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De la gestion de l’Islam en France: L’état d’exception dans l’état de droit ou essais de machiavelisme

De la gestion de l’Islam en France : L’état d’exception dans l’état de droit [1] ou essais de machiavélisme [2]

De tous temps, le droit a été utilisé par les gouvernants à des fins politiques. Et c’est sans surprise que la gouvernance française, elle aussi, instrumentalise le droit aux fins de réaliser sa stratégie politique. Ce qui surprend, par contre, c’est que pour gérer l’islam on bafoue les idéaux républicains en n’hésitant pas à instaurer (sans le déclarer) un état d’exception [3] à l’intérieur de l’Etat de droit. Le plus inquiétant est que cet état d’exception vise à mettre en oeuvre une politique confuse et inadaptée à réaliser les résultats escomptés, du moins ceux déclarés.

I

Il y a quelque mois de cela, le Parlement français votait une loi interdisant le port de signes religieux dans les établissements d’enseignement public et sous couvert de laïcité, on a interdit à des jeunes gens d’exprimer leur religion dans le sanctuaire sacré [4] (sic !) qu’est l’école. Aujourd’hui, on exige des imams qu’ils suivent une formation profane -en sus de leur formation religieuse- et ce, dans le but de contrôler leur désignation. Nul besoin d’être un spécialiste du droit pour voir qu’il y a ici une contradiction entre ces deux dispositions et qu’en France, de laïcité on n’a plus que la nostalgie.

1. Mais avant d’aller plus loin, définissons rapidement la laïcité, ses modalités d’application et citons quelques uns des droits qui en découlent.

L’unité du laos, selon l’étymologie grecque est celle d’une population dont nul individu ne se distingue des autres par des droits ou des pouvoirs particuliers. Le simple laïc, dès l’époque médiévale, est l’homme du peuple, croyant ou non, distinct du clerc, qui quant à lui est dépositaire d’une fonction repérable dans l’administration du sacré. Le principe laïque d’union du peuple (…) traduit l’indifférenciation des simples « laïcs » en valeurs fondatrices de la Cité : liberté de conscience, égalité de tous, indivisibilité d’un corps politique fondé sur l’identité universelle des droits détenus par chacun. Un tel principe n’est donc nullement contradictoire avec la foi religieuse, puisqu’il construit l’ordre politique en faisant abstraction des positions spirituelles des uns et des autre (…)La liberté de conscience est le premier principe fondateur de la laïcité(…), elle a pour condition que l’État ne soit pas ou plus arbitre des croyances, et qu’il reste à cet égard neutre. Cette abstention correspond à une délimitation propre à l’état de droit. Pas de police des croyances ou de la pensée [5].

Autrement dit, la neutralité qu’implique la laïcité s’impose d’abord et avant tout à l’Etat et à ses représentants qui ne doivent porter en leur politique aucune marque religieuse ou idéologique particulière et assurer à l’ensemble des religions et idéologies une liberté de pratique et d’expression. De ce principe découlent des obligations pour l’Etat et des droits pour les citoyens : l’interdiction de discriminer un citoyen sur la base de son appartenance religieuse ou idéologique, la non ingérence de l’Etat ou de ses représentants dans l’organisation d’une communauté religieuse et corrélativement l’égalité devant la loi, le droit à un enseignement public et gratuit pour tous, la liberté de culte, la liberté pour une communauté religieuse de s’administrer elle-même.

2. L’Etat français, pour servir sa politique, a instrumentalisé cette notion de droit non pas en l’appliquant purement et simplement, ni en la contournant mais en en inversant le principe ( mais l’Etat français est coutumier du fait [6]) :

Les sanctions de la méconnaissance de la laïcité sont désormais appliquées non plus au corps enseignant censé éduquer les jeunes français, mais bel et bien à ces jeunes adultes dont on attend qu’ils deviennent des citoyens attachés aux principes de la République. Ainsi, ce ne sont plus les enseignants qui doivent être laïcs mais les élèves. D’abord, et alors que jusque là l’accès à la profession d’enseignant et l’exercice de cette profession était soumis à une condition de laïcité, on soumet le bénéfice du droit à un enseignement gratuit public et pour tous à la condition de laïcité. Autrement dit, l’enseignement public n’est plus accessible à tous. Ne peut bénéficier de ce droit que celui qui renonce à sa différence. Tous égaux en droit, mais à condition de n’être pas différents ! Ensuite, on permet à des enseignants de discriminer leurs élèves sur la base de leur appartenance religieuse et de les exclure de l’établissement s’ils expriment d’une façon ou d’une autre la religion ou l’idéologie en laquelle ils croient. Autrement dit, les enseignants ne sont plus tenus d’être laïcs, ils sont libres d’opérer des discriminations entre leurs élèves. On pourrait répondre à cela que si on interdit les signes religieux à l’école, c’est justement pour éviter que les enseignants ne se rendent coupables de discriminations (car sachant qui est chrétiens, de qui est juif, de qui est musulman ou communiste, ils seraient plus tentés de discriminés certains). Si l’on craint de tels écarts de la part des professeurs, qu’on exige également de l’ensemble des étudiants de se débrider les yeux, de se blanchir la peau, de christianiser leur nom et prénoms et de changer de sexe pourquoi pas. Tous égaux en droit, mais à condition de n’être pas différents !

