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Le CFCM, La France et ses musulmans

Qui pourra nier qu’une transformation majeure est en train de se produire sous nos yeux avec l’émergence, par des élections, d’une instance du culte musulman ? Mutation historique, pleine de symbolique, du paysage institutionnel et répercussions spectaculaires au niveau d’un imaginaire français longtemps dominé par l’aveuglement. Le plus grand travail accompli n’est cependant pas grand chose s’il n’est pas abouti ; et à la satisfaction – qui peut, certes, être mesurée étant données les imperfections- d’assister à cette avancée, feront tout naturellement suite de nombreuses interrogations déterminantes pour l’avenir. Encore faudra-t-il cerner, avec justesse et au plus vite, les réelles prérogatives de ce nouveau Conseil, les difficultés auxquelles il aura à faire face dont celle, et non des moindres, d’une évolution encore trop lente des mentalités dans la classe politique.

La France se réveille !

Le 24 février dernier, aux premières heures de la journée, Nicolas Sarkozy répondait à Ruth Elkrief sur RTL après le rude week-end de travail avec les consultés qui avait permis de fixer les dates des élections du CFCM. Sommé de donner des garanties et des justifications au fil des questions, notre Ministre lâchera : « ….. Si on veut rendre l’Islam illégal en France, je me permets de dire que c’est un peu tard ! Parce qu’il y a cinq millions de Français qui sont musulmans. » Un style très direct qui tranche avec les habituelles « sortie de l’Islam de la clandestinité » dont on nous rabat encore les oreilles et qui semblaient plus renvoyer aux musulmans la responsabilité de cet état de fait. Le 3 mai, devant des journalistes venus observer la première assemblée générale su CFCM, Sarkozy déclarera : « Nous avons cinq millions de musulmans qui vivent en France ; depuis des années on fait comme si cela n’existait pas, moyennant quoi, dans nos quartiers, dans certaines banlieues, on a généré des problèmes ». Ces déclarations révèlent bien la réticence quasi millénaire et pathologique du corps politique- lui même producteur, dans sa propre composition, du fantasme d’une définition ethnique, voire religieuse, de ce qu’est un français- de considérer l’Islam comme possible élément de la réalité française. Cette cécité volontaire, coupable et prolongée conjuguée à un décalage croissant entre la classe politique et la société dans notre histoire récente, permettraient d’expliquer dans une large mesure les atermoiements de ces quarante dernières années et la ghettoïsation d’une composante importante de la société française. Aveuglement et refoulement qui, s’ils n’ont pas rendu illégal formellement l’Islam, ont pesé lourdement dans le climat de clandestinité dans lequel ont été confinées, certes de plus en plus difficilement, toute forme de référence arabo musulmane. La France (très souvent personnifiée et accaparée par sa classe dirigeante), ce pays qui s’est développé, libéré, construit depuis au moins deux siècles, aussi à travers les richesses des territoires musulmans colonisés, mais également le sang et la sueur de ses musulmans, pensait au lendemain des indépendances, que le divorce était prononcé. Divorce où désormais, la composante musulmane ne devait plus être qu’un souvenir limité. Pour les couples, et à plus forte raison pour les peuples, les liens établis dans la durée continuent toujours d’exister en dépit des séparations formelles. Et la présence importante actuelle d’une population musulmane au sein de la société française s’explique plus par la construction historique d’une communauté de destin que par des vagues migratoires soudaines entre le tiers monde et un « pays d’accueil ». Pourtant c’est bien ce deuxième discours empreint « d’amnésie » qui a dominé dans la classe politique française, falsifiant la mémoire collective et les représentations, stigmatisant l’immigration comme un problème. D’ailleurs le front national existerait -il si le fantasme ethnique du français n’existait pas ?

Bref on n’est pas encore sorti de l’auberge, tout particulièrement avec un CFCM dans lequel l’intervention de l’Etat fut énorme- sans être toujours justifiée-et promet de se poursuivre allègrement sur un grand nombre de dossiers du culte musulman ; il suffit pour s’en convaincre de relire les dernières déclarations sur le sujet du premier ministre ou du ministre de l’intérieur, qui décrivent presque l’ordre du jour quand ce n’est pas le calendrier des futurs travaux de ce tout nouveau conseil.

