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Le jeûne en islam : un acte de foi qui permet au musulman de progresser sur la voie de la « piété »

« Ô vous qui avez la foi, le jeûne vous est prescrit comme il a été prescrit aux communautés qui vous ont précédés, afin que vous vous prémunissiez. » (Coran, 2 : 183)

Quatrième pilier de l’islam, le « jeûne » (çawm ou çiyâm) évoqué par la révélation signifie à la fois « s’abstenir », « se retenir », mais aussi « s’élever » (sous-entendu : au-dessus de la nature humaine ordinaire). Plusieurs enseignements peuvent être tirés de ce verset. D’abord, le jeûne a été prescrit aux communautés antérieures, en particulier aux juifs et aux chrétiens. La pratique du jeûne est universelle, même si chaque religion a ses règles et ses formes spécifiques. En même temps, on voit tout de suite l’intention et la finalité du jeûne en islam : c’est un acte de foi qui permet au musulman de progresser sur la voie de la « piété », de la « prémunition spirituelle » et de la « crainte révérencielle de Dieu ». Ce sont là autant de traductions possibles de cette qualité appelée taqwâ qui, comme l’a indiqué le Prophète (sallAllahu ‘alayhi wa sallam), est avant tout une vertu du cœur. Son cousin et gendre ‘Ali ibn Abi Talib (radiyAllahu ‘anhu) en a donné une définition très belle qui englobe et résume ses multiples facettes intérieures et extérieures : « La taqwâ, c’est craindre la Majesté divine, agir conformément à la Révélation, se contenter de peu et se préparer pour le jour du grand départ. »

Le jeûne a été prescrit pour pratiquer cette vertu précieuse, à tous les niveaux, intérieurement et extérieurement, dans le cœur, les actes et les paroles. Mais la taqwâ n’est pas une fin en soi, c’est la clé de tout bien, la voie à suivre pour éduquer l’âme, élever l’esprit au-dessus de soi-même, et bénéficier de la connaissance et du discernement que Dieu accorde : « Craignez Dieu et Dieu vous enseignera ! » (Coran, 2 : 282).

Le jeûne obligatoire

Le jeûne, selon la définition du droit musulman, consiste à s’abstenir de manger, de boire et d’avoir des rapports intimes, de l’aube au coucher du soleil, avec une intention volontaire et claire.

Le jeûne obligatoire est prescrit pour tout le mois lunaire de ramadan, neuvième mois du calendrier islamique1. Ce dernier étant un calendrier lunaire, donc composé de 355 jours, et non de 365 comme le calendrier solaire, chaque mois dure vingt-neuf ou trente jours. C’est la vision de la nouvelle lune qui détermine le début et la n d’un mois lunaire. Du fait qu’il repose sur un calendrier lunaire, le mois de ramadan se déplace de onze jours chaque année par rapport au calendrier solaire. La durée d’une journée de jeûne varie en fonction de la période et de la situation géographique. C’est ainsi que les musulmans qui vivent dans l’hémisphère nord, par exemple, ne jeûneront que huit ou neuf heures par jour en décembre, mais devront, en revanche, jeûner dix-sept ou dix-huit heures en juin. Les femmes indisposées ou enceintes, ceux qui sont malades, qui sont incapables, ou qui sont en voyage, ne sont pas obligés de faire le jeûne. Suivant les cas, ils ont la possibilité de rattraper les jours de jeûne manqués ou de les compenser en nourrissant des pauvres.

Si le jeûne exige une véritable ascèse de la part du jeûneur, il ne consiste pas simplement à se priver de nourriture, de boisson et de rapports intimes. La valeur et les fruits du jeûne sont à la mesure de l’intention, de la vigilance et de l’aspiration spirituelle. Le Prophète mettait ainsi en garde : « Certains ne retirent de leur jeûne que la faim et la soif ; certains ne retirent de leurs prières nocturnes que la fatigue. » La faim, la soif et la fatigue ne sont que des effets superficiels du jeûne, que l’on risque de ne pas pouvoir dépasser si l’on s’arrête aux apparences, si l’on reste concentré sur soi-même au lieu de se concentrer sur le Seigneur du jeûne, ou si l’on agit en contradiction avec la sagesse et la sacralité de ce rite unique en son genre. Les sages musulmans distinguent plusieurs niveaux de jeûne et d’abstention, en termes de profondeur, d’exigence et de bénéfices spirituels : le jeûne des aliments, le jeûne des facultés sensorielles, de la langue, des yeux, etc., et le jeûne du cœur.

L’imam Abu Hamid al-Ghazali distingue trois niveaux de jeûne rituel: le premier niveau correspond au jeûne pratiqué par le commun des croyants, qui s’abstiennent uniquement des aliments, boissons et rapports intimes ; le deuxième niveau correspond au jeûne de l’élite des croyants, laquelle ne se contente pas de l’abstention commune, mais veille également à s’abstenir des paroles futiles, de la médisance, des péchés et des actes répréhensibles ; le troisième niveau correspond au jeûne de l’élite de l’élite, celui des prophètes et des saints, qui intègrent les deux premiers niveaux de jeûne dans un travail intérieur, une concentration du cœur occupé au seul souvenir de Dieu2.

