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Beurette socialiste à vendre

Malek Boutih during the weekly session of questions to the government at the National Assembly, in Paris, France, on January 19th, 2016. Photo : Stephane Allaman/SIPA PRESS/ALLAMANSTEPHANE_1830.47/Credit:Stephane Allaman/SIPA/1601201844

En 2002, on attendait Malek Boutih, président de SOS Racisme, comme secrétaire d’Etat d’un gouvernement de droite. Après avoir longuement hésité, il n’avait refusé que d’un « chouia », car Monsieur voulait un ministère et pas un simple secrétariat d’Etat, le PS surenchérissant sur l’offre droitière en le cooptant du jour au lendemain au secrétariat national du parti « aux questions de société ».

C’est donc finalement une autre « créature exotique » de Julien Dray (porte parole du PS), Fadéla Amara, présidente des « Ni putes ni soumises », qui fait son entrée, en 2007, dans le 2ème gouvernement de l’ère Sarkozy. A croire, qu’aujourd’hui, la politique de la diversité pratiquée par la direction du Parti socialiste consiste principalement à former des « Beurs sur-mesure » pour le compte de la droite. Le PS, « université sécuritaire » pour Beurs et Beurettes en mal de notoriété ?

Une évolution de carrière somme toute logique quand on sait que SOS Racisme et les NPS ont contribué à légitimer ces dernières années un discours catastrophiste et islamophobe sur les banlieues, en totale harmonie avec la rhétorique sécuritaire de Nicolas Sarkozy. Pour comprendre, cette nomination « surprise » – qui, en réalité, n’en est pas une, – la rédaction de Oumma.com a choisi de publier un extrait de l’ouvrage d’Aziz Zemouri et Vincent Geisser, Marianne & Allah, La Découverte, 2007, qui aborde précisément le « cas Fadéla Amara ».

Les créatures exotiques de « Juju » : des antidotes laïques pour « banlieues islamiques »

Malek Boutih, entré à SOS-Racisme dès sa création en 1984, en devient président en 1999 (jusqu’en 2003). Fadéla Amara, l’une de ses proches, est élue à la tête de la Fédération nationale des maisons des potes (FNDMP) la même année. En avril 2003, cette dernière lance officiellement le mouvement des « femmes de quartiers » sous l’intitulé « Ni putes ni soumises ».

En juin, Malek Boutih est nommé secrétaire national du PS chargé des questions de société. Mais au-delà de la similarité des trajectoires et de leurs liens personnels – qui ne présentent guère d’intérêt pour notre analyse –, les deux leaders associatifs sont emblématiques d’une évolution sécuritaire de certains « Beurs socialistes », qui vont être conduits progressivement à instrumentaliser la question de l’islamisation des banlieues à la fois comme cheval de bataille associatif et comme ressource de légitimité individuelle auprès des pouvoirs publics[1].

Dès lors, les deux « protégés beurs du PS » adopteront une posture qu’ils sauront faire fructifier : se présenter comme des « musulmans modérés » – aucun des deux ne déclare d’ailleurs ouvertement son agnosticisme ou son athéisme – pour mieux faire passer leur vision caricaturale et anxiogène de l’activisme musulman dans les quartiers populaires.

Leur discours a d’autant plus de portée auprès des instances dirigeantes du PS qu’ils se présentent comme des « enfants des banlieues », ayant directement vécu la montée de l’islamisme et ses effets ravageurs sur la jeunesse issue de l’immigration – à l’instar de ces élites indigènes sous l’Algérie française qui prétendaient « mieux connaître » leurs coreligionnaires musulmans. Cette problématique de la supériorité-intimité ne renvoie plus au complexe idéologique de l’instituteur socialiste face à son élève musulman, mais davantage à celui de l’indigène éclairé et émancipé par rapport à ses coreligionnaires obscurantistes : j’ai vécu, j’ai vu, je m’en suis sorti et, donc, je suis en droit de vous dire que… les islamistes sont en train de conquérir les banlieues de l’Hexagone.

