in

Non-adhésion de l’Algérie aux BRICS: pour Soufiane Djilali “C’est le moment de penser à bâtir ce pays”

Entretien sur Oumma avec Soufiane Djilali,
président du parti Jil Jadid

Au terme d’une longue attente fébrile, le verdict vient de tomber à Johannesburg, en Afrique du Sud, lors du 15ème sommet des BRICS ( Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud ) qui s’est tenu du 22 au 24 août : l’Algérie, qui avait toutes les raisons de nourrir de grands espoirs, n’aura pas encore le privilège de rejoindre le club des pays émergents et non-alignés. La préférence ayant été donnée, pour l’heure, à six nouveaux entrants : l’Iran, l’Argentine, l’Egypte l’Ethiopie, l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis (EAU).

Oscillant entre déception légitime, réalisme éclairé et espérance renouvelée, victorieuse de toute épreuve, Soufiane Djilali, l’un des acteurs majeurs de la vie politique algérienne, qui préside depuis plus de dix ans aux destinées du parti Jil Jadid (Nouvelle Génération), décrypte sur Oumma les principales raisons du recalage de l’Algérie.

Il tire les grands enseignements de ce revers relatif, qui aura sans nul doute, en tout cas l’espère-t-il vivement, l’effet d’un puissant électrochoc salutaire.

Quels sont, selon vous, les principaux critères qui ont conduit les cinq Etats membres des BRICS à ne pas retenir, cette année, la candidature de l’Algérie, dans le cadre de leur politique d’élargissement ?

Comme chacun le sait, les quatre actuels et futurs géants de l’économie mondiale que sont la Chine, l’Inde, la Russie et le Brésil, auxquels s’était joint l’Afrique du Sud dans un deuxième temps, avaient créé ce groupe de concertation pour consolider leurs nouvelles positions sur l’échiquier international et pour coopérer en vue de rééquilibrer les rapports économiques avec les pays du G7.

L’objectif initial était donc la mise en place de relations d’échanges plus favorables aux pays émergents et plus généralement aux pays du Sud.

Bien entendu, chacun de ces pays a en tête ses propres intérêts. Les BRICS auraient pu continuer tranquillement leur chemin pour se frayer un passage vers de meilleures positions dans le palmarès mondial, mais la géopolitique et la géostratégie ont accéléré les évènements.

Le conflit entre la Russie et l’Ukraine a inauguré une nouvelle phase. L’Occident, sous la houlette des Etats-Unis, a largement alimenté ce conflit, pensant affaiblir la Russie. Il a cependant commis plusieurs erreurs d’évaluation. L’embargo général sur la Russie et surtout le gel de ses avoirs en dollars ont fini par pousser à une forme de rébellion des pays non occidentaux contre le système unipolaire, malgré la peur des sanctions.

Le narratif de l’Occident contre la Russie est apparu comme une pure hypocrisie aux yeux du reste du monde. Le basculement de pays comme l’Arabie Saoudite, les EAU et l’Egypte vers la Chine et la Russie ont marqué un tournant géostratégique très grave pour l’Occident. Non seulement l’autorité de celui-ci était déjà entamée avec l’échec en Afghanistan, mais elle commençait à poser de graves problématiques sociétales à des pays encore très attachés à leurs traditions et aux principes religieux, avec ces idéologies du transgenre, du LGBTisme etc…

L’Occident a gravement détérioré, lui-même, son image auprès de ce que l’on appelle aujourd’hui le Sud Global et a provoqué, chez lui, un réflexe d’autodéfense préventive.

Dans ce climat, la Russie, la Chine et l’Inde ont saisi l’opportunité pour booster leurs relations, au détriment des USA et de l’Europe qui, elle, s’est engagée corps et âme dans le soutien militaire à l’Ukraine.

Dans ce climat général, et pour revenir à votre question, les critères d’adhésion au groupe ont forcément évolué.

A travers le choix des 6 nouveaux membres, il faut relever que le Proche et le Moyen-Orient viennent de basculer vers l’Est. Les prémices de ce renversement étaient là, avec le règlement du différend entre l’Arabie Saoudite et l’Iran. Du coup, avec les BRICS, ce ne sont pas moins de 4 pays musulmans, détenteurs des plus grosses réserves d’hydrocarbures au monde et surtout maîtres du Golfe arabo-persique, qui entrent dans le groupe.

Les BRICS prennent également en charge le conflit sur les eaux du Nil, entre l’Egypte et l’Ethiopie. Dès lors,  l’Egypte, le plus grand pays arabe au plan démographique, et l’Ethiopie, largement en alliance vitale avec la Chine et siège de l’Union Africaine, sont concernés. Rajouter l’Argentine pour équilibrer les représentants du continent Sud-Américain et la boucle est bouclée pour une ou deux années.

A l’évidence, les critères n’étaient donc pas exclusivement économiques. Des pays comme le Nigéria ou l’Indonésie comptent sur ce plan bien plus que l’Ethiopie.

L’Algérie était en droit d’espérer faire partie de cette première vague de renfort des BRICS. Elle s’est heurtée, je pense, à plusieurs facteurs défavorables, le premier étant le surplace économique qu’elle fait depuis trop longtemps. Dépendante totalement des hydrocarbures, elle est structurellement fragile.

Sa position géographique, bien que stratégique, est actuellement un handicap : elle est enfermée dans un espace en ébullition. L’ouverture qu’elle pouvait offrir sur l’Afrique est pour le moment verrouillée par l’instabilité sécuritaire sur l’ensemble de ses frontières. Objectivement, l’adhésion de l’Algérie aux BRICS ne pouvait pas apporter au groupe, dans l’immédiat, une plus-value.

