été donné dans la loi de définition figée et rigide de cette manifestation ostensible d’une appartenance religieuse.

2. La loi française ne peut être interprétée comme une réponse « idéologique » (par. 31 du rapport) ou « laïciste » à la question de la place de la religion dans la société. Il serait d’ailleurs vain de croire que la laïcité est à jamais arc-boutée sur une attitude d’hostilité à la religion et imperméable aux évolutions de la société depuis 1905.

Les parlementaires ont posé les garde-fous nécessaires pour que l’application de la loi n’engendre pas de risque de discrimination d’une communauté (comme l’exprime le paragraphe 35 du rapport) ou d’attitude antireligieuse. Ils ont tenu à ajouter, dans le texte de la loi, qu’une concertation et un dialogue avec l’élève sont indispensables, avant la mise en œuvre de toute procédure disciplinaire (art. 1, al. 2). Ils ont également inscrit, dans le texte législatif, que les dispositions de la loi feraient l’objet d’une évaluation, un an après leur entrée en vigueur (art. 4). Ce type de formulation n’est pas fréquent dans un texte de loi.

Avant son entrée en vigueur, à la prochaine rentrée scolaire, la loi sera suivie d’une circulaire d’application, préparée par le Ministère de l’éducation nationale. Le Gouvernement consulte, pour ce faire, l’ensemble des communautés de croyants. Le Ministre de l’éducation nationale l’a rappelé, le 3 mars dernier : « la loi sera mise en œuvre avec un souci constant de dialogue et de pédagogie ».

3. Apprécier la situation des musulmans en France à travers le seul prisme de la loi relative au port des signes religieux et du débat sur la laïcité est réducteur. Encouragée par les pouvoirs publics, l’élection d’un Conseil français du culte musulman (CFCM), au mois de mai 2003, dont la composition reflète la pluralité des musulmans de France, a répondu à un souci de donner à l’islam toute sa place parmi les grandes religions présentes sur le sol français. Le CFCM a pour objectif de faciliter le traitement de l’ensemble des questions ayant trait à l’organisation du culte musulman en France et d’être l’interlocuteur des pouvoirs publics. Il constitue un rempart solide contre le développement de l’islamophobie et participe d’une logique, d’une « stratégie », pour reprendre l’un des termes utilisés dans les recommandations du rapport (par. 36), de meilleure intégration de l’islam à la société française.

[…]

Il ne se passe malheureusement pas une semaine sans que je ne sois contacté par des journalistes étrangers qui se préparent à rendre compte de « la révolte » des lycées à la rentrée 2004. Je regrette profondément que mon pays donne cette image catastrophique.

Au lendemain des commémorations du soixantième anniversaire du débarquement, je ne pense pas que cette image soit celle pour laquelle mon grand-père, natif d’Avranches et qui n’était pas musulman, s’est battu contre les nazis.

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