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L’hommage de Tawfik Mathlouthi au regretté père Michel Lelong, chantre du dialogue islamo-chrétien

Multi-casquettes, Tawfik Mathlouthi est un visage familier d’OummaTV où, depuis plusieurs années, il troque volontiers celle du fondateur engagé de Mecca Cola pour celle de journaliste politique et animateur d’émissions favorisant les échanges interreligieux. C’est sur le plateau de “Parole commune” que le regretté père Michel Lelong, fidèle parmi les fidèles, s’est fait connaître des Oummanautes.

L’annonce de sa mort m’a profondément attristé, affligé même : le père Michel Lelong dont j’étais très proche, et qui, tout au long de sa vie, s’est fait le chantre du dialogue interreligieux islamo-chrétien, nous a quittés.
Arrivé au crépuscule de son existence, il s’est éteint vendredi 10 avril, à l’âge de 95 ans. Il a succombé à la virulence du Coronavirus.
Un homme qui comptait énormément pour moi n’est plus, au terme d’une vie bien remplie et ponctuée de nobles combats, notamment en faveur du rapprochement entre chrétiens et musulmans. Ce merveilleux bâtisseur de ponts devant l’Eternel a rendu son dernier soupir dans un grand silence médiatique, presque dans l’indifférence.
Le Prêtre, père Blanc de Tunis, parfait arabophone, que le Vatican avait nommé à la tête du Dialogue Islamo-Chrétien, est parti vers sa dernière demeure au soir d’une vie dense et riche de sens, éclairée à la lueur de la foi, où l’ennui et l’oisiveté n’avaient pas leur place.
Je garderai de lui l’image d’un homme affable, doux, souriant, toujours prêt à tendre la main à son prochain, quel qu’il soit et d’où qu’il vienne, à s’engager pour de belles et grandes causes, à voler au secours des opprimés, des plus vulnérables et des laissés-pour-compte de nos sociétés de consommation, à l’individualisme forcené.
Son bâton de pèlerin à la main, combien de combats pour les sans-papiers a-t-il mené ? Combien de conférences, de dialogues et d’actions de rapprochement entre chrétiens et musulmans a-t-il conduit ? On ne les compte plus, tant ils furent nombreux et incessants.
Ma relation avec lui remonte à 1992, année charnière au cours de laquelle j’ai fondé Radio Méditerranée et créé une émission dominicale prônant le dialogue interreligieux. Elle s’intitulait : « Dialogues Abrahamiques ». Le regretté père Michel Lelong se réjouissait de pouvoir débattre sur les ondes, sans tabou et dans le respect et la compréhension mutuels, en présence d’un imam et d’un rabbin.
C’est par l’entremise de l’imam de la grande Mosquée d’Ivry, M. Khalil Merroune,  que nous nous sommes rencontrés. J’avais alors inauguré avec eux un cycle de débats interconfessionnels, qui s’est poursuivi sur Oumma.com et, plus particulièrement sur OummaTV,  dans lequel régnaient le même état d’esprit, empreint de tolérance, et la même ferveur et piété.
Le père Michel Lelong fut un fidèle parmi les fidèles, participant avec assiduité à cette belle initiative qui s’est avérée éminemment enrichissante et constructive, jusqu’il y a peu encore (voir le lien de la dernière émission sur oummatv.tv).
A mes yeux, et malgré les critiques injustes à son encontre, qui fusaient ici et là de la part des deux camps, il était source d’apaisement et d’équilibre, il était la bonté personnifiée.
Que celui qui n’a jamais pêché nous jette la première pierre ! C’était un homme, avec ses qualités et ses imperfections. Moi, j’ai choisi de ne voir de lui que les qualités qui en ont fait ce qu’il fut tout au long de sa vie : un véritable homme de foi et de tolérance. Le reste ne me concerne pas.
Quand j’étais parfois en proie aux doutes, nés de la difficile et exigeante quête perpétuelle de DIEU, échanger avec le père Lelong et un autre dignitaire religieux en la personne de Larbi Kechatt, imam de la rue de Tanger, me procurait un profond apaisement. C’était un vrai bonheur que de pouvoir m’épancher auprès de ces deux hommes de foi, pleins de sagesse. Un bonheur dont seuls, eux deux, avaient le Secret.
Cheikh Larbi Kechat est toujours parmi nous, qu’ALLAH lui donne longue vie dans le bonheur et la Santé. C’est un Lion de l’Islam !
Je remercie Allah de m’avoir bien inspiré en appelant le père Lelong il y a quelques mois de cela. Il était tellement heureux d’entendre ma voix qu’il me proposa de nous revoir très vite. Je me suis empressé de me rendre chez lui, au cœur du 17ème arrondissement de Paris. Nos retrouvailles furent émouvantes, et notre discussion agréable et bénéfique comme toujours.
En arrivant chez lui, un modeste deux pièces, la première chose qui me frappa, tel un obus en pleine figure, n’était pas tant l’austérité naturelle des lieux pour un prêtre que l’immense exemplaire du Coran qui était posé sur une étagère, face à la porte d’entrée. Un Coran qu’il était difficile de ne pas remarquer au premier coup d’œil, même pour le plus inattentif des visiteurs… Un deuxième Coran, dans lequel il se plongeait souvent, se trouvait sur une table basse.
Mais aucune croix, aucun signe chrétien. Je les cherchais vainement du regard. Fort de notre amitié vieille de près de 30 ans, j’ai osé poser la question qui me brûlait les lèvres : « père Lelong, où est donc la croix ? ». Il me répondit avec un sourire malicieux en coin : « Mais je la porte sur moi mon fils, je n’ai pas besoin de l’accrocher ! ». Et c’est là qu’il me confia lire le Coran régulièrement et dans le texte, afin d’être en mesure de répondre, de dialoguer, d’argumenter et de contre-argumenter.
Même si nous nous accordons tous sur une vérité qui ne fait pas débat, celle selon laquelle la Mort est une Vérité inéluctable, perdre une personnalité aussi lumineuse que le père Lelong, et qui a été aussi marquante dans sa propre vie, reste une douleur vive et incommensurable.
Que Dieu l’accueille auprès de Lui, et lui accorde son Pardon et son infinie Miséricorde.
Adieu Monsieur Lelong.
Tawfik Mathlouthi
A redécouvrir, l’émission inaugurale de “Parole commune” en présence du père Lelong.