Par rapport aux six nouveaux entrants, quels sont les atouts et les faiblesses de l’Algérie ?

Publicité
Publicité
Publicité

Je crois que la question ne devrait pas être envisagée sous cet angle. Si l’on devait extraire chacun des six pays du contexte, les critères de jugement changeraient totalement. Par exemple sur le PIB total ou par habitant, l’Algérie est meilleure que l’Ethiopie.

Démographiquement, notre apport aurait été beaucoup plus important que les EAU ou que l’Arabie Saoudite. Le fait de ne pas être endettée aurait été un avantage évident par rapport à l’Argentine, dont l’économie est ravagée par l’inflation et la dette.

Je crois donc qu’il faut voir chaque pays dans le contexte général des rapports de force qu’impose une transition du monde unipolaire vers un autre, multipolaire. Dans ce jeu et pour le moment, l’Algérie ne correspondait pas au round actuel.

L’an dernier, le président Tebboune affichait sa confiance quant à l’adhésion de l’Algérie aux BRICS, persuadé que 2023 serait « couronnée de succès ». Le fait de rester (encore) aux portes de ce club d’économies émergentes constitue-t-il un échec ou, au contraire, sera-t-il un électrochoc salutaire pour peaufiner une véritable stratégie de diversification économique, en s’affranchissant de la dépendance aux hydrocarbures ?

Il est sain qu’un Président de la République ait de l’ambition pour son pays. Probablement, la communication était trop optimiste et, de ce fait, le retour de bâton a été dur. Mais cet échec, relatif bien sûr, doit être l’occasion pour l’Algérie d’une introspection sérieuse.

Le pays a besoin de profondes réformes. Il faut rapidement moderniser l’Etat, lever les obstacles au fonctionnement de l’économie en général, réduire la bureaucratie, lutter contre la corruption, actualiser notre système bancaire, mettre en place une bourse digne de ce nom, se débarrasser de la gestion d’une multitude d’entités déficitaires qui ne font qu’absorber l’énergie des responsables.

J’aurais aimé voir ériger une structure chargée de la sélection de nos ressources humaines, selon des critères de mérite et de compétence… Je ne vais pas énumérer ici tout un programme, mais l’essentiel est qu’une prise de conscience doit nous mener à surmonter nos failles et à dépasser nos erreurs.

A ce propos, la Russie ou la Chine, en plus de nos partenaires occidentaux, peuvent beaucoup nous apporter dans ces domaines. Nos relations bilatérales sont excellentes. C’est le moment d’en profiter.

A court et à moyen terme, cette non-adhésion aux BRICS aura-t-elle des répercussions géostratégiques pour l’Algérie?

Non, je ne le crois pas. Malgré toutes les critiques qui peuvent être faites, le pouvoir algérien est constant dans ses grands choix. Il n’y a pas lieu de les changer au niveau géostratégique. Il faut maintenant se préparer à passer à l’étape suivante : comment rendre l’Algérie attractive ?

Nous avons d’immenses possibilités et potentialités. L’Europe est notre voisine et peut avoir besoin de nous pour une coopération équilibrée. La volonté de l’Algérie d’entrer dans les BRICS ne doit pas signifier la rupture avec l’Occident. Tout au contraire, l’Algérie peut être cet intermédiaire à de multiples niveaux entre l’Orient et l’Occident. Garder tous les amis et en gagner d’autres, c’est ça notre devise. Il faut que l’Algérie se concentre sur ses propres besoins, sur ses points forts. C’est pour cela qu’une vision d’avenir et une projection réaliste doivent être notre leitmotiv.

Vous avez qualifié cette non-adhésion de « mésaventure », tout en préconisant de « s’ouvrir au réel ». Est-ce à dire que l’Algérie s’est bercée d’illusions et que le système de « bonne gouvernance » que vous remettez en cause en est le premier responsable?

Oui, nous sommes en fait de grands sentimentaux, nous fonctionnons beaucoup à l’affect. La blessure coloniale est très profonde dans la psyché nationale. Il y a une peur profonde de l’étranger. Nous héritons d’une terre qui a été continuellement convoitée.

Notre système politique, généré par la révolution d’indépendance, est encore très fermé. L’esprit du secret, tellement nécessaire durant la guerre, s’est cristallisé en une mentalité de la méfiance. Cet enfermement sur soi a empêché l’Algérie de s’épanouir, de faire des choix plus efficaces et plus rationnels.

Il nous faut un régime politique profondément patriote, attaché à la souveraineté du pays au sens noble du terme, mais aussi ouvert, subtil et audacieux. Les nouvelles générations ont une mémoire beaucoup moins traumatisée. Elles sont instruites et capables de grandes choses. Il faut les encadrer et leur donner l’occasion d’assumer des responsabilités dans un cadre institutionnalisé et régulé.

A travers ces quelques mots, je veux interpeller la conscience de mes compatriotes pour leur dire que c’est le moment de penser à bâtir ce pays, dont la terre a été arrosée par trop de sang. Il faut se décider une fois pour toutes : voulons-nous rattraper le convoi du monde ou voulons-nous rester des assistés, dont le rêve se limite à des phantasmes ? Je crois pourtant que notre heure est arrivée. Il nous faut la saisir !

Propos recueillis par la rédaction Oumma

Publicité
Publicité
Publicité

Laisser un commentaire

Chargement…

0

Islam en Asie (1/2)

Le Danemark veut interdire les autodafés du Coran