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La vie de Malek Bennabi (17)

A Alger, Bennabi retrouve Salah Ben Saï qu’il n’avait pas revu depuis 1937, devenu entre-temps directeur de la société Amal, premier organisme économique musulman d’importance à voir le jour à l’initiative de quelques grands noms du monde des affaires : Khettab, Tiar et Abbas Turqui. C’est lui qui va être la cheville ouvrière de la publication du « Phénomène coranique » qui contient la dédicace ci-après : 

– A mon cher père qui a payé de quinze années de souffrance le prix de ma façon de penser.

– A la mémoire de ma pauvre mère qui est morte après m’avoir laissé son ultime bénédiction.

– Aux humbles de mon pays qui m’ont donné la plus noble leçon en ennoblissant leur souffrance.

– A mon cher ami et maître, Mohamed Ben Saï, que je veux affirmer parce que la condition de l’intérêt féroce et de la médiocrité ambitieuse a voulu le nier … comme d’autres.

– A monsieur Georges Marlin, noble figure de paysan français qui m’a montré que l’homme a ses frères et ses ennemis parmi tous les peuples et toutes les races. 

En plus de cette dédicace – qui ne sera pas reprise dans les éditions ultérieures – un croquis de Bennabi a été réalisé sur la page de garde par Mme R. Benthami, « Grand prix artistique des artistes de l’Afrique du Nord ». 

On a peut-être cru à l’erreur en lisant le prénom de Ben Saï dans la dédicace. En fait il s’agit du même dont le prénom véritable est Mohamed, la pratique du surnom étant répandue en Algérie. D’ailleurs, Bennabi lui-même n’était nommé chez lui et par ses amis que par le surnom de « Seddik », comme Khaldi était généralement désigné par le diminutif de « Azzouz ». Ce dernier prend une copie du livre en France destinée au cheikh Draz que Bennabi a connu en 1936 et qui est maintenant professeur à al-Azhar en vue d’une préface.

En décembre, Bennabi se rend lui-même à Paris où il trouve à la Maison de la chimie Massignon attablé dans un coin de la salle en compagnie de cheikh Draz. Au moment où il se dirige vers la table, Massignon se lève et quitte brusquement l’endroit sans un regard ni un mot pour lui… Le « alem » égyptien ne comprend rien au manège et s’en étonne. Bennabi élude la question.

Il reste auprès de sa femme jusqu’en février 1947 puis rentre à Alger où des fonctionnaires du Gouvernement général viennent à plusieurs reprises à l’imprimerie lire les épreuves. Le livre sort à la fin du mois.  La préface est datée du 05 décembre 1946. Il en a rédigé les dernières pages dans le train qui l’amenait à Alger, d’où l’impression d’un certain bâclage vers la fin. La conclusion, certes belle, est expédiée en quelques lignes : « A la lumière du Coran, la religion apparaît comme un phénomène cosmique régissant la pensée et la civilisation de l’homme, comme la gravitation régit la matière et conditionne son évolution. La religion semble ainsi imprimée dans l’ordre universel comme la loi propre à l’esprit qui gravite sur des orbites différentes, depuis celle de l’islam unitaire jusqu’à celle du fétichisme le plus rudimentaire, autour d’un même centre toujours éblouissant et à jamais mystérieux ». 

« LE PHENOMENE CORANIQUE »

De toute façon, Bennabi a pris le soin d’informer le lecteur que ce livre n’est qu’une indication pour des travaux à venir, nécessitant des connaissances linguistiques et archéologiques étendues pour « suivre depuis les Septantes, la Vulgate, les documents massorétiques, les documents syriaques et araméens, le problème des Saintes Ecritures ».  

Il fait rapidement allusion aux circonstances dans lesquelles le travail a vu le jour, nous apprenant qu’il s’agit de la reconstitution d’un original détruit dans des circonstances particulières qu’il ne précise pas : « Nous avons, croyons-nous, sauvé l’essentiel : le souci d’une méthode analytique dans l’étude du phénomène coranique », et en désigne le double objet : « Procurer d’une part aux jeunes musulmans algériens une occasion de méditer la religion, et suggérer d’autre part une réforme opportune dans l’esprit de l’exégèse classique. »  

Le livre est l’un des plus volumineux, avec « L’Afro-Asiatisme », que Bennabi écrira. Il se compose d’une introduction et de onze parties (Le phénomène religieux, Le mouvement prophétique, Les origines de l’islam, Le messager, Le mode de révélation, La conviction personnelle du Prophète, La position du « moi » mohammadien dans le phénomène du « Wahy », La notion mohammadienne, Le message, Les caractéristiques phénoménales du « wahy », et Notions coraniques remarquables).   

Un bâtisseur doit commencer par les fondations. Et ces fondations, ce sont le credo, la foi, les idées sur lesquels va reposer l’édifice bennabien. Il doit donc « prouver » leur authenticité en les confrontant au scepticisme du scientisme et à l’agressivité de l’athéisme. Ce préalable, il va le mener méthodiquement : établir la transcendance du message coranique, puis démontrer la non-implication dans son élaboration de celui qui l’a porté, le Prophète Mohammad. 

