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La légende des bluebeurs

Elu président de la Fédération Française de Football à la surprise générale le 18 Juin dernier, Noël Le Graët a pris tout le monde à contre-pied quelques jours avant ce fameux scrutin en affirmant que, selon lui, les bi-nationaux étaient « une fierté ». Prenant ainsi la défense de ceux qui devenaient injustement les boucs émissaires d’un pays visiblement pas au mieux de sa forme, N. Le Graët rappela subtilement : « La France a une histoire. On a toute une population qui est en France depuis longtemps […] Le mot bi-national n’existe pas dans mon esprit […]S’ils choisissent un moment leur pays d’origine, et bien c’est un service que la France rend à ces pays d’origine ». Sans doute Noël avait-il à l’esprit que d’autres ont rendu de fiers services à la France. Interrogeons les manuscrits, ils ont quelque chose à nous raconter.

Les manuscrits ont cet immense avantage : ils vous racontent les récits, de manière authentique et sans verbiage. Ils évitent de laisser tomber dans l’oubli, ceux qui ont écrits nos plus belles pages.

Parmi ces anciens écrits, nous trouverons l’histoire de jeunes pages. Ceux qui ont servis la France, aujourd’hui peu pressée de leur rendre hommage. Aujourd’hui devenus Sages, à moins qu’ils ne soient décédés à cause de leur grand âge, ils n’ont versé ni dans la haine ni dans la rage : ces mots ne sont pas de leur langage. Peut-être quelques larmes, corollaire de cet outrage. Ce manuscrit nous dira pourquoi en sa dernière page.

Les premiers d’entre eux auraient pu remplir les champs de bataille, d’autres ont réussi à peupler les Champs-Elysées, mais tous dignes du champ d’honneur, pour leurs sacrifices de taille. Honneur… un mot qui ne fait plus légion aujourd’hui. La France terre d’accueil, devenue en quelques années terre d’écueil, à coups de phrases assassines et de comparaisons sibyllines, nous rappelant subitement que nous ne sommes pas des leurs. C’était bien un leurre, jeune beur… Des mots, rien que des mots ? Non, ce sont aussi des maux.

Les maux d’une hémorragie qu’on ne souhaite guère panser, trop occupé par la guerre à l’Elysée, l’élection de 2012 est dans toutes les pensées. C’est ainsi que nos BlueBeurs ont choisi le sport et le foot pour s’affirmer. Ils vont nous le prouver, par des buts certes, mais aussi par des gestes gravés à jamais. Le manuscrit a cet autre avantage : il nous permet de les remercier, en clair, de leur rendre hommage. Trêve de Blues. Ouvrons les archives.

Traversons le temps et l’histoire, allons à la rencontre de ces Maghrébins Bleus, entre grand anonymat et moments de gloire, les vieux manuscrits nous parleront d’eux. Soufflez dessus, certains sont poussiéreux… Depuis près d’un siècle, la France a vu passer pas moins de 24 « Beurs Bleus », ces joueurs venus d’ailleurs, mais au talent si délicieux. Nous en présenterons les plus illustres, sans omettre de remercier les moins fameux, car depuis bien des lustres, ces joueurs ont beaucoup donné aux Bleus. Cette quantité n’est pas le fruit du hasard, puisque pour un bon nombre d’entre eux, ils furent sélectionnés lors de la période barbare (protectorat/colonisation), cette hypothèse ne concernant que les plus vieux.

Pour les plus jeunes d’entre ces Bleus, cela s’explique par le manque de résultat des équipes nationales de leurs origines, ainsi que par l’absence dans les grandes compétitions internationales, conséquence logique d’un continent en ruine.

Commençons par le père des BlueBeurs : Ali BENOUNA, le précurseur, le pionnier, l’éclaireur. Né en 1907, il fut le premier joueur d’origine algérienne à évoluer dans le championnat français, notamment au FC Sète où il remporta la Coupe de France au début du siècle dernier (1934). Il rendit l’âme le 6 Novembre 1980, devant rejoindre le Divin. Il fut suivi ensuite par l’un des plus talentueux, BEN BAREK Larbi, la Perle Noire Casaouie, au palmarès si prestigieux. Près de 16 ans de présence en Equipe de France, de 1938 à 1954, preuve d’un génie certes, mais aussi d’un grand sérieux.

