Lorsque l’on parle de la foi (al imane), cette réalité spirituelle devient dès lors chez beaucoup, une notion vague et floue. Au sein de la communauté musulmane la foi est même systématiquement identifiée aux actes cultuels où l’on peut presque prier, jeûner et faire son pèlerinage sans jamais vraiment se poser la question de savoir si ce sont des actes émanant d’une foi ou des actes purement sociaux, une sorte d’instinct grégaire avec ce sentiment d’appartenir à un corps social. Il est plus qu’urgent de bien appréhender la réalité de la foi car depuis la naissance du monde moderne, qui tend à détourner les mots de leur sens originel et de leur vocation métaphysique, il n’est plus du tout évident de reconnaitre et de dire certaines vérités.
La foi est d’abord un assentiment (tasdiq) de la conscience humaine aux données révélées. L’imam Fakhr al dine al Razi explique que lorsque le Coran exhorte les hommes à croire (âminou bi llah wa rassoulihi) et que cette exhortation est suivie de la particule « bi » alors, l’homme est appelé à donner son assentiment à la vérité de la révélation et de son message. L’homme qui a la foi est une personne qui déclare la doctrine qui émane d’une religion comme vraie.
Ainsi, la foi n’est pas simplement un apprentissage des articles de foi que l’on répète inlassablement mais bien plutôt une dimension spirituelle plus profonde devant faire resurgir, notamment, une conscience métaphysique retrouvée. La foi est vue, par les modernes, comme appartenant à une forme de sentimentalité (religieuse) l’opposant ainsi, à la raison ou à l’intelligence. Rien n’est plus inexact. La foi, dans la perspective islamique et sa pensée religieuse, possède une dimension proprement intellective. Le Coran interpelle à plusieurs reprises la conscience humaine en l’enjoignant d’intelliger et de comprendre avec son cœur : « N’ont-ils pas des cœurs avec lesquels ils intelligent/comprennent » – (Alâ houm qoulouboune ya’qiloune/yafqahoune biha – Coran) ?
Cette injonction coranique paraîtra, à nos contemporains, ubuesque. Intelliger et comprendre avec son cœur ? Quelle étrange démarche d’intellection ! Malheureusement, il est à craindre que cette forme d’intellection soit proprement et définitivement incomprise des modernes tellement ces derniers se retrouvent dans un état de désagrégation métaphysique avancée.
Les maitres spirituels, surnommés également les médecins du cœur, rappellent que selon le fameux hadith Jibril, l’Islam (avec ses cinq piliers structurants) s’adresse d’abord à la conscience et au mental (nafs) alors que la foi, elle, se réalise au niveau du cœur qui est, selon les sagesses antiques, le siège de la connaissance du monde céleste. Aussi, un croyant (mou’mine) selon la perspective islamique, possède un cœur qui intellige le monde terrestre comme le monde divin.
Celui-ci organise de là, sa vie autour de sa croyance en l’invisible (al ghayb), ce monde qui est une réalité supra-rationnel avec ses lois propres. L’Emir Abdelkader rappelait que le croyant qui se « spiritualise » réorganise sa vie autour de l’axe-divin : Dieu. L’épisode coranique d’Abraham qui demande au Dieu Unique de lui montrer « comment Il ressuscite les morts » est en la matière, très instructif. Dans ce moment coranique, le Prophète du « monothéisme pur » demande à Dieu de lui montrer comment Il ressuscite les morts ? A quoi Dieu lui « rétorque » : Ne crois-tu pas ? « Si, répond Abraham, mais je te demande cela afin que mon cœur s’apaise ». Cet épisode est très intéressant pour comprendre le monde de la foi et ses modes en voyageant à travers ses différents niveaux de conscience.
Avant cette quête de la foi vraie (haqq al yaqine) Abraham, dans ce passage coranique, argumente devant un roi sur la réalité de Dieu ; ce roi babylonien (?) développe son propos dans le sens contraire et énonce qu’il est, lui, un dieu car comme le Dieu d’Abraham, il a un pouvoir de vie et de mort sur les hommes. Abraham comprenant l’argument dévoyé du roi-idolâtre lui répond : « Mon Seigneur-Dieu faire surgir le soleil de l’orient fais-le donc, venir d’occident » ! Le roi-idolâtre se retrouva béat et confus.
Ce n’est qu’après cette polémique religieuse purement verbale, qu’Abraham demanda à Dieu de lui montrer la réalité de la résurrection (‘ayne al yaqine). Cela pourrait signifier qu’il y a un premier niveau de foi (ilm al yaqine) basé sur la preuve par l’argumentation démonstrative (al burhane) et ce premier niveau de foi serait semblable à une « pleine lune dans la nuit » ; il y a bien un faisceau de lumière en notre âme qui nous éclaire mais il y a encore quelques obscurités.
A ce stade de la démonstration discursive, nous avons une foi par la preuve qui dissipe les doutes du mental, mais en utilisant les outils du mental qui restent mouvants et fragiles. Or la foi qui se transforme en « certitude-de-foi » (Yaqine) est une affaire de cœur, une vérité pérenne émanant du Vrai ; il ne s’agira plus de prouver la réalité divine mais de l’éprouver. C’est pourquoi, Abraham répondit que cette demande n’avait pour seul but que d’affermir son cœur dans la foi pérenne (li’yatma’ina qalbi). Cette foi est celle qui génère la paix du cœur par une lumière venant directement de Dieu et qui dissipe les doutes émanant de la psyché.
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