Sainte alliance. L’essayiste Caroline Fourest et le Courrier de l’Atlas ont décidé de faire cause commune pour « batailler » contre les « intégristes arnaqueurs » du parti tunisien Ennhada. Décryptage d’un tandem de choc.
Elle est en guerre. Réputée pour sa lutte permanente contre « l’intégrisme » musulman, Caroline Fourest a trouvé un nouveau champ de bataille : la Tunisie. A l’occasion de la préparation des élections d’une Assemblée constituante, la journaliste militante s’est récemment immergée -durant trois jours- dans la société tunisienne pour traquer la bête immonde. Le Courrier de l’Atlas -mensuel français spécialisé dans l’actualité du Maghreb- a couvert « en exclusivité » le « reportage » de « l’intellectuelle engagée et journaliste d’investigation ».
Ce bref séjour aura permis à la chroniqueuse régulière du Monde de publier, le 14 octobre, un article sobrement intitulé « La Tunisie joue sa liberté ». Elle y déplore notamment que presque tous les partis « semblent avoir renoncé à mener une bataille sémantique capitale : éviter que l’islam apparaisse comme la religion de l’Etat tunisien ». De plus, elle ne manque pas de fustiger les militants d’Ennhada, qualifiés de « maîtres dans l’art du double discours, (des)”Démocrates” quand ça les arrange mais à l’affût pour poser, ici ou là, des formulations “théocrates” dans la Constitution ». Sa critique du parti de Rached Ghannouchi était déjà virulente en 2009 : dans un papier consacré au sociologue Vincent Geisser, Caroline Fourest mettait alors en garde contre Ennhada, assimilé aux Frères musulmans, Tariq Ramadan et à l’UOIF. Une technique d’amalgame-peu soucieuse des différences politiques et religieuses- qu’elle continue de pratiquer en comparant, dans un billet paru lundi sur son blog, le parti victorieux des élections tunisiennes au Front national de Marine Le Pen.
Tous « orientés » sauf elle
Le lendemain du jour J, après avoir, confesse-t-elle, passé la journée « à combattre la naïveté » des « commentaires ambiants », Caroline Fourest se dit réjouie qu’Ennhada « doive composer » et que son « pouvoir de nuisance » puisse être ainsi compromis. « Tout reste possible » conclut-elle, « à une condition : ne jamais croire les islamistes sur parole ». La veille, l’essayiste jugeait encore insuffisante l’inquiétude -pourtant abondamment exprimée- de la presse française, allant même jusqu’à évoquer une « ligne diplomatique » et des « experts orientés ». A l’instar d’un Christophe Barbier de l’Express -l’homme qui préférait « Ben Ali aux barbus », elle critiqua la comparaison de certains éditorialistes optimistes avec l’AKP turque.
Une telle diabolisation à outrance d’Ennhada-un parti essentiellement composé de pragmatiques et d’ultra-conservateurs– a également été pratiquée par d’autres médias tel Marianne : la journaliste Martine Gozlan évoque ainsi « la chronique masquée des détrousseurs de révolution » pour qualifier la popularité pourtant croissante et significative –y compris auprès des Franco-Tunisiens– de la mouvance dirigée par Rached Ghannouchi.
A l’inverse, la presse américaine -comme l’illustre le quotidien emblématique du New York Times– affiche moins de catastrophisme. De même en va-t-il du Council on Foreign Relations-un puissant think tank proche des centres de pouvoir en Amérique et en Europe, qui évoque la victoire électorale d’ « islamistes progressistes ».
Le parti a fait connaître en ligne l’intégralité de son programme et s’est engagé à respecter les droits civiques, notamment ceux des femmes et des minorités. Ses responsables ont également dénoncé les violences exercées –entre autres par des salafistes– à l’encontre du personnel de la chaine Nessma, suite à la diffusion du film « Persepolis ».
Ces éléments n’atténueront la volonté-confessée par Caroline Fourest au Courrier de l’Atlas– de « batailler ». Missionnaire tout-terrain de la laïcité, elle avait déjà abordé -au lendemain de la chute de Ben Ali- le cas tunisien lors d’une conférence organisée par une association maçonnique -la Grande Loge de France. La commentatrice y révélait pourtant (à 8’10) n’être allé qu’une seule fois, de toute sa vie, sur place.
Chose intéressante, l’essayiste fut accompagnée lors de son « reportage » en Tunisie par un membre du Courrier de l’Atlas. L’homme qui l’interroge dans la vidéo mise en ligne par le mensuel franco-maghrébin se nomme Seif Soudani. Professeur de langue et de littérature française à l’Université de Tunis, l’interviewer-vidéaste amateur est également un collaborateur de la Règle du Jeu -la revue de BHL- ainsi que de l’Arche, un média communautaire juif dans lequel il publia un article-réquisitoire et truffé d’erreurs factuelles contre le président iranien.