Tout est possible ?

La création de ce conseil a eu au moins le mérite de battre en brèche un mythe tenace qui consiste à croire qu’avec les musulmans « tout est possible », entre autres parce qu’il n’y a pas de clergé structuré en Islam. Aussi parce qu’un climat délétère sur l’Islam, réalité sans cesse externalisée, pouvait rendre ce culte l’objet de pressions visant à lui imposer un visage politiquement correct. Enfin parce que ces citoyens musulmans devaient naturellement être plus enclin aux compromis justement parce qu’ils ne seraient pas tout à fait français. Enfermement de la pensée allant jusqu’à faire perdre toute notion des réalités, Nicolas (courageusement il faut le reconnaître) avec d’autres commencent à en revenir mais lentement. Eh ! Oui ! car en définitive ils sont bel et bien français, ces musulmans, et tellement français que toutes les tentatives d’organisation par le haut ont échouées jusqu’à aujourd’hui et qu’il a fallu introduire la démocratie pour convaincre et mobiliser. Et de ce point de vue là, le CFCM est une victoire. Victoire du citoyen sur le pouvoir déconnecté. Victoire de la réalité sur la manipulation historique et sur la conscience anachronique.

Il y un mais bien sûr. Le CFCM dans sa configuration actuelle est loin d’être un produit fini et acceptable. Qu’on se place sur le plan des statuts, des compromis de début de mandat, de l’articulation des régions avec le national et de la question de leur relative autonomie ( j’évite de revenir sur le règlement électoral -voire les pressions de toutes sortes- qui a permis de voir des fédérations représentées partout alors qu’un vote plus sérieux aurait signé leur disparition ) on est en présence d’une situation précaire où la démocratie et la raison sont menacées. Il faudra toute la vigilance et l’implication des bonnes volontés concernées par le culte musulman pour en sortir par le haut, mais aussi, la poursuite d’une réforme des mentalités de nos gouvernants de la France d’en haut, celle qui ne veut connaître ses musulmans qu’à travers la banlieue et que par l’intermédiaire de la télé et de Malek Boutih.

Revenons à notre victoire dont il faut tirer la leçon y compris dans l’appréhension d’autres situations. Tout n’est pas possible. On a certes tenté, par exemple, de peser sur les consciences- projet fou, énormité des énormités pour qui a un brin d’humanité- pour que les têtes frêles et innocentes modifient leur manière de s’habiller, car il s’agit bien de cela et non de signes religieux qui n’existent pas en Islam. « Déjà en 1994, la circulaire de François Bayrou, alors ministre de l’Education, qui durcissait l’interprétation du conseil d’Etat-les signes ostentatoires sont des éléments de prosélytisme- avaient produit des effets. Le nombre de jeunes filles voilées était tombé de plusieurs milliers à plusieurs centaines. * »C’est ainsi que Sylvie Pierre Brossolette s’exprime dans l’étonnant dossier du Figaro Magazine (1), sur la laïcité, marquant une explicitation nouvelle dans le discours .Le Pen risque fort de perdre un grand nombre d’électeurs….Sur cette question on a blessé, traumatisé, gâché certains membres du corps social français et effrayé, alarmé, obsédé les autres, le malaise au final étant commun. La responsabilité est, elle, circonscrite, de plus en plus explicitement, à des groupes idéologiques minoritaires qui sont passés maître dans l’exploitation de la médiacratie, système où les politiques à l’électoralisme hypertrophié choisissent plus facilement d’entériner l’opinion apparemment répandue que de prendre réellement leurs responsabilités en posant les véritables questions.

Pourtant comme le reconnaît Michèle Tribalat : « C’est une illusion de croire que nous allons fabriquer un islam à notre convenance  ».(2) Illusoire et irresponsable donc cette démarche minoritaire, largement relayée, de penser transformer l’Islam, voire ce qui est plus souvent le cas, de le réduire à sa dimension culturelle en mettant hors jeu l’aspect central et religieux. Lutter contre les visions caricaturales de l’Islam, comme par exemple dans les manuels scolaires, est la seule réponse viable pour faire évoluer positivement la cohésion nationale, refonder un projet de société pacifiée autour des vraies valeurs de la république et garantir un futur plus serein. Il est urgent d’amplifier cette réforme des mentalités.