La population française, hypnotisée par ce tour de passe-passe qui met la laïcité sens dessus dessous, admet désormais sans coup férir que l’Etat s’ingère dans les affaires religieuses et que l’on exige d’hommes religieux une formation laïque. Peu importe les raisons que l’on avance censées justifier cette manipulation politico juridique, le fait est que l’Etat français a agi de façon illicite alors qu’il se dit être un Etat de droit. On instaure un état d’exception pour gérer l’islam en France et cela n’éveille aucun émoi. Comment l’expliquer ?

II

Le Président de la République, après les attentats du 11 septembre 2001 a appelé les français à ne pas faire d’amalgame entre l’infime minorité de musulmans guerriers et assassins et la grande majorité de musulmans « modérés » et pacifiques. Tout en rappelant cela, il a affirmé sa volonté de lutter contre le terrorisme. On comprend de cette déclaration que l’Etat se fixe pour objectif de préserver la paix entre ses citoyens et ainsi la cohésion nationale tout en luttant contre la menace terroriste.

1. Admettons que les dispositions précitées servent effectivement l’intérêt suprême de la Nation, elles n’en sont pas moins illégales. Le propre de l’Etat de droit c’est qu’il préserve les intérêts des citoyens et de la Nation dans le plus strict respect de la Loi. Autrement, il ne s’agit de rien d’autre que de despotisme à la Machiavel. Tous les citoyens devraient manifester leur contestation. La réaction doit être rapide et massive avant qu’on assiste à une violation systématique de la Loi et que la déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen soit remplacée par un Patriot Act made in France [7].

Mais la France ne réagira malheureusement pas. La France a peur de l’islam et se méfie des musulmans au point d’admettre -comme les américains ont admis [8]– que des principes fondateurs de la République soient bafoués. Cette hostilité à l’égard de l’islam ne date certes pas du 11 septembre 2001, mais le discours et la politique mise en œuvre par l’Etat français ne l’atténue pas, loin s’en faut. En effet, l’objectif qui est d’unir les citoyens français toutes confessions confondues et pas seulement dans la lutte contre le terrorisme mais pour réaliser l’idéal républicain suppose – impose qu’aucune communauté (religieuse ou autre) ne soit et ne se sente mésestimée des autres communautés. Or, les dispositions évoquées (dans la première partie de ce développement) non seulement sont inopérantes à endiguer la montée d’un islam radical, mais surtout aboutissent à exclure la communauté musulmane du reste de la Nation [9].

2. En effet, comment des normes interdisant le port de signes religieux à l’école et exigeant des imams qu’ils se forment à l’université laïque, comment ces normes pourraient endiguer la montée d’un islam violent en France ?

Les extrémismes religieux cesseront-ils de s’exprimer voire d’exister en même temps que disparaîtront les foulards, bandanas, croix et autres kippas de l’école ? Quant aux jeunes musulmanes qui se seront pliées à la loi auront-elles prouvé leur attachement indéfectible à la République plutôt qu’à leur religion ? C’est parce que l’on crée des situations obligeant les êtres à choisir entre deux composantes de leur identité et en leur imposant par la force (y compris par la Loi) un déchirement identitaire que naissent les extrémismes et les violences [10].

Les extrémismes religieux cesseront-ils de s’exprimer voire d’exister en même temps que les mosquées seront investies par des « imams républicains » ? Il n’y a pas de clergé en islam, les imams ne peuvent s’imposer à une mosquée particulière. Il n’y a pas non plus de lieu consacré à la prière rituelle. Si certains refusent de prier derrière un imam -qu’ils pourraient percevoir comme perverti et à la solde d’un « gouvernement islamophobe »- rien ne les empêchera d’organiser dans leurs caves ou dans leurs garages des réunions de prière dirigées par d’autres imams. Plus l’exercice d’une liberté (ici de culte) est limité et contrôlé et plus ceux qui subissent cette limitation vont chercher des espaces où s’exprimer librement. On en reviendra à l’islam des caves d’où a émergé cet islam radical qu’on cherche justement à endiguer !

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Et comment des normes interdisant le port de signes religieux à l’école et exigeant des imams qu’ils se forment à l’université laïque, comment ces normes pourraient assurer et préserver l’unité nationale ?

