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Face au génocide à Gaza, Soufiane Djilali ne veut plus garder le prix attribué par une ONG américaine

Homme de convictions, pour qui la démocratie n’est pas l’étendard souillé de cynisme et de sang dans lequel l’Occident se drape pour mieux dominer le monde et y livrer des croisades impérialistes mortifères, l’homme politique algérien Soufiane Djilali vient de s’illustrer par un geste fort : face à l’insoutenable génocide de la population de Gaza perpétré par l’Etat d’apartheid israélien, avec la complicité non moins insupportable des Etats-Unis et de leurs vassaux européens, il a décidé de ne plus conserver un trophée qui heurte aujourd’hui sa conscience. 

Epris de justice et de vérité, le président du parti Jil Jadid (Nouvelle Génération) a justifié sa décision de restituer le prix prestigieux que lui avait décerné à Washington, en 2019, l’ONG américaine POMED ( Project on Middle East Democracy), dans une lettre ouverte adressée à sa directrice, Arwa Shobaki. (lire ci-dessous l’intégralité de sa missive)

Et l’on peut dire que Soufiane Djiiali, l’un des principaux instigateurs de la grande Marche de la Solidarité avec les Palestiniens qui a rassemblé vendredi, à Alger, des centaines de ses concitoyens, appuie là où le bât blesse cruellement et effroyablement. Des mots forts, à l’aune de son geste marquant, hautement symbolique.

Lettre ouverte à Madame Arwa Shobaki,
Directrice générale de POMED (Project on Middle East Democracy)

Madame, 

En 2019, votre honorable organisation m’avait décerné un prix pour encourager mon engagement pour la démocratie en Algérie. 

Ayant pris connaissance de vos principes publiques fondés sur la défense de la démocratie, des droits de l’homme et du respect de l’identité des peuples du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA), j’avais accepté cet hommage non pas pour ma personne, mais pour représenter l’engagement de toutes celles et ceux qui luttaient pacifiquement pour faire avancer les idées démocratiques dans notre pays. 

L’efficacité de votre travail est, bien entendu, ainsi que vous le présentez sur votre site web, dépendant du lobbying qui peut être mené auprès des hommes politiques et des décideurs à Washington. 

« L’Amérique manque de crédibilité en matière de démocratie, car elle tolère souvent le comportement autoritaire de régimes amis, tout en appelant à la démocratie et à des changements de régime dans les régimes hostiles ». Cette profession de foi, affichée par votre organisation, donne un gage de sincérité à son action. 

Vous ajoutez plus loin : « L’engagement par des moyens pacifiques, tels que le dialogue et la diplomatie, est le seul moyen légitime et efficace de promouvoir la démocratie dans la région. Les États-Unis peuvent apporter leur aide et le feront, mais, en fin de compte, des démocraties stables et sûres au Moyen-Orient ne peuvent être construites que de l’intérieur ». Ces principes ont, à l’évidence, été adoptés à la suite de la malheureuse tentative d’imposition par les armes de la démocratie en Irak, que j’avais personnellement condamnée en son temps. 

En effet, il était temps de reconsidérer l’approche générale des relations avec les pays du Sud en général, et de la région MENA en particulier, qui, elle, n’a pas cessé d’être au centre de drames humains depuis les colonisations impérialistes du XIXe et XXe siècle jusqu’à aujourd’hui. 

Durant mon séjour à Washington, j’ai ainsi pu rencontrer, au siège de POMED, de nombreux activistes, Palestiniens, Tunisiens, Egyptiens et autres citoyens de notre région, qui tous voulaient s’organiser et travailler pour faire évoluer les conditions politiques, souvent déplorables, dans leurs pays respectifs, mais de manière pacifique. 

Votre proximité avec le parti démocrate devait permettre à ce dernier d’envisager sa politique dans notre région avec compétence, raison et sagesse. C’est dans ce même état d’esprit que j’entretiens ponctuellement, au nom de mon parti, une relation sereine et empreinte de respect mutuel avec le corps diplomatique états-unien et, à leur tête, les ambassadeurs successifs dont j’apprécie l’ouverture d’esprit et l’amitié qu’ils ont toujours exprimée à l’égard de mon pays. Mais, comme vous le savez, il y a également des sujets sur lesquels nos perceptions et nos convictions divergent, en particulier sur des questions internationales. 