Larbi naquit en 1915 à Casablanca. Il vécut sa carrière de footballeur pendant le Protectorat français, mais conserva toute sa vie sa nationalité marocaine, attachement poignant à ses racines Chérifiennes. Considéré comme l’un des meilleurs footballeurs de tous les temps, il fut également célèbre pour son caractère attachant. Une belle anecdote en guise d’exemple, ce sera certainement plus parlant.

Le 04 Décembre 1938, Larbi Ben Barek est sélectionné en Equipe de France pour la première fois. Baptême de feu pour le nouveau joueur de l’OM, puisque les Bleus doivent rencontrer la Squadra Azzura dans le bouillonnant stade de Naples et ce, en pleine Italie fasciste. Durant la rencontre, les Français sont malheureusement sifflés par les supporters Italiens, et Larbi est particulièrement visé : il n’était pas, à leurs yeux, un assez bon Français. Face à ces réactions racistes et injustes, LBB répond d’une manière aussi surprenante qu’inattendue : il chante la Marseillaise à gorge déployée, comme preuve de son appartenance aux rangs français. Les médias relayent la réaction de cet homme engagé, et devient alors le chouchou des supporters français.

Il jouera ensuite dans les meilleurs clubs d’Europe (Athlético de Madrid, Olympique de Marseille) et du Maroc (Casablanca), glanant plusieurs titres de champion au passage, une belle récompense déjà à l’époque. Devenu la coqueluche des supporters français, ce sont ces derniers qui ont demandé sa sélection en 1954 alors qu’il avait atteint les 40 ans. Lors d’un match opposant la France à une sélection d’Afrique du Nord au Parc des Princes, le Sultan (qui jouait ce soir-là avec l’équipe du Maghreb) éclabousse de sa classe la rencontre et prouve que ce Parc était bien le sien. Le public parisien, sous le charme du magicien, exige qu’il soit retenu pour la rencontre face aux voisins d’Outre-Rhin : tout un symbole pour ce monument marocain.

Une intégration comme on n’en fait plus… Quelques semaines plus tard, LBB met fin à sa carrière alors qu’il évoluait à l’Olympique de Marseille. Le Stade Vélodrome doit regretter l’élégance et la technique exceptionnelle de cette légende du football international. Larbi Ben Barek meurt le 16 septembre 1992 dans la solitude, pour celui qui a tant donné aux autres, triste ingratitude. Ce n’est qu’une semaine après sa mort, que fut découvert son défunt corps. Mais le 8 juin 1998 à Paris, la FIFA nous donne tort : elle lui remet à titre posthume, la médaille de l’ordre du Mérite, distinction légitime pour cette perle d’Afrique du Nord. De son vivant, le CIO lui décerna le titre « d’Athlète du siècle » : plus qu’un joueur, un homme en or.

FIROUD Abdelkader, la teigne d’Oran. Né en 1919 à dans la grande ville de l’Ouest, il est connu pour sa rage de vaincre et son mental de gagnant. Il effectua deux carrières remarquables : une en tant que joueur durant laquelle il contribua notamment à l’accession en 1ère Division du club Gardois qui lui ouvrit les portes de l’Equipe de France (6 sélections), et l’autre, brillante, en tant qu’entraîneur. Contraint par un grave accident de voiture de stopper sa carrière de joueur, il prit les commandes des Crocodiles nîmois dès 1955 alors qu’il n’avait que 36 ans. Cette deuxième vie lui permit de se faire une grande notoriété dans le championnat de France : élu meilleur entraineur du championnat de France en 1971, il est, derrière Guy Roux, le coach qui a eu la carrière la plus longue sur un banc de 1ère Division (782 matchs !). Une intégration comme on n’en fait plus.

Le Nîmes Olympique doit se souvenir de ce coach rigoureux qui laissa sa griffe de manière indélébile dans l’histoire du club. En effet, le 03 Avril 2005 à Nîmes, le trépas le prit. Né un peu plus tard que AbdelKADER Firoud, un autre Maghrébin rejoignit les rangs français : Mustapha BEN M’BAREK, à ne pas confondre avec Larbi Ben Barek. Car Mustapha est lui aussi BlueBeur, il est lui aussi né au Maroc (en 1926), mais est beaucoup moins connu que son aîné. Et pour cause, il n’a été retenu qu’une seule fois avec l’Equipe de France (face à la Belgique) en 1950, alors qu’il jouait sous les couleurs des Girondins de Bordeaux (avec qui il remporta le championnat de France 1950).

