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Introduction au cinquième pilier de l’islam : le pèlerinage à La Mecque

A l’approche du  hajj qui  devrait démarrer le 17 juillet et prendre fin le 22 juillet, nous vous proposons de lire cet article explicatif du cinquième pilier de l’islam.

« En vérité, le premier Temple qui ait été fondé à l’intention des hommes est bien celui de La Mecque, qui est une bénédiction et une bonne direction pour l’Univers. Terre de signes sacrés, c’est aussi l’Oratoire d’Abraham. Quiconque y pénètre sera en sécurité. En faire le pèlerinage est un devoir envers Dieu pour quiconque en a la possibilité. Quant aux infidèles, qu’ils sachent que Dieu se passe volontiers de tout l’Univers ! » (Coran, 3 : 96-97)

Le pèlerinage aux lieux saints de La Mecque et ses alentours (hajj) est un devoir à accomplir, au moins une fois dans sa vie, par tout musulman qui en a la possibilité spirituelle, physique et matérielle. 

Pendant des siècles avant l’apparition des transports modernes, le musulman se rendait à La Mecque à pied, à cheval ou à dos de chameau, traversant des distances parfois énormes. L’arrivée dans la ville sainte était l’aboutissement d’un périple qui durait plusieurs mois, parfois même un ou deux ans. Ce dont le pèlerin actuel, pour qui le séjour se condense désormais en deux ou trois semaines, ne peut avoir plus aucune idée. Il s’agissait alors d’une rupture complète de son quotidien durant une très longue durée, qui nécessitait un investissement considérable. Le séjour dans les lieux saints pouvait de même durer parfois plusieurs années. Il n’était pas exceptionnel non plus que certains viennent y mourir. Les pèlerins, avant de partir, se devaient de mettre en ordre leurs affaires comme s’ils s’apprêtaient à quitter définitivement ce monde. Le pèlerinage se vivait alors comme un véritable rite de passage. Ce qu’il demeure cependant mais que les conditions de confort actuelles rendent moins immédiatement sensibles. 

Le pèlerinage est un voyage extraordinaire, dans le temps et l’espace, sur les traces des prophètes, au sein d’un territoire sacré dont l’histoire remonte à Adam et Ève, à Abraham, à Agar et Ismaël, à Muhammad et ses compagnons. Le pèlerinage est le retour à l’Origine, le retour au Centre, le retour au cœur. Il résume à lui seul le but de l’existence selon l’islam : servir Dieu pour Le connaître et Le rencontrer. 

La Ka‘ba 

Au milieu de la cour de la grande mosquée de La Mecque se situe la Ka‘ba est la « maison de Dieu » (bayt Allâh), Centre spirituel du monde vers lequel les musulmans se tournent quotidiennement lors de leurs prières quotidiennes, comme symbole de l’orientation du cœur vers Dieu. C’est vers elle que convergent des centaines de milliers de fidèles pour le pèlerinage, c’est autour d’elle qu’ils effectuent leur circumambulation rituelle (tawâf). On ne peut pénétrer dans son enceinte qu’après s’être mis en état de pureté rituelle. Dans l’angle nord-ouest de sa façade est encastrée la Pierre noire (al-hajar al-aswad) apportée par l’archange Gabriel à Adam qui, selon le mythe, aurait été, à l’origine, une perle blanche que les péchés des hommes auraient rendue noire. Selon une autre symbolique, cette Pierre noire ou Pierre angulaire (rukn) est dite avoir « troué » le firmament en sorte que c’est par ce « trou » que s’effectue la montée céleste à travers l’axe reliant la Ka‘ba au Trône divin. 