Bennabi a pu se rendre compte au cours des années qu’il a passées au Quartier latin, et surtout à travers les contacts noués avec les oulamas orientaux et les étudiants arabes qui venaient compléter leur formation en France, combien ceux-ci étaient exposés à l’influence des orientalistes : « La renaissance musulmane reçoit toutes ses idées techniques de la culture occidentale… Beaucoup de jeunes musulmans lettrés puisent aujourd’hui leur édification religieuse, et parfois leur impulsion spirituelle même, à travers les écrits des spécialistes européens ». Les musulmans, faute de pouvoir produire eux-mêmes une reformulation de leur pensée à l’époque moderne, se retrouvaient sous l’influence des écoles orientalistes, surtout française et anglaise, qui poursuivaient des buts qui n’étaient pas toujours désintéressés. 

Ces spécialistes lui apparaissent dans leur grande majorité comme des « chargés de mission » volontaires ou involontaires, au service de la « désislamisation » des élites en formation chez eux : « L’œuvre de ces orientalistes a atteint en effet un rayonnement plus considérable qu’on ne pense, et nous n’en voudrions pour preuve que le fait pour l’Académie royale d’Egypte de compter parmi ses membres un savant français ». Bennabi ne le cite pas, mais il s’agit de Massignon. 

En fait, l’Académie royale de la langue arabe du Caire, instituée par le roi Fouad (1868-1936) en 1932 était composée de vingt membres titulaires : dix Egyptiens, cinq Arabes non égyptiens, et cinq orientalistes européens : un Anglais (Gibb), un Français (Massignon), un Italien (Nallino) et deux Allemands (Fisher et Littmann). Le vice-président de l’Académie était le grand rabbin du Caire, Haym Nehum Effendi. Parmi les cinq Arabes non égyptiens, il y avait le Père Anastase Marie (Irak) et Issa Iskander al-Maalouf (Liban). La principale mission de cette institution est l’élaboration d’un dictionnaire. Elle s’organise lors de la première session tenue en 1934 en sept commissions permanentes du vocabulaire : mathématiques, physique, biologie et médecine, sciences sociales, littérature, dialectes. 

Massignon est membre de la quatrième (sciences sociales). Bennabi le range parmi les orientalistes les plus négatifs et l’aligne sur le R.P Lammens « qui demeure le type de l’orientaliste désislamisant (mais qui) n’est pas néanmoins le cas unique où nous puissions constater le sourd labeur de sape dirigé contre l’islam. Le brave homme a eu, du moins, le mérite de clamer bien haut son ressentiment pour le Coran et Mohammad. Sans doute, il vaut mieux avoir à faire à ce bruyant fanatisme-là, plutôt qu’à un superbe et silencieux machiavélisme chez d’autres orientalistes, gardant mieux les apparences de la science ». C’est tout le portrait de Massignon.

Les musulmans n’avaient disposé jusque-là que des arguments de l’exégèse classique fondés sur l’inimitabilité et la perfection stylistique du Coran (« I’djaz ») pour défendre leur foi. Les convictions des intellectuels, réformistes ou modernistes, comme celles des gens du peuple, étaient donc placées sous l’égide de la théologie. Aux yeux de Bennabi, ces garanties n’étaient plus en mesure de résister aux assauts de l’irréligiosité charriée par le modernisme qu’incarnaient les «progressistes», séduits par le matérialisme dialectique de Marx, et les «libéraux», subjugués par l’expérience menée par Ataturk en Turquie et les Pahlavi en Iran.  

Sur le plan intellectuel, il fallait autre chose que le « principe d’autorité » pour répondre à l’exigence d’une élite « désormais engouée de positivisme ». Il fallait placer les convictions religieuses sous une égide nouvelle, celle de la raison. C’est ce qu’il se propose de faire : «Nous voudrions, sinon fournir directement la base rationnelle nécessaire à cette conviction, du moins ouvrir méthodiquement et largement le débat religieux afin d’amener l’intellectuel algérien à édifier lui-même cette base nécessaire à sa foi ». 

Pour lui, ni le monumental « Tafsir » (explication du Coran) en vingt volumes publié par Tantawi Djawhari en 1922 et dans lequel il voit un entassement plutôt qu’une architecture, ni les efforts louables de Cheikh Abdou et de Rachid Ridha, n’avaient répondu à cette nouvelle exigence qui se manifestait partout, y compris au niveau populaire. L’intellectuel musulman avait besoin d’un nouveau système argumentaire pour soutenir ses positions dans des débats comme celui qui avait opposé un demi-siècle plus tôt Djamel-Eddin al-Afghani à Ernest Renan. 

En mars 1883, ce dernier donne à la Sorbonne une conférence sur « L’islam et la science » dans laquelle il accuse l’islam d’avoir persécuté la science et la philosophie. En guise de réponse, Djamel-Eddin rédige un petit livre intitulé « Erad âla-dahriyine » (Réplique aux matérialistes) qui sera son seul ouvrage écrit. 

A l’époque al-Afghani était établi à Paris après son expulsion d’Egypte. Mohammed Abdou le rejoint en 1884 après sa condamnation à l’exil. Les deux hommes créent une association politique « contre la domination extérieure et le despotisme intérieur » qui publie une revue, « Al-ourwa al-wuthqa » (Le lien indissociable). Leur séjour à Paris dure environ deux ans puis ils sont contraints de quitter la France. Abdou a traduit le livre d’al-Afghani en arabe, et écrit lui-même en 1901 un petit ouvrage sur « Le rôle respectif du christianisme et de l’islam dans la science et la civilisation ».  

