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Dialogue & sarcasme : l’imam, et Michel Onfleur

[Question de Michel Onfleur : Le Coran, et l’Islam en général, sont contre la raison. C’est Renan qui disait en 1883 dans sa conférence donnée à la Sorbonne que l’Islam a « toujours persécuté la science et la philosophie » et qu’il a fini « par les étouffer ». Qu’en pensez-vous, le Coran est-il, comme beaucoup le pensent, un ennemi de la raison ?]

Réponse de l’imam

Pour moi, c’est la raison dogmatique, qui n’est rien d’autre qu’une « pensée ignorante », qui est l’adversaire du Coran et de toute connaissance ouverte ou pensée critique ; je reviendrai sur mon assertion un peu plus tard, mais occupons-nous d’abord de Renan, que je qualifie volontiers, sur la question de l’Islam, comme étant le plus illustre représentant des délinquants de la pensée dogmatique née du scientisme historique du 19ième.. Il est le maître spirituel du Zemmourisme (Zemmour ayant affirmé qu’il comprenait l’Islam à travers Renan), du mouvement le « printemps républicains », le journal Marianne, Manuel Valls, Steve Banon et consorts.

Renan (1823-1892) est principalement un historien du 19ième. Il s’est intéressé notamment à notre Cadi malikite et philosophe Averroès (m.1198), en lui consacrant une thèse controversée, de notre point de vue (celui de la logique des orientaux), s’intitulant « Averroès et l’averroïsme ». Bon, je dois dire que, concernant Averroès, il va falloir, un jour, clarifier sa doctrine de l’intellect actif, qu’il affirme être impersonnel, ce qui signifie tout bonnement que nous retournerons tous à cet intellect unique ; fini la vie personnelle et individuelle. Or le Coran ne cesse d’affirmer la responsabilité individuelle et une vie, toute personnelle, après la vie terrestre.

[et tous s’en vont à Lui, le Jour de la résurrection, individuellement (farda’). Coran 19, 95]

Nulle part dans le Coran, l’impersonnalisation n’est évoquée, c’est même tout le contraire car « aucune âme ne peut porter le fardeau d’une autre ». Soit Averroès, qui connaissait le Coran par cœur à 12 ans, était faussement musulman mais véritablement aristotélicien (la thèse de Renan), soit nous ne l’avons pas compris correctement (ma thèse). Mais je règlerai ce problème à un autre moment car je vois des articles, sur des sites musulmans comme ailleurs, qui appellent au retour d’Averroès. Que ceux qui veulent un retour à la doctrine d’Averroès sachent que « celui qui fut pour l’Occident latin le premier interprète d’Aristote », l’a interprété « dans un sens qui niait le Dieu personnel, la création et l’immortalité de l’âme individuelle ».

La question est de savoir s’il n’a fait qu’interpréter Aristote fidèlement eu égard à son honnêteté intellectuelle ou s’il a adhéré à sa métaphysique comme un réel et fidèle disciple ? Pour ma part, ce retour ne peut se faire au prix d’une torsion du Coran, de sa doctrine de l’âme individuelle et d’un Dieu Créateur et personnel, auquel cas nous risquerions d’amener les musulmans vers un agnosticisme (un Dieu impersonnel et diffus) semblable à celui d’un Jamal al dine Al Afghani et un confusionnisme théologique entretenu par l’Institut du monde arabe et la mosquée de Paris.

Mais revenons à notre « champion », Ernest Renan. Lorsque l’intellectuel français découvre la philosophie arabe (qu’il ne voit pas comme une philosophie islamique eu égard à ses préjugés sur l’Islam), les recherches ne font que commencer et la découverte de la pensée philosophique arabo-musulmane est à ses balbutiements. A tel point que Renan doit se reprendre et rectifier certaines positions du passé.

En effet, après avoir écrit que l’Islam était « incapable de se transformer et d’admettre aucun élément de vie civile et profane, l’islamisme* arracha de son sein tout germe de culture rationnelle », il reviendra sur cette critique pour nuancer après s’être rendu à l’évidence que le patrimoine de la philosophie dans l’espace islamique a été gigantesque, et écrira presque malgré lui : « ils reçurent Aristote comme le maître autorisé, mais ils ne le choisirent pas. […] Il est très vrai d’un autre côté qu’en se développant sur un fond traditionnel la philosophie arabe arriva, surtout au XIe et au XIIe siècle, à une vraie originalité ». Aïe, ça pique ! Obligé de ravaler sa morgue, Renan ne pouvait que rééquilibrer son analyse, ou alors, il n’était plus historien.

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Dans sa conférence sur « l’Islam et la science » de 1883, il défendra ni plus ni moins sa thèse, à savoir que si l’on pense en terre d’Islam, cela ne pouvait se faire à partir des catégories islamiques héritées du Coran, mais en s’en libérant ; un homme rationnel et philosophe dans le monde musulman, comme Averroès, ne pouvait être que faussement musulman pour échapper à la vindicte d’une société musulmane extrémiste et intolérante. Bigre ! Même Noldeke, l’orientaliste allemand, qui n’hésitait pas à dire que la deuxième partie de la sourate al ‘Alaq n’était pas à sa place et proposait de la mettre ailleurs dans un chapitre du Coran (une dinguerie à la Abdennour Bidar), n’avait pas été aussi loin, ou même Carra de Vaux. Véritable père spirituel d’une partie des suprémacistes blancs français, noyau nucléaire du zemmourisme, la mésentente ne peut être que profonde et presque, définitive.