L’histoire d’AbdeSALAM BEN MOHAMMED, ressemble à s’y méprendre à celle de Mustapha Ben M’Barek : né en 1926, Marocain, pensionnaire des Girondins, une seule sélection au compteur. Il évolua également au Nîmes Olympique. AbdeSALAM était un redoutable buteur, puisqu’en 5 saisons dans le championnat de France, il inscrivit la bagatelle de 67 buts, soit une moyenne de 13 buts par saison.

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Malheureusement, en 1965, à l’âge de 39 ans, s’éteignit AbdeSALAM. 

En 1927, dans la commune d’Hussein-Dey faisant face à la baie d’Alger, naquit BEN TIFOUR AbdelAZIZ. D’origine Kabyle, AbdelAZIZ débuta sa carrière en Tunisie. Après des prestations remarquées, il rejoignit la France et l’OGC Nice. Les qualités offensives de cet attaquant lui vaudront ses premières sélections en Bleu (4 au total). Pourtant, en 1958, il rejoignit l’équipe du FLN et participa aux tournées du Front de Libération Nationale aux côtés des illustres Zitouni, Bekhloufi et autre Boubekeur.

Il perdit la vie le 19 Novembre 1970 dans un accident de voiture. MEKHLOUFI Rachid, le double Vert, est un joueur algérien né en 1936 dans la région des Hauts-Plateaux à Sétif. Amoureux du club stéphanois (10 saisons dans le Forèze), il y reviendra même après l’indépendance de 1962. Sélectionné à 4 reprises sous le maillot Bleu, il répondra pourtant à l’appel de la patrie algérienne du FLN pour mettre son talent au service de ses idées. Un talent qui lui valut ce vibrant hommage de son coach de toujours Jean Snella, à qui 30 minutes d’essai suffirent pour engager cet attaquant racé : « Pour qui connaît le football, sa classe apparaissait dès le premier touché de ballon ».

Il se distingua aussi par son comportement remarquable sur le terrain : pas le moindre carton rouge en 16 ans de carrière. Lors du second appel de sa patrie d’origine pour devenir sélectionneur des Verts (d’Algérie cette fois), il répondra favorablement une fois de plus : un homme décidément classe sur toute la ligne.

SAHNOUN Omar, le double Bleu. Né le 18 août 1955 à Guerrouma (Algérie), il est fils d’un harki et l’assume. Fin technicien, il fit les beaux jours de Nantes et des Bleus-Marine des Girondins de Bordeaux. Sélectionné à 6 reprises, des problèmes cardiaques l’obligent à arrêter une première fois la compétition. Ces mêmes arythmies cardiaques lui seront fatales en plein entraînement en Avril 1980. Ecoutons ces paroles de M. Platini à son égard, pour comprendre dans quelle cour jouait Omar : « En fait, je m’adressais à ceux qui ont découvert le football en 1998, en s’émerveillant devant les gestes de Zinedine. Or certains de ces gestes n’avaient rien de nouveau pour les connaisseurs. J’ai vu Omar Sahnoun les faire au service militaire ! ».

Avant de passer à la nouvelle génération de BlueBeurs, terminons en beauté par une brève présentation de celui qui n’est plus à présenter : Zinedine Zidane, the Best of the Beurs. D’origine Kabyle, il frappa les esprits par sa classe, sa technique au service du collectif, et son immense générosité sur le terrain. D’une humilité presque maladive, il fut très apprécié du public tricolore (personnalité préférée des français durant plusieurs années, le refrain « Zidane Président ! » sur les Champs-Elysées le 12 Juillet 1998 après la victoire en Coupe du Monde) et marqua singulièrement l’histoire du sport hexagonal : une intégration comme on n’en fera peut-être plus…

Après le départ du Maestro, plusieurs BlueBeurs tentèrent de prendre le flambeau. Certains à des postes offensifs, d’autres en tant que libéros, ils ont déjà à leur actif, plusieurs titres accrochés au tableau.