Dans son travail, Bennabi va lier le cas particulier de l’islam au phénomène religieux dans son ensemble en situant le Prophète dans la chaîne prophétique, et en plaçant la révélation coranique comme l’aboutissement du courant monothéiste. Loin de lui toute idée de prosélytisme en faveur de l’islam, toute tentation d’établir sa suprématie sur le judaïsme ou le christianisme ou toute  intention de disqualifier les autres prophètes. Il aura donné ainsi une application concrète au verset coranique : « Dis : « Ô peuples des Ecritures, élevons-nous à une parole commune qui mettra l’accord entre nous » (3-57). 

De leur côté, pourtant, ni le christianisme (1) ni le judaïsme n’ont eu envers l’islam l’attitude que celui-ci a eue envers eux, accusant le Prophète d’imposture et de plagiat de la Bible, alors que celle-ci comporte tellement d’invraisemblances que la déclaration du Concile de Vatican II en 1965 n’a pu éviter de reconnaître que les livres de l’Ancien Testament « contiennent de l’imparfait et du caduc ». 

Le Dr. Maurice Bucaille qui s’est spécialisé dans la confrontation des Ecritures avec les données de la science écrit : « Quant au Coran, des idées erronées ont été entretenues dans nos pays pendant longtemps, et le sont encore au sujet de son contenu et de son histoire… Nul doute que les assertions sur l’homme qui en sont extraites pourront étonner, comme elles m’ont étonné lorsque je les ai découvertes. De plus, la comparaison des deux textes, biblique et coranique, est très suggestive : l’un et l’autre évoquent un Dieu Créateur, mais on s’aperçoit que les détails descriptifs de la Création du récit biblique, scientifiquement inacceptables, n’existent pas dans le Coran. Ce dernier contient par contre sur l’homme des énoncés stupéfiants : il est humainement impossible d’expliquer leur présence à l’époque où le Coran fut porté à la connaissance des hommes, étant donné ce que l’on sait du savoir du temps. Ces constatations n’avaient pas encore fait l’objet d’une communication scientifique en Occident lorsque, le 9 novembre 1976, je présentai à l’Académie Nationale de Médecine à Paris un exposé de notions de physiologie et d’embryologie trouvées dans le Coran, en avance de près de quatorze siècles sur des découvertes modernes ». 

Et Maurice Bucaille de tirer cette cinglante conclusion : « Si Muhammad avait été l’auteur du Coran, on ne voit pas comment il aurait pu discerner les erreurs scientifiques de la Bible sur de nombreux sujets, et les avoir TOUTES éliminées » (2).

Cela ne semble pas pour autant avoir découragé les amateurs de la vieille thèse selon laquelle l’islam ne serait qu’une reproduction adaptée au contexte et à la mentalité arabe des Anciens et du Nouveau Testaments puisqu’un philologue allemand, Christoph Luxenberg, a consacré au sujet un livre dont une présentation a été faite par Rémi Brague dans un numéro de la revue « Critique » (3).

Acquis a priori aux thèses soutenues dans l’ouvrage, le présentateur estime que « Nous sommes peut-être en présence d’une révolution… Le Coran tel que le restitue Luxenberg s’avère contenir des allusions à des prières chrétiennes pour ne pas dire des citations de celles-ci…. Il s’ensuit une conséquence capitale quant à la nature même du Coran pris dans son ensemble… Une fois qu’on le comprend à partir du syriaque, le Coran est un lectionnaire, c’est-à-dire une anthologie de passages tirés de livres saints préexistants et adaptés en langue vernaculaire, anthologie faite pour la lecture liturgique… Si Luxenberg a raison, cela veut dire que le Coran ne prétendait pas remplacer la Bible, mais en fournir une version intelligible aux Arabes de l’époque. Il ne se présentait donc pas comme une révélation immédiate». 

L’innovation, si l’on peut dire, de Luxenberg repose sur l’hypothèse que ce que l’on croit lire dans le Coran en arabe n’est qu’une somme d’interprétations de ses commentateurs à partir de l’époque de Tabari. Pour lui, le Coran n’a pas été écrit et transcrit dans l’arabe tel qu’on le connaît aujourd’hui, mais dans une langue « intermédiaire, résultant d’un mélange entre l’arabe et le syriaque ».  En appliquant le sens des mots syro-araméens à certains termes arabes du Coran, l’auteur pense obtenir une tout autre signification des versets qui confirmerait que le Livre Saint ne serait que la reprise de citations contenues dans la Bible. L’hypothèse philologique de Luxenberg s’appuie notamment sur la non-utilisation des points diacritiques, ce qui aurait eu pour conséquence de changer le sens de lettres comme (djim, ha, ra, za, sin, cha…), et partant des mots eux-mêmes. 

L’islam n’a jamais fait mystère de sa proximité avec les autres religions révélées dont il n’affirme être que la confirmation et la continuation. De nombreux versets l’attestent comme celui-ci : « Il vous prescrit comme religion ce qu’il avait prescrit à Noé, celle qui t’est révélée, celle que nous avons prescrite à Abraham, à Moïse, à Jésus en leur ordonnant d’observer cette religion et de ne pas en altérer le sens par la division. » (42- 13). 

D’autres versets affirment même que les musulmans ne seront pas privilégiés par rapport aux autres croyants : « Ceux qui croient, ceux qui sont juifs, chrétiens ou sabéens, quiconque croit en Dieu et au Jour dernier et fait le bien, à ceux-là est réservée leur récompense auprès de leur Seigneur ; il n’y aura point de crainte pour eux et ils ne seront point affligés » (2-62). 

