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Carnet américain – En attendant la victoire

Dans cette attente entre les deux primaires, celle du Texas il y a quinze jours et celle de Pennsylvanie le 22 mars, on aurait pu croire que les choses pour Barack Obama se seraient passées comme dans un pot au noir, où en naviguant à vue on allait quand même s’en tirer. Mais le moment de traversée monotone, où, faute de vraie campagne, l’on repasse ses troupes en revue, s’est transformé en nouvelle raison de lutter. Pas contre Hillary Clinton, plutôt contre soi-même.

Il y a eu l’affaire du pasteur Wright. Un homme qui, à la tête d’une église à Chicago depuis plus de quinze années, se retrouve soudain au coeur d’une polémique prétendument raciste. C’est aussi ce pasteur qui a marié Barack et Michelle Obama, et qui compte parmi leurs proches amis. On impute au pasteur des propos tendencieux contre les blancs et contre la patrie, tout du moins aux yeux des conservateurs qui font la pluie et le beau temps à la radio et sur Fox News. Il s’agit de quelques clip vidéos qui repassent en boucle sur internet et sont censés résumer la pensée dudit pasteur. La manipulation n’est pas inhabituelle de la part la machine de guerre républicaine. Elle prend pourtant une autre dimension lorsque c’est le séanteur candidat que l’on vise à travers M. Wright.

Voici un exemple de la tonalité des sermons de ce pasteur. Cinq jours après les attaques terroristes de septembre 2001, il déclamait dans son église : « A Hiroshima, à Nagasaki, nous avons bombardé avec des armes nucléaires en tuant bien plus que les trois mille victimes de New York et du Pentagone, et cela sans ciller. Nous soutenons le terrorisme d’État contre les Palestiniens, avant contre les noirs d’Afrique du Sud, et aujourd’hui nous jouons les indignés parce que les saloperies que nous faisons à l’étranger nous reviennent en pleine g… » L’accusation porte moins sur la vue pragmatique et nette de la politique étrangère américaine exprimée par Wright, qu’une espèce d’indécence de la part d’un homme de foi, qui plus est, en lieu et place du deuil de ses compatriotes.

Plus récemment le même pasteur a déclaré qu’Hillary Clinton ne comprenait rien au racisme parce que jamais dans sa vie elle ne s’était fait traiter de « nigger ». Peut-être vrai mais tellement inexact à la fois, si l’on prend en compte le fait que des centaines de milliers de blancs ont participé, parfois au prix de leur vie, au mouvement pour les droits civiques. On le voit, on est en pleine illusion d’optique. La passion identitaire africaine américaine, presque essentialiste, masque des valeurs dégradées au coeur même de l’héritage blanc, à savoir le christianisme.

Il y a un mois encore on reprochait à Obama d’être une sorte de cinquième colonne islamiste du fait de son prénom, Hussein, ou de sa scolarité dans une école primaire musulmane en Indonésie. Aujourd’hui le soit-disant mérite des attaques tendrait à indiquer qu’Obama est un chrétien trop fervent, ou peut-être privé de sens critique face à un pasteur qui dénonce le racisme blanc sans méthode ni intégrité. Or le fameux racisme américain, s’il divise, il unifie tout autant. C’est dans les églises, justement séparées, que chaque dimanche on règle ses comptes. La seule différenciation qui joue ne ressortit pas au statut socio-économique mais bel et bien à l’appartenance ethnique. Les blancs prient leur Jésus blond aux yeux bleus. Les noirs, eux, s’inclinent d’eux-mêmes devant le mythe du peuple élu qui un jour connaîtra la fin de la servitude.

Même s’il existe une classe bourgeoise noire florissante, et si la majorité des blancs n’est pas raciste, la force du péché originel américain est irrépressible. C’est dans la sphère du spirituel que réside la substance la plus intime des relations inter-ethniques, car elle impose un devoir de reconnaissance tout autant que de résistance. Devant Dieu, à l’église, on pose le principe négatif que le noir aux États-Unis demeure exploité, que les chaînes ne sont plus de métal mais économiques, que les prisons ont remplacé les plantations, ou que la drogue et le sida sont les nouveaux instruments de soumission. Si les africains américains représentent 12% de la population, ils sont 54% de la population carcérale, dont 70% d’entre eux ont moins de 35 ans.

