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Convergences entre l’islam et la laïcité française

Il convient de souligner que lors de la colonisation française de l’Algérie, du Maroc, de la Tunisie et d’un  nombre important de pays d’Afrique Subsaharienne, les dirigeants politiques de l’époque éprouvaient une certaine fierté à vanter les mérites du tirailleur algérien ou sénégalais et leurs épouses recrutaient à tour de bras des bonnes portant le voile pour accomplir toutes les tâches domestiques. En ce temps-là, le voile ne posait aucun problème pour la classe européenne bien-pensante, puisqu’il s’agissait de femmes de ménage, souvent illettrées, soumises non pas à leur mari ou à leurs frères mais à la volonté du colonisateur français.

Pendant les premières vagues migratoires postcoloniales durant les années 1960/1970, nous nous souvenons tous de ces femmes de ménage porteuses de djellabas et foulards qui nettoyaient les bureaux, les usines, les couloirs du métro, etc…A l’époque, tout le monde trouvait cela normal pour la simple raison que les élites du moment considéraient qu’il ne s’agissait que d’une parenthèse, du provisoire et que ces personnes repartiraient aussi vite dans leurs pays d’origine qu’elles étaient arrivées.

Il faudra attendre ce que les élites politiques, culturelles et médiatiques nommèrent en 1989 « l’affaire du foulard » de Creil pour observer une hystérisation médiatique et politique, qui perdure jusqu’à aujourd’hui. Au point de diviser le pays en deux camps : ceux qui soutiennent le voile et ceux qui le combattent avec une grande hostilité. Cette focalisation dans la durée rappelle l’affaire Dreyfus, grand moment de polémique nationale à la fin du 19 et début du 20ème siècle.

Depuis 1989, à la veille de chaque échéance électorale, surgit toujours un-une élu-e pour stigmatiser soit une femme voilée qui est souvent une maman accompagnant son enfant dans le cadre d’une sortie scolaire, soit une femme en burkini sur une plage, soit une association ayant déposé un permis de construire une mosquée, soit « des pseudos signaux de radicalisation » comme le QCM établi récemment par l’Université de Cergy-Pontoise, dans lequel il fallait cocher des cases allant de la barbe sans moustache, à la tâche sur le front ou encore le fait pour les hommes de se rendre plus fréquemment à la mosquée de leur quartier en habit traditionnel !

Autrement dit, déployer une véritable stratégie de la suspicion, voire du soupçon, eu égard à des personnes de confession musulmane dont le comportement semble « anormal » pour qui ignore les us et coutumes de cette religion. Oserait-on émettre un jugement de cette nature envers un prêtre en soutane, un rabbin loubavitch ou une religieuse qui porte l’habit religieux ?

Par ailleurs, comment comprendre que la plupart des commémorations patriotiques françaises commencent ou se terminent par un office religieux catholique. Dans le même registre, la messe de la Sainte-Patronne des gendarmes et de celle des pompiers avec participation des élus locaux contrevient au principe même de laïcité, et pourtant ceux et celles qui répertorient les soi-disant atteintes à la laïcité commises par des musulmans ne s’émeuvent guère lorsque des gendarmes et des pompiers assistent en uniforme à une messe catholique en honneur à…leur Sainte-Patronne !

Je pourrai déclamer, à l’instar de Martin Luther King : « I have a dream » : j’ai fait un rêve : celui de réaliser une convergence entre les valeurs constitutives de la République et celles intrinsèques aux religions, parmi lesquelles bien évidemment l’Islam que je désignerai à travers la métaphore : Marianne et le Prophète Muhammad.

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A ce propos, comme le rappelait déjà, en son temps, le Père Theillard De Chardin : « TOUT CE QUI MONTE CONVERGE », les fils, d’Abraham, je pourrai même ajouter d’Adam, le premier prophète, l’ ancêtre commun à tous les fidèles de la tradition adamique, partagent un héritage spirituel, culturel, humaniste qui pour les musulmans trouvent sa récapitulation et son achèvement dans la parole de Dieu.

Je voudrais, avec emphase, réaffirmer ces quelques réflexions autour d’un mot que l’on emploie de manière récurrente : la laïcité et à qui certains donnent un sens galvaudé.

