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A quand une réelle approche islamologique ?

Tout débat qui s’enferme et reste le domaine réservé d’un cercle est appelé à devenir stérile. Et, à défaut de pouvoir produire, fautes de paradigmes, de nouveaux concepts élargissant la vision de la chose religieuse, l’on restera, pour toujours, prisonnier d’un état d’esprit statique et malheureusement propice à toutes sortes de divagations. Ainsi, l’on pourrait se demander si les questions religieuses doivent rester l’apanage d’une certaine catégorie de ’spécialistes’ au risque de demeurer intactes tellement la grande masse des intellectuels (non arabisants) les croit intraitables. Il faut, tout d’abord, commencer par une délicate et laborieuse tache de délimitation terminologique pour ce qui est de la distinction entre des spécialités proches par leur contenu, mais différentes par leur méthodologie.

Il est courant, au Sénégal, de confondre les domaines d’intervention de deux spécialistes, ceux du théologien et de l’islamologue. Ainsi, dans le langage des médias et des ’profanes’, on qualifie tout intervenant sur les questions religieuses et les pratiques culturelles d’islamologue. Il serait temps de faire la différence entre ce terme et celui de théologien qui, malgré quelques réserves, serait plus approprié à ces derniers qui nous éclairent sur la prière, la zakat et les autres piliers de la religion musulmane.

On peut dire, dans ce sens, que le théologien est celui qui, par son érudition religieuse et sa formation, arrive à produire, non pas des réflexions, mais une interprétation ou une lecture in doxa de la religion à laquelle il appartient, dans le cadre défini d’une école juridico-légale de celle-ci. L’islamologue qui, au contraire, peut ne pas être ’religieux’, c’est-à-dire laïc ou même athée, vise par une approche, en principe objective et donc détachée, à émettre des réflexions, des hypothèses, des questions philosophiques, culturelles et civilisations de son message. N’est pas donc forcément islamologue celui qui traite les questions ayant trait aux pratiques cultuelles (ablution, prière, zakat, ramadan…) comme ne sera pas forcément musulman le spécialiste qui nous apprendra d’intéressantes choses sur l’islam, son histoire et ses écoles juridico-politiques.

Mais, on pourrait penser que ce malentendu terminologique n’a pas que des fondements linguistiques. Il va au-delà et s’explique par une certaine perception que le musulman sénégalais a du rapport congénital entre la langue arbre, ses locuteurs et le message coranique, pour ne pas dire l’islam en général. A force de faire le lien, il est vrai intrinsèque, entre la langue arabe et le texte coranique, le musulman noire africain finit par sacraliser tout locuteur de la langue du dâd.

Le Coran est un livre dont la langue d’expression est l’arabe, mais tout ce qui est écrit en arabe (poèmes d’amour d’Imru’ul Qays, d’apologie du vin d’Abû Nawws, les thrènes d’Al Khansâ, etc.) ne devient par forcément partie intégrante du message de l’islam. Il est encore courant qu’une bonne partie des musulmans sénégalais voit en tout spécialiste de la langue arabe un guide éclairé en matière religieuse. De même, tout originaire d’un pays arabe peut être considéré, par certains, comme porteur de la ’baraka’ et devient, du coup, objet de vénération.

Cette vision pousse à négliger la plus grande production scientifique sur l’islam redevable, pour beaucoup, à des non-musulmans, islamologues de formation. On pourrait citer, à ce propos, en ce qui concerne les études sur l’islam en Afrique, Paul Marty, Vincent Monteil (qui s’est finalement converti à l’islam), Guy Nicolas, Christian Coulon et même Jean Copans. Dans le domaine de l’islamologie en général, nul assoiffé de connaissances valides, de mûres réflexion, ne saurait se passer de Louis Massignon, du Père Henri Laoust, de Régis Blachère, de Jacques Berque, de Maxime Rodinson, de Bernard Lewis (malgré ses quelques errements), d’Olivier Mongin et des principaux animateurs de la revue Esprit, en France. On pourrait faire de même pour les études arabes en ce qui est de l’apport de Charles Pelat et surtout de l’allemand L. Brocklemenn, l’auteur de l’incontournable Geschichte der Arabischen Littérature, traduit dans plusieurs langues.

Pour mieux étayer cela, il n’y a qu’à se pencher sur le cas de l’Encyclopédie de l’islam (éditée à Leiden) et remarquer la prédominance des articles venant de non-musulmans. Il est vrai qu’il persiste un débat houleux, passionnant mais aussi, malheureusement, passionné autour d’une sélection orientée d’auteurs ’recommandables’ pour le ’bon musulman’. Nous dirions que ce débat, qui ne l’est finalement que de nom, penche plus vers l’idéologie et le dogme, deux concepts aux antipodes de la science qui prône l’objectivité dans la démarche. Nous voulons parler de cette manie de considérer ipso facto comme détracteur tout auteur non-musulman s’intéressant à l’islam.