Bâtie par Adam avec l’aide des anges, élevée au ciel lors du Déluge, la bâtisse de la Ka‘ba sera reconstruite par Abraham et son fils Ismaël puis, après d’autres remaniements, enfin restaurée par les Qurayshites, avant que le Prophète Muhammad ne rende au Temple primordial sa nature de lieu consacré au culte du Dieu unique. D’après la tradition, c’est Muhammad lui-même qui paracheva cette restauration. À cette époque, il n’avait pas encore reçu la révélation, mais ses concitoyens le reconnaissaient déjà comme al-çâdiq al-amîn, l’homme véridique et digne de confiance. À la suite d’inondations qui avaient endommagé la Ka‘ba, les notables mecquois entreprirent des travaux de restauration. Mais un désaccord éclata entre les principaux clans : chacun voulait avoir l’honneur de remettre à sa place la Pierre Noire normalement enchâssée dans l’un des angles de la Ka‘ba. Après plusieurs jours de tensions, la dispute risquait de dégénérer en conflit armé. Le plus ancien proposa de prendre pour arbitre la première personne qui entrerait dans l’enceinte sacrée. Le premier qui entra fut Muhammad. « C’est al-Amîn, c’est l’homme de confiance ! » s’écrièrent-ils avec joie. Une fois informé de la situation, Muhammad demanda qu’on apportât un manteau et qu’on le posât par terre. Il prit la Pierre Noire, la plaça au centre du manteau, puis indiqua aux représentants de chaque clan de saisir un coin du manteau. Il leur demanda ensuite de soulever ensemble celui-ci à la hauteur du mur en construction, et il remit lui-même en place la Pierre Noire. Grâce à cette initiative, la querelle prit fin et la guerre fut évitée de justesse. Muhammad donna satisfaction à chacun des clans rivaux, sans élever aucun d’entre eux au-dessus des autres. Il les aida au contraire à coopérer dans la paix et à s’élever ensemble pour le bien. 

Le pèlerinage, un itinéraire prophétique 

Le hajj a lieu lors des premiers jours de dhu-l-hijja, dernier mois de l’année musulmane. En dehors de ce moment-là, le musulman a la possibilité d’accomplir une « visite pieuse » (‘umra) à La Mecque et à Médine, soit un petit pèlerinage qui comporte moins de rites que n’en compte le hajj proprement dit. Lorsqu’arrive la période du pèlerinage, des pèlerins du monde entier se dirigent vers La Mecque, répondant ainsi à l’Appel de Dieu pour rejoindre Sa Maison sacrée et rencontrer Sa Présence mystérieuse au cœur de la création. Ils sont, dans cette Antique demeure, « les hôtes du Miséricordieux », dit le Prophète. 

Le pèlerinage à La Mecque est une pratique bien antérieure à la tradition islamique. Ses rites suivent un parcours déf ni et des règles précises, enseignées par le Prophète lui-même, dans la lignée d’Abraham et de son fils Ismaël. L’islam se présente en effet comme le dernier rappel et l’ultime expression de la Religion immuable et primordiale (al-dîn al-qayyim) qui s’est manifestée sous des formes différentes au cours de l’histoire sacrée de l’humanité, depuis Adam, premier homme et premier prophète. L’islam se veut également un retour au modèle et à la tradition ancestrale d’Abraham (millat Ibrâhîm), dont le Coran dit qu’il était hanîf muslim, un pur adorateur orienté exclusivement vers Dieu l’Unique, soumis en toutes choses à Sa volonté. 

Abraham et Ismaël obéirent aux ordres de Dieu, lorsqu’ils acceptèrent de bon cœur l’épreuve du sacrifice et, plus tard, lorsqu’ils reconstruisirent le Temple de La Mecque, à l’endroit même où Dieu avait fait descendre une tente du Paradis pour Adam et Eve, après leur chute du Paradis. Par leur exemple et leurs enseignements, tous les prophètes ont appris aux hommes la voie de l’effort spirituel et de la remise confiante en Dieu. Les pèlerins sont ainsi conduits à participer à un ordre des choses surnaturel, où les temps, les lieux et les formes rituelles sont conçus et disposés pour leur permettre d’accéder à la Grâce et à la Présence divines. 

Les grandes étapes du pèlerinage 

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Le pèlerin doit se purifier tout d’abord en effectuant une grande ablution avant d’atteindre les limites du territoire sacré. L’homme revêt ensuite deux pièces d’étoffes sans couture. La femme doit, quant à elle, avoir le visage et les mains découverts. L’excellence, pour l’homme et la femme, est de se vêtir de blanc, car c’est la couleur préférée de Dieu. Puis le pèlerin se met en état de sacralisation (ihrâm) avec l’intention claire de répondre à l’appel et de retourner à Dieu. Ce faisant, le pèlerin abandonne les habitudes de la vie ordinaire. Un certain nombre d’actes lui sont dès lors interdits : avoir des rapports sexuels, se parfumer, effectuer des soins de toilette, chasser ou tuer des animaux, etc. Le pèlerin doit aussi rejeter tout mauvais comportement, effacer toute trace d’orgueil. Tel le nouveau-né dans son lange ou le défunt dans son linceul, l’habit du pèlerin symbolise l’humilité, le dénuement, le désir de se purifier en s’orientant corps et âme vers Dieu. Labbayka Allâhumma, « me voici devant Toi, Ô Dieu ! », chantent en chœur les pèlerins récitant la formule rituelle appelée talbiya. Cette formule est la suivante : « Me voici devant Toi ! Ô Dieu, me voici devant Toi ! Me voici devant Toi. Tu n’as pas d’associé. Me voici devant Toi ! En vérité, la louange et la bienfaisance appartiennent à Toi seul ainsi que la royauté. Tu n’as pas d’associé. »