Dans un chapitre du « Phénomène coranique » intitulé « Rapport Coran-Bible », Bennabi aborde cet aspect, écrivant : « … Le Coran se réclame hautement de la lignée biblique. Il revendique constamment sa place dans le cycle monothéiste et, par cela même, il affirme solennellement les similitudes qu’il peut avoir avec le Pentateuque et l’Evangile. Il se réclame expressément de cette parenté et la rappelle au besoin à l’attention du Prophète lui-même. Voici, entre autres, un verset qui accuse particulièrement cette parenté : « Ce Coran ne peut être l’œuvre de quiconque d’autre que Dieu. Il confirme la vérité des Ecritures qui le précèdent, il en est l’interprétation. On n’en saurait douter : le Souverain des mondes l’a fait descendre des cieux » (10-37). Et Bennabi de conclure : « Toutefois, cette parenté laisse bien au Coran son caractère propre : sur beaucoup de points, il semble compléter ou même corriger la donnée biblique. »

Dans un autre chapitre intitulé « Aspect littéraire du Coran », il se penche sur la question philologique, admettant sans problème qu’il y a eu création de nouveaux mots arabes à partir de termes araméens « pour désigner des concepts nouveaux spécifiquement monothéistes comme celui de « Malakut » ou des noms propres comme « Jalut, Harut et Marut ». Il reconnaît que « la question philologique que pose le Coran mériterait à elle seule une étude sérieuse embrassant tous ses néologismes et tous ses technologismes dans le domaine eschatologique notamment », mais, observe-t-il, l’islam n’a pas fait que confirmer la pensée monothéiste, il a augmenté sa portée. 

C’est ainsi, explique-t-il, que le judaïsme a fondé sur le privilège de l’élection d’Israël « tout un système religieux nationaliste. Dieu y était à quelque chose près une divinité nationale. Si bien d’ailleurs que l’essence du mouvement prophétique, depuis Amos jusqu’au second Esaïe, sera précisément une réaction violente contre cet esprit particulariste ; tous les prophètes comme Jérémie qui appartiennent à ce mouvement réformiste feront des efforts afin de rétablir Dieu dans ses droits universels ». 

Avec le christianisme, relève-t-il, la pensée monothéiste a subi une autre entorse : Dieu n’est pas Un, mais multiple. En outre, il se serait fait homme selon le mystère de la Trinité. Ni dans le premier cas ni dans le second l’islam n’a repris les dogmes fondamentaux sur lesquels reposent les deux religions qui l’ont précédé. Il les a au contraire amendés : Dieu est Un et universel : « La pluralité et l’anthropomorphisme sont irrévocablement condamnés. » écrit Bennabi, poursuivant : « Toute une philosophie religieuse d’essence coranique va pénétrer la culture monothéiste, et on ne sait pas jusqu’à quel point tous les remous ultérieurs de la pensée chrétienne, depuis le mouvement albigeois jusqu’à celui de la Réforme, ne sont pas imputables, comme conséquence plus ou moins directe, à la conception métaphysique du Coran. » 

C’est en ce sens que l’islam s’identifie à la tradition primordiale universelle (ad-ddin al-hanif) (4).En voulant résumer la morale propre à chacune des trois branches du monothéisme, Bennabi relève que si les Dix commandements du Pentateuque prêchent « l’abstention de faire le mal », et que les Evangiles commandent de « ne pas réagir contre le mal », le Coran, qui constitue une récapitulation et un perfectionnement des morales précédentes, « ordonne de combattre le mal et de faire le bien ». 

Bennabi confronte dans son essai les versions biblique et coranique de l’histoire de Joseph, en relève les parentés et les différences, avant de conclure que le Prophète Mohammad n’était pas instruit des Ecritures judéo-chrétiennes, que son milieu ne connaissait aucune influence provenant de cette source, et qu’à l’époque il n’existait aucune traduction en arabe de la Bible (il est à noter que l’historien musulman Tabari (IXe siècle), auteur d’une biographie du Prophète Mohammed, fait état de l’existence d’une traduction de l’Evangile en arabe détenue par le moine Warraqa ibn Nawfal, cousin de son épouse Khadidja) .

Il procède de la même manière en ce qui concerne la sortie des Hébreux d’Egypte sous la guidée de Moïse et la fin tragique de Pharaon pour relever là aussi les points de convergence et les points de divergence dans les deux Ecritures. C’est ainsi que si la Bible nous apprend que Pharaon a été englouti par les eaux qui se sont refermées sur lui et ses troupes, le Coran confirme ces faits mais ajoute au récit un élément inédit, à savoir que Dieu a décidé de le « sauver dans « son » corps afin qu’(il) soit un témoignage pour la postérité » (20, 91-92). 

Or, Bennabi prend ce verset au pied de la lettre pour en inférer que Pharaon n’est pas mort dans les flots mais qu’il a subi un choc tel qu’il a été conduit à changer de nom et à adopter le monothéisme (5). Cherchant à l’identifier dans l’histoire des dynasties qui ont régné sur l’Egypte il croit, sur la base des documents qu’il pouvait consulter, le trouver en la personne d’Amenhotep IV (devenu Akhanéton), époux de Néfertiti. Dans la plurimillénaire histoire de l’ancienne Egypte, ce pharaon (désigné aussi sous le nom d’Aménophis IV) est connu comme étant le seul qui a essayé de faire évoluer – de manière révolutionnaire – la pensée et les croyances religieuses égyptiennes vers le monothéisme. 