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Le sida affecte trois femmes noires pour une blanche. D’aucuns parleront de discours de victimologie puisque le raisonnement militant noir emprunte les voies de la lutte abolitionniste d’il y a deux siècles. Les faits sont têtus il est vrai, mais en politique le nécessaire n’est pas toujours le possible. Obama sait très bien qu’il ne peut pas abattre sur la table toute la réalité socio-économique des ses frères noirs. Son programme est conçu à l’image d’un mouvement national. Ainsi la formule politique d’Obama correspond-elle et rattache-t-elle au sol plutôt qu’à l’identité.

Dans sa réponse à ceux qui ont voulu diffamer sa réputation, ne serait-ce que par délit d’association au pasteur Wright, Obama s’est clairement démarqué. Pour lui il n’est pas question d’entrer dans cette problématique où l’on substitue une haine à une autre. Quand certains, surtout dans le camp de Clinton, l’attendaient sur la corde raide du racisme aux États-Unis, Obama s’est exprimé en faveur d’un pouvoir de rassemblement, qui fait des communautés des communautés d’action. Il faudrait en quelque sorte en finir avec le tribalisme, noir et blanc, et laisser le peuple mettre en action sa responsabilité en escomptant le moins possible du gouvernement. Éliminer donc la victimologie tout autant que le paternalisme. C’est ce caractère offensif du discours d’Obama qui a souligné combien il avait réfléchi au préalable à la question du racisme, et qu’il n’accepterait jamais de se laisser enfermer dans cette dialectique de l’Histoire et de l’identité.

Ce qu’Obama n’a pas fait est de s’excuser au nom de son pasteur. Bien entendu les conservateurs, républicains comme démocrates, ont pensé faire leur pain blanc de cette omission. Très vite pourtant, les accusations ont fait long feu parce qu’elles semblaient s’inspirer de la caricature du blanc qui fait parler le noir comme il l’entend. Le syndrome de la case de l’oncle Tom. Hillary Clinton a rongé son frein en silence car le scandale n’a donc pas eu lieu. Obama la devance toujours dans le nombre de délégués comme dans les sondages. Quand à McCain il s’est remis à son exercice pseudo-présidentiel, à travers sa tournée au Proche-Orient et en Europe. Il a réitéré sa profonde amitié pour Israel et a trouvé le moyen de gaffer lorsqu’il a déclaré qu’al-Qaeda recevait le soutien du régime iranien.

Il est vrai néanmoins qu’Obama n’a pu conjurer tous les effets négatifs de cet incident qui, sous des dehors politiciens, touche à l’âme américaine. Sa côte de popularité s’est tassée. Ceux qu’il n’a pas convaincus après son discours sont ceux qui n’auraient jamais voté pour lui, soit parce qu’il est démocrate soit parce qu’il est noir. Reste les deux groupes démocrates constitués des femmes blanches et des personnes âgées qui est toujours aussi volatile et pas encore structuré comme un bloc d’électeurs acquis à la cause d’Obama. Ce dernier est lucide et commence de percevoir les limites de son unitarisme de star montante.

En parant aux embûches des idéologies inter-ethniques, Obama s’est en quelque sorte aguerri. Il a démontré que ses positions ne seraient empruntées à personne et que lui seul justement possédait ce talent de renforcer la cohésion nationale à l’heure où la crise économique américaine n’a jamais été si prononcée, et que la politique étrangère a touché le fond avec en particulier le cinquième anniversaire de l’occupation de l’Irak. Déjà trois super-délégués d’influence, Al Gore, Nancy Pelosi la présidente de la Chambre des représentants, et Bill Richardson ancien ambassadeur aux Nations Unis, ont fait savoir leur préférence pour Obama. Tandis qu’Hillary Clinton vit son labeur électoral comme un dû politique, Barack Obama, lui, continue de prouver que le talent ne se conquiert pas, il se révèle.

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