Je profite de cet hommage ému rendu à un prêtre qui n’aura cessé d’ériger des passerelles entre chrétiens et musulmans, et de se passionner pour l’étude du Noble Coran, pour publier à nouveau un texte, écrit il y a quelques années, en réponse aux élucubrations d’Emmanuel Macron. Des élucubrations délétères qui, malheureusement, alimentèrent les préjugés tenaces sur l’islam et sur sa prétendue violence intrinsèque. Je citais alors le témoignage éclairé du défunt père Lelong :
« Au début des années 90, quand je me suis lancé dans l’aventure de Radio Méditerranée à Paris (4/09/92), j’ai animé, entre autres émissions, une émission Dominicale appelée “Dialogues Abrahamiques”. Un débat inter-religieux ou je recevais en même temps un rabbin, un prêtre et un imam.
Lors de l’une de ces émissions, la question de la violence contenue dans le message Coranique et dont se réclamaient les groupuscules « djihadistes », les créations des Américains et des wahhabistes, tels que “Alkaida” et les Djihadistes Algériens, a été posée et fut le sujet principal du débat.
Le père Blanc, Michel Lelong, qui avait officié au sein de l’église de Tunisie, m’a répondu d’un ton sec et ulcéré ce qui suit :  « Mais Allons Si Tawfik, c’est l’hôpital qui se moque de la charité ? Si dans le Coran, seuls les versets relatifs aux guerres de défense, prônent la guerre et la fermeté sans pitié mais dans le respect des enfants, des femmes, des vieux et de la nature, la Bible est alors un récit de guerres et de violences de bout en bout. Il nous faudra nettoyer devant notre porte d’abord. »
Le père Lelong, défenseur connu des sans-papiers et des droits de l’homme, est toujours en vie. Nous lui souhaitons santé et bonheur pour son combat auprès des plus faibles, et surtout pour son dialogue inter-religieux incessant. Il le fait par conviction.
Cette vidéo montre l’ampleur de l’injustice faite à notre religion et à notre Livre saint. Je saisis cette occasion pour dire à Monsieur Macron, que bien d’autres présidents et ministres, bien d’autres partis ont tout fait pour “réformer” l’Islam “de France” et s’y sont cassés le Nez. Économisez votre temps et l’argent des Français pour des causes plus justes et plus urgentes, comme la lutte contre toutes les formes de ségrégations et contre les injustices sociales, moteur puissant des intolérances et des haines.
De Mitterand à Chirac, de Sarko à Hollande, personne n’a réussi. Ni Chevènement ni Jox, ni Pasqua ni Valls, tous s’y sont cassés les dents ! L’Etat Français est Laïque, c’est- à-dire, pour ceux qui ne le comprennent pas, n’a en aucun cas à s’occuper de religion.
Comme me le disait Pasqua dans le Salon d’honneur du ministère de l’Intérieur : « l‘Etat connaît toutes les religions mais ne les reconnaît pas ». Ce jour-là, il était heureux comme un Pape, il pensait avoir réussi à créer une institution représentative des musulmans de France, il m’avait dit sur un ton paternaliste : «Tu vois mon petit, Napoléon a fait le Consistoire Juif, Pasqua fait le conseil Musulmans ».
« Deux Corses ! », je me souviens lui avoir répondu. Et d’ajouter : « Monsieur le ministre, si Napoléon semble avoir réussi, votre action est vouée à un échec certain, et ce, pour plusieurs raisons : – Un, l’Islam n’a pas d’autorité verticale ; – Deux, vous vous comportez avec les musulmans comme avec des mineurs sous tutelle, vous leur imposez des représentants qui ne représentent que leur petite personne et leurs petites ambitions ».
Quelque deux ans plus tard, le conseil de Pasqua était enterré, tout comme ceux qui l’ont suivi, ou ceux fantomatiques actuels. Monsieur Macron, il en sera toujours ainsi, tant que vous chargerez des personnes pétries d’ego, et totalement ignorantes du fait religieux, de s’immiscer dans le culte musulman, et aussi longtemps que la représentativité ne sera pas le fruit de votes démocratiques et de choix conscients faits par les musulmans eux-mêmes.»
 

