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Un médecin suisse émet des doutes sur le suicide d’un prisonnier de Guantanamo

Le Yéménite Ahmed Ali Abdullah, prisonnier à Guantanamo depuis quatre ans, est décédé dans sa cellule le 10 juin 2006. La même nuit, deux autres détenus, les saoudiens Yassir Talal Az-Zahrani et Mani Shaman Al-Utaybi, sont morts dans les mêmes circonstances. Les autorités américaines affirment aussitôt que les trois hommes se sont suicidés par pendaison. A la demande de l’ONG Alkarama for Human Rights, le professeur Patrice Mangin, de l’Institut de médecine légale de Lausanne, a examiné le corps du Yéménite. Il émet de forts doutes sur la cause du décès.

Rappelons les faits. Les autorités américaines annoncent que trois prisonniers se sont pendus dans leurs cellules à l’aide de draps et de vêtements. Ils sont les premiers morts de Guantanamo, cette base navale américaine située à l’extrémité sud-est de l’île de Cuba. L’amiral Harry Harris, qui dirige cette prison, occupée par 460 détenus, déclare : « Pour eux, la vie n’a pas de valeur, ni la nôtre, ni la leur. Je crois que ce n’était pas un acte de désespoir, mais un acte de guerre asymétrique nous visant ». Il précise que l’un des détenus était un cadre d’Al-Qaïda.

A la même époque, en juin 2006, Oumma avait interrogé le Français Nizar Sassi, un ancien de Guantanamo, où il avait été interné pendant 30 mois. « Les tentatives de suicide y sont très fréquentes, mais habituellement elles n’aboutissent pas car nous sommes surveillés en permanence par des gardiens. Les Américains arrivent presque aussitôt pour détacher les pendus. Comment voulez-vous vous dissimuler lorsque vous êtes enfermé dans une cage de 2 mètres sur 1,80 mètre ? », nous déclarait-il. D’autres témoignages vont dans le même sens : il ne se passe jamais plus de 2 à 5 minutes sans qu’un gardien ne passe devant une cellule. Or, il faut au moins 2 minutes pour installer le matériel (draps ou vêtements servant de corde). Et un décès par pendaison prend au moins 3 minutes.

Les trois corps sont autopsiés à l’intérieur du camp par une équipe médicale militaire américaine, puis, après plusieurs jours, rapatriés et remis à leurs familles en Arabie Saoudite et au Yémen. La famille d’Ahmed Ali Abdullah ne croit pas au suicide et demande à l’ONG Alkarama for Human Rights, active dans les pays musulmans, et qui siège à Genève, d’organiser une seconde autopsie médico-légale. L’ONG mandate une équipe médicale dirigée par le professeur Patrice Mangin de l’Institut de médecine légale de l’université de Lausanne. La nouvelle autopsie a eu lieu le 21 juin 2006 (11 jours après le décès) à l’hôpital militaire de Sanaa, au Yémen.

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Le médecin suisse a rendu ses conclusions le 2 mars 2007 lors d’une conférence au Club suisse de la presse à Genève, en compagnie de maître Rachid Mesli d’Alkarama for Human Rignts, et du docteur Haytham Manna, de l’Arab Commission for Human Rights. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le mystère des “suicidés“ de Guantanamo reste entier. « Il y a eu asphyxie, donc la thèse du suicide est possible, mais ce n’est pas la seule », souligne le professeur Patrice Mangin. En effet, certaines parties du corps et certaines informations vitales manquent. En clair, l’équipe américaine, conduite par le docteur Craig T. Mallak, qui a pratiqué la première autopsie, n’a pas remis les organes des régions du pharynx, du larynx et de la trachée. « Or, les pièces anatomiques au niveau du cou sont les plus importantes à examiner en cas de pendaison », déplore le médecin suisse.

Par ailleurs, il a observé les traces d’un sillon au niveau du cou qui n’est pas totalement compatible avec la thèse avancée par les autorités américaines, à savoir une pendaison à l’aide de draps ou de vêtements. « Des ecchymoses sur le dos de la main droite pouvaient faire penser à des ponctions par voie veineuse. Il y avait des lésions des dents et de la bouche. Et chose incompréhensible, les ongles des mains et des orteils étaient coupés à ras », s’étonne le professeur de médecine légale de Lausanne dans une interview accordée au quotidien genevois « Le Temps ». Le 29 juin 2006, l’ONG Alkarama for Human Rights adresse une lettre aux autorités de Guantanamo afin de leur demander des éclaircissements. Comment ont été découverts les corps ? Les moyens de pendaison ? Dans quel état sont les organes manquants ? Y-a-t-il eu des manœuvres de réanimation ? La missive est restée sans réponse.

« Ce que je trouve à la fois honteux et regrettable, c’est que même s’il n’y a pas à priori de raisons de douter de la thèse du suicide, on ne nous a pas donné accès à toutes les preuves qui permettraient d’étayer cette thèse », déplore le docteur Patrice Mangin. De son côté Rachid Mesli, le directeur juridique d’Alkarama for Human Rights, rejette catégoriquement la thèse du suicide. Il compte transmettre le dossier des présumés suicidés de Guantanamo aux Nations Unies. Quant à la famille du Yéménite (il était âgé d’une trentaine d’années), elle a l’intention d’ouvrir une action en justice aux Etats-Unis afin de tenter de faire la lumière sur les circonstances exactes de la mort d’Ahmed Ali Abdullah.

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