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L’affaire Finkielkraut : l’antisionisme entre liberté d’expression et politique étrangère

Les années passent et l’Histoire se répète. Comme en 2016, lors du Mouvement « Nuit debout » de la Place de la République, Alain Finkielkraut s’est fait éjecter le 16 février dernier d’un mouvement de contestation sociale, cette fois-ci de celui dit des « Gilets Jaunes », notamment pour sa défense supposée de l’existence de l’Etat d’Israël.
Au-delà du fait que le philosophe devrait franchement questionner la justesse de sa pensée et de ses prises de parole afin d’y trouver les raisons du rejet qu’il suscite, ce fait divers particulier, placé à l’exact interstice des débats politique et intellectuel de notre pays, matérialise une ligne de faille majeure dans la société française, celle du positionnement face au sionisme, et à son contraire, l’antisionisme.
Rappelons que, selon sa définition stricte, le sionisme est l’idéologie historique défendant la création puis la perpétuation d’un état de fait politique : l’existence dans la Palestine historique d’un Etat, connu aujourd’hui sous le nom d’Israël, devant être le foyer national du Peuple juif. L’antisionisme, en toute objectivité, se caractérisant en une défense idéologique absolument contraire, qui se traduit par le fait d’être contre cette existence.
Ceci étant rappelé, et vu que des députés veulent faire adopter une loi ou résolution condamnant l’antisionisme comme étant un avatar de l’antisémitisme, il importe de se poser la question suivante : est-il légitime, en France, pays de la liberté d’expression, d’imposer à des citoyens d’être contre la politique étrangère de son propre Etat, à savoir ici, contre l’action de la République française en faveur de la défense du maintien d’Israël en tant qu’Etat souverain ?
La Guerre d’Algérie : un précédent historique ?
Un des types d’action que l’Etat a pu mettre en place pour limiter la liberté d’expression fut la censure en temps de guerre, lorsqu’il s’était agi d’interdire des publications allant à l’encontre des intérêts supposés de la Nation. Ainsi, pendant la Guerre d’Algérie, des divers empêchements à paraitre de dizaines de livres et de titres de journaux condamnant la torture pratiquée par le contingent français. Encore qu’une difficulté inattendue complexifie la donne : la France considérait l’Algérie, à tort au regard de l’Histoire, comme faisant partie intégrante du territoire national, d’où le double fait qu’elle nommait officiellement l’état de guerre contre le FLN indépendantiste comme relevant « d’évènements » et que la censure se faisait en application de la Loi d’urgence de 1955.
En prenant appui sur l’Histoire (et non sur les développements juridiques liées à cette question, ce qui n’est pas l’objet de cet article), la France trouverait une source alimentant le bien-fondé d’interdire un certain nombre de publications d’analyses ou d’opinion pouvant compromettre l’intégrité territoriale de la nation.
Seulement, comme il s’agit là de politique étrangère, et exclusivement de cela puisqu’il est question avant tout de défendre ou d’être contre la légitimité d’un Etat souverain ayant son siège à l’ONU (en l’espèce Israël), ce précédent ne peut servir d’adoubement à une interdiction de l’antisionisme en tant qu’idéologie condamnable.
C’est pourquoi l’interrogation de cet article reste en suspens : est-il légitime, en France, pays de la liberté d’expression, d’imposer à des citoyens d’être contre la politique étrangère de son propre Etat, à savoir ici, contre l’action de la République française en faveur de la défense du maintien d’Israël en tant qu’Etat souverain ?
L’antisionisme et la politique étrangère de la France
A la veille de la dernière élection présidentielle, j’avais fait paraître un article sur l’absence injustifiée d’un des sujets les plus importants qui soient quand des candidats ou des hommes politiques débattent de la situation au Moyen-Orient (en l’occurrence du conflit sanglant entre Chiites et Sunnites en Syrie et au Yémen, et du développement inattendu de Daesh). Il s’agissait de la politique française à mener pour régler le conflit israélo-palestinien.