Pour marquer sa volonté de rompre avec la culture religieuse païenne de son temps, il est allé jusqu’à abandonner Thèbes pour une nouvelle capitale qu’il fit construire sur l’actuel site de « al-Amarna » et à laquelle il donna le nom de « Akhétaton ». Plusieurs explications ont été données à cette extraordinaire « réforme religieuse » que les successeurs d’Amenhotep IV se sont empressés d’effacer des mémoires. Pour Bennabi, elle résultait de ce qu’il était devenu in extremis croyant. 

Pour Sigmund Freud, Amenhotep IV n’a pas fondé une nouvelle religion : « Le jeune souverain trouva un mouvement qu’il n’eut pas besoin de créer, mais auquel il put se rallier ». Il nous renseigne sur ce qu’était ce nouveau culte : « Il (Amenhotep IV) n’adorait pas le soleil en tant qu’objet  matériel, mais en tant que symbole d’un être divin dont l’énergie se manifestait par ses rayons. Il ajouta à la doctrine d’un dieu universel quelque chose qui en fit le monothéisme, à savoir son caractère exclusif. Dans l’un de ses hymnes, il est dit clairement : « Oh toi ! Dieu unique à côté de qui il n’en est point d’autre…. » (6)

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Freud nous apprend aussi que ce pharaon avait interdit sous peine de graves châtiments le culte des dieux, l’adoration de Amon, la pratique de la magie, les mythes d’Osiris et du royaume des morts…Le père de la psychanalyse estime enfin que Moïse, qui serait un Egyptien et non un Hébreu, a trouvé les éléments de sa croyance dans la religion d’Akhenaton et que l’Exode n’a eu lieu qu’après la mort de ce dernier (7).

Maurice Bucaille s’est intéressé à cette affaire dans « La Bible, le Coran et la science » (8) avant de lui consacrer vingt ans plus tard un ouvrage complet où il prend le contre-pied de Bennabi et de Freud. Il pense que Pharaon est mort noyé et que son corps fut effectivement retrouvé conformément à la promesse de Dieu dans le Coran. C’est à son seul corps que s’applique le « sauvetage » dont il est question. Et ce Pharaon serait Mineptah, fils et successeur de Ramsès II. 

Les corps de tous les pharaons concernés par les évènements décrits dans les Ecritures saintes ont été retrouvés à la fin du XIX° siècle dans la Nécropole de Thèbes, dans la Vallée des Rois où ils ont été préservés pendant plus de 3000 ans. La chronologie des rois de l’ancienne Egypte a établi que Aménophis IV n’était pas contemporain de Moïse. Ce dernier a eu affaire à Ramsès II avant son exil en pays madianite, puis à Mineptah qui serait le pharaon historique et réel de la traversée de la mer. Quant à Akhénaton, il serait mort un demi-siècle au moins avant la naissance de Moïse.  

La thèse soutenue par Bennabi rejoint celle de la tradition juive qui situe l’Exode à l’époque d’Amenhotep IV, mais s’en éloigne quand cette dernière affirme que la « révolution religieuse de celui-ci ne doit rien à Moïse puisqu’elle lui est antérieure. André Neher écrit : « C’est surtout l’extraordinaire aventure spirituelle d’Amenhotep IV que l’on met en rapport avec celle de Moïse… Il devient Ikhénaton (le fils d’Aton), et sa capitale Ikhoutaton. C’est, du moins dans toute l’Antiquité, en dehors d’Israël, l’unique instant de monothéisme (9)». Elle est en tout cas conforme à l’exégèse biblique de 1768 qui présente Aménophis IV comme étant le pharaon de l’Exode. 

Avant sa publication « Le phénomène coranique » a été, comme on le sait, soumis au cheikh Mohamed Draz de l’université islamique d’al-Azhar pour qu’il en rédige la préface. Dans celle-ci, le alem égyptien n’a pas manqué d’attirer l’attention du lecteur sur quelques points sur lesquels il était en désaccord avec Bennabi, mais ni lui, ni davantage son compatriote Abdessabour Chahine qui a traduit l’ouvrage en arabe, ne se sont arrêtés à cette question qui n’aurait pas dû échapper à des hommes versés dans la connaissance du Coran et à des Egyptiens plus compétents que d’autres dans la connaissance de leur histoire. 

Bennabi s’est également livré dans « Le phénomène coranique » à un rapprochement entre le contenu de certains versets coraniques et les ultimes connaissances mises à jour par le progrès scientifique. Il n’en a pas fait cependant une spécialité même s’il a eu l’intention d’écrire un livre intitulé « Sur les traces de la pensée scientifique de l’islam ». Pour lui, il importe peu que le caractère divin du Coran soit corroboré par des découvertes scientifiques. 