Les premiers tests pour le CFCM.

Il continue de régner une grande confusion sur le rôle du CFCM. Sans doute faut-il d’abord rappeler que nous sommes dans un société où le droit ne cesse d’évoluer dans un contexte européen et où chaque individu peut solliciter la loi, à tout moment, en passant outre les structures institutionnelles religieuses. Le CFCM réunit des acteurs du culte musulman, des gestionnaires de lieux de culte, quelques imams, des personnalités, et toute une série de personnages flous, opportunistes et pour certains rattachés à des états étrangers ( principalement des dictatures). Dans cet ensemble, même si des compétences indéniables sur l’Islam sont présentes, cela ne fait pas du CFCM un « clergé musulman » à l’instar du Rabbinat ou de la Conférence des Evêques mais bien une instance plutôt technique dont les potentialités peuvent être rapidement balisées. Clairement le CFCM dans les textes ( statuts et autres) n’est pas une instance théologique mais bien un rassemblement qui a pour but de manifester l’unité du culte musulman, donc un rôle symbolique fort, et aussi un interlocuteur des pouvoirs publics, donc un rôle consultatif et régulateur. A mon sens, ce serait une erreur de trop attendre de ce Conseil au delà de ces deux aspects. Le CFCM peut donc, soit faciliter, par son action, les processus autour du culte musulman et les régulations avec les pouvoirs publics, soit les compliquer mais en aucun cas les transformer. Les évolutions de la réalité musulmane française lui échapperont toujours dans une large mesure. Et c’est à travers différentes questions que je propose d’évaluer dans les semaines qui viennent, cette expérience :

  • Le double défi de la légitimité : pendant longtemps, la légitimité d’un interlocuteur passait par une désignation démocratique qui crée les conditions d’un mandat entre représentant et représentés. Aujourd’hui c’est quasiment fait, dans la mesure où vote il y a eu, malgré l’accord que l’on sait pour le premier bureau. Mais gagner une réelle légitimité consiste surtout à ce que majoritairement les gens se reconnaissent dans ce que vous dîtes et ce que vous faîtes. Lorsque Tariq Ramadan, qui n’a jamais été élu, s’exprime pour les musulmans, une population très large se sent dignement représentée dans ses aspirations. C’est bien ce type de crédibilité que le CFCM doit acquérir et les élections ne sont donc qu’une partie de la question.

 

  • Le refus de toute ethnicisation

: un des aspects qui continue de menacer l’universalité de l’Islam comme de celle de l’idéal de la citoyenneté républicaine réside dans la prise en compte de dimensions ethniques ou nationalistes des pays d’origine de l’immigration. On sait combien certains états maghrébins persistent à alimenter des clivages de ce type dans l’hexagone- avec de moins en moins de succès – et le CFCM sur ce point doit clarifier les choses. Ce dernier est une instance cultuelle qui concerne des citoyens français et des résidents, certainement pas une collection d’ambassades éminemment politisée.

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  • Des CRCM

: la mise en place de structures régionales (voire locales) a fini par s’imposer comme l’action incontournable pour s’atteler à la régulation efficace du culte dont les principales manifestations relèvent de discussions avec la puissance publique locale. C’est d’ailleurs à partir de ces régions que le scrutin a été organisé mobilisant la grande majorité des lieux de culte, dynamique qui fait toute la force actuelle du CFCM.
Des tractations récentes ont mis en évidence des velléités des fédérations nationales-toute sauf une- de saper le caractère démocratique de ces CRCM. Outre le fait que ces fédérations sont souvent des coquilles vides qui ont fait du remplissage de candidats au moment des élections et qui n’ont pas, malgré des scores symboliques nationaux importants, un quelconque ancrage sérieux sur le terrain, elles risquent fort de scier les branches où elles sont précairement installées en usant à nouveau de pressions sur des acteurs locaux. Ainsi plusieurs membres du CFCM regrettent que ce soit à bulletin secret qu’on ait élu les présidents de certains CRCM. Ils voudraient imposer que les élections restantes des bureaux des CRCM se déroulent lors d’un vote …..à main levée( !?). Tant va la cruche à l’eau ….. Pour résumer, la vie et le fonctionnement de ces CRCM seront déterminants pour l’avenir même d’un CFCM crédible. Une des modifications urgentes à réaliser concerne la règle statutaire de prise de décision aux 4/5ème des voix qui bloque dores et déjà toute initiative.