Un sarkozysme de « gauche » : une vision sécuritaire des quartiers « impopulaires »

Il est vrai que, de manière complémentaire, Malek Boutih et Fadéla Amara ont largement contribué à diffuser et à légitimer dans les instances du PS et chez les sympathisants socialistes une représentation sécuritaire des banlieues françaises qui n’a plus rien à envier désormais aux discours de droite et d’extrême droite. Ainsi Malek Boutih, en mai 2002 : « Les violences, les chambres de torture dans les quartiers : on ne voit pas qu’on a affaire à des barbares, et non pas à de pauvres paumés. Je ne parle pas des adolescents qui traversent une période de trouble. Je parle de ceux qui font profession de leurs actes de barbarie, qui en vivent bien et qui sont assez structurés et intelligents pour jouer sur le sentiment de culpabilité des autorités. On n’a pas voulu voir que des petits Le Pen étaient en train de pousser dans les quartiers[2]. »

En pratique, le discours de SOS comme celui des NPNS aboutissent à renverser la hiérarchie des dangers pour la cohésion nationale et le modèle républicain : à leurs yeux, l’ennemi politique, ce n’est plus le Front national (composé finalement de « bons Français » égarés), mais d’abord les « islamistes » – il faut entendre par là l’UOIF et Tariq Ramadan. Le 6 février 1990, alors qu’il n’est encore que vice-président de SOS-Racisme, Malek Boutih déclare sur TF 1, dans l’émission ludique « Ciel mon mardi » : « L’extrême droite, en France et ailleurs, tous courants confondus, ne représente pas de quoi remplir une cabine téléphonique[3]. » Cécité ou stratégie politique ? Dix ans plus tard, Malek Boutih et Fadéla Amara récidivent en montrant que le « véritable fascisme » n’est pas celui que l’on croit (le FN, le MNR ou le mouvement de Philippe de Villiers), mais, en premier lieu, les « islamistes ».

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On doit notamment à la présidente de NPNS le succès médiatique de la formule du « fascisme vert » pour désigner les nouveaux activistes musulmans dans les banlieues françaises et en particulier les filles portant le foulard islamique : « À propos du voile, affirme-t-elle en 2004, je peux définir trois catégories de femmes qui le portent. Il y a d’abord les filles qui le revêtent pour se protéger de la violence des cités. Il y a ensuite celles qui sont en crise d’adolescence et qui se cherchent une identité. Il y a enfin celles que je déteste : les soldates du fascisme vert, couleur de l’islam [souligné par nous]. Ce sont des femmes cultivées, diplômées et très structurées dans leur pensée. Elles sont des militantes de terrain efficaces, sillonnent les cités, vont chez les familles pour délivrer leur discours. Nous, on est en train de faire la même chose, on passe derrière[4] ! »

Ce reproche d’être « cultivées » adressé à de jeunes Françaises voilées peut apparaître comme contradictoire, sinon paradoxal, dans le discours des NPNS, qui prônent l’émancipation des filles des cités par l’école républicaine. Mais à y regarder de plus près, on retrouve là l’une des ambivalences fondamentales de la gestion indigène ou néo-indigène des « populations musulmanes » : l’émancipation ne peut se faire que selon des normes culturelles et idéologiques préalablement définies par le système dominant. La femme cultivée et universitaire, revendiquant pleinement sa foi et sa pratique musulmanes et, qui plus est, fréquentant régulièrement des organisations islamiques, ne peut être qu’une « rebelle », ou pire, une « apprentie terroriste ».

La suite de l’histoire vous la connaissez désormais : Fadéla Amara a été intronisée par le Roi-Président, Nicolas Sarkozy, et Malek Boutih attend toujours son heure de gloire.

Vincent Geisser, Aziz Zemouri, Marianne & Allah. Les politiques français face à la « question musulmane », La Découverte, 2007, p. 146-48.


[1] Sur les ressorts de l’irrésistible ascension politico-médiatique de Fadéla Amara et des dirigeants de NPNS, voir les révélations de l’enquête de Stéphanie Marteau et Pascale Tournier, Black, Blanc, Beur.La guerre civile aura-t-elle lieu ?, Paris, Albin Michel, 2006.

[2] Malek Boutih, interview dans L’Express, 9 mai 2002.

[3] Cité par Serge Malik, Histoire secrète de SOS-Racisme, Paris, Albin Michel., 1990, p. 174.

[4] Fadéla Amara citée par Céline Boff, « Les “Ni putes ni soumises” ouvrent un bureau à Lyon », Lyon Capitale , n° 463, 11 février 2004.

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