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10 commentaires

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  1. merci pour ce bel article. J’ai rencontré le Père Lelong pour la première fois dans les années 80. J’ai fait partie, à Rabat, du groupe islamo-chrétien qu’il avait fondé. J’ai été peinée qu’il parte dans la solitude des morts du coronavirus. Votre texte me réconforte.

  2. J’ai trouvé ce passage dans le journal de notre mère, Rachida Karoui-Ben Salah, datant du 23 juin 1975 : “Je suis en train d’écrire en m’arrêtant de temps en temps pour mieux écouter le Concerto n°3 en sol majeur pour violon et orchestre de Mozart. Le Père Lelong nous gâte. Je pense souvent à ses gentilles visites. J’ai l’impression que tout va s’arranger pour nous grâce au Père Lelong et à ses interventions auprès de Dieu. Moi de mon côté et lui du sien, nous finirons par obtenir satisfaction. Et Si Ahmed par son action.”
    Le père Lelong fait partie de ces hommes qui ont horreur de « l’homme moyen », qui ne se renient pas, qui restent loyaux en toutes circonstances. Des hommes de convictions et d’honneur. Il fait partie des rares amis qui ont continué de nous manifester leur amitié et leur affection après la crise de 1969. Il était un des rares qui savait dire et choisir les mots pour nous apaiser et nous redonner du courage et de l’espoir à ma mère, à Zouhour, à Hassen et à moi-même. Il comptait pour nous autant que nos amis de l’UGTT de Farhat Hached, Mohamed Erraï, Ahmed Ben Hamida, Mahmoud Khiari, Mohamed Guettat, Mahmoud Ben Ezzedine ,Salah Galaoui. Le père Lelong arrivait toujours avec une boite de macarons ou de chocolats. Je le raccompagnait jusqu’à la rue de France (à Radès) et il terminait toujours son discours que je comprenais à ma manière (j’avais 15 ans en 1975) par ces paroles :« il y a un homme libre dans une geôle du 9 avril et son geôlier est un prisonnier dans un palais » et en suite après février 1973, « l’homme libre a laissé sa geôle vide et son geôlier est toujours prisonnier dans son palais » !
    Il me saluait à la fin par un « a-dieu » où je percevais un mystérieux « espace-temps » entre le « A » et « Dieu » !
    J’ai retrouvé le père Lelong à Paris, dans un cadre privé chez mon oncle Fayçal Karoui, et dans un cadre public et militant auprès du docteur Slimane Doggui et son association « Dialogue Franco-Arabe ». Reposez en paix cher Michel Lelong et cher Slimane Doggui.