Fantassins neocons du web
Le rédacteur est également un proche de Tristan Mendès France, un célèbre bloggeur qui a interviewé – conjointement avec le Courrier de l’Atlas– le porte-parole du ministère tunisien de l’Intérieur. Petit-fils du Président du Conseil à l’origine de l’indépendance de la Tunisie, l’homme s’est surtout fait remarquer -du moins sur Internet- pour sa lutte contre les « trolls antisionistes » et les « théoriciens du complot ».
Un combat contre le « conspirationnisme » partagé par Seif Soudani : celui-ci a collaboré également avec Conspiracy Watch -un site animé par Rudy Reichstadt, membre de la revue néoconservatrice Le Meilleur des Mondes- et destiné à ridiculiser toute forme de scepticisme envers toute version officielle. Dans la même convergence idéologique, un éditorialiste ultra-communautariste de Radio J n’a pas manqué de s’appuyer sur un article de Seif Soudani, paru dans le Courrier de l’Atlas, pour dénoncer le regain des critiques en Tunisie à l’encontre du gouvernement israélien.
Le meilleur des mondes sur les épaules d’Atlas
Il n’est dès lors pas surprenant de constater le récent virage éditorial de la revue consacrée à l’actualité du Maghreb : dans son numéro d’octobre, un dossier spécial fustigeait l’antiracisme d’associations telles le MRAP, le PIR , les Indivisibles ou le CRAN- toutes coupables d’accointances supposées avec l’islamisme et l’antisémitisme. Le tollé provoqué par une telle accusation n’a pas empêché son responsable, le journaliste Yann Barte, de maintenir son propos, soutenu en cela par la rédaction du magazine. Le 8 octobre, sur sa page Google+, il reprocha encore à ces militants associatifs d’être des « identitaires de l’extrême gauche, obsédés par l’islamophobie » et usant de « méthodes d’intimidation ». A l’instar de Caroline Fourest, Eric Zemmour ou Bernard-Henri Lévy, mais aussi de l’imam Tareq Oubrou, Yann Barte dénonce comme frauduleux le concept d’islamophobie, un « mot-piège » qu’il lui paraît « urgent de bannir ».
Un « bannissement » ? Dommage que cet empressement n’ait pas été exercé à l’endroit de la complaisance du Courrier de l’Atlas envers les régimes autoritaires du Maghreb. Avant les soulèvements des pays arabes et son nouvel engagement contre le « fascislamisme » cher à BHL, la revue ne s’était guère fait remarquer pour avoir incommodé le système Ben Ali. Fin 2009, son directeur, Naceuredinne Elafrite, avait davantage songé à lancer en Tunisie un magazine local consacré à l’art de vivre plutôt qu’aux revendications politiques. Son titre qui frise la subversion ? « Maisons et jasmins ». Dans un entrefilet paru dans son numéro d’octobre 2009 –page 22, son autre revue, le Courrier de l’Atlas, avait également exprimé un certain tact pour évoquer les élections présidentielles tunisiennes.
Quant à Caroline Fourest, à la même époque, elle affirmait – lors du débat sur la burqa et avec une modération remarquable- que « la Tunisie a toujours un problème avec l’islamisme et si le pays s’en sort grâce à la laïcité, c’est une main de fer qui s’y applique ». Un propos accommodant qui résonnait déjà avec sa vision -presque conciliante- envers le régime de Ben Ali, détaillée antérieurement dans son ouvrage « Tirs croisés » et longuement analysée par l’auteur et militant Sadri Khiari : dans les « démocraties officielles tenues d’une main de fer par l’armée (…), les mouvements islamistes menacent toujours un processus timide de modernisation ».
Une « timidité » probablement pardonnable quand il s’agit de combattre le péril vert de l’islamisme. Caroline Fourest ne craint pas de relativiser les excès d’un régime despotique, pourvu que celui-ci partage son combat contre le mal présenté comme absolu de l’intégrisme islamique. Et peu importe les critiques qu’on lui adressera quant à sa généralisation et ses amalgames. Ce qui dérange véritablement l’essayiste -comme elle l’a expliqué récemment, ce sont « ces grandes gueules qui pullulent à la télévision, disent des choses plates, ressassent des préjugés et font des raccourcis ». Oumma ne peut qu’approuver et illustrer, en guise de démonstration, un jugement aussi pertinent.
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