La Laïcité française résulte philosophiquement d’une nécessité placée sous le signe de la tolérance qui contient un principe intellectuel et un principe moral.

Le principe intellectuel fonde la libre diversité des opinions et des croyances qui est, selon l’expression de Voltaire de « droit naturel » et de droit humain ».
Le principe moral fait que cette diversité ne doit jamais être un obstacle à la création de liens fraternels entre les hommes. Jean GUITTON, philosophe et écrivain français, définit ainsi l’essence de la laïcité :

« Quelle est l’essence de la laïcité ? Si je lis Rousseau, Robespierre, Jules FERRY, Félix PECAUT, et tous les pères de l’église laïque, je trouve que la laïcité se définit par la Raison. La Laïcité, c’est la religion de la Raison poussée à son terme, et donc par voie de conséquence, l’exigence de  la loyauté, de la justice, du respect de toute la liberté. » Extrait de Marie-Silve et la spiritualité laïque paru en 1978, page 12.

Ernest RENAN ne disait-il pas en 1884 : La lumière de la Raison devient la lumière supérieure, allant même jusqu’à paraphraser l’évangile : «  Allez de toutes les nations et répandez les lumières de la Raison » ( ce qui a conduit à la politique coloniale de la fin du XIX et début de 20ème siècle.
Le professeur Francis LAMAND : avocat international et ancien chargé de cours à l’université islamique du Koweit définit la laïcité comme : « L’INDIFFERENCE A LA DIFFERENCE ». Pour ma part, je retiendrai plutôt cette dernière définition.

De ce fait, il nous appartient de reconnaître une convergence entre le triptyque fondateur de la laïcité : science, tolérance et fraternité avec les principes fondamentaux de l’Islam :

1 – L’Islam et la Science 
Le Prophète Muhammad, dans ses enseignements demande à ses disciples « de rechercher la science jusqu’en Chine » ou encore « le savoir du berceau jusqu’au tombeau », il ajoute même qu’un seul homme de science a plus d’emprise sur le démon qu’un millier de dévôts ». Il affirme aussi que « l’encre de l’étudiant est plus sacrée que le sang du martyr. L’appel à la réflexion, à la méditation et au raisonnement s’avèrent permanents.
Le philosophe Al-Ghazali affirme que la religion est remède et la science nourriture, ce qui signifie que ceux qui cherchent la vérité sont animés par un sentiment dont la source se trouve dans la religion.

Dieu apparaît en Islam comme le plus grand savant qui incite l’homme à acquérir de plus en plus de science comme l’atteste sa parole dans le Saint-Coran section 20, verset 114 : «  Oh mon seigneur ! augmente ma science ».

 2 – L’Islam et la tolérance
« Pas de contrainte en religion » Coran (section 2, verset 256)
Ce verset exprime la tolérance avec laquelle Dieu a révélé sa parole au prophète Muhammad. Aucune obligation, aucune pression ne doivent être exercées pour entrer en Islam. Témoigner l’Islam suppose l’adhésion libre et consciente du croyant qui décide de se soumettre à Dieu.
Le prophète Muhammad adopta toujours et en toutes circonstances un immense respect pour les  gens du livre non musulmans : juifs et chrétiens. Dès ses débuts, l’Islam se soucia de la protection des droits des minorités non musulmanes : sécurité des personnes et des biens, reconnaissance des droits civils et politiques, liberté de conscience et de culte ; par exemple : les évêques, les rabbins ou les patriarches orthodoxes disposaient du statut de magistrat tout en restant des chefs religieux responsables devant les autorités musulmanes.

Le prophète Muhammad annonça que celui qui lèserait le droit du minoritaire protégé deviendra son adversaire lors du Jugement dernier.
Un formidable esprit de tolérance apparaît dans ses propos écrits au début du XXème siècle par un ancien Recteur de l’Université d’Al-Azhar au Caire : Cheikh Muhammad ABDU :
« Pour moi, la Bible, l’Evangile et le Coran sont trois livres concordants, trois prédications étroitement unies entre elles ; les gens religieux les étudient toutes les trois et les vénèrent également, ainsi se complète l’enseignement divin et l’Islam, parachèvement ultime de la révélation brille à travers toutes les religions » Traité sur l’Unicité de Dieu p. 47.