  3. J’ai trouvé ce passage dans le journal de notre mère, Rachida Karoui-Ben Salah, datant du 23 juin 1975 : “Je suis en train d’écrire en m’arrêtant de temps en temps pour mieux écouter le Concerto n°3 en sol majeur pour violon et orchestre de Mozart. Le Père Lelong nous gâte. Je pense souvent à ses gentilles visites. J’ai l’impression que tout va s’arranger pour nous grâce au Père Lelong et à ses interventions auprès de Dieu. Moi de mon côté et lui du sien, nous finirons par obtenir satisfaction. Et Si Ahmed par son action.”
    Le père Lelong fait partie de ces hommes qui ont horreur de « l’homme moyen », qui ne se renient pas, qui restent loyaux en toutes circonstances. Des hommes de convictions et d’honneur. Il fait partie des rares amis qui ont continué de nous manifester leur amitié et leur affection après la crise de 1969. Il était un des rares qui savait dire et choisir les mots pour nous apaiser et nous redonner du courage et de l’espoir à ma mère, à Zouhour, à Hassen et à moi-même. Il comptait pour nous autant que nos amis de l’UGTT de Farhat Hached, Mohamed Erraï, Ahmed Ben Hamida, Mahmoud Khiar, Mahmoud Ben Ezzedine ,Salah Galaoui. Le père Lelong arrivait toujours avec une boite de macarons ou de chocolats. Je le raccompagnait jusqu’à la rue de France (à Radès) et il terminait toujours son discours que je comprenais à ma manière (j’avais 15 ans en 1975) par ces paroles :« il y a un homme libre dans une geôle du 9 avril et son geôlier est un prisonnier dans un palais » et en suite après février 1973, « l’homme libre a laissé sa geôle vide et son geôlier est toujours prisonnier dans son palais » !
    Il me saluait à la fin par un « a-dieu » où je percevais un mystérieux « espace-temps » entre le « A » et « Dieu » !
    J’ai retrouvé le père Lelong à Paris, dans un cadre privé chez mon oncle Fayçal Karoui, et dans cadre public et militant auprès du docteur Slimane Doggui et son association « Dialogue Franco-Arabe ». Reposez en paix cher Michel Lelong et cher Slimane Doggui.

  4. Le Père Lelong est à l’exemple de l’approche de l’Islam par l’Eglise catholique. Au nom d’une charité et d’un désir de dialogue fraternel dont la sincérité n’est pas en doute, on a dit aussi beaucoup de bêtises et d’inexactitudes et fourvoyé ainsi beaucoup de chrétiens.
    J’ai moi-même entendu au Maroc un jésuite prêcher le relativisme des voies de salut, ce qui est théologiquement faux dans le christianisme…comme aussi en Islam…
    L’Eglise catholique est à peu près sortie de ces errances (notamment grâce au texte remarquable du pape Benoît XVI intitulé Dominus Iesus) mais il y a encore pas mal d’officines du prétendu dialogue islamo-chrétien qui tournent à faux à force de vouloir masquer les divergences irréconciliables.
    On ferait mieux de jouer franc jeu :
    – il faut admettre que dans l’Islam, les religions qui l’ont précédé sont considérées comme fausses, donc aussi le christianisme ;
    – et il faut admettre que dans le christianisme, Jésus, Dieu fait homme, est venu sauver tous les hommes et donc aussi les musulmans, en dépit de l’Islam pourrait-on dire.
    Une fois qu’on a posé cela, on se rend compte que le dialogue théologique entre musulmans et chrétiens ne peut pas être poussé bien loin, à la différence du dialogue entre juifs et chrétiens car les deux religions ont des relations très intimes : le Christ vient en effet accomplir la Loi juive et est le Messie attendu par le Juifs (du moins pour les chrétiens).
    Mieux vaut favoriser le dialogue interpersonnel sur la base de la raison naturelle. Les chrétiens qui se chargent de dire ce qu’est le ” vrai” ‘islam mettent généralement à côté de la plaque, d’ailleurs…y compris le pape…Même les musulmans ne sont pas d’accord sur ce qu’est le vrai Islam…
    Au dialogue théologique, enfin, il faut préférer l’étude de l’Islam : voir ainsi le remarquable “Coran des historiens” qui vient de sortir et qui réunit une somme d’études sur la genèse de l’Islam dans l’Arabie préislamique qui connaissait le judaïsme aussi bien que le christianisme, ses sources, ainsi qu’une exégèse critique du Coran.

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