Une telle attitude est non seulement nuisible à la science dont l’universalité et l’ouverture font la force, mais, qui plus est, favorise le parti pris et vide de son sens l’islamologie qui n’est point synonyme de théologie ? On se focalise finalement plus sur la source qui peut être orientée que sur les modes d’acquisition de la science, elles, universellement admises. Ainsi, un certain manque d’honnêteté intellectuelle pousse quelques-uns dans des positions intéressées jetant l’anathème sur toute la production scientifique de ceux communément appelés orientalistes, al-mustashriqûn, dans le jargon des arabisants.

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Ce qui est étonnant est que les tenants d’une telle thèse n’hésitent pas aujourd’hui, avec le développement des Ntic, à utiliser, lorsqu’ils y trouvent leur compte, les moyens techniques d’où qu’ils viennent (CdRom Coran) ou encore le système de correspondance des datations grégoriennes et hégiriennes mis sur pied par ces mêmes orientalistes.

L’intérêt pour l’islam, avec son riche passé culturel et civilisationnel, devrait faire de sorte que la passion pour la recherche prime sur celle des querelles idéologiques. Il serait dommageable que la vision étriquée fournie par une pseudo-islomologie orientée nous fasse passer à côté de l’énorme richesse. Aujourd’hui, cette vision favorise le manque d’ouverture de ’spécialistes’ ou de ’représentants’ par la suite imputée injustement à l’islam. Ce qui fait que cette pluralité, cet esprit de tolérance et d’ouverture qui ont marqué l’âge d’or et les siècles brillants de l’islam échappent à la plupart des musulmans. Ces derniers sont peu, aujourd’hui, à être au diapason de la largesse d’esprit d’un Averroès (Ibn Rusd) qui, dès le Moyen Age, avait initié le grand débat sur la question de la comptabilité ou non entre foi et raison, au moment où les Almohades (almuwahhidûn) éclairaient l’Europe musulmane qui ne pensait pas encore à sa Renaissance. Il n’y a qu’à remarquer le nombre de versets du Coran finissant par ’ceci s’adresse aux gens qui réfléchissent’ (liqawmin yatafakkarûn) ou ’ceci s’adresse aux doués de raison’ (ûlul albâb), pour se rendre compte de la prédisposition propre à l’islam à accepter la réflexion et le discernement. Pourtant, l’esprit de l’islam, contrairement aux idées reçues, va plutôt vers l’universalisme et l’ouverture que vers toute forme d’exclusion en matière scientifique. N’est-il pas attribué au Prophète Muhammad (Psl) ce hadith : ’Allez à la recherche de la science même jusqu’en Chine’ ? Le moins averti des musulmans peut savoir qu’à cette époque du VIIe siècle, cette partie du monde était vide de toute population musulmane.

Mais au moment où tout le monde scientifique opte ou tend vers l’interdisciplinarité, persiste encore une catégorie de ’spécialistes’ de questions religieuses qui s’enferme dans le carcan d’une dogmatique vision des choses. Pourtant, l’histoire, la sociologie ainsi que la philosophie seraient, aujourd’hui comme toujours, d’un apport inestimable pour comprendre les faits fondateurs de l’islam, objet central de l’islamologie et parfois – peut-être à tort -loin des préoccupations du simple théologien.

S’enfermer dans la lettre des messages religieux en tuant l’esprit reviendrait à réduire la religion à une vague somme d’ordres et d’interdits. Une telle vision simpliste dépouille l’islam que l’on voulait ainsi défendre et purifier, de son essence et la rendrait en porte à faux avec l’environnement socio-politique et existentiel de ses adeptes. Seule une réelle approche islamologique et non seulement théologique pourrait aider le musulman à se retrouver dans un environnement de plus en plus complexe et trouver les réponses espérées dans son système de valeurs.

Les grands personnages de l’islam sénégalais avaient, pourtant, compris cet aspect en prônant une adaptation sociologique du religieux autour duquel, par le biais des confréries, se sont élaborés de véritables projets de sociétés. Au moment où même la science politique, naguère enfermée dans le juridique qu’elle croyait suffisant pour analyser et comprendre les institutions, fait appelle aux méthodes psychologiques, il n’est plus raisonnable ou raisonné que l’étude des religions n’emprunte pas leurs paradigmes aux autres sciences humaines et sociales.

Toute volonté d’isoler les sciences islamiques et surtout d’en faire le pré-carré d’une certaine élite finira par en détourner l’intérêt des fidèles. A force de trop les spécifier par rapport aux autres objets scientifiques, on les condamnera, faute d’ouverture, à l’obsolescence. Et l’islam, synthèse de civilisations et de cultures allant de l’Atlantique à la Mer de Chine, se trouvera réduit à une pure idéologie, à un système aux éléments confus et à la réalité mutilée. Ainsi se trouverait-on dans une situation aussi amère que la production d’effets indésirables par un usage de remèdes inadaptés.

La théologie est indispensable au fidèle pour raffermir sa foi et pratiquer sa religion, mais l’islamologie avec la diversité d’approche et l’interdisciplinarité qu’elle exige, peut l’aider à mieux comprendre l’islam qui n’est point une simple somme de pratiques culturelles, d’ordres et d’interdits.

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