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Carnet américain – L’heure de vérité pour Obama ?

La nouvelle victoire de Hillary Clinton, en Pennsylvanie cette fois-ci, après l’Ohio et le Texas le mois dernier, risque de changer la donne de la course à l’investiture démocrate. Non pas que la sénatrice se place désormais en première position devant son adversaire, Barack Obama, ni qu’elle jouisse d’un soudain avantage financier dans son budget de campagne même si, selon son QG, elle aurait reçu dix millions de dollars de dons au cours des vingt-quatre heures qui ont suivi l’annonce de sa victoire.

En vérité, là où Clinton a marqué des points, c’est en termes d’impression faite sur l’électeur et dans la machine politique nationale. Les superdélégués, eux, sont aussi sensibles à la donnée comptable qu’à la nouvelle situation qui voit Clinton faire mieux que survivre à chaque primaire, même l’emporter dans les États les plus peuplés (la Californie, New York, le Texas) ou dans les États qui sont la clé de la victoire (l’Ohio, la Pennsylvanie, peut-être la Floride). Sans doute, avec ce nouveau succès, a-t-elle réactualisé un charisme et une autorité qui lui faisaient défaut depuis le début de cette désormais longue course.

Obama, lui, continue de dominer tant par le nombre de délégués acquis à chaque scrutin (une avance de prés de 150) que par son son budget quasiment deux fois supérieur à celui de la sénatrice de New York. Les experts, toutes tendances confondues, le donnent toujours gagnant. Pas étonnant que McCain dirige ses attaques contre Obama, en ignorant royalement Clinton. Pourtant compte tenu du résultat de la dernière primaire en date, on ne peut s’empêcher de penser que quelque chose s’est produit, un sentiment qui transcende la réalité des chiffres.

Tout d’abord rappelons que la durée de cette campagne n’a rien d’exceptionnel. En 1992, Bill Clinton n’a décroché l’investiture démocrate qu’en juin, de plus tous les sondages le plaçaient derrière son adversaire républicain, George H. Bush. Rien donc qui ne serait banal dans la présidentielle de 2008, si ce n’était que pour la première fois dans l’histoire des États-Unis le candidat d’un des deux grands partis sera soit une femme blanche soit un homme noir. Outre ce phénomène d’historicité et de rupture, il faut souligner que Hillary Clinton et Barack Obama sont deux prodigieuses bêtes politiques.

On le voit bien ici avec un noir, juriste renommé, pressenti comme futur juge à la Cour Suprême, adoubé par la tribu patricienne des Kennedy, et en face, une femme dont les efforts et l’ambition n’ont rien à envier au plus tenace de ses homologues masculins, ne serait-ce que par son talent à s’être parachutée dans l’État de New York et à y avoir remporté la sénatoriale deux fois. Au moment où la question ethnique recouvre, sans lui donner aucun concept, une singularité à la fois discriminatoire et démocratique, Obama refuse de jouer cette carte.

Ainsi lors de la commémoration du quarantième anniversaire de la mort de Martin Luther King, le 4 avril, Obama a-t-il pris ses distances, en arguant de la dimension nationale et non communautaire de l’évèvnement. Clinton, elle, réagissant à la méfiance d’une partie de la classe moyenne blanche généralement centriste, les fameux « Reagan Democrats », y va de sa posture machiste. N’a-t-elle pas déclaré, dernièrement encore, que si l’Iran attaquait Israel alors qu’elle serait présidente, elle donnerait l’ordre de rayer de la carte par leu feu nucléaire la nation chiite.

l semble donc qu’avec le vote en Pennsylvanie la campagne électorale démocrate ait fait un détour, sinon pour éclairer du moins pour situer un problème. Du simple point de vue mathématique, Hillary Clinton n’aura pas assez de voix pour prétendre recevoir la majorité des délégués lors du congré du parti en août. Nonobstant son pactole de délégués déjà engrangés, Barack Obama donne des signes de fatigue. Est-ce une réelle baisse de régime, ou bien serait-ce là un symptôme qu’il peine à être un vrai rassembleur ? Relève de cette question son appartenance ethnique, comme l’illustrent des sondages persistents selon lesquels environ 30% des électeurs qui se reconnaissent dans le programme démocrate ne se sentent pas prêts à voter pour un candidat noir à la présidentielle.

On imagine que, lors du scrutin national en novembre, la ligne de partage sera encore plus marquée chez l’électeur républicain, plus conservateur et circonspect sur tout ce qui touche aux discours et à la visibilité des minorités, noirs et latinos en particulier.