  • Quel financement pour ces nouvelles instances

: cette question ouvre deux pistes de réponses très divergentes. Celle d’un financement autoritaire, par taxation (halal, pèlerinage, zakat…) qui validerai un pouvoir excessif du CFCM et qui comporte un risque réel de transformer ce Conseil en source de financement pour certains. (Est -il nécessaire de rappeler les péripéties de l’émission dominicale sur France 2 ?) Ou alors celle d’une participation par cotisation volontaire qui aurait pour mérite à la fois de révéler le degré d’adhésion du public concerné par le culte vis à vis de l’organe français du culte musulman mais aussi de brasser des volumes beaucoup moins importants, théoriquement.

  • Les dossiers clés

: Les préoccupations les plus urgentes des musulmans ne rejoignent pas forcément celle évoquées à longueur de journée par les médias qui sont, comme nous l’avons souligné plus haut, loin de relever, toutes, d’une action du CFCM. Voilà à quoi devraient travailler le CFCM et les CRCM, dans leurs rôles respectifs, dans les tout prochains mois :

 

les carrés musulmans,
la nourriture halal dans les lieux de restauration collective,
les aumôneries,
l’organisation de l’abattage de l’Aïd el Kebir,
l’assainissement de la gestion de l’émission islamique du dimanche matin sur France 2 ; en évitant si possible que le CFCM devienne tout bonnement le nouveau gestionnaire.
le partenariat avec les associations autres que celles gérant les lieux de culte ( conseils des Imams, enseignes « Halal », réseaux d’information…) qui sont constituées ou qui continuent d’émerger pour prendre en charge certaines questions liées au culte.

Dans cette perspective, il conviendrait que les CRCM soient rapidement identifiables pour pouvoir être saisis par les fidèles. Parallèlement et en concertation avec le CFCM, les conseils régionaux doivent œuvrer à la sensibilisation, à l’information et à la formation de tous les lieux de culte sur tous les sujets prioritaires. On ne rappellera jamais assez que le CFCM est une émanation des CRCM et non l’inverse.

Loin d’oublier le contexte, sous influences, dans lequel le CFCM effectue ses premiers pas, il convient peut être de rappeler qu’une normalisation ne peut être que progressive, mais qu’elle nécessite à chaque instant la vigilance, la réaffirmation constante de certains principes et la présence active de tous les musulmans désireux de rationaliser le débat français sur l’Islam et de résorber les injustices criantes que vivent spécifiquement les citoyens musulmans. A condition bien sûr que cela demeure encore possible…..

Youcef Mammeri, Elu au Conseil Régional du Culte Musulman PACA.

Note de la rédaction :

Cet article de Youcef Mammeri a été rédigé avant les élections des présidences des Conseils Régionaux du Culte Musulman qui ont eu lieu récemment.

Notes de l’auteur :

(1) Le Figaro magazine du samedi 24 mai. Dossier « La Laïcité en danger » dont le contenu est tout à fait stupéfiant :

16 mesures pour la sauver

Le rapport Baroin
La vérité sur le voile ( où l’on répète à l’envi que « le port du voile n’a pourtant jamais été une obligation coranique  » dixit Juliette Minces.)
Ces musulmans qui se convertissent ( au christianisme bien sûr. Etonnant, non ? En effet en quoi la conversion de musulmans d’origine au christianisme peut-elle s’intégrer dans une défense -douteuse au demeurant- de la laïcité ???????)

(2) Le Point du 14 février 2003. Entretien avec Michèle Tribalat faisant suite à l’article l’islam, la République et Sarkozy.

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