Or, cet état de fait constituait un manque flagrant, car la politique étrangère de la France ne peut se concevoir au Moyen-Orient sans y intégrer les problématiques de la Terre Sainte. De cela, nous nous en sommes rendus compte quand Donald Trump, en 2017, avait décidé unilatéralement (en réalité en adéquation avec une décision du Congrès américain de 1995 sans cesse repoussée dans ses effets) de transférer le siège de l’Ambassade des Etats-Unis de Tel-Aviv à Jérusalem, marquant ainsi que Washington reconnaissait Jérusalem, et non plus simplement la partie Ouest de la ville, comme étant la capitale réunifiée de l’Etat d’Israël. Cela s’était fait au mépris du Droit international (les résolutions de l’ONU), et il est bon de rappeler à ce stade que la France, par la voix de son président, avait critiqué cette décision, et voté en conséquence la condamnation de cette décision émise alors par l’ONU (avec l’appui de l’unanimité des pays arabes).
Le président Macron avait alors pris une décision engageant la politique étrangère du pays dans toute la région (qui ne variait en réalité pas d’un pouce de la tradition de défense exprimée par la France de deux Etats selon les frontières de 1967). Pour autant, comme en 2011 lors du vote de la France en faveur de l’adhésion de la Palestine à l’UNESCO, il s’était trouvé des commentateurs ou des personnes exprimant leur désapprobation de ce positionnement français. Bien que contestables ou contestées, ces opinions avaient enrichi le débat.
C’est dans cette même logique que le débat sur le sionisme et l’antisionisme devrait perdurer : alimenter en arguments plus ou moins aiguisés un débat servant de soubassement à l’élaboration de la politique Etrangère de la France. Cela, pour que la France ne s’interdise jamais de changer sa position sur la scène internationale, et qu’elle reste ainsi en conformité avec ce qu’en pensait le Général de Gaulle, le plus illustre des Français du XXème siècle : la politique étrangère de la France doit le plus possible demeurer indépendante de toute considération autre que les intérêts supérieurs de la nation. La liberté d’expression serait dans cette perspective la fidèle servante de la liberté de mouvement de la France dans le monde, même, en poussant exprès le tabou le plus loin possible pour respecter ce principe d’indépendance, en ce qui concerne la légitimité d’Israël à l’existence. (1)
Conclusion
Alain Finkielkraut considère qu’il se serait « fait casser la gueule », si les forces de l’ordre ne s’étaient pas interposées entre lui et une partie des manifestants le prenant à partie. C’est donc l’occasion de réaffirmer ici que toute personne a le droit à la protection de sa personne, et ce, quelles que soient ses idées, lesquelles peuvent toujours être attaquées en justice selon le droit en vigueur dans notre pays, si elles sont contestables d’un point de vue juridique. Il a en outre rappelé qu’il n’avait pas entendu l’insulte de « sale juif », ce qui écarte a priori le délit d’antisémitisme dans cette affaire.
Il reste toutefois que son éjection d’une manifestation sociale en dit long sur la fébrilité française lorsqu’il est question du sionisme et de l’antisionisme. Par conséquent, rendre délictuel ce dernier n’aiderait pas à l’apaisement, puisqu’il expulserait une partie importante de la population du débat collectif sur la politique étrangère que doit mener la France, coupant cette dernière de solutions de rechanges face à l’état mouvant du monde.
Un débat qui devrait, est-il besoin de le rappeler, se vouloir républicain et donc intégrateur. Ce faisant, cette décision pousserait dans les bras des extrêmes et des défenseurs des théories du complot de nouveaux partisans, creusant encore plus la séparation entre divers pans de la société française.
(1)Afin de prévenir toute confusion dans le débat, je tiens à rappeler que je ne suis pas antisionisme. J’ai longtemps été partisan de la solution à deux Etats négociée entre les deux parties (puisque l’Etat d’Israël était devenu une réalité constituée de plusieurs millions de personnes qui ne pouvait plus être effacée). Puis, en évoluant ma pensée notamment depuis que j’ai entendu Tariq Ramadan l’exprimer, j’ai de plus en plus été convaincu que la seule possibilité aujourd’hui, eu égard à l’imbrication des populations de plus en plus forte du fait de la colonisation, se trouverait sans doute dans un Etat binational, encore que la question de Gaza en elle-même complique fortement donne (il s’agit d’une région qui s’apparente à une prison à ciel ouvert ; les différentes guerres de Gaza de ces dernières années ont suscité la colère et le désir de vengeance dans les deux camps, ; Gaza ne connait plus la colonisation, ce qui la place à part par rapport à la Cisjordanie et à son état d’imbrication ; la division politique entre le Hamas à Gaza et le Fatah en Cisjordanie est importante)

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