Plus inquiétant encore, prés de 30% des électeurs de Clinton déclarent que si le choix en novembre devra se faire entre Obama et McCain, ils voteront pour ce dernier. Des clivages commencent donc à apparaître. Certains s’inscrivent depuis le début de la campagne dans une espèce de partage démographique. Par exemple, Obama reçoit en moyenne 70% des voix des moins de 30 ans, alors que 60% des seniors reportent leur choix sur Clinton.

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Il y a aussi une distinction sociale de plus en plus insistante, et cela pas forcément à l’avantage d’Obama. A une écrasante majorité, les diplômés du supérieur votent pour ce dernier, mais Obama n’accroche toujours pas avec la classe ouvrière et le monde rural. On l’a clairement vu dans l’Ohio, en Pennsylvanie, et peut-être encore le 6 mai dans l’Indiana. Or depuis Reagan, aucun candidat n’a accédé aux fonctions suprêmes de l’exécutif sans gagner dans l’Ohio et en Pennsylvanie. États pivots s’il en est, qui recoupent tous les paradigmes socio-économiques, culturels et ethniques nationaux.

Une des accusations récurrrentes à l’endroit d’Obama est qu’il passe aisément pour un élitiste, ce qui dans le jargon culturel américain signifie que c’est un intellectuel. Faille politique dans un pays qui se targue d’être la terre du commun des mortels, pragmatique de préférence, et surtout pas cérébral. Chacun se souviendra qu’une des raisons du succès de George W. Bush en 2004 est qu’il était à l’image « du type avec qui on prendrait une bière », tandis que John Kerry présentait « la tare » d’être francophone et francophile. Quoiqu’on en pense, la diversité américaine ne fait pas la part belle au cosmopolitisme, intellectuel ou autre.

Il faut aussi ajouter que les couacs de campagne finissent par établir une typologie. Clinton prend des libertés avec la vérité et voit midi à toutes les pendules. Et Obama devient à son corps défendant un candidat noir qui a bien réussi mais devra faire ses preuves. Ce que l’on est en train de découvrir au cours de ces mois de campagne pour l’investiture est qu’il s’installe dans la psyché américaine deux raisons : la raison des faits et la raison de la fiction.

D’un côté, la nation dans son écrasante majorité en a soupé des deux mandats de Georges W. Bush, et la perspective d’un autre républicain qui paraît vouloir suivre le programme de l’hôte de la Maison Blanche (maintien de l’occupation américaine en Irak, nouvelles réductions fiscales alors que le budget est exsangue et le pays endetté jusqu’à la fin du siècle, aucun engagement pour la protection de l’environnement, etc.). D’un autre côté, l’Amérique aime à se convaincre qu’elle est prête pour se choisir un président noir. Cette positivité politique repose en fait sur un refoulement. On voit bien, qu’alors que les échéances se précisent, l’idée d’un noir à la Maison Blanche n’est plus aussi manifeste, disons intelligible. Sans compter que les républicains n’ont pas encore ouvert le feu sur Obama.

Ce qui fut tout l’enjeu de la campagne de 2008 semble se soustraire à une sorte de soupçon. Quand Hillary Clinton, et certains médias, demandent à voix haute si Barack Obama est prêt pour assumer les responsabilités de commandant en chef, le message consiste à proclamer qu’il faut regarder au-delà de ce sentiment de bonne conscience qui fait croire que la société américaine aurait enfin cessé d’être raciste. Pour ne pas arranger ses affaires, Obama s’avère être peu convaincant sur les questions économiques, ce qui l’handicappe à l’heure où les Americains s’inquiétent de l’inflation, de la crise des hypothèques, de la faiblesse chronique du dollar, de la flambée des cours du pétrole et celle des matières premières alimentaires.

La guerre en Irak est passée au second plan. Bref, alors que la crise se précise, l’électeur ressent le besoin de trouver une valeur refuge dans son candidat. Quoique Hillary Clinton n’ait rien de nouveau à proposer, qui soit éloigné du programme d’Obama, elle est blanche et son nom est associé à la Maison Blanche des années 1990, période durant laquelle le pays était en paix, vivait dans la prospérité et les surplus budgétaires.

Pour le moment il n’y a pas le feu au lac en ce qui concerne la campagne d’Obama. Les deux points qu’il doit néanmoins corriger au plus vite sont l’indifférence de l’électorat populaire à ses idées et discours, et ne pas se laisser enfermer dans l’agencement fictionnel selon lequel il serait à la fois le noir qu’une nation fracturée attendait et le noir que l’inconscient collectif ne peut toujours pas accepter. C’est beaucoup pour un seul homme, mais jusqu’à présent Obama a réussi à prouver qu’à rebours de la discrimination il y avait la distinction.

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