Comme vous vous en doutez, la question palestinienne fait partie de ces sujets sensibles. Depuis plusieurs années, votre pays a formellement pris des positions diplomatiques tendant à ménager les parties en conflit, bien qu’un soutien explicite ait toujours été apporté à l’Etat hébreux. 

C’est votre choix souverain, tout comme pour l’Algérie, son soutien à la cause palestinienne est pleinement légitime. La solution à deux Etats dans cette région, décidée par l’Organisation des Nations Unies lorsqu’elle a imposé la division des territoires palestiniens pour faire place à un nouvel Etat d’idéologie sioniste, étant dans la réalité refusée par Israël. Une solution avalisant sa seule volonté fut mise en œuvre au détriment des Palestiniens, soumis par contre à un apartheid et à une oppression impitoyables.

Cette profonde injustice ne pouvait que mener à l’explosion. Et ce qui devait arriver arriva ! Ce 7 octobre 2023, la branche armée de Hamas a opéré une action armée, qualifiée par les pro-palestiniens de résistance et par les pro-sionistes d’acte de terrorisme. 

Il était évidemment attendu qu’Israël allait déployer tous ses moyens militaires pour mettre fin à cette attaque armée et ensuite punir de la manière la plus féroce les rebelles, mais aussi l’encadrement de Hamas et surtout les familles et proches des combattants Palestiniens. Ces hommes ont fait des choix et les assument. 

Dans cette situation explosive, j’avais espoir que les puissances de ce monde, après avoir condamné copieusement ces évènements, se penchent sérieusement sur le dossier palestinien pour trouver enfin une solution définitive à ce qui est la source des malheurs de cette région : une colonisation massive, une violence ininterrompue contre un peuple parqué dans une prison à ciel ouvert, humilié avec perversité, spolié de ses terres, de ses maisons et de sa dignité et cela dure depuis 75 ans !

Le gouvernement d’extrême droite actuel agit comme tout gouvernement fasciste et suprémaciste (les qualificatifs sont d’un ex-ambassadeur israélien), avec une inhumanité indescriptible envers les femmes, les enfants, les vieillards et les personnes isolées. 

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Les colons armés, et protégés par l’armée, occupent illégalement de plus en plus le peu de ce qui reste des terres palestiniennes, offensent les sentiments religieux des chrétiens et des musulmans, commettent des actes sacrilèges et projettent officiellement de détruire la Mosquée d’El Aqsa pour ériger à sa place le Temple de Salomon. Ils organisent des chasses à l’homme, brûlent des enfants (avec des preuves filmées) et terrorisent les « arabes ». 

Les bombardements périodiques et aveugles d’un territoire d’à peine 360 km² qui héberge près de 2,5 millions d’âmes, assassinant bébés, enfants, femmes et hommes, n’ont pas suffi à convaincre les membres du Conseil de Sécurité qu’il était grand temps d’imposer les résolutions de l’ONU concernant la création de l’Etat Palestinien aux côtés de l’Etat d’Israël pour enfin établir la paix entre ces deux peuples. 

Les jeux incessants des dirigeants sionistes et les tergiversations de leurs alliés inconditionnels ont trompé les opinions et menti aux Palestiniens. L’Occident avait décidé de leur faire payer la facture de l’holocauste et de la Shoah qu’il avait pratiquée contre les Juifs. Rappelons que pourtant, ceux-ci avaient par le passé toujours trouvé refuge et respect auprès des populations musulmanes, elles-mêmes d’origine sémite, lorsque l’Europe les persécutait sans trêve depuis l’Inquisition au Moyen-Âge. 

Face aux malheurs cruels et injustes qui accablent les Palestiniens, aucun intérêt géopolitique ou économique ne peut être légitime. A ce stade du conflit, il fallait exiger d’Israël de s’assoir autour de la table de négociation et de signer la reconnaissance de l’Etat palestinien dans ses frontières de 1967, avec El Qods comme capitale. C’est la moindre des choses. Dans le cas contraire et si Israël refusait cette solution, il faudrait lui imposer un embargo sur les armes ainsi que des sanctions politiques, financières et commerciales, comme la communauté internationale a l’habitude d’opérer avec les Etats qualifiés de voyous et comme elle a su le faire avec l’apartheid de l’Afrique du Sud. 

Au lieu de cela, qu’avons-nous ? Une autorisation officielle et un encouragement général en Occident pour qu’Israël massacre sans aucune retenue une population enfermée dans une enclave de Gaza, devenue, après avoir été une prison à ciel ouvert, un cimetière pour un peuple entier. 