Au contraire, il redoute que les musulmans ne tombent dans un autre travers, le « goût du merveilleux » et l’orgueil puéril. Il écrira à ce sujet trente ans plus tard dans « L’œuvre des orientalistes et leur influence sur la pensée musulmane moderne» (10) qu’il faut regardercomme un prolongement de l’introduction du « Phénomène coranique » : «Il ne s’agit pas de se demander si le Coran contient une allusion plus ou moins claire à telle découverte, mais de se demander si le Coran peut créer dans une société le climat favorable au développement de la science, et s’il déclenche dans sa psychologie les mécanismes nécessaires à l’acquisition  et à la transmission de la connaissance. C’est là le problème de la science non pas d’un point de vue épistémologique, mais d’un point de vue psycho-sociologique. Il suffirait d’ailleurs pour justifier la pensée islamique du premier point de vue d’évoquer à son actif deux inventions sans lesquelles tout le progrès technologique du XX° siècle serait inconcevable. En effet, le progrès technologique qui culmine aujourd’hui dans le chapitre de la physique nucléaire pourrait-il se concevoir sans des méthodes de calcul ultra-rapides qui n’ont été possibles qu’avec la mise au point préalable d’un système numérique approprié ? Seul le système décimal qui permet d’écrire une constante comme le nombre d’Avogadro avec neuf chiffres seulement pouvait le permettre. Or, cette mise au point préalable essentielle a été faite par la civilisation musulmane, c’est-à-dire d’une façon plus précise dans le climat intellectuel formé par la notion coranique. De même, sans la contribution de l’algèbre dont le nom même est arabe et qui a permis au calcul de passer du stade numérique à celui de la mathématique pure, le progrès n’eut été possible dans aucun domaine des sciences exactes. Or, c’est dans le climat créé par la notion coranique que l’algèbre a vu le jour… Il est superfétatoire d’ajouter que le Coran n’a apporté dans ses versets ni le système numérique décimal, ni l’idée du calcul algébrique. Il a apporté quelque chose de plus important : le climat moral et intellectuel dans lequel a pris naissance une attitude nouvelle à l’égard de la science ».

On peut ajouter, pour répondre à la question sur le « climat favorable au développement de la science », c’est-à-dire sur la liberté de pensée en milieu musulman, qu’Ibn Khaldoun a pu en toute tranquillité écrire dans sa célèbre somme, cinq siècles avant la publication de « L’origine des espèces » de Charles Darwin, que l’homme descendait du singe sans être l’objet de la moindre persécution. 

Voici ce qu’il a écrit : « Que l’on contemple l’univers de la Création ! Il part du règne minéral et monte progressivement, de manière admirable, au règne végétal, puis animal. Le dernier « plan » (ufuq) minéral est relié au premier plan végétal : herbes et plantes sans semence. Le dernier plan végétal –palmiers et vignes- est relié au premier plan animal, celui des limaces et des coquillages, qui n’ont d’autre sens que le toucher. Le mot relation ( ittiçâl) signifie que le dernier plan de chaque règne est prêt à devenir le premier du règne suivant. Le règne animal (âlam al-hayawan) se développe alors, ses espèces augmentent et, dans le progrès graduel de la création (tadarruj attakwin), il se termine par l’homme, doué de pensée et de réflexion. Le plan humain est atteint à partir du monde des singes (qirada), où se rencontrent sagacité et perception, mais qui n’est pas encore arrivé au stade de la réflexion et de la pensée. A ce point de vue, le premier niveau humain vient après le monde des singes : notre observation s’arrête là » (11). 

Cette thèse évolutionniste ébauchée pour la première fois par un penseur musulman aura longtemps rang de dernier mot de la recherche avant d’être remise en cause à partir de données pluridisciplinaires. 

Vers la fin de sa vie, Bennabi reviendra sur la question de l’influence de l’orientalisme, non pour ressasser des idées déjà exposées, mais pour attirer l’attention sur une autre tendance de celui-ci, la tendance apologétique qui par son objet -flatter leur orgueil- génère dans l’esprit des musulmans une sorte d’anesthésie au moment où celui-ci a besoin d’être stimulé  pour faire face aux défis du développement : 

«Un des faits les plus symptomatiques de l’évolution d’une société, c’est le sens de ses idées directrices. Ce sens peut être vers l’avant, vers l’avenir, ou, au contraire, vers l’arrière : un sens rétrograde, tourné d’une façon morbide vers le passé… La littérature orientaliste a été sous sa double forme néfaste à la société musulmane et inhibitrice de son développement intellectuel…Elle a fait de nous les avocats d’une société post-almohadienne décadente, alors que nous devions être au contraire ses critiques les plus fermes et les plus clairvoyants…Sous sa forme polémique, elle nous a éloignés de nos vrais problèmes, nous absorbant dans le débat de pseudo-problèmes. Sous sa forme apologétique, elle nous a éloignés des sujets de réflexion du présent en nous plongeant dans les délices du passé…Elle a coulé dans la personnalité du musulman le goût du merveilleux au lieu du sens de l’efficacité…En parlant à un malheureux qui ne trouve pas son pain quotidien de l’opulence dans laquelle vivaient ses aïeux, on peut lui apporter un oubli passager de ses souffrances par une sorte d’anesthésie momentanée de sa réflexion et de sa conscience. On ne guérit pas ses souffrances. De même, on ne remédie pas aux misères d’une société en lui contant les splendeurs de son passé. Les conteurs qui ont conté aux générations musulmanes des siècles post- almohadiens les merveilles des « Mille et une nuits » – ce chef d’œuvre de notre décadence- ont versé sans doute dans ces veillées un peu d’oubli dans l’esprit de leurs auditoires qui s’endormaient en fermant les yeux sur la vision enchanteresse d’un passé fastueux. Mais, le lendemain matin, ces auditoires rouvraient les yeux sur les dures réalités d’une condition présente peu enviable » (12).

« Le phénomène coranique » est l’œuvre d’un savant. Tel un chercheur dans un laboratoire, l’auteur entre dans les méandres du Coran, procède à des prises d’échantillons et va les déposer sous l’œil du microscope. Il en sort non pas avec une satisfaction béate, mais avec une conclusion générale qui s’étend à l’ensemble des aspects de la vie historique : « Le Coran brosse un tableau saisissant du drame perpétuel des civilisations sur lequel il nous invite à nous pencher ». 