Dès son arrivée à La Mecque, le pèlerin pénètre dans l’Enceinte sacrée renfermant la Ka‘ba, la Maison de Dieu. Le pèlerin effectue alors sept circumambulations ou tournées rituelles autour de la Ka‘ba, en communion avec les anges qui tournent en permanence autour du prototype céleste de la Ka‘ba, la « Maison fréquentée », sous le Trône divin, à la verticale de la Ka‘ba terrestre. Il salue la pierre noire descendue du Paradis, et invoque le Nom d’Allâh, Seigneur de l’Univers. Le pèlerin accomplit ensuite une prière rituelle à l’Oratoire d’Abraham. 

Après quoi, il accomplit sept fois la course (sa‘y) entre les collines de Safâ et Marwa, tout comme Agar, la mère du petit Ismaël, qui courut ainsi quand elle chercha de l’aide pour son fils assoiffé. La grâce divine se manifesta alors par la source de Zamzam qui jaillit miraculeusement de cette terre aride et déserte et continue d’abreuver les pèlerins jusqu’à nos jours. 

Le 9e jour de dhu-l-hijja est le moment culminant et central du pèlerinage. Les pèlerins se rendent dans la plaine de ‘Arafa, où se dresse le mont de la Miséricorde. Hommes et femmes, vêtus humblement de blanc, se tiennent là immobiles, regardant le ciel, au milieu de cette plaine semi désertique. Ils invoquent et prient Dieu toute la journée pour eux-mêmes et pour leurs proches. Ils pleurent et implorent Son pardon, recueillis devant la Majesté, la Puissance et le Jugement de Dieu. Le jour de ‘Arafa est comme une préfiguration du Jour dernier.

Les rites qui concluent le pèlerinage sont eux aussi hautement symboliques et n’ont d’autre finalité que d’amener les pèlerins à agir et vivre dans le souvenir constant de Dieu : la lapidation des stèles représentant le démon, par laquelle le croyant rejette le mal qui est d’abord en lui ; le sacrifice du mouton, qui commémore le geste de confiance absolue d’Abraham, à qui Dieu avait demandé de Lui sacrifier son fils ; la coupe des cheveux, qui symbolise le retour à la pureté primordiale ; les circumambulations d’adieu, par lesquelles le pèlerin salue la Maison sacrée et rend grâce à Dieu pour Son hospitalité et Ses dons généreux. 

Le musulman pieux ne manque pas, à l’occasion d’un pèlerinage, de se rendre à Médine, la cité radieuse du Prophète Muhammad (al-madîna al-munawwara), deuxième ville sainte de l’islam, qui est située à 500 km environ de La Mecque. C’est à Médine que se trouvent la mosquée du Prophète et son tombeau. Les pèlerins ont à cœur de venir prier en cette mosquée, saluer le Prophète et se recueillir sur sa tombe, signes de l’amour et de l’obéissance qui lient le croyant au « Sceau des prophètes et des messagers ».

Le pèlerin rentre chez lui avec l’espoir de voir ses actions acceptées et ses fautes pardonnées, avec la promesse de s’en retourner aussi pur qu’un nouveau-né. Pour les musulmans et musulmanes, le pèlerinage est une expérience profonde et bouleversante : ils ne sont plus les mêmes hommes ni les mêmes femmes. Leur cœur est transformé, ils témoignent d’une nouvelle vision d’eux-mêmes et du monde, d’une foi changée en certitude, d’une sensibilité accrue pour le sacré, d’une conscience plus aiguë de la fonction de l’homme dans le monde, comme serviteur et lieutenant de Dieu sur terre. À leurs yeux, la vie tout entière est un pèlerinage. Elle n’a de sens que dans la Présence de Dieu, en chaque regard et en chaque souffle. 

 Abd al-Wadoud Gouraud

Membre de l’Institut des Hautes Etudes Islamiques (IHEI), membre d’honneur de l’Association internationale des diplômés d’al-Azhar. Le présent article constitue un texte introductif au chapitre consacré au 5e pilier de l’islam au sein du traité de ‘Abd al-Wahhâb al-Sha‘rânî, Les secrets des cinq piliers de l’islam, éditions i, Paris, 2019.

 

 

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