Des hommes politiques sionistes demandent la déportation des populations pour faire place nette pour les colons. C’est tout juste s’ils n’ont pas encore osé réclamer les chambres à gaz pour en finir avec les « animaux », mais apparemment cela ne saurait tarder ! 

Des Etats européens n’ont pas trouvé mieux que de se rendre complices de la punition collective contre ces civils innocents, en exigeant la suspension de toute aide humanitaire aux Palestiniens et en soutenant le gouvernement israélien qui a ordonné de priver d’eau, de nourriture et d’électricité les 2,5 millions de Gazaouis ! Ce qui constitue, bien évidemment, une complicité directe avec des crimes contre l’humanité. 

Ce n’est que dans un dernier sursaut de fausse pudeur que l’Union Européenne a reculé devant la cruauté de cette décision, grâce à la lucidité de certains de ses membres. De leurs côtés, les médias occidentaux débitent sans arrêt une propagande sioniste et anti-palestinienne des plus perfides, transformant chacun d’eux en terroriste. Ils répercutent la désinformation, mentent par omission et propagent les mensonges, telle l’imaginaire décapitation des 40 bébés ! 

Les chefs d’Etat occidentaux n’ont de mots de compassion que pour la partie qu’ils soutiennent ostensiblement et ont oublié les drames incommensurables des véritables victimes expiatoires promises au génocide, en grande partie par leur faute.

 Ils ont pleuré pour de fausses images et se sont tus devant le véritable carnage. Les faux bébés israéliens décapités justifiaient la mort des vrais bébés palestiniens ! 

Pendant qu’ils ornent les monuments de leur capitale avec les couleurs des bourreaux, ils prononcent des discours enflammés et mobilisent tous leurs moyens militaires pour tuer encore plus d’innocents ; ils interdisent et censurent tout soutien aux Palestiniens, toute parole de compassion, toute image de vérité. C’est dans cette atmosphère délétère que le Président des Etats-Unis vient de déclamer un discours, ce 10 octobre, d’une violence inouïe contre les plus faibles, contre ceux qui ont été spoliés, marginalisés et promis à une mort lente dans l’indignité et le malheur, car des puissants de ce monde l’ont ainsi décidé.

Joe Biden n’a pas eu un seul mot de compassion, pas même diplomatique, pour les drames de ces millions de Palestiniens, civils innocents, punis collectivement et qui se font bombarder par des armes au phosphore et au tungstène pourtant interdites. Des bombardements sans discontinuité, jour et nuit, opérés par les « civilisés » contre les « animaux sauvages », selon la terminologie gouvernementale ! 

Mais bien sûr, Israël est un Etat au-dessus des lois internationales. D’ailleurs, les dizaines de résolutions onusiennes ne sont pour lui que du papier hygiénique. Pourtant de nombreux Juifs et Israéliens d’honneur reconnaissent la dimension fasciste, extrémiste et pourquoi ne pas le dire, tout simplement nazi, de leur gouvernement qui, à l’évidence, ne peut être qualifié, en aucun cas de démocratique. 

Dans ce drame incommensurable, où les officiels de votre pays ont recours aux arguments de solidarité ethnique contre la justice, je n’ai malheureusement vu aucune réaction de votre organisation contre cet état de fait, aucun communiqué, aucune déclaration, qui mettraient votre organisation en adéquation avec ses principes énoncés. 

Ma compréhension de la démocratie, des droits de l’homme, de la justice et de l’équité m’interpelle face aux positions des gouvernements occidentaux, et à leur tête, celui des Etats-Unis. Pour toutes ces raisons et pour beaucoup d’autres encore, qu’il serait trop long de citer ici, j’ai le regret de vous dire que ma conscience m’impose de me délier du prix que votre organisation m’avait décerné. 

Je vous serai donc reconnaissant de m’indiquer les voies et moyens par lesquels je pourrai vous retourner le trophée dont je ne peux plus assumer la symbolique. 

J’ose espérer que votre organisation puisse un jour convaincre les décideurs de ce monde d’appliquer vos nobles principes de démocratie, de droits de l’homme et de la justice pour tous les humains, sans ségrégation, ni racisme. En attendant ce jour, veuillez accepter ma parfaite considération.

Soufiane Djilali
Alger, le 14 octobre 2023

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