Un tel travail a requis un esprit scientifique nourri des plus récentes acquisitions, des connaissances étendues à tous les domaines de la science et une information complète sur les religions. Il a pourtant été écrit dans un camp de concentration par un homme qui risque d’être passé par les armes si les accusations qui pèsent sur lui viennent à être prouvées, et qui, au lieu d’être préoccupé par son sort, est habité par la pensée d’apporter aux croyants de toutes les confessions le réconfort de la certitude rationnelle. 

Il faut signaler peut-être qu’avant de rédiger « Le phénomène coranique », Bennabi a connu une période de doute dont il fait état lui-même. En effet, il évoque à la fin de son livre cet embarras et « les préjugés de l’intellectuel, parfois déconcerté par l’ordre imprévu des idées (formulées dans le Coran) et par leur nature parfois surprenante ». Mais à mesure qu’il multipliait ses lectures du Coran, il en découvrait l’ordre, l’architecture et la nature « qui ne sont pas ceux d’une encyclopédie de faits scientifiques, ni d’un livre didactique consacré à une discipline particulière ». Le Coran, le Prophète et la Sunna lui sont alors apparus comme portant en eux-mêmes les preuves rationnelles de leur authenticité. 

C’est ainsi que ses préjugés cédèrent et qu’il put concevoir ce livre que l’on peut considérer comme le fruit d’une coopération entre les trois religions du Livre puisque c’est un musulman qui l’a pensé, un chrétien qui en a sauvé le manuscrit, et un juif qui en a assuré la dactylographie. 

Bennabi s’est réalisé intellectuellement en réalisant cet ouvrage. Il s’est libéré définitivement d’une confusion : le problème n’est pas dans l’islam mais dans la manière dont les musulmans l’ont compris et vécu. C’est en se libérant de ce travail qu’il est passé du religieux au psychologique, du théologique au sociologique, et de la métaphysique à la philosophie de l’histoire. 

A sa sortie des presses des Editions En-Nahda, le professeur Mahdad (1896-1984), sénateur de l’UDMA, fait une présentation élogieuse de l’ouvrage : « Le livre de M. Bennabi, outre qu’il pose et résout le problème de la foi d’une manière magistrale, est appelé par ses répercussions psychologiques et sociales à un retentissement considérable… En saluant « Le phénomène coranique » comme point de départ d’un renouveau religieux nécessaire dans ce pays, nous souhaitons de tout cœur qu’il soit aussi le premier monument de la pensée algérienne rénovée au contact de l’Occident » (Egalité du 10 avril 1947). 

Cet hebdomadaire, organe de l’UDMA, deviendra à partir de février 1948 « La République algérienne ». Bennabi en est ému : « Je me rappelle avoir eu des larmes aux yeux quand je lus son article qui me vengeait de tant de souffrances ». La presse de l’Association des Oulamas ne signale même pas sa parution. 

Il part en tournée pour promouvoir son livre et anime une conférence à Mostaganem où les militants du PPA bloquent sa distribution dans la ville. A Tlemcen, ce sont ceux de l’UDMA qui en obstruent la diffusion. C’est dans ce contexte qu’il fait la connaissance d’un communiste algérien, Bouchama, qui veut le rallier à un projet politique destiné à dépasser les rivalités qui opposent l’UDMA, le MTLD (Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques, ex-PPA) et l’Association des Oulamas : créer un « Front National ». Salah Ben Saï et Khaldi se joignent à eux et, ensemble, ils lancent un appel dans « Alger-républicain » (13). Le projet n’aboutit pas mais l’idée sera reprise en juillet 1951 par les partis du mouvement national (MTLD, UDMA, PCA, Oulamas) sous le nom de « Front algérien pour la défense et le respect des libertés ». 

Bennabi écrit dans ses Mémoires inédits au sujet des divisions qui ont caractérisé le mouvement national et qu’il impute à ce qu’il a appelé le  partisme : « Pratiquement, le partisme c’était la déchirure de l’unité du pays devant un front colonialiste homogène… Ben Saï (Salah), Khaldi et moi, qui étions trois vases communicants, nous n’eûmes donc pas de peine à comprendre la nécessité d’un Front National. Et nous fûmes d’accord avec Bouchama pour lancer un appel… ». Un peu plus loin, il ajoute : « C’était sans aucun doute le partisme qui inspirait aux Oulamas le silence le plus complet sur le « Phénomène coranique » lequel, par son caractère religieux même, aurait dû faire l’objet d’une critique dans leur journal… » (A suivre)

                                                                                                                                              

NOTES :

1 Dans l’introduction à « La Bible, le Coran et la Science » (Ed. SNED, Alger, 1976) Maurice Bucaille fait état des changements survenus dans l’attitude des plus hautes autorités ecclésiastiques envers l’islam au cours des dernières décennies, et cite à l’appui un document officiel intitulé « Orientations pour un dialogue entre chrétiens et musulmans » élaboré à la suite du concile de Vatican II qui invite les chrétiens  à écarter « l’image surannée héritée du passé ou défigurée par des préjugés et des calomnies » et à « reconnaître les injustices du passé dont l’Occident d’éducation chrétienne s’est rendu coupable à l’égard des musulmans ». 

2 Cf. « L’homme d’où vient-il ? », Ed. Seghers, Paris 1981.

3 « Le Coran : sortir du cercle ? », avril 2003. Le titre allemand du livre est : « Die Syro-aramaïsche  lesart des Koran. Ein Beitrag zur Entschlüsselung der Koransprache ».