L’histoire des idées et des sciences, démontreront de manière évidente que la révélation coranique a stimulé tous les savoirs en contexte islamique. Très tôt, les musulmans vont à l’assaut des savoirs étrangers à leur culture originelle. Qu’on se souvienne du premier philosophe connu al Kindi (m.866) lorsqu’il s’exclame de manière admirative, « à l’égard de l’exposé de l’unicité divine (tawhîd) par Hermès à son fils Tat, dans le traité Poïmandrès. Il en avait « admiré l’exactitude et observé qu’un philosophe musulman comme lui n’aurait pu l’exprimer mieux : il s’agissait de l’ineffable transcendance divine, que l’outil du syllogisme ne saurait atteindre » » (Coran, p 64 – Gobillot & Cuyprès).

Mais malgré cette évidence, il fallait fomenter une théorie fumeuse que va échafauder Renan. Il reprend l’opposition entre théologiens et philosophes faite par Averroès, pour affirmer avec lui, que la raison ne peut être coranique mais aristotélicienne. Il ne peut y avoir des catégories de la raison émanant du Coran. Or, Ghazali avait montré qu’il existait dans le Coran un début de syllogisme (méthode de raisonnement) et cela ne peut être contesté dans les faits. Je sais qu’Averroès reprochera aux théologiens d’en faire un mauvais usage et de pratiquer davantage la dialectique plutôt que de faire des démonstrations purement philosophiques. Mais mon propos, n’est pas là-dessus. Il s’agit de dire qu’il y a une « raison » coranique.

Ghazali « a mis en évidence plusieurs syllogismes incomplets, ne laissant aucun doute quant au fait qu’ils constituent un « clin d’oeil » à des formes logiques achevées (Al-Qistâs al-mustaqîm, chapitre cinq). Il cite, entre autres, le verset 22 (Coran 21), porteur d’un syllogisme conditionnel incomplet : « Si des divinités autres que Dieu existaient, le ciel et la terre seraient corrompus. » Or, on s’aperçoit, si on le rapproche d’un autre verset : « Dieu ne s’est pas donné de fils ; il n’y a pas de divinité à côté de lui, sinon chaque divinité s’attribuerait ce qu’elle aurait créé ; certaines d’entre elles seraient supérieures aux autres » (Coran 23, 91), que les deux passages se rejoignent et se complètent pour démontrer que, s’il y avait plus d’une divinité, elles se disputeraient le pouvoir. En conséquence de cela, la création ne pourrait pas revêtir l’harmonie qui est la sienne. Cette harmonie (ou absence de corruption) prouve donc l’unicité du créateur et confirme, dans le second verset, à l’encontre de la doctrine chrétienne, qu’il n’a pas pu se donner de fils » (Coran, p 65,66 – Gobillot & Cuyprès).

Bref, selon Renan pour penser philosophiquement on ne peut penser que contre le Coran, il n’y a pas un génie de l’Islam, tout au plus un génie perse, arabe ou turc. En réalité, les philosophes en contexte islamique ne sont musulmans que par dissimulation. Puisqu’il ne pouvait pas aller contre cette loi de l’histoire qui affirme que les sciences et les savoirs en terre d’Islam sont nés après la révélation coranique, il fallait surtout affirmer que ce n’est pas la religion islamique qui a été émancipatrice mais le génie de certaines races. Ce n’est ni plus ni moins que l’expression d’une pensée délinquante au sens étymologique, à savoir une pensée qui a manqué à son devoir : celui de l’honnêteté intellectuelle.

Enfin, je dois ici-même, en profiter pour évoquer l’étrange réponse d’al Afghani à la conférence de Renan. Je dois avouer aux lecteurs que j’avais connaissance de la réponse d’al Afghani à Renan, néanmoins, je n’avais pas pris soin de la lire dans le détail. Et quelle a été ma surprise de voir que sa réponse n’était absolument pas une contre-argumentation aux arguties de Renan mais un adoubement. En effet, al Afghani écrivit : « À la vérité, la religion musulmane a cherché à étouffer la science et à en arrêter les progrès. Elle a réussi ainsi à enrayer le mouvement intellectuel ou philosophique et à détourner les esprits de la recherche de la vérité scientifique ». Eh oui, le père du réformisme musulman, maître du cheikh azhari Abduh (m.1905), était un rénanien ; certains diront qu’il l’a été par stratégie, nous, nous disons par opportunisme.

Seul une mentalité agnostique a pu écrire une telle réponse. Par ailleurs, à un moment où la décadence des sociétés musulmanes était réelle et très avancée, cela a agi forcément dans la psyché musulmane et a généré, presque fatalement, un complexe d’infériorité, c’est donc, en plus, un complexé qui a répondu à Renan. En fait, la meilleure réponse à Renan aura été faite par Iqbal en 1934, soit 51 ans plus tard, avec la publication de son œuvre magistrale « Reconstruire la pensée religieuse de l’Islam ».

Voilà mon cher Onfleur, notre réponse à votre question, et sachez qu’aucun honnête homme ne peut aller contre cette loi historique qui montre que les sciences ont fleuri dans les contrées musulmanes après la révélation coranique, sinon à prendre le risque de s’inscrire dans une forme de négationnisme.

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