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La perversion du sens du mot Djihad

A propos du Jihad et de  l'anniversaire de la bataille de Badr

Nous vivons ces jours-ci l'anniversaire de la bataille de Badr qui eut lieu le 17 Ramadan de la deuxième année de l'Hégire, un peu plus d'un an après l'émigration du Prophète à Médine. Ce fut la première bataille personnellement supervisée par le Prophète contre sa propre tribu, Quraysh, qui l'avait chassé de la Mecque et l'avait contraint à l'exile (Hégire).

Après plus de dix ans de prophétie dans une Mecque hostile à l'Islam, le Messager était passé à la recherche d'une demeure d'émigration pour évoluer d'une phase d'éducation individuelle des disciples à une phase de formation d'une société et de construction d'un État. Les tribus de Médine étaient les seules à avoir accepté de conclure avec le prophète un accord d'émigration. Ils allaient devoir endurer pour cela les hostilités de Quraysh, la principale tribu arabe qui contrôle la ville sainte de la Mecque.

 Le Messager et ses supporters musulmans, environ 313 compagnons, mal équipés, devaient affronter un millier de guerriers de Quraysh doté d' une écrasante supériorité logistique. La bataille s'est passée à Badr, environ 150 km au sud de Médine et 300 km au nord de la Mecque. La bataille est décisive : une défaite serait fatale pour l’État embryonnaire de Médine, alors qu'une victoire renforcerait sa dissuasion dans une Arabie encore hostile et obscurantiste. Dieu merci, Badr fut une victoire éclatante. Cette victoire constitue donc un tournant historique majeur qui permet aujourd'hui à plus d'un milliard de personnes d'avoir accès au message prophétique.

L'anniversaire de Badr est une bonne occasion pour discuter de la signification et du but du Jihad. Cet instrument islamique est aujourd'hui déformé et mal compris, autant d'ailleurs par beaucoup de Musulmans que par des non-musulmans, dont certains n'y voient plus que le synonyme du terrorisme. Cette déformation est soutenue par l'existence de groupes armés qui revendiquent le Jihad et semblent déclarer la guerre au monde entier. Ces groupes extrémistes et violents semblent adhérer à une thèse selon laquelle le rapport naturel entre les Musulmans et les non-musulmans est la guerre. La coexistence pacifique serait impossible. Un pays non musulman est forcément une terre ennemie qui est de fait un champ de bataille "dar harb".

Ces groupes se croient porteurs d'un message dont ils ne conçoivent la transmission qu'à travers la violence. C'est ainsi que les appellations qu'ils se donnent conjuguent souvent la "prédication" et le "combat". Dans leur vision rien ne peut se faire sans la violence.

« Jihad » veut littéralement dire effort. Il veut dire en Islam l'effort considérable pour le triomphe du bien sur le mal, de la vérité sur le mensonge, de la justice sur l'injustice, du savoir sur l'ignorance, de l'Islam sur l'obscurantisme. Ce Jihad a pris une forme pacifique durant toute la période de prophétie à la Mecque qui a duré plus de dix ans. Le prophète est appelé lors de cette période à utiliser le Coran pour pratiquer vigoureusement le Jihad (Al-Furqan : 52). (1). Il est clair que le Jihad ne prend pas dans cet appel la forme militaire qui n'aura lieu qu'après le Hégire. Il s'agit d'un Jihad dont l'instrument est le Coran et non pas le sabre. C'est ce que des spécialistes appellent Jihad de Da'wa (appel ou prêche). C'est l'effort considérable et pacifique pour la transmission et l'enseignement du message prophétique. Le prophète et ses compagnons ont pratiqué ce Jihad pacifique et ont dû supporter pour cela la persécution et l'oppression à la Mecque avant d'être contraints à l'exil et avant que le prophète ait eu l'autorisation divine pour l' Hégire.

Commencera alors une nouvelle forme de Jihad qui prend effectivement parfois une forme militaire. La première autorisation divine pour cette forme de Jihad qui fait usage de la force militaire est celle des signes coraniques suivant : « Autorisation est donnée à ceux qui sont attaqués (de se défendre) – parce que vraiment ils sont lésés; et Allah est certes Capable de les secourir. Ceux qui ont été expulsés de leurs demeures, – contre toute justice, simplement parce qu'ils disaient : "Allah est notre Seigneur".Si Allah ne repoussait pas les gens les uns par les autres, les ermitages seraient démolis, ainsi que les églises, les synagogues et les mosquées où le nom d'Allah est beaucoup invoqué. Allah soutient, certes, ceux qui soutiennent (Sa Religion). Allah est assurément Fort et Puissant ». (Al-Haj : 39-40). (2).

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La résistance militaire est donc désormais autorisée pour  les opprimés qui avaient été injustement déportés. Dieu explique que cette autorisation est nécessaire pour la protection des lieux de culte, que ce soit des ermitages, des églises, des synagogues ou des mosquées. On peut donc dire que la première autorisation du Jihad dans sa forme militaire était pour la défense de l'un des principaux droits humains qui est celui de la liberté de conscience. L'œcuménisme de l'Islam est limpide dans ce signe coranique qui ne cite les mosquées qu'en dernier lieu. D'autres signes coraniques vont clarifier aussi les limites de cette résistance qui ne doit pas être pervertie en transgression des innocents.