Les vertus et bienfaits du jeûne de ramadan

Le jeûne offre de nombreux bienfaits et vertus. Le jeûne produit une purification, un réveil du cœur, un renouveau de la foi, une transformation profonde des caractères ; il aide le croyant à faire preuve de plus de cohérence et de conformité avec la volonté de Dieu, dans ses intentions, ses actions et ses paroles. La rupture du jeûne (iftâr) non plus n’est pas un acte anodin. Loin d’être un exécutoire à l’assouvissement des envies ou un retour aux habitudes profanes, elle prolonge en réalité l’intimité spirituelle du jeûne. Rompre le jeûne signifie aussi renouer avec la nature foncière de l’être (fitra), c’est un moment de réjouissance du cœur et de gratitude envers Dieu, autour d’un repas béni qui se partage en famille, avec des amis, des voisins, musulmans ou non. Cette hospitalité est l’une des meilleures façons de diffuser la bénédiction, la joie profonde et la lumière intérieure que le jeûne apporte dans la vie du croyant.

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Il est important de souligner que la prescription du jeûne est inséparable de la Révélation du Coran. C’est au cours d’un mois de ramadan que le Coran fut révélé au Prophète, que la Parole divine descendit parmi les hommes. Pendant ce mois, après le jeûne de la journée, vient la récitation coranique au cours de prières nocturnes spéciales (al-tarâwîh) : en faisant le vide en lui-même, le musulman devient plus sensible à la Présence divine, il est apte à prendre part au « festin de Dieu », pour reprendre une expression prophétique, et à goûter la saveur du Coran, nourriture pour le cœur et lumière pour l’esprit. Le serviteur prépare et se prédispose à accueillir la Parole divine révélée, par le jeûne et le recueillement, comme une retraite intérieure, suivant en cela l’exemple du Prophète qui reçut la visite de l’Ange Jibril, Gabriel, apportant la Révélation du Coran dans la nuit du Destin (laylat al-qadr), traditionnellement célébrée la nuit du 26 au 27 du mois de ramadan.

Loin d’être une simple mortification et une contrainte, le jeûne est au contraire pour le croyant une occasion unique de libération et de pacification intérieures. Il exerce à la patience et à l’endurance. En brisant les « deux passions », comme dit l’imam al-Ghazali, liées aux plaisirs du ventre et de la chair, il permet de s’élever au-dessus de la nature grossière et animale, pour se rapprocher de la pureté et de la perfection des anges. Il éduque et purifie l’âme, adoucit le cœur, diminue l’influence des sens extérieurs et renforce la sensibilité spirituelle.

Le jeûne met tout particulièrement en relief la relation directe du pratiquant avec Dieu. Durant le ramadan, du jeûne de la journée à la rupture de la soirée, le croyant fait l’expérience tantôt de la restriction tantôt de la libéralité, tantôt de la crainte tantôt de l’espoir, tantôt de la patience tantôt de la gratitude. Dieu Se manifeste à lui par Ses Noms de Majesté et de Beauté, tantôt comme al-Çamad et al-Ghanî, l’Absolu, l’Indépendant qui Se Suffit à Lui-même, tantôt comme al-Razzâq et al-Karîm, le Pourvoyeur et le Généreux par excellence, qui donne aux créatures tous les moyens d’existence et de subsistance. Grâce au jeûne, le croyant prend conscience de sa dépendance totale envers Dieu.

Les maîtres spirituels enseignent que la nature profonde et réelle du jeûne rituel transcende l’effort individuel, la volonté propre et la conscience du jeûneur. Le jeûne manifeste de façon évidente le caractère impersonnel et supra-humain de tout rite sacré. C’est à cette réalité invisible et secrète que fait allusion la tradition sainte (hadîth qudsî) dans laquelle Dieu affirme à travers la bouche du Prophète : « Chaque action du fils d’Adam lui appartient sauf le jeûne. Celui-ci M’appartient et c’est Moi qui en paie le prix. »3

L’homme pourra bénéficier profondément de l’alchimie divine du jeûne rituel en s’abstenant de lui-même, en faisant le sacrifice de son individualité, en éteignant son ego, en renonçant à la prétention d’une action autonome, en abandonnant les revendications subtiles d’un mérite personnel, dans cette œuvre qui n’appartient, en réalité, qu’à Dieu. C’est finalement dans l’effacement de soi et le silence intérieur qu’il pourra, si Dieu le veut, se montrer pleinement attentif et à l’écoute de Sa révélation, et contempler les manifestations de l’Essence, des Qualités et des Actes de Dieu.

1À l’instar de la prière rituelle, de l’aumône ou du pèlerinage, le musulman peut jeûner volontairement en dehors des temps prescrits (mais uniquement de l’aube au coucher du soleil). D’après le Prophète, certains moments sont plus propices. Par exemple, le lundi et le jeudi, les trois jours de pleine lune au milieu du mois, les dix premiers jours du mois du pèlerinage, etc.

2Cf. Al-Ghazali, Les secrets du jeûne en islam, introduit, annoté et traduit par Maurice Gloton, Albouraq, 2001.

3Rapporté par Bukhari et Muslim.

Extraits du livre Sharani, Les secrets des cinq piliers de l’islam, éditions i, 2019. Introductions et traduction par Abd al-Wadoud Gouraud. Avec une préface de Mustapha Cherif. 

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