On attendrait des français qu’ils considèrent leurs concitoyens de confession musulmane comme faisant partie intégrante de la Nation et qu’à ce titre, ils les respectent et oeuvrent ensemble en toute confiance à la réalisation de l’unité nationale. Comment cela se pourrait alors que par les lois scélérates précitées on signifie aux français que l’islam est par essence hors-la-loi, sujet à contrôle et donc à méfiance ?

Quant aux français musulmans, on attendrait d’eux de se solidariser au reste de la Nation, alors qu’ils font l’objet de lois d’exception de diminution de leurs droits et d’exacerbation de leurs obligations comme au temps de l’indigénat sous les colonies. On leur signifie ainsi que si leur statut est inférieur à celui du citoyen non musulman c’est parce que l’Islam est une menace pour la République. Autrement dit, le musulman qui souhaite bénéficier du statut de citoyen plein et entier doit renoncer à son islam. Tous libres et égaux devant la loi à condition de n’être pas différents.

Si l’Etat souhaite sincèrement atteindre les objectifs déclarés (endiguer la montée des extrémismes religieux et réaliser la cohésion nationale), il doit commencer par accepter la différence religieuse de ses citoyens -les ancêtres d’une partie d’entre eux fut-elle indigène sous les colonies. Cette acceptation doit se faire sans compromis, quitte à passer par l’énonciation suivante : « Tous les français sont libres et égaux devant la Loi peu importe le degré d’asservissement et d’infériorité sous lequel la République a placé leurs ancêtres par le passé » [11]. L’Etat français devra également mener une lutte active contre les racismes anti musulmans, que ceux-ci cessent de se sentir mésestimés et exclus. Alors, ils renonceront naturellement à se vouer à d’autres saints et à d’autres autorités que celle de leur Etat et participeront activement à la construction et au progrès de la République.

Viendra un jour où l’on ne s’étonnera plus de la réussite sociale du musulman d’origine immigrée. Ce jour là, on ne lui demandera pas si c’est parce que l’un de ses parents est de souche française qu’il est si brillant. Ce jour là, on ne lui demandera plus s’il se sent plus français que musulman ou plus musulman que français. Fier d’être français musulman, musulman français : une identité entière à laquelle on permet d’assumer sa propre diversité…pourvu que nos représentants respectent la Loi et accordent à l’ensemble des citoyens français le même respect.

Notes :

[1] Dans l’état d’exception, les pouvoirs extraordinaires du pouvoir exécutif, résultent de la suspension du droit, de la mise en veilleuse des mécanismes de protection des libertés fondamentales. Lire notamment L’Etat d’Exception Comme Limite de l’État de Droit de G. Agamben

[2]Le machiavélisme est un mode de gouvernement selon lequel la fin justifie les moyens. Dans Le Prince, Machiavel, l’auteur, indique au Prince par quels moyens gouverner son peuple afin d’assurer et préserver le bonheur de celui-ci, d’éviter le soulèvement et autres calamités qui pourraient mettre en péril le pouvoir du Prince et le bonheur du peuple.

[3] De fait, si les mesures exceptionnelles qui caractérisent l’état d’exception sont le fruit de périodes de crise politique (…) elles se trouvent dans la situation paradoxale d’être des mesures juridiques qui ne peuvent être comprises d’un point de vue juridique, et l’état d’exception se présente alors comme la forme légale de ce qui ne peut avoir de forme légal in L’état d’Exception Comme Limite de l’État de Droit

[5] Principes Fondateurs et Définition de la Laïcité par Henri Pena-Ruiz, Flamarion

[6] Lire les différents articles et réactions suscités par la loi Perben instaurant « un Etat d’exception permanent ». Comme l’a exprimé Stéphane Dhonte, de l’Union des jeunes avocats : normalement, « le code de procédure pénale édicte les obligations de l’Etat vis-à-vis du citoyen. La loi Perben le transforme en un recueil des droits de l’Etat sur le citoyen », autrement dit, on inverse la principe et le contenu de loi de procédure pénale

[7] Le Patriot Act adopté par le Congrès des Etats-Unis porte atteinte à grand nombre des libertés publiques des citoyens américains. On y trouve, notamment, la diminution des droits de la défense, la violation de la vie privée et la diminution du droit à la liberté d’expression

[8] Plus de 360 villes et comtés ont déclaré refuser d’appliquer le Patriot Act.

[9] On peut définir le totalitarisme moderne comme l’instauration, à travers l’état d’exception, d’une guerre civile légale qui permet l’élimination non seulement des adversaires politiques, mais aussi de catégories entières de la population qui semblent ne pas pouvoir être intégrées au système politique in L’état d’exception comme limite de l’État de droit :

[10] Lire, notamment, à ce sujet, les Identités Meurtrières de Amin Maalouf

[11] Comme cela a été énoncé par les Etats-Unis d’Amérique dans leur constitution en son XVe amendement ( ratifié le 3 février 1870) : Le droit de vote ne peut être restreint ou refusé en raison de la race ou d’une condition antérieure de servitude.

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