3 – L’Islam et la fraternité 
« Les croyants sont frères. Etablissez la paix entre vos frères et soyez fidèles à Dieu : «  Peut-être vous sera-t-il fait miséricorde ». (Coran, section 49, verset 40).
« Le musulman est frère du musulman » (enseignement rapporté par Bukhari). « le musulman est pour le musulman, à l’image d’un édifice dont les diverses parties se soutiennent ». (Coran, section 5, verset 32).

La fraternité recommandée par Dieu s’applique à tous les hommes de la Terre, aucun musulman ne saurait tuer un non musulman. Tout homme doit bénéficier, a priori, de la considération d’autrui. Aucun verset du Coran ne demande aux musulmans de déclencher des guerres offensives contre un non musulman pas plus que contre un musulman.
Beaucoup de versets coraniques concernent les gens du livre (juifs et chrétiens). Coran section 3, verset 113 : «  Chez ceux qui ont le livre, il y a une nation droite : ils récitent de nuit des versets de Dieu et se prosternent, ils croient en Dieu et au jour dernier, ils ordonnent le bien et interdisent le mal, ils se hâtent de bien faire, ils sont parmi les justes ».

L’amour d’autrui est non seulement primordial en Islam mais il en devient la condition essentielle de la Foi du croyant. Par voie de conséquence, l’Islam dénonce toutes les situations ou tentations créant une rupture à l’égard de l’amour.

Pour que l’amour ne soit pas rompu, Dieu recommande au croyant de taire sa vengeance, et de pardonner envers celui qui a commis une faute.
Et enfin dans Islam, il y a Salam : la Paix, l’islam est la religion de la Paix.
Bien sûr, j’entends déjà certaines voix décliner les horreurs commises par des musulmans au nom de l’Islam, à ceux-là, je leur réponds à la manière du cheikh Muhammad ABDU que dans toutes les religions, dans tous les mouvements politiques, il y a des personnes qui se détournent des principes originels auxquels ils prétendent adhérer. Est-ce une raison suffisante pour bannir des millions d’hommes et de femmes qui aspirent à vivre leur foi en toute sérénité…

Le philosophe indien Muhammad IQBAL, décédé en 1939 en Inde, devenu très célèbre après la création de l’Etat du Pakistan en 1949 a écrit deux vers pouvant servir de devise, non seulement aux trois révélations monothéistes mais aussi à la laïcité française.
« NI D’OCCIDENT, NI D’ORIENT, MA MAISON N’EST PAS A DEHLI, PAS A SAMARCANDE, PAS A ISPAHAN…MAIS PARTOUT OU IL Y A CREATION DE L’ESPRIT HUMAIN.

A qui en France, la création de l’esprit humain doit-elle faire peur ?
Anatole France répond à cette interrogation par une question posée par Madame Nozière dans son roman : « La vie en fleur » publié en 1948 page 230 :
« Quel a été  le plus mauvais jour de l’histoire ? C’est lui dit Monsieur Dubois le jour de la bataille de Poitiers, quand en 732 de l’ère chrétienne, la science, l’art et la civilisation musulmanes reculèrent devant la barbarie franque ».
Je terminerai mon propos par cette citation empruntée, à nouveau, à ce grand philosophe et poète : Muhammad IQBAL lorsqu’il écrit :
« L’Orient a tourné ses regards vers Dieu mais n’a pas vu le monde. L’Occident a pénétré le monde matériel et a fui Dieu. Ouvrir les yeux sur Dieu, c’est cela foi, se regarder sans voile, c’est cela la vie. »

Luis-Nourredine Pita.

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Un commentaire

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  1. Un américain parfaitement bilingue m’a fait la même remarque et je lui ai répondu exactement comme vous. Et pourtant, la différence leur est plus importante qu’elle nous le paraît à nous : “je fais un rêve” est (d’après eux) beaucoup plus volontariste et militant que “j’ai fait un rêve” qui tient plus de l’espoir déçu ou de l’utopie (toujours d’après eux). Dont acte… comme vous dites, après tout, c’est leur langue et ce sont eux qui donnent la signification à leurs mots.

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