4 L’universitaire et orientaliste française Eva de Vitray-Meyerovitch s’est convertie à l’islam en 1955. A l’époque elle dirigeait le service des sciences humaines du CNRS. Elle dit à propos de sa conversion : « L’islam répondait pour moi à un souci d’universalisme. Je ne pouvais imaginer que Dieu se révèle d’une manière privilégiée soit à un peuple élu (judaïsme), soit à une Eglise (christianisme). Dieu étant par essence la Vérité, ne pouvait se révéler de différentes manières : celle-ci ne pouvait être qu’unique à mes yeux… La grande idée de l’islam c’est qu’il se veut le rappel de ce qu’a d’essentiel la révélation abrahamique… J’ai longuement réfléchi avant de me décider. Je voulais être sûre de moi. Avant de faire ma déclaration de foi musulmane, j’ai fait trois ans d’études théologiques chrétiennes afin d’être certaine que je ne rejoignais pas l’islam par méconnaissance du christianisme… Pour moi, l’islam est le commun dénominateur de toutes les autres religions ». Cf. « Les nouveaux convertis », op. Cité. Le 17 décembre 2005, le « Collectif Hamidullah» a rendu à Paris un hommage à Malek Bennabi, Eva de Vitray-Meyerovitch et Mohamad Hamidullah. Nour-Eddine Boukrouh était parmi les communiquants.

5 Les versets coraniques relatifs à ce sujet sont les suivants : 

a- « Nous avons fait traverser la mer aux fils d’Israël. Pharaon et ses armées les poursuivirent avec acharnement et hostilité, jusqu’à ce que Pharaon, sur le point d’être englouti, dit : « Oui, je crois : il n’y a de dieu que celui en qui les fils d’Israël croient ; je suis du nombre de ceux qui lui sont soumis ». Dieu dit : « Tu en es là, maintenant, alors que précédemment tu étais rebelle et que tu étais au nombre des corrupteurs. Mais aujourd’hui, nous allons te sauver en ton corps afin que tu deviennes un signe pour ceux qui viendront après toi. » (10, 90-92).

b- « Pharaon les poursuivit avec ses armées ; le flot les submergea. Pharaon avait égaré son peuple, il ne l’avait pas dirigé ». (20, 78). 

c- « Le jour de la Résurrection, il (Pharaon) marchera en tête de son peuple et il le conduira au feu comme on conduit un troupeau à l’abreuvoir. » (11, 98). 

6 C’est littéralement la traduction du premier membre de la « chahada » islamique (attestation de foi) : « La Ilaha illa-l-lâh… ».  

7 Cf. “Moïse et le monothéisme”, Ed. Gallimard, Paris 1948.

8 Op.cité. 

9 « Moïse et la vocation juive », Ed. du Seuil, Paris 1957. 

10 Ed. Révolution africaine, Alger 1968.

11 Ibn Khaldoun : « Al-Muqaddima » (Discours sur l’Histoire Universelle), Trad. Vincent Monteil, Ed.UNESCO, Beyrouth 1968.

12 Cf. « L’œuvre des orientalistes et son influence sur la pensée musulmane », op.cité. 

13 Le seul « Appel » pour la création d’un « Front national démocratique algérien » consigné par l’histoire est celui lancé le 21 juillet 1946 au nom du Comité central du Parti communiste algérien. Il s’adresse aux « Algériens de toutes origines, communauté (qui) constitue la base de la nation algérienne en formation, riche des apports de tous ses enfants, dans la diversité de leurs origines et le mélange heureux des civilisations orientales et occidentales ». Pour bâtir cette « Algérie nouvelle », l’Appel demande « la création immédiate d’une Assemblée et d’un gouvernement algériens, la suppression du gouvernement  général et de son administration coloniale, la préparation de la voie à une république démocratique fédérée à la France », et s’achève sur une exhortation à l’union au sein du FNDA des formations politiques existantes (PPA, Communistes, Oulamas, partisans de l’UDMA, les socialistes et tous les Algériens progressistes, sans distinction de race, de langue, ni de religion » (cf. C. Collot et J.R Henry : « Le mouvement national algérien par les textes, 1919-1954», Ed. OPU, Alger 1981). 

Dans son livre « Le problème algérien devant la conscience démocratique » Khaldi écrit, parlant du Parti communiste algérien : « Il préconise la création d’un Front National. Nous avons soutenu cette idée en janvier 1946 et nous avons rencontré des difficultés auprès des communistes ». 

Dans sa « Note sur la vie de Malek Bennabi », Salah Bensai confirme ce qui est rapporté par Bennabi, écrivant : « 1947. Les partis politiques nationaux continuent leurs « politicailleries » et leurs petites luttes stériles. Face aux tenants du colonialisme qui se regroupent, la nécessité de la constitution d’un Front national s’impose et, avec Bouchama, Khaldi, Bennabi, Ben Saï, Sassi Rabah et quelques autres amis, un « Manifeste pour la constitution d’un Front national Algérien » est lancé dans Alger-Républicain. Ce Front National, qui prélude au FLN, est torpillé par les messalistes et leur chef de retour d’exil. » 

A noter que l’on trouve dans la « Proclamation du 1er Novembre 1954 » le terme « politicailleurs ». S’agissant de Bouchama, il doit s’agir de Abderrahmane Bouchama qui appartenait au Parti communiste algérien et qui a joué un rôle important dans la réunion du Congrès Musulman Algérien. Il était très proche de Bachir al-Ibrahimi qui animait à Tlemcen la mosquée-medersa « Dar al-Hadith » et dont il suivait souvent les cours (Cf. A.Hellal, op.cité).    

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