Le plus « âgé » d’entre eux, n’a même pas la trentaine, c’est Adil RAMI « le Colosse » d’origine marocaine. Défenseur central des Dogues Lillois, il avait le choix de la couleur du maillot, et malgré un appel de la sélection du Roi, il choisit pourtant le bleu-blanc-rouge comme drapeau. Devenu grâce à Lille un défenseur intraitable, il est avec les Bleus un titulaire indiscutable.

Egalement défenseur et originaire du Maroc, KABOUL Younès est un véritable « Roc » (1,90 m). Né en 1986 en Haute-Savoie, il évolue actuellement aux Hotspurs de Tottenham. Il a débuté de la meilleure des façons, en inscrivant un magnifique but, lors de sa toute première titularisation. Barré par la paire Rami-Méxes, il attend patiemment son heure, pour écrire également sa page, dans la légende des BlueBeurs. Les derniers venus parmi cette grande famille sont tous nés la même année, en 1987. Génération extrêmement prometteuse, elle devrait inscrire son nom dans le Panthéon du football français quand on voit le génie de cette nouvelle vague (championne d’Europe des moins de 17 ans en 2004).

Elle est composée de Karim BENZEMA dit Merco Benz, d’Hatem BEN ARFA, l’artiste et de Samir NASRI, le Petit Prince. Karim, d’origine algérienne, a été formé à Lyon, club pour lequel il joua 5 saisons en tant que professionnel. En 2009, il s’envole pour le Real de Madrid, sur les traces d’un autre BlueBeur, Zinedine Zidane. Il s’impose de plus en plus comme la nouvelle référence chez les Bleus grâce à son sens du but et sa conduite de balle ravageuse.

Hatem est, quant à lui, d’origine tunisienne. Formé également à Lyon et passé par l’OM, il quitte durant l’été 2010 le championnat français pour s’engager Outre-Manche avec les Magpies de Newcastle. Le 3 Octobre 2010, lors d’une rencontre face à Manchester City, il est victime d’un véritable attentat, lui le natif de… Clamart ( !). Cette fracture lui vaudra 6 mois d’arrêt : il devrait retrouver les pelouses de Premier League lors de la saison prochaine pour régaler les spectateurs anglais, et ceux, un peu plus tard de l’Equipe de France.

Samir, surnommé le Petit Prince pour son visage juvénile, son talent précoce (professionnel à 17 ans) et la magie de ses dribbles, est d’origine algérienne. Révélé sous les couleurs de l’OM, il quittera le club de son cœur durant l’été 2008 pour rejoindre les Gunners d’Arsenal. Le 25 Mars 2011, lors d’une rencontre face au Luxembourg, il est nommé par Laurent Blanc capitaine de l’Equipe de France : il devient alors l’un des plus jeunes capitaines de l’histoire des Bleus. Précoce on vous dit…

Voici également ceux qui, originaires du Maghreb, apportèrent leur pierre à l’édifice Bleu, merci pour eux : IBRIR Abderrahman, MIHOUBI Ahmed, ZITOUNI Mustapha, MAHJOUB AbderRAHMAN, BRAHIMI Saïd, MAHI Khennane, BOUSDIRA Fares, Malgré tous ces bons et loyaux services, beaucoup ont été oubliés.

Mais si seulement les pelouses pouvaient parler, les tribunes s’exprimer et les coupes témoigner, certainement qu’ils vous diraient ce qu’ils ont apportés au foot français … Nul doute qu’ils les remercieraient. Malheureusement, une partie de leurs enfants s’est vengée en 2001 d’un geste odieux, lors du pittoresque France-Algérie, au prix d’un envahissement honteux. Pour les autres, pas de rancœur, pas de rancune, ça n’est pas de leur conviction. Je vous parle des plus anciens, dont je vous avais promis justification : Dénués de haine, ils ont juste eu de la déception, Car de là où ils sont, plus jamais ils ne vous dérangeront. Finalement leur vengeance, ça aura été leur pardon. Avant de partir, rangeons ces manuscrits, D’autres les rempliront, la légende n’est pas finie…

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