La paix est le rapport normal entre musulmans et non-musulmans. La règle de base est donc la paix alors que la guerre est une mesure d'exception autorisée pour se défendre et défendre sa liberté de conscience. Même lors d'une agression des musulmans, le Coran enseigne d'accepter la paix aussitôt que l'ennemi cesse les hostilités : "S'ils cessent, Allah est, certes, Pardonneur et Miséricordieux. Et combattez-les jusqu'à ce qu'il n'y ait plus d'association et que la religion soit entièrement à Allah seul. S'ils cessent, donc plus d'hostilités, sauf contre les injustes" (Al-Baqarah : 192-193) (3). Lire aussi : "Et s'ils inclinent à la paix, incline vers celle-ci (toi aussi) et place ta confiance en Allah, car c'est Lui l'Audient, l'Omniscient" (Al-Anfal : 61). (4).

Au-delà la paix, c'est l'équité et la bienfaisance qui forment le rapport normal des musulmans avec l'autre tant qu'il n'y a pas d' injustice comme on peut le comprendre dans les  deux signes coraniques suivants « Allah ne vous défend pas d'être bienfaisants et équitables envers ceux qui ne vous ont pas combattus pour la religion et ne vous ont pas chassés de vos demeures. Car Allah aime les équitables. Allah vous défend seulement de prendre pour alliés ceux qui vous ont combattus pour la religion, chassés de vos demeures et ont aidé à votre expulsion. Et ceux qui les prennent pour alliés sont les injustes ». (Al-Mumtahinah : 8-9). (5).

Le jihad de résistance à l'agression n'est cependant pas le seul qui peut prendre une forme militaire. Certains spécialistes musulmans justifient effectivement l'usage de la force dans un deuxième type de Jihad qu'on peut appeler Jihad de transmission. Ce dernier avait pour but de combattre les régimes qui empêchaient les musulmans de transmettre le message à leurs populations. Ces régimes empêchaient d'une part les musulmans d'accéder aux populations pour leur transmettre le message et empêchaient aussi leurs propres populations d'embrasser l'Islam. Il s'agit d'une double injustice qui prive les porteurs du message de leur liberté d'expression et prive les destinataires du message de leur liberté de conscience. C'est ainsi que les compagnons du prophète avaient par exemple libéré la Syrie et l'Egypte de la colonisation romaine avant de laisser aux populations la liberté de choisir ou pas d'entrer en Islam comme le commande le Coran : "Nulle contrainte en religion ! Car le bon chemin s'est distingué de l'égarement. Donc, quiconque mécroit au Rebelle tandis qu'il croit en Allah saisit l'anse la plus solide, qui ne peut se briser. Et Allah est Audient et Omniscient." (Al-Baqarah : 256). (7).

Il est intéressant de rappeler ici que nous vivons heureusement aujourd'hui dans une époque où pratiquement toutes les constitutions du monde consacrent la liberté de conscience. La forme militaire du Jihad de transmission n'est aussi plus d'actualité dans un monde où la transmission d'information est devenue électronique à l'échelle planétaire. Le porteur du message peut le transmettre et son destinataire exerce pleinement sa liberté de conscience. Il faut même reconnaitre que les libertés de conscience et d'expression sont bien mieux assurées aujourd'hui en Occident que dans les pays à majorités musulmanes. Les pays musulmans sont doublement en retard en matière de droits et de libertés : d'une part, par rapport aux sociétés occidentales distributrices de droits et, d'autre part, par rapport à leur propre message libérateur qu'est l'Islam.

La forme militaire du Jihad de transmission perd donc naturellement sa raison d'être au profit de l'exercice de sa liberté d'expression dans un monde ouvert. Ce qui était appelé des siècles passés "dar harb" (terre de guerre) est devenu pour des chercheurs contemporains "dar da'wa" (terre d'appel) ou lieu de témoignage où les Musulmans peuvent vivre en délivrant un témoignage conforme et fidèle à leur foi. C'est la forme moderne du jihad de transmission dont la forme militaire avait été exceptionnelle pour protéger et promouvoir les libertés de conscience et d'expression.

Il faut rappeler cependant que la résistance militaire est tenue en Islam à observer une éthique de combat qui participe au témoignage des valeurs islamiques. Le martyr est appelé d'ailleurs en Islam "shahid" (témoin).

C'est ainsi que l'écrivain français Stendhal reconnait dans son De l'Amour : "On voit que c'est nous qui fûmes les barbares à l'égard de l'Orient, quand nous allâmes le troubler par nos croisades. Aussi devons-nous ce qu'il y a de noble dans nos mœurs à ces croisades et aux Maures d'Espagne.". Stendhal reconnait ici les deux dimensions : il reconnait d'abord que le Jihad des musulmans était un jihad de résistance contre des croisades de barbares venus troubler les musulmans.

Il reconnait aussi que ces croisades étaient l'occasion pour les Occidentaux de découvrir l'éthique chevaleresque des musulmans, une éthique qui était alors totalement inconnue des croisés, réellement barbares comme le dit Stendhal et comme le rapportent les historiens. Les croisades étaient effectivement l'occasion pour les croisés d'apprendre l'éthique du combat à l'école de Saladin et ses confrères. A vrai dire Stendhal reconnait aussi ici quelque chose de plus important qui dépasse l'éthique du combat. Il reconnait que "ce qu'il y a de plus noble" dans les mœurs en Occident est une dette qu'ils doivent à la civilisation musulmane, que cela soit venu du monde musulman de l'Est qu'il appelle "Orient" ou du monde musulman de l'Ouest qu'il appelle "Maures d'Espagne". On peut ajouter à cela que la dette n'est pas seulement réelle sur le plan éthique, car elle est également réelle sur le plan scientifique. La Renaissance occidentale est effectivement aussi le résultat du rayonnement scientifique de l'Espagne musulmane.

 

 

 

 

 

 

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